Depuis des siècles, la femme est le faire-valoir de l’homme et son émancipation n’est que très récente dans nos sociétés occidentales. Les femmes sont perçues comme malveillantes, faibles de nature et plus susceptibles d’être « corrompues » par la magie1. Les archétypes bibliques et mythologiques de la sorcière comme Eve, de la magicienne comme Circé2 et Médée3 ou de la prophétesse comme Cassandre, séduisent les hommes pour les piéger et les mener à leur perte.
Dans l’Antiquité grecque, au VIe siècle av. J.-C., la femme est associée aux figures de la Sybille et de la Pythie. Elle campe le rôle de prêtresse divinatoire qui annonce des prédictions et des prophéties aux personnes qui viennent la consulter. La Pythie est considérée comme la mère des mentalistes, une prophétesse qui s’exprime à travers l’oracle d’Apollon à Delphes. Une femme choisie scrupuleusement par les tout-puissants prêtres païens qui sont les grands ordonnateurs des « miracles » provoqués. En donnant ce rôle d’intermédiaire à des femmes, ils ont un contrôle total sur cette activité très lucrative. Ils peuvent les manipuler à leur guise à une époque où les hommes décident déjà de tout !
L’héritage des sorcières4
Au Moyen-Age, au milieu du XIIIe siècle, le statut du sorcier passe sous l’influence du Diable, faisant naître la notion d’hérétique créée par l’église catholique sous l’impulsion de différents Papes. Dans cette répression des hérésies, la femme est très vite associée à la sorcellerie et soupçonnée de pactiser avec le Malin, ce qui lui vaudra la peine de mort jusqu’au XVIIe siècle ! Elle devient alors l’être le plus blâmable car descendante directe d’Eve la pécheresse, à l’origine de toutes les perversions du genre humain.
Le mythe de la sorcière et du sabbat est né et rendu public par les traités des démonologues. Les femmes guérisseuses qui utilisent la magie avec l’aide de plantes médicinales, d’incantations et de formules magiques entrent peu à peu dans le collimateur de l’église et de l’inquisition (ainsi que les sages-femmes !). La publication du Malleus Maleficarum (1486), un ouvrage anti-féminin à charge, active une recrudescence de « la chasse aux sorcières » qui a fait entre 60 000 et 100 000 victimes dont environ 80% de femmes, principalement vieilles, pauvres et rurales.
Escamotage
Après avoir été éradiquées, les sorcières rescapées « disparaissent » pour un temps et se reconvertissent alors en diseuses de bonne aventure, laissant la place aux bateleurs et aux escamoteurs sur les places publiques. Jeanne des Armoises, qui se fait aussi passer pour Jeanne d’Arc, réalise en 1436 à Cologne quelques tours de magie mais elle sera vite excommuniée pour ses « pratiques diaboliques ». Une femme dénote dans cet univers essentiellement masculin des bateleurs, Mademoiselle Regnault qui est considérée comme la première magicienne à pratiquer l’escamotage sur le Pont Neuf à Paris vers 1697.
Le spectacle magique
Au XVIIIe siècle la magie de spectacle, exécutée exclusivement par des hommes dans les rôles d’escamoteurs, faiseurs de tours de gibecières ou physiciens, se développe sur les places publiques, les foires et chez quelques riches particuliers. Nous trouvons néanmoins la trace d’une illusionniste à Leipzig en 1704 et une autre, figurant sur une estampe italienne datant de 1760. L’illusionniste italien Thomas Palatini (c.1720-1787) introduit vers 1776, « une jeune Persienne (Persanne) » qui est décrite comme une magicienne qui étonne par son adresse et sa dextérité surprenantes à faire des tours de gibecières. Elle accompagne Palatini pendant une vingtaine d’années, le reléguant souvent au second plan et exécutant elle-même le répertoire de Palatini où l’on retrouve, entre autres, l’illusion de l’animal vivant décapité et recollé, une carte choisie et retrouvée, et une métamorphose d’un objet en trois animaux successifs.
Voyance
Le monde forain est très proche du monde tzigane, dans lequel la divination est une activité réservée aux femmes dont la descendante directe est la Pythie de Delphes. Les voyantes5 officient discrètement dans des roulottes ou de luxueux cabinets ambulants et utilisent différentes techniques divinatoires : boules de cristal, lignes de la main, marc de café, jeux de cartes et autres formes de « mancies ». La religieuse Jeanne le Royer (1731-1798) entre au couvent des Urbanistes à l’âge de 21 ans. Dès son plus jeune âge, elle est atteinte de visions et d’extases. Elle est la prophétesse de la Révolution française de 1789.
Mlle Marie-Anne Adélaïde Lenormand (1772-1843) est une des cartomanciennes les plus connues de son époque. Son élève Adèle Moreau (1816-1888) pratique la cartomancie ainsi que la chiromancie, dont elle crée un jeu de cartes : Le nouveau jeu de la main. Madame Fraya (Valentine Dencausse,1871-1954) est la voyante star de la Belle Époque. Elle choisit le pseudonyme de « Fraya » en référence au nom de la déesse germanique pratiquant la magie. Elle installe son cabinet à Paris en 1892 et les plus grandes personnalités viennent la consulte comme les présidents Georges Clemenceau et Raymond Poincaré, des ministres, des écrivains, des comédiens, mais aussi les reines Nathalie de Serbie, Marie de Roumanie, Amélie de Portugal, la princesse de Saxe-Meiningen…
Au milieu du XIXe siècle, la voyance devient un métier et a pignon sur rue, prenant une vraie place dans la société. Elle console, rassure, prédit l’avenir en mélangeant volontiers les pratiques du somnambulisme à un attirail folklorique. Ces voyants sont majoritairement des femmes. Elles sont nommées successivement « somnambules extra-lucides », « sibylles », « pythonisses », « cartomanciennes » et… « sorcières » ! Elles assiègent les salons, les antichambres, se mêlant aux magnétiseurs, médiums et illusionnistes. La frontière entre toutes ces pratiques est floue, certains allant jusqu’à tout combiner dans leur séance.
Plus fort que les hommes
L’apparition du mesmérisme (magnétisme animal) en 1773 a une répercussion sur les scènes de spectacle et de nombreux magiciens récupèrent cette pratique en prétendant posséder des pouvoirs psychiques et physiques. Un siècle plus tard, des femmes se lancent dans des « séances mesmériques » et « hypnotiques » comme Miss Annie De Montford qui donne des représentations de 1871 à 1882, Madame G. Card ou Annie Abbott (Dixie Annie Haygood, 1861-1915) et Georgia Wonder (Lulu Hurst, 1869-1950) qui prétendent posséder une force herculéenne en défiant des groupes d’hommes. Vers 1894, une certaine Gaza fait la démonstration de ses « pouvoirs magnétiques » dans le cirque de Walter L. Main. Plus tard, dans les années 1910, Nicola présente sa partenaire Zoki, « The sleeping miracle of strength ».
Coup d’essaie6
Dans la première moitié du XIXe siècle, une portion infime de femmes de produisent sur les scènes européennes comme Marie-Anne Joannique Fondard, Signora Girardelli et Caroline Bernhardt. Les plus célèbres sont Julie Grandsart-Courtois (1813-1880) et Bénita Anguinet.
Mademoiselle Bénita Anguinet (1819-1887), la « première physicienne de France », est une figure symbolique et un modèle « de résistance ». Elle fait ses débuts sur scène avec son père en 1827 à l’âge de sept ans. En 1939, elle réalise son premier spectacle seul en scène à Arras. Elle part en tournées en France dès 1840 et à l’étranger à partir de 1845. Elle atteint la consécration parisienne dans son propre Théâtre de magie du Pré-Catelan au Bois de Boulogne de 1856 à 1858. À partir de 1864, Bénita s’exile définitivement en Espagne où elle devient « la Reine des prestidigitatrice » jusqu’à son décès en 1887 à Madrid.
La deuxième partie du XIXe siècle voit les mentalités changer et de nombreuses femmes pratiquent la prestidigitation en amateurs. Des magiciennes, seules en scène, font une timide apparition dans certains théâtres forains et itinérants sans véritable lendemain (Alphonsina, Corysande, Judita Rossi, Violetta di Parma, Nella Davenport, Mlle Méala, Carolina, Mlle Orlowska). Madame MacAllister (vers 1855-1860) est présentée comme « la seule dame magicienne au monde ». Jennie Anderson (vers 1875) est une magicienne professionnelle qui tourne dans toute la Nouvelle-Zélande avec son grand spectacle d’illusions.
Okita (Julia Ferret De Vere, 1852-1916) présente son spectacle d’illusions dès 1877. Pauline Schmidt (1865-1944) est une magicienne danoise à succès et une artiste bien connue et appréciée en Suède et en Finlande dans les années 1880. Toutes ces femmes ont eu des carrières extrêmement réussies, bien que très courtes. Elles ont malheureusement été oubliées depuis longtemps et peu de traces subsistent de leurs passages. La plupart se sont mariées et ont cessé de se produire au plus fort de leur renommé…
Double vue
Le numéro de « seconde vue », utilisé par les saltimbanques sur les champs de foire, est transposé sur scène pour la première fois par Giuseppe Pinetti et sa femme en 1783 avec l’archétype du numéro qui perdurera jusqu’à nos jours (divination avec les yeux bandés) et fait sa réapparition sur scène en 1845 avec Robert-Houdin et son fils. La transmission de pensée7 devient alors un véritable effet de mode et les illusionnistes s’associent avec leurs partenaires féminines qui vont être au centre de tous les regards. Parmi eux : Madame Félicité Gilles (1817-1896) et Monsieur Henri Robin (1811-1874), Louise et John Henry Anderson (1814-1874), Prudence Bernard et Auguste Lassaigne (1819-1885), Haidee et Robert Heller (1829-1878), Mlle Élénita et Faure Nicolay (1831-1903), Madame Alice et Cazeneuve (1839-1913), Mlle Marguerit et Eugène-Laurent Verbeck (1844-1905), Mlle Lucile et Donato (1845-1900), Foska et Roskoff (1854-1931), Marie-Laure Louis et Jean-François Neulat (1854-1904), Agnes Claussen Jörgensen et Julius Zancig (The Zancings, 1857-1916 / 1857-1929), Mariska et Professeur Dalmoras, Michaella et Talazac (1863-1916), Saltana et Georges Door Leblanc (1865-1945), Marguerite Larya et Henrys Dahan (Marguerite Nahad & Nahad Ben Bakdar), Dora et David Devant (1868-1941), Djina et De Latorre (1871-1932), Ackita et Ezu-Ala (né en 1874).
Entresorts
Des baraques foraines et des cirques font leur apparition dans les foires itinérantes où sont présentées des illusions sous forme d’entresorts la plupart basés sur les inventions optiques de Tomas William Tobin qui utilise des miroirs en 1866 (avec L’illusion du Sphinx et l’Oracle de Delphes). On y exhibe des « pseudos phénomènes » principalement féminins comme la femme sans tête, la femme à trois têtes, la femme fleur, la femme araignée, la femme transparente, la femme poisson, l’amphitrite (une nymphe des mers volante fonctionnant sur une variation du Pepper’s ghost)… Les plus célèbres sont Thauma, la femme tronc placée sur une balancelle, basée sur le théâtre noir (Dr Lynn, 1879) et Miss Gorilla (femme transformée en gorille sur le procédé Metempsychose de Walker et Pepper (1879).
Barnum & Bailey sont les grands pourvoyeurs de ces phénomènes qui prennent place sous leur « temple noir des prodiges magiques ». Deux illusionnistes conçoivent ces entresorts : Franck Hoffman à la fin des années 1880 et Henry Roltair dans les années 1890. On y retrouve, selon la publicité de l’époque : Thauma, la splendide apparition et la créature surnaturelle parlante, la naissance de Vénus, la sirène vivante, le mystère du paon, l’araignée vivante, Flora, Fatima, Magneta, Stella, Galatea, ou les sept têtes des épouses de Barbe Bleue… Une surprenante galerie de quarante beautés vivantes, doublées de visions surnaturelles, de fantômes aériens et d’apparitions éthérées. La représentation scientifique la plus rare et la plus extraordinaire d’étonnantes manifestations théosophiques.
Les entresorts mettent, une fois de plus, à mal l’image de la femme reléguée à une curiosité malsaine. Coupée en deux, décapitée, affublée de trois têtes, transformée en araignée… La « malédiction » n’est pas loin et nous rappelle les archétypes ancestraux. Ces exhibitions préfigurent également le sort réservé aux femmes dans les illusions scéniques à venir8 : crémation, décapitation, écartèlement, transpercement… des tortures dignes du Moyen-Age où la résurgence de la figure de la sorcière et de son éradication n’est pas loin.
Médiums spirites
Le spiritualisme initié par les sœurs Fox en 1848 provoqua un déferlement de mediums spirites9 qui proposaient aux gens de rentrer en contact avec leurs proches défunts. L’illusionnisme se saisit de cette vague très lucrative pour proposer des spectacles anti-spirit ou à la frontière de l’honnêteté. De grandes figures féminines controversées proposent leur service comme Florence Cook (Mme Corner, 1856-1904), Eusapia Palladino (1854-1918), Anna Eva Fay (1851-1927) ou Eva Fay (1877-1931). Celles-ci utilisant des trucages et des techniques d’illusionnisme pour tromper leur monde. La figure de la femme médium est un vrai phénomène de société et force les hommes spirites à reconsidérer l’égalité entre les sexes et l’émancipation féminine.
Monsieur et Madame
À partir de 1880, le vaudeville américain devient extrêmement populaire et présente des spectacles de variétés et de music-hall familiaux où les femmes sont bien représentées et assistent leurs partenaires ou maris dans des numéros d’illusionnisme (pour des raisons pratiques, esthétiques et économiques). Parmi ces assistantes de luxe : Bess Houdini. Eva Kellar, Mme Reno, Edna Herr, Athena Pallas, Tex Veletta, Deloras, Hazel Kolar, Ada Mary Porter, Corinne Carter, Evelyn Maxwell, Datura, Miss Helena, Aouda, Jenny Brown.
Petit à petit, la partenaire prend de plus en plus de place dans les représentations magiques, jusqu’à partager l’affiche avec son homologue masculin. Parfois, elles font armes égales et deviennent la co-vedette du spectacle, ayant du mal à se défaire d’un répertoire, de postures et parfois d’une garde-robe empruntés aux hommes. Parmi ces dames : Mme Flint, Helen Hilliard, Mohala Floyd, Fatma, Suee Seen, Beatrice Foster, Jane Thurston, Maude Heller, Mildred May Searing, Kittie Baldwin, Nadia Nadyr, Yu Li San, Magda Palermo, Madame Zomah (Adelaide Ellen Giddings), qui a aussi un numéro en solo et qui milite pour qu’il y ait plus de femmes magiciennes avec le crédo « Girls love magic ».
Seule en scène
À la fin XIXe siècle, les magiciennes investissent les music-halls et sont au programme de certaines revues. Les femmes travaillant dans « le spectacle » sont malheureusement dénigrées car les institutions les considèrent comme ayant des mœurs légères. Malgré ses préjugés sociétaux, quelques femmes réussissent à s’extirper de l’emprise masculine pour construire leur propre numéro et se produire seule en scène (comme au milieu du XIXe siècle, mais avec plus de régularité et de visibilité) à commencer par Adélaïde Herrmann (Adele Celine Scarcez, 1853-1932), la femme d’Alexander Herrmann, qui est la plus grande magicienne de tous les temps. La seule à avoir égalé la notoriété des grands magiciens masculins de son époque. Elle a montré la voie et ouvert les scènes d’Amérique et d’Europe à ses consœurs dès 1899.
Suivent : Circe « die zauberin », Mlle Patrice, Ionia, Mlle Durga, Nina Sokolska, Zirka, Mlle Margo, Mahomeda, Marianna De Lahaye, Mlle Dicka, Elsa Amadria, Miss Ther, Aimée Désirée (Mystia), Ivy Jeane, Mme Linardini, Mlle Sousa.
En 1894, la danseuse Liane de Pougy (Anne-Marie Chassaigne, 1869-1950) propose un numéro de magie dans une revue des Folies Bergère, mis en scène par le magicien Dicksonn qui utilise le « Théâtre noir » pour de nombreux effets.
D’origine britannique, Omene (Nadine Osborne / Madge Hargreaves) fait ses débuts en 1886 en tant qu’assistante du magicien italien Yank Hoe (Ercole Castagnone) jusqu’en 1892. Elle commence alors une carrière solo en tant que danseuse exotique (pratiquant la danse du ventre) et plus tard comme magicienne à la fin des années 1890.
Mercedes Talma (Mary Ann Ford, 1868-1944) s’intéresse très tôt au théâtre et occupe divers emplois avec plusieurs artistes de scène. Elle acquière alors une solide formation et une certaine expérience dans le jeu et la scénographie. Elle rencontre ensuite le grand magicien belge Servais Le Roy vers 1884 au Royal Aquarium de Londres et devient vite son assistante. Elle est de plus en plus présente dans les représentations de Le Roy et apprend la manipulation des cartes à jouer, des boules de billard et surtout des pièces. Sa rencontre avec le spécialiste du genre Thomas Nelson Downs, en 1893, est décisive. En 1899, elle apparait pour la première fois dans son propre spectacle, en solo, avec un numéro de manipulation de pièces à l’Oxford Music-Hall de Londres, puis sur les scènes théâtrales de Grande-Bretagne, de France et d’Allemagne. Elle retrouve Le Roy pour constituer un nouveau trio avec le comédien Leon Bosco, et partent en tournée mondiale. Talma sera à nouveau l’assistante de Le Roy pour sa mythique lévitation Asrah en 1902.
Quant à Vonetta (Etta Ion, 1878-1964), elle se produit dans les music-halls anglais au début du XXe siècle. Son numéro mêle danse, magie et transformisme. Elle est une des premières femmes à inverser les rôles de l’assistant en « brûlant vif » son partenaire masculin !
Tenkatsu Shōkyokusai (1886-1944) est la disciple et maîtresse du grand magicien japonais Tenichi Shōkyokusai. Elle intègre sa troupe comme vedette à l’âge de quinze ans et fait des tournées en Europe et en Amérique. En 1912, Tenkatsu monte sa propre troupe qu’elle dirige jusqu’en 1936.
L’apparition de l’escapologie10 initiée par le grand Harry Houdini suscite des vocations et provoque une invasion de copies auxquelles les femmes n’échappent pas, revendiquant au passage leur « force » et leur caractère : Miss Trixi (La seule à avoir l’autorisation d’Houdini de reproduire sa Chinese Water Torture Cell), Zelda présente un spectacle d’évasion en tournée dans le Buffalo Bill Wild West show vers 1905. Miss Undina (qui plagie sans autorisation la Water Torture Cell), Sirronje. La concurrente la plus intéressante est Minerva (Riedel Van Dorn, 1877-1955) une anglo-allemande spécialisée dans les évasions de tonneau rempli d’eau.
Mise en boîte à l’anglaise
Dans les années 1920, un nouveau coup est porté aux femmes à travers une impressionnante série de grandes illusions masochistes et sadiques créé par l’anglais P.T. Selbit (1881-1938). Ce dernier va imaginer différentes manières de mettre à mal une partenaire dans une débauche de machisme.
Son tour le plus populaire est La femme coupée en deux (1920), qui va devenir la grande illusion la plus connue du monde. Vient ensuite Elastic Lady (Stretching a girl / La femme écartelée, 1922), La pelote à épingles humaine (La fille indestructible / The Spiker, 1923), Crushing a woman (La femme écrasée, 1923), et Stick Rack (Le porte-cannes).
Les plus grands magiciens de l’époque (Thurston, Dante, Nicola, Goldin, Carter, Tampa…) reprennent alors à leur compte ses merveilles de perversion. Les femmes sont alors de plus en plus sollicitées à « rentrer dans des boîtes » construites sur mesure pour accentuer considérablement l’illusion d’impossibilité. Leur taille et leur souplesse étant deux arguments de poids. En 1937, un autre anglais, Henry Baines crée l’effet appelé l’empalement (Impaled / Pierced) où la partenaire, en position horizontale, s’empale sur la pointe d’une épée à la verticale.
Last but not least, dans les années 1960, Robert Harbin invente le tour le plus célèbre et le plus utilisé après La femme coupée en deux, la bien nommée Femme Zig-Zag où la partenaire est coupée en trois morceaux dans une boîte verticale.
La torture à la portée de tous
Comme si cela ne suffisait pas, dans les années 1930, le fabriquant français Dickmann-Minalono (Nicholas-Joseph Minalono, 1870-1947) met à disposition des magiciens amateurs et professionnels une armada de grandes illusions reproduisant différents supplices via son catalogue. Au programme : Le lit de tortures chinoises, Le mystère des couperets, Les poteaux de la peur, Le pressoir de la mort, Le mystère hindou, La femme pelote, La femme transpercée, La femme coupée en morceau, La femme qui perd la tête… Des illusions scéniques qui se trouvent également dans les catalogues de ses collègues anglais (chez Lewis Davenport) et américains (chez Louis Tannen).
Les femmes se rebiffent dans l’entre-deux-guerres
Dans les années 1920 et 1930 se produisent Suzy Wandas (Jeanne Van Dyke, 1896-1986), Rita Del Gardi (1899-1966), Dell O’Dell, Ellen E. Armstrong, Geri Larsen, Miss Blanche (Ruth Iris Wachsmann, 1910-1989), Koringa, Joan Brandon (1914-1979), Paula Baird (1917-1999), Lady Francis (Frances R. Francis), Mystic Mora.
Geri Larsen (Geraldine Larsen Baker Jaffe, 1906-1998) est la première femme à présenter de la magie à la télévision aux États-Unis en 1939. Elle fonde la première organisation de magiciennes en 1936 et au cours de la même année créée le magazine Genii avec son mari William W. Larsen, Sr.
Dell O’Dell (Odella Newton, 1897-1962) est considérée comme une pionnière qui sert de modèle aux futures interprètes modernes. Elle est l’une des premières magiciennes à avoir sa propre émission de télévision appelée The Dell O’Dell Show (1951) bien avant Mark Wilson. Elle est la seule femme membre du Magician Guild créé en 1938. Elle prend la magie au sérieux lorsqu’un magicien lui dit qu’une fille ne peut pas apprendre la magie. Dell O’Dell casse alors les codes en vigueur et s’affirme dans cette profession masculine. Elle n’hésite pas à jouer sur les clichés de la femme au foyer qui se transforme en magicienne sur la couverture de son livre On both sides of the footlights (1946).
Koringa (Renée Bernard, 1913-1976) est une des très rares femmes fakir au monde se produisant sur les scènes de spectacle. Danseuse de formation, elle apprend le métier avec le sulfureux fakir et hypnotiseur Blacaman (Pietro Aversa, 1902-1949). Elle se façonne un personnage d’enfant magicienne élevée par des fakirs hindoustani et devient Koringa en 1938. Habillée d’un pagne de vahiné, elle danse à moitié nue sur du verre brisé, monte pieds nus une échelle constituée de lames d’épées effilées et exerce la lévitation. Elle hypnotise également des reptiles et des crocodiles.
Ellen E. Armstrong (1914-1979), est devenue la « maîtresse de la magie moderne » et la « première magicienne afro-américaine d’importance ». Le père d’Ellen est le magicien John Harford Armstrong (1886-1939). Dès l’âge de six ans, Ellen interprète ses propres numéros en solo dans le spectacle de magie familial qui fait le tour de la côte Est des États-Unis, offrant un divertissement magique et beaucoup de rires aux communautés afro-américaines. En 1939, le père d’Ellen meurt et elle hérite de tout son matériel de magie. Ellen poursuivi courageusement la tradition familiale et parcourt le Sud ségrégué avec un spectacle d’illusions et de mentalisme où elle se met en vedette avec sa belle-mère Lillie Belle, comme seules interprètes de couleur. La carrière d’Ellen dure jusqu’en 1970.
Dans les années 1940 et 1950, les femmes s’installent de plus en plus dans le paysage magique comme Yolande Cartis (Sébastianna Casini, 1920-2017) ou Janet Heath.
Esme Levante (1921-1989), La fille de Levante, joue dès l’âge de cinq ans dans les spectacles de son père et en devient la co-vedette en 1942. En 1956, elle développe ensuite son propre numéro de magie générale en solo et se spécialise dans l’escapologie de 1954 jusqu’à sa retraite en 1968.
June Merlin (June Elizabeth Cochrane, June McComb, 1920-2007) est une ancienne Miss Irlande et commence la magie en rencontrant Billy McComb en 1942 qui lui crée un numéro comprenant des cordes, des boules de billard et des accessoires populaires de l’époque. Ils gagnent un concours IBM en 1949. June aide ensuite Robert Harbin à créer sa future Zig Zag Girl Illusion, du point de vue de l’assistante et de son ergonomie.
Gloria Dea (1922-2023) est la première magicienne de l’histoire de Las Vegas. Elle commence à apprendre la prestidigitation à l’âge de cinq ans grâce à son père Leo Metzner, un magicien amateur, qui lui montre le tour Grandma’s Necklace. La jeune Gloria devient alors très vite magicienne professionnelle sous le nom de « Princess Pearl ». En 1941, à dix-neuf ans, elle décroche un contrat professionnel pour jouer dans le premier hôtel-casino de Vegas, El Rancho. Elle danse et exécute des tours de magie. Elle ne tarde pas à faire ses débuts d’actrice et on la retrouve dans des seconds rôles au cinéma (The Story of Dr. Wassell, Mexicana, An American in Paris, Singing in the rain, The King of the Congo, The Prodigal, Plan 9 from Outer Space…).
Celeste Evans (1931-2017) découvre la magie au Canada à l’âge de neuf ans et se produit en public à dix ans. On lui dit alors que « les filles ne savent pas faire de magie » et elle est déterminée à prouver le contraire. C’est exactement ce qu’elle fait et devient une magicienne accomplie avec des engagements internationaux. Celeste est présentée comme « la beauté de la magie » et connue comme « la première femme magicienne travaillant avec des colombes ». Elle joue dans des robes glamour sans manches et travaille seule, sans l’aide d’assistant, dans des boîtes de nuit et à la télévision. Elle connait beaucoup de succès et fait des tournées, se produisant dans les meilleures salles des États-Unis. Pendant de nombreuses années, elle travaille dans des endroits « dangereux et exotiques » pour le compte de la United Service Organization (USO) afin d’offrir des spectacles aux troupes et au personnel militaires des bases et avant-postes de l’armée de l’air.
Annie Bert (Lady Masking, Huguette de Lysiole) obtient le premier prix des magiciennes à la FISM de 1951 avec un numéro de manipulations. Elle travaille au Cabinet Fantastique du Musée Grévin de Paris entre 1958 et 1969. Elizabeth Warlock (née en 1933), la fille du magicien Peter Warlock, est la plus jeune magicienne et la première femme à remporter le British Ring Shield d’IBM en 1953.
Féminisme
Les mouvements féministes des années 1960 et 1970 engendrent des changements profonds dans les mentalités et favorisent une certaine indépendance de la femme. Les magiciennes reviennent alors sur le devant de la scène et dans les cabarets.
En 1964, la jeune Viviane Mireldo présente, à onze ans, un numéro de magie classique sur la piste du Cirque Medrano. En 1966, elle signe un contrat pour travailler au Musée Grévin de Paris. Dans les années 1970, elle met en « boîte » ses partenaires masculins au Lido de Paris avec sa magie féministe. Dans les années 1970-80, Christine Omanis, élève de Jean Delaude, se produit dans la plupart des cabarets parisiens avec un numéro de manipulation d’anneaux chinois, boules et cigarettes.
Une femme détonne par son univers poétique et mélancolique : l’américaine Tina Lenert (né en 1948) avec son numéro Un rêve qui devient réalité. Magicienne qui pratique aussi le mime et la harpe qu’elle mêle à sa magie.
Diana Zimmerman (née en 1949) débute la magie professionnellement à l’âge de seize ans avec un numéro de pickpocket sous le nom de « Diana the Enchantress ». Elle remporte ensuite de nombreux prix et anime sa propre émission de télévision Enchanted Palace. Elle se produit au Harrah’s au Lake Tahoe avec sa propre revue magique. Dans les années 1970, avec l’aide du grand acteur Cary Grant, elle fonde une école pour les magiciens juniors au Magic Castle. Elle est conseillère en magie et conçoit des illusions pour Criss Angel, David Copperfield, Lance Burton et Collins Key. Elle intervient dans le monde de l’entreprise en tant que conférencière. Elle devient présidente de CMS Communications, Intl., une agence de communication – marketing et production d’événements. Diana Zimmerman est également journaliste et auteur de biographies (Siegfried & Roy: Unique In All The World) et de romans fantastiques (Kandide’s trilogy).
Fin des années 1980 et début des années 1990, les femmes magiciennes réussissent un coup de poker gagnant à Las Vegas, le temple du divertissement. Suivant l’exemple de leur illustre doyenne Gloria Dea (dans les années 1940), elles investissent les plus grands Hôtels-casinos en concurrence directe avec leurs homologues masculins. Parmi elles : Connie Boyd, Jade, Melinda Saxe, Ariann Black, Princess Tenko, Sherry Lucas, Sophie Evans, Luna Shimada.
Portes-drapeaux
Fay Presto (Letitia Winter, née en 1947) commence la magie sur le tard à la trentaine et se spécialise dans le close-up. Elle est la première femme membre du Inner Magic Circle de Londres en 1991 grâce à l’acharnement de sa collègue Dorothy Dietrich.
Gay Blackstone (née en 1952) est l’une des productrices qui a le plus engagé de magiciens à la télévision américaine. Elle est la productrice exécutive de l’émission culte Masters of Illusion depuis 2013 et la saison 4, célébrant plus d’une décennie de diffusions sur le réseau CW. Durant cette période, elle présente certains des meilleurs magiciens de la planète, lance des carrières dans le divertissement et découvre de nouveaux talents. Gay détient le titre d’ambassadrice internationale auprès de l’International Brotherhood of Magicians (IBM) et est membre de longue date du conseil d’administration de l’Académie des arts magiques du Magic Castle, où elle a occupé le poste de présidente du conseil d’administration. En tant que veuve de Harry Blackstone Jr. (1934-1997), Gay élargi encore plus « The Blackstone Magic Legacy ». Cet héritage est considéré comme une royauté magique avec une tradition théâtrale s’étendant sur plus de cent ans.
Tessa Evason (née en 1962) découvre la magie pour la première fois sur la petite île de Sainte-Lucie. Elle rencontre son partenaire magique Jeff à Toronto alors qu’elle est encore étudiante et mannequin. Ils commencent à se produire ensemble sous le nom des Evasons avec des spectacles d’illusions sur scène et leur numéro de « seconde vue » moderne évolue à partir de là. Dès le premier spectacle, Tessa connait un énorme succès. Elle est la star, avec le pouvoir de « lire dans les pensées et de prédire les objets ». Jeff et Tessa Evason sont très populaires et très demandés dans les émissions de télévision prestigieuses, sur les scènes de théâtre, en tête d’affiche d’événements d’entreprise et même en vedettes « live » lors des mi-temps des matchs de basket NBA. En 2019, les Evasons ont l’honneur d’être consultants sur le film Nightmare Alley co-écrit et réalisé par Guillermo del Toro pour contribuer à l’authenticité du film qui dépeint un duo de mentalistes.
Lisa Menna (née en 1964) est une magicienne militante et activiste doublée d’une aventurière philanthrope. Elle est une pionnière dans une profession dominée par les hommes. Elle se fait interdire l’accès au Magic Circle Fakir Circles et aux cours de magie chez Tannen parce qu’elle est une femme ! Malgré ces pratiques d’un autre âge, elle devient la première femme à être invitée à donner des conférences et à se produire à la FISM. Elle est également la seule femme à se produire dans toutes les salles du Magic Castle à Hollywood. Menna milite pour le droit des femmes et a présenté son organisation caritative Cause To Wonder aux Nations-Unis.
Lupe Nielsen (née en 1966) se produit dans son pays natal le Panama en faisant de la magie sur scène, pour enfants et du close-up. Elle apprend la plupart de ses tours elle-même dans des livres. Lupe se rend alors aux États-Unis pour étudier le théâtre technique. Elle continue de pratiquer la magie et devient l’une des premières femmes barmaids magiciennes des États-Unis. Grâce à sa formation technique et son expérience de travail avec d’autres constructeurs d’équipements magiques, elle crée et fabrique de la magie « à partir de rien ». Depuis la mort de son mari Norm Nielsen (1934-2000), Lupe exploite et gère l’entreprise Nielsen Magic. Elle perpétue ainsi une tradition de fabrication de nombreux produits magiques de haute qualité et d’impressions d’affiches vintage rares. Lupe est également une historienne de la magie qui connaît très bien les affiches et accessoires vintage à collectionner.
Dorothy Dietrich (née en 1969) prend son indépendance à l’âge de 13 ans et part de la maison familiale avec son frère aîné (elle a six frères !) pour New York. La cause : un père violent. Ce trauma va déclencher, plus tard, sa volonté de réhabiliter les femmes dans la société au travers de la magie en concurrençant les hommes sur leur propre terrain. Elle est une des très rares femmes (après Madame DeLinsky, Adélaïde Herrmann…) à exécuter The bullet catch et n’hésite pas non plus à jouer les escapologistes dans des défis physiques réservés aux hommes (la seule femme à s’échapper d’une camisole de force, pendue par les pieds). Elle va même jusqu’à scier un homme en deux. Elle se bat pour avoir accès aux cercles magiques comme la Society of American Magicians et le London’s Magic Circle à une époque où les femmes n’y sont pas admises.
Le XXIe siècle
Dans les années 2000 et 2010, les femmes essayent de s’affranchir définitivement des codes masculins pour proposer une nouvelle vision de l’art magique en mettant de côté les conventions du genre et en affirmant une forte personnalité. Ces femmes de caractères ont une carrière professionnelle qui n’a rien à envier à leurs homologues masculins : Elisabeth Amato, Alexandra Duvivier, Caroline Marx, Beryl, Elfia, Aude Lebrun, Alana, Roxanne, Caroline Ravn, Misty Lee, Carisa Hendrix, Billy Kidd, Josephine Lee, Krystyn Lambert, Magic Babe Ning, Kayla Drescher, Belinda Sinclair, Laura London, Dania Diaz, Léa Kyle, Anna DeGuzman, Calista Sinclair, Ding yang, Ekaterina, Jeanette Andrews et beaucoup d’autres… l’avenir magique est féminin !11
État des lieux
Aujourd’hui, le statut de la femme reste encore fragile, malgré leur combat, leur revendication, leur volonté de reconnaissance, d’égalité et d’indépendance. Après toutes les avancées sociétales et l’évolution des mœurs, la gent féminine est encore sous-estimée et malmenée victime de préjugés sexistes et misogynes sous le contrôle des hommes qui détiennent toujours le pouvoir (politique et moral). Nous voyons encore trop souvent des partenaires potiches et maltraitées dans des numéros de magie scénique et dans des « classiques » qui ont imprégnés durablement l’inconscient collectif à l’image de la tristement célèbre femme coupée en deux.
Comme nous l’avons vu à travers l’histoire, il y a un paradoxe évident dans le parcours des femmes magiciennes12, passant du statut d’assistante, à partenaire, de partenaire à artiste solo ; pour ensuite régresser, faire des va-et-vient dans un rôle précaire et instable. Comme si on voulait retirer leurs « avantages » acquis après de nombreuses luttes.
Le travail de ces artistes féminines est encore largement ignoré car leur médiatisation est discrète. Depuis des siècles, le même cercle vicieux est en marche : « on ne les connait pas, donc elles n’existent pas, donc on ne va pas les voir en spectacle, donc on n’écrit pas sur elles, donc elles ne valent rien, donc elles sont effacées de l’histoire et vice-versa ». À partir du moment où les historiens, les universitaires et les médias produisent des informations les concernant, le cercle devient vertueux et la réhabilitation est en marche.
Il y a encore du travail pour que la représentativité13 et la reconnaissance soient établies définitivement dans les arts du spectacle et plus globalement dans tous les domaines. Nous aimerions que la déclaration de la grande Adélaïde Herrmann soit définitivement actée : « Je ne souhaite pas me démarquer par le seul fait que je suis aujourd’hui l’unique femme prestidigitateur à donner des spectacles. Je ne serai satisfaite que lorsque le public m’aura reconnue comme l’un des chefs de file de ma profession, tout à fait indépendamment de mon sexe. »
Notes :
1 Cet article a été publié pour la première fois en anglais dans une édition spéciale du magazine VANISH en février 2021 et a été depuis mis à jour en septembre 2023. Il a été publié en français dans le MAGICUS magazine en cinq parties du n°226 au n°230 (novembre-décembre 2020 à juillet-août 2021). Il reste néanmoins non exhaustif. Il n’a pas pour but de livrer une liste complète des femmes magiciennes pratiquant la sorcellerie, la voyance, le spiritisme et la magie de spectacle. Il récapitule juste des moments clés en évoquant de grandes figures féminines à travers les siècles. Merci à Connie Boyd qui m’a inspiré cet essai et à Ariann Black pour ces précisions historiques concernant la période du XIXe siècle.
2 Circé, fille d’Hécate, déesse de la magie et de la divination, transforme en pourceaux les compagnons d’Ulysse à l’aide d’un philtre.
3 Médée, la nièce de Circé, maitrise l’art des onguents, et aide Jason dans sa quête de la Toison d’or avant de se venger de manière terrifiante de son infidélité.
4 La première mention du mot « sorcière » en français apparaît au milieu du XIIe siècle, dans le Roman d’Éneas (1160). Avant l’an 1000, sous les Carolingiens, on qualifie ces femmes, qui manipulent des herbes et que l’on soupçonne d’ensorceler, d’herbariae, de sortiariae, de fascinatrices, d’enchanteresses, de stryges ou de femmes maléfiques. La première sorcière à être brulée en Europe est Adèle de Toulouse en 1275.
Paradoxalement, la plus célèbre « sorcière » de l’histoire est Jeanne d’Arc (qui n’en était pas une) qui, lors de son procès, est accusée de sorcière, chef de sortilèges, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice et conjuratrice des malins esprits, superstitieuse, idolâtre, apostat de la foi… Elle est brûlée (comme une sorcière) par deux fois en 1431 à Rouen.
Nous pouvons aussi nommer : Agnès Sampson morte en 1591 à Edimbourg. Anne de Chantraine, torturée et brulée vive en 1622 à Waret. Marie Navart brûlée vive en 1656 à Templeuve après avoir subi la torture des brodequins. Anna Goldin est la dernière sorcière à être condamnée en Europe. Elle meurt décapitée en Suisse en 1782.
Au fil des siècles, la sorcière va évoluer en empoisonneuse, en aliénée, en hystérique au XIXe siècle, puis en féministe militante et spirituelle au XXe siècle. La sorcière est « un intercesseur », elle permet le dialogue entre le visible et l’invisible, les vivants et les esprits. Elle rétablit l’équilibre entre les deux mondes grâce à des rituels et modifie, quand elle le souhaite, un état de conscience. La sorcière est une grande figure de résistance et de contestation. Depuis des siècles, elle interroge la société sur son fonctionnement et remet en cause son système patriarcal, capitaliste et anti-écologique.
5 Il faut mentionner le cas de Mère Shipton (Ursula Southeil, 1488-1561) qui est une figure à part car elle fait le lien entre la sorcellerie (avec ses dons de prophétie) et la pratique de la voyance à venir.
6 Lire à propos de la représentativité des femmes illusionnistes en Europe continentale au XIXe siècle : Autour de Bénita Anguinet : l’âge d’or des femmes illusionnistes de Pietro Micheli, Thibaut Rioult, Frédéric Tabet, Pierre Taillefer, Thibaut Ternon et Nele Wynants (Revue de la Prestidigitation n°641bis / janvier-février 2021).
7 La transmission de pensée est une branche du mentalisme. Elle a besoin d’un émetteur (masculin) et d’un récepteur (le plus souvent féminin). Il y a des traces d’une première démonstration de télépathie en duo à Londres en 1781 présentée par Philippe Breslow, mais pas de preuves matérielles. A partir des années 1940, en France, une vague de duo fait son apparition dans les cabarets et les pistes de cirque dont les têtes d’affiche sont Myr et Myroska. Suivont (jusqu’à nos jours) : Carolus et Magdola, Robertson et Lucile, O’Shan et Naga, Georges Farah « Li king Si », Monika et Don Lucry, Wilsonne et Wilson, Xavier Morris et Véronika, Les Gilsons (Claudy et Mylène), Gilles et Blaise… puis Van Yen et maintenant Avril, Claude et Christine Jan, Pathy-Bad et Bettina, Philippe Warein et Laurence, Edouard et Sarah, Viktor et Malvina puis Viktor et Wanda puis Viktor et Eva, Antoine et Val, Dan Taylor et Elisabeth, Claude de Piante et Aude Lebrun…
8 Parmi les illusions destinées aux femmes : La crémation (créé par le Professeur Seeman vers 1880 et reprise par Von Arx, Jansen, Fu Manchu…), La décapitation (pratiquée par Flora Anderson, Maudeena Heller, Rubini, Adélaïde Herrmann…), La cible vivante (inventée par Chung Lin Soo vers 1908 et reprise par Thurston, Willard…), La femme transpercée (de Edward Massey et Howard Thurston), Le panier hindou (Indian Basket trick) adapté vers 1864 par le colonel Stodare qui est l’un des premiers à présenter ce numéro en Europe où il transperce une jeune femme. La caisse aux sabres (coffre aux épées) en est une variante.
9 Parmi les femmes médiums célèbres : Emma Hardinge Britten (1823-1899), Eileen J. Garrett (1893-1970), Helen Ducan (1897-1956), Jeanne Dixon (1904-1997).
10 L’escapologie est une nouvelle manière de présenter des évasions de façon spectaculaire en « pleine lumière » comme un défi physique. Les techniques d’évasions étant utilisées depuis des siècles par les magiciens mais de façon détournée pour des effets de disparition, de transposition ou de phénomènes spirites comme avec les frères Davenport. Ces derniers commençaient même leur séance par une démonstration de libération de cordes à la vue de tous avant de s’enfermer dans leur fameuse armoire. La première femme à reprendre leur procédure est Lizzie Anderson (une des filles de J. H. Anderson) avec son partenaire Mr Sutton vers 1867.
11 Magical Women de Connie Boyd rend hommage aux magiciennes de renom et aux nouveaux talents de demain. C’est la seule chaîne YouTube au monde dédiée à documenter les femmes dans la magie. https://www.youtube.com/c/MagicalWomenwithConnieBoyd
12 Une des raisons de la sous-représentation des femmes dans la magie de spectacle s’explique en partie par la masculinisation du pouvoir. Le magicien est le symbole de ce pouvoir et le gardien des secrets. Détenir le pouvoir c’est contrôler les autres et garder les femmes à bonne distance. Les femmes magiciennes restent néanmoins nombreuses à l’échelle planétaire.
13 La question de la parité dans la pratique de la prestidigitation est significative de la représentativité des femmes dans ce domaine. Selon l’IBM (International Brotherhood of Magicians), on trouve environ 5 % de femmes dans les cercles magiques du monde entier et il y aurait 3 % de magiciennes au Magic Castle de Los Angeles. En France, la FFAP (Fédération française des artistes prestidigitateurs) récence à peine 3 % de ses adhérents comme étant des femmes.
À lire :
- Notes et souvenirs d’un illusionniste. Troisième série : Magiciennes de Abel Blanche (Autoédition, 1937)
- The lady vanishes : women, magic and the movies de Lucy Fisher (Film Quarterly, vol. 33, n°1, 1979)
- The social world of magicians : Gender and conjuring de Peter M. Nardi (Sex roles, vol. 19, n°11/12, 1988)
- Vanishing women : Magic, film and feminism de Karen Beckman (Duke University Press, 2003)
- Breaking into the Magic Circle de Fanny Johnstone (The Guardian, novembre 2007)
- Adelaide Herrmann Queen of Magic : Memoirs, Published Writings and Collected Ephemera de Margaret B. Steele (Bramble Books, 2011)
- Why are there so few female magicians ? de Ashley Fetters (The Atlantic, mars 2013)
- Conjuring the modern woman : women and their representation in the Golden Age of magic de Angela Sanchez (2013)
- The Rhetorical Goddess : A feminist perspective on women in magic de Laura C. Bruns et Joseph P. Zompetti (Journal of Performance Magic, vol. 2, n°1, 2014)
- Don’t Fool Yourself : The Magicial Life of Dell O’Dell de Michael Jay Claxton (Squash Publishing, 2014)
- How female magicians broke through the Magic Circle’s Boys Club de Tufayel Ahmed (Newsweek, septembre 2016)
- Suzy Wandas : The Lady with the Fairy Fingers de Christ & Kobe Van Herwegen (Squash Publishing, 2019)
- Ou sont passées les magiciennes ? (Magicus magazine n°236, juillet-août 2022)
- Ionia : Magician Princess, Secrets Unlocked de Charles Greene III (The Author, 2022)
- Bénita Anguinet, la première magicienne de Thibault Ternon et Pierre Taillefer (Le Cabinet d’Illusions, 2023)
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