Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Lorsque j’étais étudiant, je suis parti avec un ami, prénommé Denis, amateur de théâtre pour
faire de la magie des rues. Il y a de cela presque trente ans. Nous avions crée un spectacle pour la circonstance et nous l’avons joué pendant les mois d’été dans le sud de la France. Sans aucune autorisation, nous nous installions sur les places de villages et nous pouvions le jouer des dizaines de fois de suite jusqu’à ce que la police nous dégage ou que nous n’ayons plus aucun spectateur pour nous regarder.
Dans notre répertoire, nous avions le billet dans le citron, une variante des boulettes de Slydini, les trois cordes et puis un effet qui allait, par la suite
provoquer en moi une profonde réflexion. Quelque chose qui ne cadrait pas avec ma vision du monde. Je demandai à un spectateur s’il n’avait pas des problèmes de dos, je lui demandai ensuite de fermer les yeux, de raidir son corps et nous le placions raide entre deux tréteaux. Il s’agissait d’un truc d’hypnose simulée avec un spectateur qui devenait comparse malgré lui,
car je lui disais discrètement « si vous ouvrez les yeux, ou bien que vous relâchez votre corps, vous allez vous faire très mal… ». Et pour cacher mon « arnaque », je mimais l’hypnose comme je l’avais vu faire dans des films. Il s’agissait d’un simple principe physique mis en scène pour en cacher le truc dans un flot de paroles pseudo-hypnotiques.
Je n’étais pas particulièrement fier de cet effet mais il était efficace.
Et cela fonctionnait ainsi dans la plus part des cas : un spectateur était devenu un complice forcé d’une pseudo-expérience. Mais dans un nombre de cas dont le pourcentage s’accroissait quand j’affinais mon jeu d’acteur, les spectateurs ne se souvenaient plus vraiment de ce qui s’était passé, ou avait
l’impression d’avoir vécu comme dans un rêve.
Un jour à Avignon, un spectateur médecin m’a demandé où j’avais appris l’hypnose. Mais je n’avais rien appris, pire à l’époque je ne croyais même pas à la réalité de l’hypnose. Sans le savoir, j’hypnotisais réellement certaines personnes, simplement en imitant l’hypnose. Je truquais, je jouais la comédie et pourtant j’obtenais un effet réel dans certains cas. J’ai souvent réfléchi, ensuite, à l’impact du trucage sur l’autre. Plus tard, je me suis aperçu que l’hypnose est une des composantes de l’illusionnisme. Faire un tour de magie contourne parfois réellement le facteur critique et permet d’ouvrir le monde du merveilleux et de l’enfance en nous, ce que d’autres nomment l’inconscient.
En tout cas, je comprenais que la magie était davantage dans l’esprit du spectateur que dans la virtuosité du magicien. Et qu’une magie pouvait naître curieusement bien plus dans l’attente du spectateur que dans la volonté du magicien. Et puis j’avais appris qu’on pouvait hypnotiser quelqu’un (même un faible pourcentage parmi les spectateurs) sans savoir le faire et sans intention de le faire, simplement en imitant l’hypnose. Cette leçon de magie, est restée pendant longtemps en moi, sans que je puisse rien en faire car elle ne cadrait pas avec ce que j’étais prêt à comprendre de la magie et du spectacle.
Comment avez-vous appris ?
Je suis entré dans la magie par les livres. Ceux de la collection Payot, La prestidigitation du XXe siècle de John Norton Hilliard, Les merveilles de la prestidigitation de Kaplan, le Précis de
prestidigitation de Bruce Elliot… Je les ai tous dévoré, lu et relu…La lecture du livre qui est une de mes passions s’ouvrait directement sur le réel. Le livre de magie avait quelque chose de plus : Il était possible d’expérimenter et d’étonner son entourage, ses amis avec les secrets décrits.
Il était possible de rêver longuement sur la description d’un effet, tenter de découvrir la solution proposée par l’auteur, s’émerveiller sur l’ingéniosité humaine et puis refaire soi-même et faire naître la magie…
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ?
J’ai eu la chance de rencontrer le grand sociologue Henri Desroches et ce fut pour moi déterminant. Il avait une théorie selon laquelle, il y a en chacun de nous un fil rouge, un fil conducteur. C’est le fil de notre vie qu’il faut, selon lui, découvrir et suivre, sinon, nous risquons de passer à côté de notre vie. Il nous faisait travailler sur nos histoires de vie (ce que nous avons vécu de marquant) pour rechercher ce fil rouge. J’ai pris alors conscience de
l’importance des histoires de vie et c’était, aussi, comme une permission d’aller au bout de mes passions.
Plus tard, j’ai eu la grande chance de rencontrer Betty Alice Erickson, la fille de Milton Erickson, le père de l’hypnose moderne.
Elle m’a appris combien son père utilisait les histoires pour provoquer le changement et parfois l’auto-guérison chez ses patients. Elle m’a initié à l’art de raconter des histoires hypnotiques et je comprenais enfin combien les liens entre le métier de raconteur d’histoires et de « magicien » étaient étroits.
J’ai également eu le bonheur de rencontrer un chaman péruvien, la magie prenait alors une autre dimension, une dimension poétique. Comme si nos mots avaient le pouvoir d’enchanter le monde.
Toutes ces rencontres m’ont permis d’envisager d’exercer le métier de « raconteur d’histoire » comme une déclinaison de celle de magicien. D’abord comme conteur-mentaliste qui fut ma première approche de la narration magique, ensuite comme directeur de la compagnie du Scarabée Jaune mais aussi comme hypnothérapeute, métier que j’exerce en même temps que celui d’artiste. Pour moi, il s’agit d’une même approche.
Il y a quelque temps, quelqu’un est venu me voir parce qu’il se pensait envouté. Son ex-femme était pratiquante d’un culte vaudou et depuis sa rupture, il était affaibli et impuissant. Il s’agit pour un hypnothérapeute de campagne, un cas qui malgré les apparences, n’est pas si extravagant. Je ne lui ai pas dit que je croyais à son histoire, ni que je n’y croyais pas, je suis entré dedans. Je lui ai demandé ce qu’il pensait que devait être un désenvoûtement et nous l’avons fait. Il était malade de son imaginaire, il fallait donc travailler sur son imaginaire. Il était suivi depuis longtemps, par des psychologues, sans succès. Il a suffi d’une seule séance pour dénouer son histoire car personne n’avait pris la peine d’y entrer.
Le magicien est celui qui entre dans une histoire pour agir dessus, il suspend pendant un temps le refus de croire de celui qui écoute. Le propos n’est pas de croire en la magie, ni de penser que la magie fonctionne sans utiliser des truquages psychologiques ou matériels, ce que les chamans et autres sorciers ont toujours utilisé. Ce que Jodorowsky nomme le trucage sacré. Il s’agit simplement d’entrer dans les histoires que l’on raconte pour agir dessus. Mais il ne s’agit jamais de faire croire que se sont d’autres choses, que de simples histoires. Même quand ce sont des histoires vraies, ce ne sont encore que des histoires et non le reflet exact du réel, trop
complexe pour être perçu.
Un dépressif est souvent quelqu’un qui ne sélectionne que les faits négatifs de sa vie et se raconte une histoire pitoyable de son existence. Un autre ferait l’inverse et vivrait mieux. Mais dans les deux cas, ce ne sont que des histoires. Il est naïf de croire que nous vivons ailleurs que dans un monde d’histoires que nous nous racontons. C’est pourquoi le pouvoir de l’imaginaire, et donc de la culture, est immense sur nos vies et
notre destinée.
Quand, on demandait à Milton Erickson, médecin et psychiatre, comment il faisait pour transformer la vie de temps de gens : des dépressifs, des gens atteints de douleurs chroniques, des alcooliques etc., il répondait « Je leur raconte des histoires et ils changent… »
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
La compagnie du Scarabée Jaune produit ses propres spectacles.
Actuellement, Le mystère de la chambre 98 pour une partie de l’équipe : Aude Lebrun, Eddy Del Pino, Pascal Orveillon, André Layus, Nito Pino, Claude De Piante.
La voyante, elle sait tout et plus encore, spectacle de mentalisme d’Aude Lebrun. Au seuil d’une autre dimension, spectacle expérimental d’hypnose de Claude De Piante.
Un escape game, Psychic Factory, qui est une immersion dans un théâtre ludique où le public est « empoisonnée » en début de spectacle et doit en 75 minutes reconstituer son propre contrepoison. Il s’agit d’une petite jauge de 40 personnes au maximum. Les participants sont soumis à des expériences de mentalisme et explorent l’univers des hypnotiseurs russes du XXe siècle et leur influence sur le pouvoir : de Raspoutine à Wolf Messing en passant par Pavlov. Avec Pascal Orveillon et Claude De Piante.
Le Tripot clandestin du Scarabée Jaune, qui est une salle de jeux reconstituée tenue par des escrocs et pickpockets. Une petite scène centrale permet de parier sur les capacités d’évasion de deux escapologistes qui s’affrontent à l’évasion des chaînes, menottes et autres camisoles de force…
Une des spécificités du Scarabée Jaune est de produire ses spectacles dans son propre réseau constitué de lieux historiques : châteaux, manoirs ou abbayes davantage d’ailleurs que dans les théâtres traditionnels. Le monde culturel se montre en général assez méfiant lorsqu’il s’agit de bousculer les codes et les espaces comme nous aimons le faire. Il nous a donc fallu trouver nos propres espaces d’expérimentation et souvent en dehors des salles classiques de théâtre. Ceux qui ont vu nos spectacles savent qu’en général, il nous est assez difficile de rester confiner sur une scène.
L’expérience, la plus atypique que nous ayons eu, fut de jouer pendant 18 heures consécutives à Lyon pour un même public restreint de 50 personnes dans une narration fleuve qui conduisit le groupe d’espaces insolites en espaces insolites. Nous étions 5 comédiens et même le repas
faisait partie de la narration. Il n’y eu aucune défection parmi le public qui assista à l’ensemble de la représentation mais nous nous sommes promis de ne jamais recommencer une telle aberration. Nous étions tous devenus des zombies lorsque se clôtura la séance, et ce n’était pas l’objectif. Je pense qu’à la fin, personne n’est parti parce que plus personne n’avait la force
de se lever pour fuir…
Depuis, nous avons appris à être plus raisonnable, il faut dire qu’avec l’âge nous avons, aussi, moins d’énergie. La compagnie du Scarabée Jaune aura représenté et représente un vaste laboratoire mais aussi une aventure humaine, partagée depuis vingt ans avec la même équipe, en dehors des systèmes et des réseaux traditionnels.
Présentez-nous votre compagnie
La compagnie du Scarabée Jaune a été créée en 1998 et a aujourd’hui 20 ans. Je l’ai crée avec Xavier Letyrant qui était un escapologiste. Je travaillais alors comme formateur en communication et j’avais créé un concept de conteur mentaliste dans le cadre d’événements d’entreprise. J’ai
donc voulu poursuivre cette aventure avec d’autres personnes. Xavier d’abord et d’autres ensuite. L’équipe s’est agrandie et elle est aujourd’hui composée d’une quinzaine de comédiens, magiciens, musiciens, marionnettistes… Xavier a arrêté le spectacle, il y a dix ans pour explorer d’autres voies.
L’idée était de créer une forme de théâtre où le spectateur entre dans une aventure et où la magie est un des outils pour entretenir la confusion avec le réel. Très vite nous nous sommes mis à mélanger les genres artistiques mais également à ouvrir l’espace. Souvent dans nos spectacles, les spectateurs sont amenés à quitter la salle de représentation pour se diriger dans des lieux improbables où le spectacle continue différemment. Nous avons créé des tripots clandestins, des cabinets de curiosités, des entresorts, des rituels magiques nocturnes en pleine forêt, etc. Ainsi, par exemple, lors de l’un de nos spectacles qui se déroulait dans une abbaye, le public à la lueur de flambeaux s’est déplacé en pleine forêt où après qu’un spectateur ait été hypnotisé et placé entre deux tréteaux, et qu’une medium se soit mise à léviter au rythme des tambours, nous avons déterré une relique ancienne…
La touche du Scarabée est d’avoir placé de l’humour et parfois du burlesque dans des scènes où habituellement le rire n’est pas présent, tout en gardant l’efficacité et la crédibilité à la magie. Nous avons d’une certaine manière, pu démontrer au fil du temps que les cloisons qui existent habituellement en magie ne sont pas aussi étanches que l’on peut imaginer, on peut ainsi
mélanger la grande illusion, le close-up, le mentalisme, l’hypnose, les effets spéciaux, le rire, le burlesque, sans enlever de la crédibilité à aucun de ces genres. Mais ce que nous avons découvert c’est qu’il fallait conserver sa rythmique propre à chaque catégorie et que chaque catégorie devait être au
service d’une même narration.
Ainsi dans nos spectacles, Aude Lebrun, qui incarne le personnage d’une voyante, peut faire rire dans un numéro où elle semble vouloir écraser un
petit poussin et quelques minutes plus tard, faire un impressionnant numéro de voyance. Le fait qu’elle ait utilisé le burlesque n’empêche pas les spectateurs de lui demander après le spectacle si elle a des vrais dons de voyance. De la même manière, je peux apparaître dans un ridicule petit chariot et être coupé en deux puis quelques instants plus tard hypnotiser des
spectateurs sans que l’humour de la situation précédente ne nuise à l’efficacité de l’hypnose.
Il s’agit simplement de comprendre qu’il est impossible de faire en même temps du burlesque et du mentalisme générant une confusion avec le réel mais que l’on peut très bien le faire alternativement dans un même spectacle ou un même numéro. Ceci est permis grâce à la narration et au fait que le personnage joué est psychologiquement cohérent.
J’ai écrit il y a quelques années, un ouvrage qui s’intitule Théâtre et magie, la voie de l’imaginaire et j’ai eu de nombreux retours de magiciens qui ont pu développer des narrations dans leur spectacle parce qu’ils se sont sentis libérés de l’idée qu’il n’était pas possible de mélanger les genres. De la même manière, nous avons souvent mélangé des aspects de théâtre pur et du ludique sans que cela n’empêche l’immersion totale du spectateur dans l’histoire. Je pense que c’est la magie qui a permis ces différentes approches car elle se situe à la limite de l’imaginaire et du réel. Tout cela n’est possible que s’il y a un important travail sur les personnages qui, au Scarabée Jaune, sont des personnages récurrents dont la plupart se retrouve de spectacle en spectacle.
En effet les compétences de chacun relèvent à la fois du jeu d’acteur et d’une pratique du music-hall. Nous avons mis des années à mettre au point nos personnages et leurs facultés magiques, burlesques ou musicales. Nos spectacles forment chacun un tout indépendant les uns des autres mais ils parlent souvent d’une même « famille » dont on découvre un aspect particulier dans chaque spectacle. Jack, un psychiatre, Eve, sa femme, une voyante et son ex-patiente, Rodolpho, le frère du psychiatre, patron d’un tripot clandestin, Barthélémy, un prédicateur fou en traitement psychiatrique, André Labigne, un journaliste qui enquête sur ce petit
monde…
Dans La collection n’est plus à vendre, spectacle que nous avons joué, il y a dix ans, on découvre le passé criminel d’Eve Opchka et son goût pour les armes blanches. Dans notre dernier spectacle, Le mystère de la chambre 98 ce passé n’est plus évoqué directement mais donne un éclairage particulier au personnage. Aussi le rire de ce personnage peut-il être tour à tour drôle, léger ou inquiétant. La généalogie de chaque personnage est suffisamment précise pour que nous connaissions l’histoire des oncles et tantes imaginaires de chacun d’entre nous. La narration peut ainsi se tisser au fil du temps dans les expériences magiques, lui donner du corps et permettre d’en renforcer l’impact par des improvisations théâtrales. Quand dans un numéro de télépathie entre Jack et Eve, celle-ci, les yeux bandés, fait allusion à sa tante Anna Maria Opchka qui possède le même rouge à
lèvre que celui qu’une spectatrice vient de confier à Jack, chaque personnage de l’histoire sait aussitôt où elle veut en venir…
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
De nombreux magiciens ont eu une influence profonde sur ma manière de voir les choses.
Slydini et sa conception hypnotique du rythme et du geste mais je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer.
Par contre j’ai eu la chance de rencontrer les magiciens qui vont suivre,
brièvement pour certains, plus longuement pour d’autres et chacun d’eux a eu une influence profonde en moi : Jacques Delord pour sa conception poétique de la magie, Tommy Wonder pour son sens de la précision artistique, Jean Merlin pour la liberté et l’efficacité de son verbe, Juan Tamariz pour la puissance de ses constructions et pour avoir démontré que folie et
magie s’accordent parfaitement. Pierre Yogano, dont la compagnie du Scarabée Jaune a acquis les droits de la plupart des illusions, et qui m’a montré combien un sujet magique, en l’occurrence la lévitation, était inépuisable quand on est créatif et ingénieux.
J’ai admiré chacun de ces magiciens à la fois pour leur immense talent mais aussi pour la richesse de leur personnalité.
Mais durant ces dernières années, le magicien qui m’aura le plus bluffé, est, sans hésitation, Derren Brown. Il aura su utiliser, avec brio et comme jamais personne ne l’avait fait auparavant, les différents niveaux de perception du réel. Mélangeant allègrement truquage, scénarisation, hypnose, magie, fiction, témoignages, brillant jeu d’acteur (le sien), effets miroirs, double,
triple et quadruple réalités, faits réels et imaginaires, télévision, scène, conditionnement, transe, humour et esthétique britannique… Avec lui, j’ai pu retrouver un peu de la nostalgie que j’ai eu en rêvant, plus jeune autour du personnage d’Harry Houdini et de ses exploits réels ou légendaires.
Et comme Houdini, il représente une confusion avec le réel en dehors de la scène qui en soit n’est pas déontologique mais qui est, bon sang, sacrément bluffante.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Les styles de magie qui sont utilisés au Scarabée Jaune sont ceux qui vont être au service des personnages et de la narration. Nous avons choisi d’ouvrir le quatrième mur et de générer une forte interaction avec le public de manière à crédibiliser l’impact des effets. Ainsi les styles de magie que nous développons sont ceux du mentalisme pour un personnage de voyante, de l’hypnose pour un personnage de psychiatre, de la tricherie au jeu pour un patron de tripot clandestin, de l’escapologie pour un forçat ou du pickpockétisme pour un personnage d’escroc… Ces styles de magie au service d’un personnage fort vont contribuer à générer la confusion avec le réel.
Dans notre conception des choses, et qui n’est qu’une manière de voir parmi
d’autres, les grandes illusions, par exemple, vont être perçues comme des effets spéciaux au service de la narration. Il ne s’agit pas de hiérarchiser une catégorie par rapport à une autre parce que nos spectacles sont en général plein d’effets spéciaux magiques que nous aimons faire et refaire. Cette distinction est purement artificielle et n’est pour nous qu’un outil de travail.
Mais il me semble que nous pouvons mélanger les genres parce que durant nos spectacles, nous établissons pour les spectateurs une distinction entre ce qui ressort du théâtre et de ses féeries dont font, souvent, partie la grande et moyenne illusion et ce qui ressort d’une
confusion avec le réel dont font partie le mentalisme, la voyance, l’hypnose de spectacle, le pickpocketisme et l’escapologie. Et dont des spectateurs témoins vont attester de la véracité le temps du spectacle.
L’ensemble est au service d’une histoire, souvent un crime impossible effectué comme un tourde magie. Notre théâtre est la plupart du temps une métaphore de la magie et montre la complexité de percevoir le réel. La confusion du réel générée par la voyance, l’hypnose de
spectacle, le mentalisme ou la tricherie est au service d’une narration qui conduit le spectateur à se méfier de l’apparence et non à y adhérer.
Lorsque la parenthèse créée par le spectacle se referme, la confusion avec le réel cesse et nous faisons tout notre possible pour faire comprendre que ce n’était que du spectacle et rien d’autre. C’est pourquoi, nous jouons des personnages que nous quittons, en dehors de la scène.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Voici quelques auteurs, parmi d’autres, qui ont provoqué en moi des inspirations ou questionnement sur la manière d’écrire un spectacle (en dehors des magiciens, comédiens et auteurs de théâtre) :
Les auteurs de romans policiers à énigmes : John Dickson Carr, Clayton Rawson… Les auteurs de fantastique : Jean Ray, Stephen King…
Certains cinéastes : Orson Welles, Tod Browning, Tim Burton… Le chorégraphe : Ohad Naharin. Le cinéaste, écrivain, scénariste de BD, tarologue et grand connaisseur de magie : Alexandro Jodorowsky.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Quelqu’un a dit « Il est important de s’accrocher à ses rêves et qu’importe qu’on les réalise ou pas. »
Devenir magicien est un merveilleux rêve mais je ne sais pas si on y arrive totalement un jour. La magie ne nous appartient pas, elle trouve sa source dans la nuit des temps, elle est une célébration du mystère de la vie et de la curiosité humaine.
Elle nous montre comment fonctionne l’esprit humain qui construit la réalité qui l’entoure plus qu’il ne l’a perçoit. Ses trucs ne sont que des métaphores pour montrer comment se constitue notre perception du réel. Le bouddhisme l’explique différemment qui montre que nous sommes sans cesse victimes de l’illusion et que rien n’est immuable.
Lorsque l’on a cessé de croire que l’on peut percevoir complètement le réel, de croire aux étiquettes qui nous définissent, de croire aux histoires que l’on se raconte… alors peut être que l’on peut comprendre à ce moment là, le sens des tours de magie que l’on pratique et qu’à ce moment là, peut être, libéré de l’illusion qui sans cesse nous dupe, on peut devenir magicien. Mais je ne pourrais pas l’affirmer car je ne suis qu’un apprenti qui rêve de devenir un jour magicien et qui s’accroche à son rêve.
Il y a pourtant deux ou trois clefs que je pourrais essayer de donner à un débutant, évidemment, il ne s’agit, comme le reste, que d’une vision purement personnelle. Loin de moi, l’idée de donner une leçon à qui que ce soit. J’en suis bien incapable et plus le temps passe et moins je me sens légitime à être donneur de leçons… mais parfois, ce qui a fonctionné pour soi peut, peut-être, être utile à d’autres.
1- Le plus important en magie est le rythme. Seul le rythme crée l’illusion. Il ne suffit pas de savoir faire parfaitement un mouvement, il faut pouvoir le faire dans le bon timing. La magie est une musique hypnotique, constituée d’une succession de mouvements, de gestes, parfois de paroles. Nous avons, tous, notre propre rythme, notre propre musicalité intérieure. Qui cherche le rythme, trouvera la magie.
2- La magie est plus grande que nos illusions. Nos trucages, nos subtilités, nos astuces ne sont que des supports pour faire naître la magie. Ils ne sont pas la magie. Ainsi la magie est une aventure partagée avec un public. Il s’agit d’une co-création où le magicien est paradoxalement exclu. Il reste à la frontière d’un monde merveilleux où il demeure avec son astuce, son truc tandis que le spectateur vit l’émotion du mystère. D’une certaine manière, il est celui qui connaît le moins la magie qu’il provoque car il n’en voit que les ficelles là ou d’autres voient des merveilles.
3- Il y a encore beaucoup de secrets cachés dans les livres et assez peu qui restent à découvrir dans les vidéos. Là où la vidéo montre tout et tout de suite, le livre conserve, caché entre l’intention de l’auteur et l’imaginaire du lecteur, des espaces infinis où l’on peut encore puiser abondamment.
– Interview réalisée en avril 2018.
A visiter :
– La page Facebook de la compagnie du Scarabée Jaune.
A lire :
– Théâtre et magie, la voix de l’imaginaire par la Cie du Scarabée Jaune (Editions Yogano – Scarabée jaune, 2010).
Crédit photos : Compagnie du Scarabée Jaune et Franck Boisselier. Dessin : James Hodges. Affiche du spectacle Le Great Léon réalisée par le dessinateur de Bd, Bruno Loth.