Comment êtes-vous entrés dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Jeff : Pour moi, tout a commencé à un jeune âge au Canada, en voyant des magiciens à la télévision. Magic Tom était un magicien populaire de Montréal et il faisait une émission de télévision quotidienne pour les enfants. Je me souviens très bien avoir vu un autre magicien dans le spectacle d’Ed Sullivan, produire des colombes à l’intérieur de ballons. Quand j’avais quatorze ans, mon grand-père m’a emmené sur un bateau de croisière où j’ai vu mon premier magicien en direct. Il s’appelait Bernard Reid, de Nouvelle-Zélande. Nous sommes devenus amis et il m’a donné un exemplaire de The Amateur Magician’s Handbook. Nous sommes restés amis jusqu’au jour de son décès le 2 mai 2021.
Tessa : J’ai grandi sur l’île antillaise de Sainte-Lucie. Nous avions une station de télévision sur l’île et parfois des gens voyageaient aux États-Unis et rapportaient des cassettes vidéo d’émissions enregistrées à la télévision américaine. Parfois, la station télé diffusait ces émissions en direct ! Je me souviens avoir regardé Mark & Nani Wilson dans l’une de leurs quotidiennes et j’ai adoré.
Jeff : J’ai lu et relu The Amateur Magician’s Handbook, mais c’était un peu avancé pour moi à l’époque. Lors d’un voyage à Toronto, mon père m’a emmené à The Arcade Magic and Novelty Shop. Mme Sophie Smith dirigeait la boutique, et je me souviens qu’elle refusait de vendre un tour ou un livre à qui que ce soit si elle sentait qu’il n’était pas prêt. Je voulais acheter un ensemble d’anneaux chinois, mais elle ne voulait pas me les vendre ! J’ai toujours les deux premiers articles que j’ai acheté chez elle et quelques tours de Tenyo Magic.
Tessa : En 1983, j’ai déménagé de Sainte-Lucie au Canada pour l’école et j’ai travaillé à temps partiel comme mannequin. J’ai rencontré Jeff par l’intermédiaire d’une amie en commun qui était créatrice de mode à Toronto. Jeff travaillait avec Lisa sur l’un de ses défilés et il voulait utiliser un mannequin comme assistante dans son numéro de magie. Dès que j’en ai entendu parler, j’ai su que c’était pour moi ! Depuis ce moment, nous avons travaillé ensemble sans arrêt.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Jeff : Quand nous avons commencé à travailler ensemble, nous faisions des spectacles de magie. Notre premier contrat était une saison estivale dans un grand complexe familial situé dans la magnifique région des lacs, juste au nord de Toronto. Plus tard cette même année, nous avons reçu une offre pour jouer sur un bateau de croisière, une saison dans les Caraïbes. Les choses allaient vite, on travaillait beaucoup. Nous avons construit un spectacle complet de magie avec des colombes, des grandes illusions et d’autres numéros de variété. Nous avons travaillé en tournée dans des théâtres et des auditoriums à travers le Canada pendant quelques années. À un moment donné, nos intérêts ont commencé à évoluer de la magie au mentalisme. Tessa s’intéressait au tarot et à la chiromancie. Nous avons donc progressivement fait plus de magie mentale dans nos représentations et finalement nous avons monté un spectacle de mentalisme complet pour des événements spéciaux. Nous avons apprécié à quel point il était facile de mettre en place et de remballer ce genre de spectacle, si différent de trimballer des grandes illusions ! Notre petit show de mentalisme était facile à transporter, à jouer sur scène et a suscité des réactions formidables de la part du public.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Nous avons eu la chance d’avoir des mentors. Comme je l’ai mentionné, Bernard Reid a été mon premier maître Quelques années plus tard, j’ai été présenté à Fernandez, un magicien cubain, vivant et se produisant au Canada. Il m’a engagé comme assistant pour quelques tournées théâtrales, et plus tard dans des boîtes de nuit autour de Toronto. C’était une opportunité incroyable d’apprendre d’un vrai pro. J’ai ensuite travaillé pendant un certain temps avec Dennis Loomis, un autre magicien itinérant des États-Unis. Après que Tessa et moi ayons travaillé ensemble quelques années, nous avons rencontré les mentalistes, mari et femme, Tom et Liz Tucker. Ils ont été d’énormes inspirations et ils nous ont coaché dans l’art de « la seconde vue ». Ils ont littéralement changé notre monde !
Notre première grande percée dans le showbiz est venue de Gary Ouellet, le producteur des émissions spéciales télévisées les plus magiques au monde. Gary nous a appelé de manière inattendue pour nous inviter à jouer sur The World’s Greatest Magic V. En 1999, nous avons participé au World Magic Seminar à Las Vegas. Siegfried & Roy étaient assis au premier rang. Alors que Tessa avait les yeux bandés sur scène, Roy a brandi une carte d’identité. Tessa a décrit ce qu’il tenait, puis elle l’a remercié par son prénom, son deuxième prénom et son nom de famille. La réaction de Roy a été inestimable. Ils nous ont donné le prix SARMOTI ce soir-là, comme leur numéro préféré. Sans aucun doute, bon nombre des plus grandes opportunités sont venues de certains des agents et producteurs avec lesquels nous avons travaillé au fil des ans. Tellement de gens nous ont aidé en cours de route et continuent de le faire. Actuellement, Bill Herz est notre agent, et nous sommes très chanceux de faire partie de son équipe. Bill est notre ami et notre partenaire commercial. Lui et sa femme Gwenn sont l’équipe de rêve !
Un événement avorté me revient à l’esprit. L’une de mes premières influences fut le Senior Ray, un magicien de cirque que j’ai rencontré lors de sa venue dans ma ville natale. J’ai toujours pensé que ce serait amusant de travailler dans un cirque itinérant. Bien des années plus tard, Tessa et moi sommes allés voir le cirque Tarzan Zerbini, et après le spectacle, M. Zerbini nous a proposé un emploi. Nous avons accepté son offre sur-le-champ, mais nous nous sommes rendu compte plus tard que cela ne nous convenait pas. À contrecœur, nous l’avons appelé le lendemain et avons renoncé à l’accord.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Nous travaillons principalement sur scène, lors d’événements d’entreprise et d’université aux États-Unis. Nous faisons aussi quelques bateaux de croisière. Au cours des dernières années, nous avons vu bon nombre de salles de théâtre magiques ouvrir partout en Amérique du Nord, et nous avons vraiment apprécié de nous produire dans certaines d’entre elles. Nous faisons toujours des bateaux de croisière, mais pas aussi souvent qu’avant. Parfois, nous travaillons dans des foires et des festivals, et nous présentons même nos spectacles à la mi-temps des matchs de NBA devant dix-huit mille personnes. Nous ne faisons que du mentalisme, concentré sur notre numéro de « seconde vue ». Nous réalisons également de la « magie spirite », avec notre propre version de la Spirit Photography qui suscite une réaction incroyable. Presque tout ce que nous jouons dans notre spectacle est personnel et original. Nous essayons de ne pas faire les mêmes effets que les autres mentalistes.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Comme mentionné précédemment, Bernard Reid, Fernandez et The Tuckers ont été d’énormes influences. Parmi les autres artistes « mystérieux », citons The Zancigs, Dunninger, Reveen, Paul Daniels, Kreskin, Uri Geller et Derren Brown. Nous devons beaucoup de gratitude aux spirites, médiums, magnétiseurs et voyants du XIXe siècle. Ils étaient les premiers praticiens et enseignants de ce que nous appelons aujourd’hui le mentalisme.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Nous apprécions la plupart des styles de magie tant que cela est bien fait, et qui respecte le public. Le mentalisme, les grandes illusions et la magie comique sont nos préférés.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Voyager dans différents pays et découvrir d’autres cultures. Nous aimons également la nature, les films, l’art, la musique et les livres. Nous écoutons également beaucoup de podcasts différents, qui nous inspirent souvent.
Quels conseils et quel chemin conseiller à un magicien et mentaliste débutant ?
Trouvez du matériel original que tout le monde ne fait pas. Lisez des livres et d’autres documents imprimés, il y a tellement de joyaux magiques à l’intérieur ! En regardant nos étagères, des noms comme Tarbell, Annemann, Baker, Anderson et Bascom Jones nous sautent aux yeux. Étudiez-les.
Nous croyons fermement au mentorat. Avec les médias sociaux, il n’a jamais été aussi facile de contacter d’autres artistes et créateurs dont vous admirez le travail. Les grands noms de la magie et du mentalisme sont tous assez accessibles de nos jours. Faites-leur savoir que vous êtes fan de leur travail, soyez authentiques et sincères. Il y a de fortes chances que vous établissiez un contact. Vous pourriez même avoir la chance de vous faire un nouvel ami, et éventuellement un mentor.
Apprenez quelques tours, devenez compétent et jouez en direct aussi souvent que possible. Connaissez votre public et écoutez-le. Enregistrez-vous sur vidéo, et si vous ne pouvez pas faire de vidéo, enregistrez au moins l’audio de votre performance sur votre téléphone. Ces enregistrements seront un excellent outil d’apprentissage. Soyez réaliste et honnête quant à vos capacités. Ne prétendez pas être un maître magicien (ou mentaliste), car vous ne l’êtes probablement pas. Les gens sont très indulgents et vous soutiennent, tant que vous ne faites pas semblant d’être quelqu’un que vous n’êtes pas. Ne vous survendez pas. Ne faites pas partie de ces magiciens qui se présentent professionnels de haut niveau, alors qu’en fait ils ont très peu d’expérience dans le divertissement. Il n’y a rien de mal à être amateur, nous avons tous commencé par-là, mais lorsque vous montez sur une scène pour laquelle vous n’êtes pas prêt, vous pouvez nuire à votre réputation et nuire à la magie.
Surtout, amusez-vous. Il y a tellement de façons de s’impliquer dans le monde de la magie. Où que vous alliez, quoi que vous fassiez, profitez de votre expérience. C’est un passe-temps fantastique, un travail à temps partiel incroyable, et certains d’entre nous aiment faire de la magie une carrière à plein temps. Vous êtes si chanceux d’avoir découvert la joie que la magie peut apporter !
En tant que mentalistes, nous pensons qu’il est important de paraître authentique et de se connecter avec le public. Ne pas avoir un numéro trop scénarisé et théâtral. Les gens pourraient avoir l’impression de regarder une pièce de théâtre, plutôt qu’une démonstration de télépathie. La même chose est valable pour les escapologistes. Nous sommes plus à l’aise à interpréter une « meilleure » version de nous-mêmes, que de jouer un rôle et un personnage qui ne nous correspondent pas. C’est un peu un exercice d’équilibriste.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie est partout, et cela ne concerne plus que les magiciens. Beaucoup de moldus connaissent quelques principes de magie. Heureusement, il semble que plus les profanes acquièrent de connaissances, plus ils s’y intéressent, et plus la popularité de la magie s’épanouit ! D’un autre côté, exposer la magie et le mentalisme à des fins personnelles sera toujours une erreur.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Cela peut aider à distinguer un artiste d’un autre, à être plus distingué et unique. Le défi consiste à identifier votre culture, puis à l’embrasser. La culture doit plaire à tout le monde, et en particulier aux personnes qui peuvent directement se rapporter à l’aspect culturel de la présentation. Un spectacle qui embrasse la culture peut avoir un effet plus fort sur un public, au-delà du simple fait de le divertir.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
La voile, le canotage, le jardinage et la cuisine.
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Interview réalisée en mars 2023. Copyright : Jeff Evason Productions. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.