Comment êtes-vous entrée dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Je suis entrée dans la magie comme artiste de scène car j’ai joué l’assistant presque invisible d’Éric Antoine, Bernard Black à partir de 2007. A la base, j’avais une formation de danseuse, et j’ai rencontré Éric car il était dans ma classe à l’Ecole du Théâtre Jacques Lecoq à Paris. Ma première impression de la magie c’était du coup comme artiste sur scène. Dans ma tête j’ai imaginé la magie comme un art un peu ringard car on voit souvent les magiciens faire les mêmes tours. Mais quand j’ai commencé de jouer dans un spectacle de magie pour la première fois, j’ai compris la force particulière de la magie comme art, car le lien avec le public est direct et l’échange d’émotion est immédiat. Il y a rien de comparable comme la surprise, le rire ou l’émerveillement des spectateurs au moment où ils se font illusionner.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Dans le spectacle Mysteric j’ai fait mon premier tour de magie seule sur scène avec le personnage de Bernard. C’était le Silent Treatment. J’ai appris le tour avec Éric, Gérard Bakner, Dominique et Alexandra Duvivier. Nous avions écrit le texte avec Étienne de Balasy. La première fois que je l’ai fait, je me souviens d’avoir été complètement surprise que le tour ait fonctionné ! Je me sentais exposée, j’avais l’impression que le public voyait ce que je faisais. J’ai appris à prendre confiance, mais la pression de réussir le tour est particulière dans la magie, on est jamais complètement détendue.
Eric Antoine et son assistant Bernard Black (Calista Sinclair).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Ma rencontre avec Éric Antoine fut importante artistiquement. Mais c’est souvent les retours du public qui nous aide ou nous encourage dans notre chemin artistique, ainsi que notre entourage proche, nos assistants ou techniciens qui donnent énormément à chaque spectacle sans être dans la lumière. En ce moment je travaille avec Fleur Houdinière qui est productrice et elle me guide avec énormément de positivité vers l’écriture de mon spectacle. Même si j’essaie de ne pas trop me concentrer sur les choses qui pourraient freiner notre développement car tous les obstacles font partie du chemin. J’avoue que nous sommes souvent freinés par le budget des projets et le Covid nous a aussi donné une bonne claque !
Dans quelles conditions travaillez-vous ? Quels sont vos domaines de compétence ?
En ce moment, je suis en création d’un spectacle et j’essaie d’écrire la magie à partir d’une histoire. Ça m’oblige à inventer des tours pour raconter quelque chose, au lieu d’essayer de raconter quelque chose avec un tour qui existe déjà. Ce processus est douloureux, car on peut se tromper et créer un tour qui ne fonctionne pas. Je prends des fois un tour qui existe déjà et j’essaie de le faire d’une façon originale, mais au final je n’arrive pas. Si un tour marche, c’est qu’il y a des raisons que ça marche, et c’est compliqué d’ajuster des détails. C’est plus facile de trouver un tour de magie unique sans déjà se poser la question de ce qu’on aimerait raconter et puis de fabriquer des solutions soi-même. Au début j’étais bloquée par l’idée que je ne savais pas bricoler. Maintenant je m’entoure de bons techniciens et je bricole à ma propre façon.
Quand je travaille j’ai un peu de mal à gérer la vie quotidienne. J’ai l’impression que pour créer un spectacle, cela demande 100% de son attention. Il faut donner sa vie pour insuffler de la vie dans son travail.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Je suis très touchée par le travail de Philippe Genty, la compagnie 14:20, Étienne Saglio, Yann Frisch, Blizzard Concept, Le Cirque du Soleil et La metteuse en scène Julie Taymor (qui a mis en scène le Roi Lion au théâtre). Je suis impressionnée par David Copperfield, le maître de la magie moderne, Derren Brown et Derek DelGaudio, même si leur magique est très différente de ce que je fais. Je crois bien que tous ces magiciens ont travaillé avec Sébastien Clergue, donc je dois aussi être marqué par lui !
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Ce que je préfère c’est la magie de scène car je suis une enfant du théâtre. Pour moi, le théâtre c’est la vraie magie, c’est le lieu de rencontres, de transformations, de cérémonies.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’adore regarder les enfants pour ne pas oublier ce que c’est de jouer. Comme danseuse, j’ai travaillé avec une compagnie de danse aborigène australienne (mon pays natal). Je suis profondément touchée par cette culture et l’expression de l’esprit dans la terre d’Australie me manque. Comme je suis danseuse, l’envie d’exprimer des choses avec mon corps reste très importante dans mon travail. Mes études à l’Ecole Internationale de Théâtre Jacques Lecoq m’influence toujours, c’était l’école du « corps dans l’espace », du clown, du masque et du mime.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Ne cherchez pas le succès, mais cherchez l’échange magique avec vos spectateurs. Un public de mille personnes n’est pas plus important qu’un public de trois personnes. L’importance c’est l’émotion que vous donnerez à ces personnes et comment vous pourrez impacter leur vie, par exemple avec une simple sourire. Je pense aussi que c’est important de former sa voix, son corps, son sens du théâtre, sa musicalité car la magie se trouve au croisement de tous ces arts.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
J’aimerais que la magie soit considérée comme un art à part entière en France, et pas comme un hobby ou une forme de divertissement. Je pense que l’accès à la formation magique va démocratiser la magie et ouvrir pleins des portes vers la créativité. Comme avec la formation de Raphaël Navarro et Valentine Losseau au CNAC et la formation des Duvivier au Double Fond.
Après, le rôle des femmes dans la magie reste minimal. Pour l’instant ce ne sont que les filles ou les femmes de magiciens qui arrivent à pratiquer de la magie en France et la transmission reste un lien paternaliste, et ces filles sont isolées. J’aimerais inspirer la créativité, échanger et transmettre. Car je me pose la question : « si on était entre femmes et si on partageait nos compétences et nos connaissances en techniques magiques, est-ce qu’on ferait les choses différemment des hommes ? »
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Pour moi je ne peux pas séparer la culture et la magie, la magie c’est la culture. Mais je comprends la question, car il y a l’art subventionné et le monde souvent « privée » de la magie. L’argent public devrait subventionner les spectacles de magie avec un fond réfléchi ou une remarque sur la société car les gens en France ont envie de voir des spectacles magiques. Ça rendrait aussi les théâtres municipaux plus accessibles. Et les artistes qui travaillent que dans le privé devraient se cultiver au maximum, en observant les mouvements des autres formes artistiques en France pour ne pas trop rester entre magiciens, et pouvoir faire avancer l’art de la magie en général.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Ma famille, le trampoline, mes chiens, le yoga, les randonnées au soleil et la mer !
– Interview réalisée en octobre 2021.
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