Comme tous les musées de cire du monde, Grévin est un lieu touristique par excellence, rempli d’étrangers mais aussi de provinciaux venus se frotter aux célébrités pour des poses photos ininterrompues. Une sorte de parc d’attraction où il est difficile de circuler dans un flux constant de visiteurs. Cette popularité est accentuée par la profusion des smartphones depuis le début des années 2010 où chacun immortalise sa vie sur les réseaux sociaux, si possible, au côté d’une star. Le musée Grévin a bien pris en compte ce phénomène en proposant des coins « Instagramables » et des clichées téléchargeables via une application. Le public est invité à suivre un parcourt à thèmes dans l’ordre suivant : le Grand Escalier de marbre, le Palais des Mirages, le Tapis Rouge, le Théâtre Grévin, la Magic Box, le Café Littéraire, la Gastronomie, l’Élysée, l’Histoire, l’Imaginaire, les Sportifs, la Musique, The Voice, La Coupole, le Detroit, la Salle des Colonnes et la Boutique. Avec en moyenne plus de deux heures par visite, nous avons le temps de profité du lieu, apprécier certaines figures (parmi 250), plus que d’autres, et admirer des espaces emblématiques et historiques.
Le lieu
Le musée Grévin1 ouvre ses portes le 5 juin 1882 dans un vaste bâtiment doté d’annexes construit par l’architecte Eugène-Émile Esnault-Pelterie (1842-1905) et destinées à accueillir des ateliers de sculpture et de moulage. Au départ, c’est le journaliste et écrivain Arthur Meyer (1844-1924), fondateur du quotidien Le Gaulois, qui a l’idée de présenter en trois dimensions les personnalités qui ont fait la une de son journal. Il imagine alors la création d’un lieu où le public pourrait mettre un visage sur ces personnalités. Pour l’aider dans cet ambitieux projet, il fait appel à Alfred Grévin (1827-1892), dessinateur humoristique, créateur de costume et sculpteur, qui s’investit entièrement dans cette aventure en lui donnant finalement son nom et devenant Directeur de la Société du Musée en août 1883. Outre les personnages de cire présentés dans des dioramas thématiques, le musée présente également de nombreuses attractions : automates, ombres chinoises, prestidigitation, théâtre de fantoches, phonographe, rayons X, pantomimes lumineuses, cinématographe, etc. L’ouverture est vite un succès et le musée se développe grâce au promoteur financier Gabriel Thomas (1854-1932) jusqu’en 1998, date à laquelle son arrière-petit-fils Bernard Thomas cède le musée Grévin au Groupe Parc Astérix qui le renomme Grévin & Cie. Depuis 2002, le musée appartient au groupe Compagnie des Alpes2.
Le Cabinet Fantastique
Gabriel Thomas demande à Gustave Rives (1858-1926) de créer un Cabinet Fantastique en 1885 pour y accueillir des spectacles de prestidigitation. Cette salle style néo-renaissance en bois sombre est ensuite remplacée par un théâtre italien de style Empire néo-Louis XVI, construit à partir de 1900, que l’on nomme « Joli Théâtre », « Théâtre Anglais » ou « Théâtre Grévin » 3. Une belle salle aux fauteuils rouges truffée de décors, d’un rideau de scène conçu par Jules Chéret et de diableries sculptées appelées Les Nuées, conçues par Antoine Bourdelle (1861-1929).
« La salle à elle seule, comme l’escalier, vaut une visite : conçue dans le même esprit, elle est toute différente de tons et de décoration. De belles tapisseries du style de la Renaissance italienne rehaussent un lambris de bois de chêne et de pitchpin très heureusement assemblés. Le plafond en boiseries semblables caissonnées et sculptées est supporté par des corbeaux en pierre ornés de personnages grotesques. Le cadre de la scène est en marbre brèche violette rehaussé d’applications de cuivre ; au-devant de ce cadre une riche draperie de velours soutenue par des chimères et cartouches en chêne sculpté. A droite et à gauche de la scène, dans des niches de pierre, des figures diaboliques tenant des lustres de lumière électrique, complètent la décoration de cette salle à juste titre surnommée le Cabinet Fantastique, à cause des surprises que le charmeur Carmelli réserve à ses visiteurs. » Texte extrait du catalogue du Musée Grévin La magie noire, apparitions instantanées par le Professeur Carmelli (1889).
Les magiciens au Grévin4
Le premier magicien à travailler au Cabinet Fantastique est le fabriquant, marchand de trucs et co-directeur du Théâtre Robert-Houdin : Émile-Édouard Voisin (1857-1918) en 1886. Puis vient Le Professeur Marga, Le Professeur Carmelli en décembre 1886 et Dicksonn en avril 1887. C’est à cette période que Georges Méliès fait quelques séances à Grévin. En mai 1889, Anderson vient travailler avec Carmelli jusqu’en 1892, date à laquelle le Cabinet Fantastique est remplacé par Les Pantomimes Lumineuses d’Émile Reynaud. Entre 1900 et 1915, le théâtre accueille très occasionnellement des magiciens comme Dahan, Mlle Larya, dans sa Télégraphie humaine, ou Mlle Raymond de Margill, dans ses Mystérieuses expériences (1902).
Ce n’est qu’en 1915 avec le retour de Carmelli (jusqu’en 1918) que reprennent quotidiennement les séances de prestidigitation. Se succèdent : Jules Legris, de 1919 à 1925, Gombert et Anderson qui reste jusqu’à sa mort en 1933, Okati lui succède puis Odips le rejoint en 1944 (avec Jackilson comme remplaçant de 1947 à 1956). Dès 1948, Le Cabinet Fantastique est aussi le théâtre de nombreux galas annuels des magiciens, organisés par l’AFAP ou le French Ring de l’IBM. Mais aussi de soirées spéciales comme celle organisée par les Amis de Georges Méliès et Michel Hatte en décembre 1972.
En 1957 arrive Andréor qui cède la place à Annie Bert jusqu’en 1959. Se produisent ensuite Floridor, Yves Saint-Lary, en 1960 ; Viviane Mireldo en 1963 (alors âgée de 12 ans) ; Mireldo, son père, et Jackilson en 1965 ; Davis jusqu’en 1966 ; Saint-Lary à nouveau, de 1966 à 1968 ; Anny Bert, de 1968 à 1969, Floridor et Sylvie, Jean Davis, et Kassagi en 1970 ; Preston et Switon en 1971 ; Jan Madd en 1973 ; Floridor en 1974 ; Preston en 1975 ; Garcimore et Marcalbert en 1976 ; Claude Ayrens en 1977 ; Alpha en 1978 ; Floridor et Jenny en 1979 ; Jean Davis et Stephane en 1980 ; Jaime Serrano en 1981 ; Teddy Mills en juillet 1981 ; Marc Antoine en 1982 ; Christian Gambin à partir de juillet 1982 mais aussi, Gilles Weiss, Claude Kapp, Marcalbert qui fait intervenir des élèves (Spiry, Ratcekou, Gérard Potier, Yann Brieuc, Nelti…) ; Primo Grotti en 1985 ; Bertran Lotth et Lady Wong en 1987 ; Jean Davis, Reginald et Myriam, Marc Filippi, et Michaël Vadini en 1988 ; Gérard Matis en 1992 ; Reginald et Myriam (Les Black Fingers), Claude Jan, Tom Anders, Gary et Christel en 1993. À partir de 1994, la liste est incomplète et les artistes changent souvent, ne passant que quelques jours parfois, comme Reginald et Myriam, Ludow, Otto Wessely, Pierre Spiry (les mercredis, début 1996), Alain Noël, Michaël Vadini en 1996, Arthur Tivoli en 1997, Xavier Hodges en 1999 et 2000, Tom Anders et Gilles Arthur en 2000. Il y a aussi, le mime Daniel, Jean Faré, Guy Lore, Pierre Brahma, Gérard Majax, Claude Kapp, Jean Valton, Peter Din, Axel Dorsay, Luce… Depuis 2001, le théâtre du musée Grévin n’est plus dédié aux prestations magiques. Seuls quelques magicien(ne)s interviennent de temps à autre en situation de close-up comme Jean-Pierre Link, Stéphane Gomez, Sébastien Camersini, Arthur Chavaudret, etc.
Le Théâtre optique
En 1876 Charles-Émile Reynaud (1844-1918) crée le Praxinoscope, dans la lignée du Phénakisticope de Joseph Plateau (1832) et du Zootrope de Hôrner (1834). L’animation d’une série d’images fixes, représentant chacune une phase d’un mouvement, est améliorée par une séquence d’images disposée en boucle et réservée à un observateur. Reynaud développe deux autres améliorations de son système en 1879 avec le Praxinoscope-Théâtre et en 1880 avec un Praxinoscope de projection, utilisable à l’aide d’une simple lampe à pétrole. Mais il comprend vite que pour créer un véritable spectacle, il faut animer des scènes plus longues et les rendre visibles à plus de spectateurs.
C’est en 1888 qu’il fait breveter ce qui va devenir une attraction captivante et historique : le Théâtre optique. Un procédé complexe et ingénieux où l’on retrouve le tambour central du Praxinoscope, avec ses petits miroirs, mais les dessins, réalisés sur un support transparent et coloriés à la main, constituent maintenant une bande de longueur indéterminée, enroulée sur une bobine. Le 11 octobre 1892, Reynaud signe avec la Société Anonyme du Musée Grévin, représentée par Gabriel Thomas, un contrat par lequel il s’engage à concéder au musée l’exclusivité pour la France de son Théâtre optique, à assurer tous les jours, de 15 à 18 h et de 20 à 23 h, autant de représentations que l’affluence du public le nécessitera (en moyenne cinq par jour en semaine et douze les dimanches et fêtes) et à renouveler partiellement le spectacle au moins une fois par an. C’est ainsi que le 28 octobre 1892, commencent les représentations, devant un public, des Pantomimes lumineuses avec Pauvre Pierrot (500 images, 36 mètres), en intermède Clown et ses chiens (300 images, 22 mètres) et enfin Un bon bock (comique à trois personnages, 700 images, 50 mètres, 12-15 minutes). Le succès est au rendez-vous et la direction exprime sa satisfaction mais aussi son besoin de renouveau5.
L’inventeur, photographe et professeur de sciences qu’est Reynaud devient alors le premier réalisateur de « dessins animés » de l’histoire, mais ce dernier s’inquiète de la proche concurrence du cinématographe des frères Lumière qui entre au musée Grévin en février 1899. Reynaud doit alors faire des concessions et accepte d’inclure une bande Gaumont6, Les funérailles du Président Félix Faure, dans son spectacle de Pantomimes lumineuses. À la fin février 1900, après avoir donné quelque 12 800 séances, Émile Reynaud quitte pour de bon le musée Grévin.En 1910, sous l’effet du désespoir (comme un certain Méliès après lui), il jette ses appareils et pellicules dans la Seine. Les seuls films qui subsistent sont Autour d’une cabine et Pauvre Pierrot. Épuisé par ses travaux incessants, angoissé par la mobilisation de ses deux fils à la Grande Guerre, désargenté (il doit pour acheter à manger vendre le cuivre de plusieurs de ses appareils), il a une triste fin de vie et meurt de congestion le 9 janvier 1918.
Le Palais des Mirages
Amateur d’art et collectionneur émérite, Gabriel Thomas, qui est aussi le cousin germain de la peintre impressionniste Berthe Morisot (1841-1895), dote le musée de superbes décors et se porte acquéreur du Palais des Mirages7, un spectacle son et lumière élaboré par Eugène Hénard (1849-1923), pour l’Exposition Universelle de 1900. Ce palais est démonté et installé en 1905 et exploité à partir de 1908. On y accède par un superbe escalier de marbre, construit en 1900 par l’architecte Gustave Rives. Les spectateurs prennent place dans une petite salle circulaire pendant une durée de six minutes où va être projeté un kaléidoscope géant composé de jeux optiques grâce à un dispositif mécanique de miroirs à facettes. Les lumières s’éteignent et nous sommes transportés dans quatre univers : un temple hindou, une jungle profonde avec des papillons géants, un palais des Mille et une Nuits et une île paradisiaque.
Jules Chéret
Le titre de « Père de l’affiche » revient incontestablement à Jules Chéret (1836-1932). Plus que tout autre, il démontre au public et aux artistes que l’on peut appliquer les techniques de la lithographie à l’affiche, faisant par conséquent de ce support en couleurs une forme de communication économique, artistique et viable. Peintre et lithographe très productif, réalisant environ 1500 affiches, son travail est arrêté par une cécité d’abord partielle, puis complète pendant les trente dernières années de sa vie. En 1881 Chéret vend ses machines d’imprimerie à Chaix, gardant son directeur et lithographe en chef, mais continu à s’occuper des détails pour mieux se concentrer sur le côté artistique de l’affaire. Plus tard, de nombreux artistes connus font leur apprentissage chez Chéret. Il leur montre avec quel soin utiliser les crayons et les encres car une infinité d’ombres et de teintes peuvent être obtenues avec seulement trois ou quatre pierres (ou couleurs). Fait représentatif de la plupart de ses premières affiches, il utilise seulement trois couleurs de base : le rouge, le vert et le noir (plus tard remplacé par le bleu). À une certaine époque, il utilise la même combinaison de couleurs pour des douzaines d’affiches des Folies Bergère et du musée Grévin, parmi tant d’autres. Chéret conçoit aussi les affiches de nombreux illusionnistes comme Carmelli, Faure Nicolay, Dicksonn, Patrizio, Frikell de Carlowka, Delille…
Notes :
1 Le musée Grévin s’est sans doute inspiré du célèbre musée londonien de Madame Marie Tussaud (1761-1850) fondé en 1835, lui-même héritier du Cabinet de Cires de l’anatomiste suisse Philippe Curtius (1737-1794) exploité à Paris en 1762.
2 La Compagnie des Alpes compte de nombreux parcs de loisirs dont le Parc Astérix et le Futuroscope.
3 Ce théâtre de 360 places est inscrit au titre des monuments historiques en novembre 1964.
4 Une grande partie de cette liste provient de l’ouvrage collectif 100 ans d’histoire, 100 ans de magie (Éditions AFAP, 2003). Didier Morax a consacré trois articles sur Le Cabinet Fantastique du musée Grévin où il récence tous les magiciens ayant travaillé dans ce lieu historique pendant plus d’un siècle (Revues de la Prestidigitation n°629, 630 et 631 – janvier à juin 2019).
5 Les images, dessinées et peintes une par une à la main, procèdent de l’art du miniaturiste. Reynaud est accaparé par sa présence journalière au musée et n’est pas en mesure de faire face aux exigences de renouvellement demandées par la direction. S’il arrive à restaurer les bandes et à les renforcer, la préparation de nouveaux sujets lui pose des problèmes insolubles. C’est ainsi que le contrat de Reynaud est suspendu de mars à décembre 1894. Il revient l’année d’après avec une nouvelle bande : Autour d’une cabine ou Les mésaventures d’un Copurchic aux bains de mers (636 images, 45 mètres).
6 C’est dans le nouveau théâtre du musée, baptisé « Joli Théâtre » que, provisoirement, le Journal lumineux commence sa carrière dans les premiers jours de mars 1901. Aucune firme n’édite encore d’actualités de façon régulière et le musée Grévin doit sélectionner parmi les nouveautés de la maison Gaumont les bandes qui correspondent à ce genre comme : Cavalcade de la Mi-Carême, Mariage de la reine de Hollande, Guillaume II passant une revue, Funérailles de la reine Victoria… Les projections cinématographiques se poursuivent quelque temps encore dans le Théâtre Grévin jusqu’en 1917 où elles prennent fin.
7 Palais sculpté par Alméras et construit par Pierre et Vinant. Le Palais des Mirages est rénové en 2006, sous le parrainage d’Arturo Brachetti. Ce dernier s’est fait entourer de Manu Katché et Bernard Szajner pour proposer une nouvelle création originale fidèle à l’esprit du lieu. En 2018, l’artiste Krysle Lip, auteur, compositeur, interprète et designer s’est occupé de la conception d’un nouveau spectacle.
Article écrit en avril 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Gallica – BnF et Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.