Comment êtes-vous entrée dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
J’ai toujours été sensible à la magie, aux arts du cirque. Ma grand-mère m’enregistrait le cirque et la magie à la télévision, que je regardais en boucle dans ma chambre avec un grand plaisir. En tant que « fille », l’inconscient collectif ne m’offrait pas l’espoir d’être « magicien », « clown », de faire rire et rêver les gens. Je me souviens encore de m’endormir devant une cassette vidéo de cirque et rêver de moi adulte en dresseuse d’otaries en train d’amuser le public, dans mon costume à paillettes, avec mes collants en résille et mes bottes blanches. J’en ris encore, en vous écrivant ces quelques lignes.
Et puis, un jour, mon voisin de dix-huit ans vient taper à ma porte, il organisait un spectacle caritatif au profit d’une association dédiée aux enfants trisomiques dont sa sœur faisait partie. Il avait un magicien au téléphone, un peu en mode « star à domicile », et ce magicien voulait absolument participer à ce gala caritatif mais sa femme était enceinte jusqu’aux yeux et sa partenaire remplaçante n’était pas très sensible à la cause et voulait être rémunérée. Sans même savoir dans quoi je m’embarquais, j’ai dit « oui, oui, oui, j’y serai ! » Le soir de la représentation, j’ai rencontré des magiciens renommés dans les Hauts-de-France comme Christophe Rossignol, réputé pour son passage aux Magic Stars de Monte-Carlo, et au Plus grand cabaret du monde sur France 2 et Alain Mask, reconnu comme l’un des meilleurs magiciens mondiaux en bulles de savons (avec cinq passages au PGCDM sur France 2), qui m’ont dit : « tu es faite pour ça ! » Enfin, pour devenir partenaire de magicien… ne nous emballons pas ! Nous étions en 2003, j’avais quatorze ans.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Dès l’âge de quatorze ans, je n’ai rien lâché. Passionnée de magie, j’ai pu me faire une culture magique avec mon voisin, devenu alors mon partenaire à la scène comme à la vie pendant 10 ans. Je regardais de la magie du matin au soir, j’allais aux conférences, c’était lui le magicien et c’est moi qui l’embêtait le plus pour vivre cette passion à fond. S’il y avait une destination de vacances, c’était pour aller voir de la magie : Hans Klok à Amsterdam, Christian Farla en Allemagne, et bien évidemment Las Vegas, dont une rencontre inoubliable avec David Copperfield, le show de Criss Angel, et la comédie hilarante de Mac King au Harrah’s.
J’étais destinée à être une assistante de magicien pour la vie, c’était écrit, du bon sens pour tous : je perfectionnais les chorégraphies, je m’occupais de la couture, la communication, l’écriture des textes des numéros, le choix des musiques, le financement du matériel, mais jamais, jamais je les jouais pleinement. Ainsi, a commencé à s’installer une grande frustration, j’avais vingt-quatre ans, et fait le tour de préparer les culottes des danseuses, j’avais envie de parler, envie d’un duo scénique à la Kalin and Jinger, j’avais envie de partager avec le public, plus que dans ma boîte, et de partager avec eux beaucoup plus que quelques minutes en dehors des boîtes de magie.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Quand j’ai décidé en 2014, de me lancer en tant que magicienne, j’étais professeure des écoles et j’avais fait des études de collaboratrice aux activités internationales. Une fois que j’ai mis ces compétences à profit pour ma carrière, et plus pour le magicien, tout est arrivé à moi, tout s’est éclairé. Il y a eu des mauvaises langues, évidemment, mais je n’userai pas d’encre pour leur donner de l’intérêt.
Par contre, à mes côtés, j’ai eu Christophe Rossignol dès 2014, Boris Wild dès 2015, et Gérald le Guilloux dès 2016. Leur approche transmissive et leurs conseils précieux ont été une grande richesse pour moi. Aussi, j’ai pu rentrer au cabaret Katy Folies de Lens pour roder mes numéros, c’était l’idéal. J’ai également passé un casting à l’initiative de Marine Roux et Enzo Weyne pour devenir magicienne au Parc Astérix, rôle que j’ai obtenu avec un grand succès et beaucoup de plaisir. En 2016 j’ai pu faire les Championnats de France de la FFAP. J’ai très vite intégré des plateaux de festivals de magie, des close-up prestigieux pour lesquels les magiciennes sont recherchées. Et j’ai connu la sororité avec Agnès Descamps et Caroline Marx, deux magiciennes aux grands cœurs, originaires des Hauts-de-France tout comme moi. J’ai toujours côtoyé les clubs de magie comme le Nord Magic Club, L’éventail, Magie en Flandres et vu le maximum de conférences, je suis avide d’apprendre.
Comme disait mon père, la chance ça se provoque. Alors, quand j’ai eu ce déclic « je vais me lancer comme magicienne, j’ai le droit en fait », je suis allée voir Thomas Muselet qui avait beaucoup de succès photographique auprès des magiciens, et je lui ai commandé quatre photos pour ma communication avec mes dernières économies. Je suis partie un mois en Irlande avec Nicolas Plassard « Le Monde de Félix » et d’autres amis, et j’ai demandé à Thomas de publier les photos pendant mon absence en France. La bombe était envoyée, et comme j’avais reçu beaucoup d’intimidations de personnes malveillantes de type « une femme sur scène ça ne parle pas », « les magiciennes sont toutes mauvaises », « tu ne sais que lever la jambe », je voulais juste signaler que cela ne m’avait pas arrêtée, bien au contraire.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je fonctionne beaucoup au ressenti. L’important c’est le message à passer, le choix du tour va être secondaire. J’ai une culture magique assez vaste étant donné que j’ai commencé par la grande illusion, puis la magie générale et le close-up, ce qui m’aide beaucoup au quotidien. J’aime la magie qui allie dextérité, rigueur, humour, et un sentiment de proximité et de confiance. Ainsi, j’aime partager des histoires. C’est comme cela que je travaille aujourd’hui. J’écris principalement mes numéros en fonction des demandes des clients, de mon vécu, et des anecdotes de vie, et je garde les meilleurs pour mes spectacles.
Un jour, nous étions une équipe de magicien pour un close-up prestigieux avec beaucoup de monde, et j’ai été qualifiée de magicienne en « storytelling magic ». En effet, je m’efforce de contextualiser le narratif dans l’actualité, les tendances et les réalités pour ainsi faire vivre le tour de magie, au cœur d’un environnement familier de tous. Quel que soit le tour de magie effectué , j’ai à l’esprit que je dois établir ma crédibilité et instaurer un climat de confiance. Et pour les spectacles pour enfants, même si je me présente en magicienne sortie d’un conte de fée, je dois humaniser ce que je suis et mon univers.
En scène, j’ai réinvesti toutes mes connaissances d’enseignante, surtout en ce qui consiste à apprendre à lâcher prise et à accueillir l’imprévu, tout en gardant en tête le « timing ». Quand je fais monter un spectateur sur scène (certainement l’exercice que je préfère), je le prends comme une scène improvisée avec quelqu’un. J’ai prévu des choses, mais essayer de savoir à l’avance ce qui va se passer est contre-productif, car l’autre est forcément imprévisible, même si tu es télépathe ou mentaliste ! Je prends tellement de plaisir à apprécier ces imprévus et à les voir comme des cadeaux : c’est l’opportunité d’emmener la scène là où je ne l’avais pas prévu. Bref, cette impro est révélatrice de mon lâcher prise, sur scène et en-dehors. J’aime à dire que chaque spectacle est différent, tout en restant écrit et professionnel.
Quand j’ai besoin de compétences techniques, de fabrication sur mesure, de conseils précieux, j’ai une seule adresse : la boutique Climax ! David et Thibaut, deux magiciens au service des magiciens font des miracles, me comprennent, et me soutiennent dans mes projets : un petit café, et on trouve une solution : je les adore ! Et en plus j’habite à moins de trente minutes de l’atelier !
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Comme j’ai démarré par les grandes illusions, cela a été à mes débuts Dani Lary, David Copperfield, et d’autres incontournables dans ce domaine. Au niveau des écrits, des esquisses, je reste une fan de James Hodges, il a marqué la magie pour des générations. Et puis ma sensibilité féminine m’a vraiment orientée vers Norbert Ferré, avec lequel j’ai la chance de collaborer pour Magev, qui communique tellement de joie de vivre, de surprise et d’amour, c’est LA magie généreuse, on en redemande. Aussi, je dirais sans hésiter Carlos Vaquera, un magicien, poète, philosophe, un être complexe et si attachant, d’une grande sensibilité. Carlos, on aime le voir sur scène, le lire, et l’entendre parler des heures.
Côté humour, c’est l’indémodable Compagnie du Tarmac, le trio infernal qui me fait toujours autant rire, moi « je pars » avec Jean-Robert, « On est parti mais je reste là » ! Quand Thierry Marion, qui est à l’initiative de la programmation du festival de Bourg-de-Péage m’a appelé l’an dernier pour co-présenter le festival avec La Compagnie du Tarmac, comment vous dire, j’étais comme une chanteuse qui apprend qu’elle va faire un duo avec son chanteur préféré, aux anges !
Plus récemment, j’ai ressenti une grande fierté en suivant le parcours de Florian Sainvet et Léa Kyle, deux jeunes français humbles et créatifs reconnus mondialement, et au service l’un de l’autre. Quand je les regarde, j’ai l’impression que le mot magie est l’anagramme du mot amour. Ils se portent tous les deux, personne s’efface au profit de l’être aimé, les deux progressent, et c’est un excellent présage pour la continuité de l’amour, c’est que l’admiration mutuelle, générée au moment de tomber amoureux, se maintienne. Ils sont les meilleurs magiciens à mes yeux, ils ont tout compris, de vrais magiciens de la vie.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Étant donné que j’adore les tours qui mettent l’accent sur la présentation et sur l’expérience émotionnelle que doit vivre le public, je dirais le mouvement « magie bizarre » qui commença à la fin des années 1960. Il fut essentiellement développé en réaction contre l’illusionnisme classique, et fut une tentative de « retour aux sources » de l’art magique qui cherchait à mettre l’accent sur l’expérience émotionnelle du public. En tant qu’ancienne enseignante, j’aime beaucoup la littérature de jeunesse, les contes, et cette magie est parfaite pour ces univers.
En mettant l’accent sur la théâtralité, la « magie bizarre » se rapproche d’une magie contée qui accorde une place plus importante à l’histoire racontée qu’en prestidigitation traditionnelle où l’effet prime. Il y a renversement de la vision classique : en « magie bizarre », l’effet illustre l’histoire, tandis qu’en illusionnisme traditionnel c’est l’histoire qui illustre l’effet. Ainsi, la magie ne réside plus dans le « truc » mais dans une atmosphère, et le magicien est un guide capable d’emmener le spectateur dans ses univers fantastiques. L’illusionnisme n’est plus alors l’objet unique du tour, mais, devenu outil, il s’insère dans un ensemble plus complexe.
Je suis un très bon public également de la magie nouvelle qui a sans mauvais jeu de mot un vrai truc en plus. Je suis fascinée par ce mouvement qui mêle illusionnisme, cirque, danse, musique et arts plastiques. Le public est sous le charme, et c’est normal, c’est tout ce que l’on attend de la magie, une magie dans sa globalité, et même sans magicien. Yann Frisch a tout de suite été décalé, j’ai assisté au choc de sa tête qui a claqué la table en pleine routine avec sa tasse et ses balles, et au long silence devant un public de magiciens déconcertés… c’est cela la vraie magie : arriver à surprendre les magiciens ! Ce jeune homme transmet, partage, invente sans cesse. La magie est un art d’une immense puissance, c’est tout cela que nous révèle la magie nouvelle.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’ai mes périodes, en fonction de mes évolutions, de ma vie de femme. Ainsi, je ne m’arrête pas aux « arts magiques ».
Françoise Hardy a révélé récemment à France Inter : « Je n’aurais pas pu écrire si je n’avais pas autant souffert en amour… Écrire c’est toujours la sublimation d’une douleur. Cette sublimation a quelque chose de transcendant. Ça soigne provisoirement : on est vraiment heureux après l’écriture. » Je dirais que pour la magie c’est pareil. Nous naissons tous avec plusieurs de ces blessures, mais elles sont vécues à des degrés différents. Ma plus grande influence artistique se situe au plus profond de moi. Les blessures émotionnelles stimulent la créativité et l’imagination. L’enfant qui est en moi participe beaucoup de mes productions artistiques. Cette petite fille, a encore une infinité de choses à m’apprendre.
Je suis influencée à chaque instant, car l’art nous entoure, l’art est partout. Il se situe aussi bien dans les vêtements que vous portez, l’architecture qui vous entoure, ou même dans votre nourriture. Le tout serait de savoir où il s’arrête et où il commence : l’artiste doit être avant tout un créateur ! Sinon, n’importe qui pourrait se prétendre être artiste, peu importe le domaine. En effet, l’art est subjectif, et nous l’interprétons grâce à nos cinq sens. Mais l’art reste avant tout une production, il est réfléchi. Il existe toujours un message au travers de mes tours de magie : ce que j’ai voulu faire passer comme discours, si le public est ému, le pari est réussi !
Quel conseil et quel chemin conseiller à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Je dirais cela : n’ayez pas peur de vous perdre en chemin, car cela est nécessaire. Je dirais, si la passion est envisagée comme un métier, de prendre en compte les sacrifices de la vie, les mariages ratés des copains, les dimanches en famille, le côté chronophage de cette passion. Je dirais de faire des études, d’être patient et de faire preuve d’humilité, d’apprendre à maîtriser les réseaux sociaux, les stratégies commerciales, la communication. Car être un bon magicien c’est bien, mais si personne n’est au courant, c’est bien dommage. Et je connais bien trop de magiciens talentueux, pas assez reconnus à leur juste valeur, et qui peinent à joindre les deux bouts. Ça, c’est mon côté factuel, que je tiens de mon papa ! Mais je dirais également : faites un métier qui vous passionne et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie actuelle, en temps de Covid, en présentiel avec les masques et la distance sociale, ou par écrans interposés, n’est pas la magie « idéale », et le mot est faible. Depuis le 11 mai 2020, j’ai repris le travail avec engouement et détermination. Adaptable, seule en scène, ce métier est plus qu’un métier, c’est un mode de vie, une vocation, je ne peux vivre sans. Je dirais que mon métier n’a pas disparu mais a changé de place : tantôt derrière l’écran pour des tutos de magie, tantôt aux centres de dons du sang, dans les établissements scolaires, les Ephad, les centres sociaux, la magie y est plus qu’« essentielle ».
On ne juge pas ce que l’on ne connaît pas, par conséquent j’ai pris mes places pour voir quelques spectacles Zoom des copains. Le show d’Eric Antoine reste une fête, à son image, un bon moment de plaisir partagé et de folie, avec la participation omniprésente du public excité et déguisé, en compagnie de son personnage fou, que lui seul peut incarner. Avec Eric, la magie est un prétexte, le principal est de rendre les gens heureux, c’est pour cela que je me retrouve beaucoup dans ses choix.
Je salue le travail de l’équipe de Nestor Hato, très pro avec de belles surprises et une belle réalisation, le courage de mon amie Caroline Marx qui a fait son spectacle entier à distance Girl Power et j’ai hâte de découvrir le live du duo père-fils de Lionel et Tom, « Lord Martin et Tom ».
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Cela dépend de ce que vous entendez par le mot culture. En philosophie, le mot culture désigne ce qui est différent de la nature. En sociologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et inventé. Ainsi, d’une part, pour une magicienne ou un magicien, la culture magique me semble indispensable, sinon on passe à côté de son art. La culture magique est importante aux débuts, comme dans toute discipline, et après, il convient de s’en détacher pour créer son propre univers, son identité, un peu comme un peintre, ou un musicien. Ce « réservoir commun » évolue dans le temps par et dans les formes des échanges, c’est pour cela qu’il convient d’aller aux concours, aux conférences, pour ne pas perdre le fil de la vie magique. Cette culture se constitue en de multiples manières distinctes d’être, de penser, d’agir et de communiquer entre magiciens, et est très importante. D’autre part, la « culture générale » comme on aime à l’appeler me semble être un vrai plus pour l’approche de la magie. Un magicien curieux, instruit, aura beaucoup plus de chances de produire un numéro qui lui ressemble, et non une reproduction d’un acte qui l’a marqué.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Faire de chaque journée une belle journée, même si toutes les conditions semblent réunies pour me la gâcher. Mes passions sont : les êtres aimés, passer du temps avec eux, surtout, la famille et les amis, les enfants, et les anciens. Ma plus grande passion est certainement Simone-Cookie, ma chienne, que j’emmène partout. J’ai toujours choisi un logement pour accueillir mes animaux de compagnie, colombes, lapins, et poules. Je me sens sereine que lorsque je suis entourée de ma petite ménagerie. J’ajouterais la lecture et l’écriture, mais je triche un peu car cela reste bien souvent de la magie ! Et puis évidemment cuisiner, faire du sport, échanger, aller au cours de danse d’une amie, voyager, tout ce qui coïncide avec le bien-être.
– Interview réalisée en mars 2021.
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Crédits photos : Thomas Muselet, Greg Gabet, Stal, Dan et Nat. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.