Du 25 au 28 septembre 2025, dans le cadre du 58ème Congrès de l’illusion, la Fédération Française de Magie (FFM) mettait Jean Merlin (1944-2025) à l’honneur. « Monsieur Merlin » pour les uns, « Tonton Merlin » pour les autres, aucun magicien amoureux de son art ne pouvait rester indifférent à cette personnalité si créative. L’esthète rigoureux, l’expérimentateur infatigable, volontiers irrévérencieux, jamais dépourvu d’à-propos, impressionnait par ses talents foisonnants et sa curiosité intellectuelle. Grâce à la complicité qui liait Jean Merlin à Gaëtan Bloom, cette exposition se concrétisait… Une sélection de ses tours et accessoires emblématiques, des « musts », ont pris place parmi une cinquantaine de photographies souvenirs de Jean, prises au fil de son parcours ou entouré de ses proches. Le voyage d’une vie haute en couleurs et en ballons, comme autant de bulles savoureuses et inspirantes… Retrouvez ci-dessous quelques morceaux choisis extraits de l’exposition, écrits avec cœur par ses amis…
« Parce que c’était lui, parce que c’était moi »
Avec le temps, la relation privilégiée de Jean Merlin avec Gaëtan Bloom, son « meilleur élève », s’est nourrie de leurs nombreux échanges. Ils ont souvent discuté « de l’après », de cet héritage magique si précieux. Une amitié indéfectible évoquée par Gaëtan Bloom :
« J’ai rencontré Jean Merlin à la boutique de Dominique Webb quand j’avais 13 ans. J’y étais élève, et lui devint vite mon professeur principal. En fait, on ne s’est plus jamais vraiment quitté par la suite, devenant moi-même son apprenti… Quand il fait sa première tournée aux USA, je le remplace naturellement pour donner ses cours à ses élèves du moment. Également très lié avec toute la famille Hodges, j’ai eu le privilège de vivre avec eux de nombreuses aventures comme la création de ce chef d’œuvre qu’est Mad Magic… Notre vouvoiement qui avec le temps aurait pu disparaître en a toujours étonné plus d’un. On essayait parfois, après des repas riches de saveurs, entre amis proches, de se dire « tu » pour faire plaisir aux autres. Mais rien n’y faisait et le « vous » revenait, avec un respect mutuel et une infinie tendresse ».
« Le Rat de cabaret »
« Rat de cabaret », c’est ainsi que Jean Merlin aimait se présenter ! Des années à courir de cabaret en cabaret n’avaient pas entamé sa nostalgie d’une époque évanouie. Pas bien payés mais toujours réglés, ces cachets lui manquaient… Son camarade Danilsen raconte ces soirées de tournées :
« À partir de 1977 et jusqu’en 2014, nous nous sommes retrouvés régulièrement dans nos tournées des cabarets parisiens. Il est difficile de relater des anecdotes car nous travaillions au chronomètre, en nous croisant rapidement entre deux établissements. C’était une véritable course d’un arrondissement à l’autre : à 22h sur la scène à Montmartre, 22h40 à Montparnasse, etc. Jean faisait en moyenne 4 ou 5 cabarets par soir ; seuls le trafic et le stationnement l’empêchaient d’en faire un sixième. Sa prestation parlée durait 25 minutes et comportait environ 4 tours, dont la célèbre Carte choisie et jamais retrouvée, un vrai sketch de 10 minutes ! Sur son guéridon était fixée une montre pour ne pas dépasser le temps limite et être à l’heure au cabaret suivant, à quelques 10 minutes de trajet. Jean était très organisé ! Pour gagner du temps, il gardait dans sa voiture 6 mallettes de couleurs différentes, avec dans chacune tous les accessoires déjà prêts pour le passage suivant… Les ustensiles en double, triple ou quadruple exemplaire étaient sa marotte, une quasi-obsession ! Dans sa cuisine, on ne comptait pas moins de 4 toasters, 4 machines à café… afin que tous ses invités soit servis en même temps ! Il avait même 4 perceuses identiques ! Pourquoi ? Ça, on ne le saura jamais ! Jean passait des cabarets de la rive droite à ceux de la rive gauche. Aux dîners spectacle de Montmartre : Chez ma cousine, La Bonne Franquette, La grange au bouc ; à Pigalle : Eve, La Nouvelle Eve, L’Abbé Constantin ; à Montparnasse : Le César Palace, Le Jockey, Le Kit Cat ; au Champs Elysées : L’Amiral, La Villa d’Este. Et bien d’autres lieux comme Le Curieux, la boulangerie des Tuileries où il partageait la scène avec Patrick Sébastien alors débutant, et près du Café de la Gare, il rencontrait souvent le jeune Coluche, encore inconnu. Christine Omanis, Chantal Valery, Pierre Switon, Jean Delaude, Jean Ludow, Stéphane Galli, Otto Wessely, Claude Ayrens, Jean Davis, Christian Gambin, Jan Madd, Al Carthy, Axel Dorsay, Garry et Kristel, Patrick Droude, Martin Kardone, Michaël Vadini, Xavier Hodges, Pat Gueller, Félix Delarue et moi-même, fréquentions les mêmes cabarets ».
Plus d’une corde dans son sac
Francis Tabary, Champion du monde de close-up en 1991, à Lausanne, rappelle que ses routines de cordes doivent beaucoup à Jean Merlin :
« Jean Merlin entre à la F.F.A.P. le 9 janvier 1961, à l’âge de 16 ans. Lors des réunions mensuelles, il échange avec Jacques Delord et Pierre Edernac. Delord fut le premier à enchaîner plusieurs effets de cordes en y associant un texte poétique. Inspiré par celui-ci, Jean Merlin crée à son tour un numéro adapté, notamment pour le cabaret où il se produisait chaque soir. Véritable hybride entre chansonnier et magicien, il manie le verbe avec un humour raffiné, quelque part entre Michel Audiard et Coluche. Sa routine de cordes s’enrichit constamment de passes et d’effets novateurs, car il est un créateur hors-pair dans ce domaine. En 1969, j’ai le privilège de prendre une leçon de deux heures auprès du maître. Avec patience, il m’a transmis toutes les ficelles de son art, et j’en suis ressorti la tête pleine de nœuds ! De cette rencontre est née ma passion pour la magie des cordes, une passion qui a transformé ma vie. En 1973, il publie ses célèbres Lecture notes illustrées par son complice, le talentueux James Hodges. Ces quatre tomes, devenus un succès international, sont aujourd’hui encore une étape incontournable pour quiconque souhaite s’initier à l’Art des cordes. Véritables trésors d’idées, ils témoignent de son ingéniosité et des années de recherche consacrées à ce thème ».
Magic History Day, une première !
Organisant les quatre éditions des JMMHD avec Le Collectoire, et accompagnant Jean Merlin sur les deux dernières, Sébastien Bazou nous livre un petit historique de cette journée :
« Devant l’ignorance d’un certain jeune magicien demandant qui est Fred Kaps ? et les Los Angeles Conference on Magic History – créées en 1989 par Ricky Jay, Mike Caveney, John Gaughan et Jim Steinmeyer – Jean Merlin a eu l’idée de concevoir une journée parisienne récurrente sur l’histoire de la magie en France ; ayant pour mission de raconter une partie de l’histoire de l’illusionnisme, à l’aide de témoignages, d’interviews, de vidéos anciennes, de documents rares, de vieux objets ayant une histoire, de démonstrations en directe et la création d’un opuscule souvenir, d’une plaquette ou d’un livre, résumant les propos tenus, le tout pouvant être sous tendu ou non par un thème général. Plus : la mise en exergue des ouvrages, revues, spectacles et événements d’importance. L’aventure a commencé le 1er juin 2008 sur la péniche Métamorphosis. Une première édition sous le nom de The First French Magic History Day coorganisée avec Jan Madd et Jean Régil qui a mis à l’honneur de grands magiciens du passé comme Dante, Kanalag, Pollock et le premier personality show avec le pickpocket Dominique Risbourg. La deuxième édition eu lieu le 13 juin 2009 au Salon du FIAP avec comme sujets : l’utilisation des miroirs dans les grandes illusions, une partie sur Doug Henning, Winston Freer et Sam Cox Hooker ; pour finir par une histoire des cabarets parisiens en présence de Pierre Switon et Gaëtan Bloom. La troisième édition s’est déroulée au Théâtre Oh 20ème, le 24 avril 2010, avec au programme l’évocation de Doug Henning, Orson Welles, Flip, Tom Mullica ; les appareils historiques, la saga des tourterelles. Pour terminer par un échange avec l’illusionniste et mentaliste Xavier Morris. La quatrième édition a pris place au Zèbre de Belleville (un lieu qui aura la préférence de Jean pour les années à venir), le 14 mai 2011. Au programme : la magie de Las Vegas, les jouets automates, Paul Potassy, les grands anciens (Li-King-Si, Robert Harbin, Cardini, Pratul Chandra Sorcar, René Septembre, John Ramsay, Esmée Levante, Tommy Wonder), une table ronde autour du pickpocket Joe Waldys et un spectacle avec Gwenaëlle, Pierre Switon, Emmanuel Pallas, Anaïs Petit et Yann Frisch.
À la fin de cette journée, Jean Merlin annonce que ce sera sa dernière, « écœuré par certaines pratiques de gens, qui eux ne font jamais rien, mais se demandent ce qu’ils vont bien pouvoir faire pour emmerder ceux qui tentent quelque chose ! » C’est sans compter sur une bande de Breton (Monique et Gérard Souchet, Vincent Delourmel, François Martinez, Claude de Piante, Christophe Boisselier, Yohann Gauthier, Sylvain Guillaume) et d’un Bourguignon (Sébastien Bazou) – montée en association sous le nom Le Collectoire – qui se propose de reprendre l’organisation générale du Magic History Day en le rebaptisant Jean Merlin Magic History Day. Ainsi, de 2012 à 2015, Le Collectoire organisera quatre éditions thématiques : La Lévitation, La Misdirection, Le Mentalisme, Triche et Arnaques (dont quatre livres seront édités). Avec à chaque fois la mise à l’honneur d’une grande personnalité des arts magiques qui vient clore la journée par un talk-show : Dani Lary (et Pierre Étaix en double soirée), James Hodges, Dominique Webb et Bébel. Sur certaines éditions, Jean Merlin y gardera sa rubrique « coup de cœur », sa revue de presse et la présentation du talk-show (« si l’invité lui convient », ce qui ne sera pas le cas avec Dominique Webb par exemple).
Ayant la volonté de reprendre la main pour la neuvième édition, le 26 mai 2016, et de continuer sur une dynamique d’ouverture aux plus jeunes, le thème abordé est la Street Magic avec comme invités Thibaut Rioult, Antoine Leduc, Morax, Jacques H. Paget, Éric Leblon et l’artiste mis à l’honneur, le magicien belge Stanislas. Voulant clore en beauté sa journée d’histoire de la magie et n’ayant plus la force de porter tout seul cet événement à bout de bras, il décide d’organiser – avec l’aide d’ArteFake, comme l’année précédente – la dixième et dernière édition qui lui sera entièrement consacrée. Le 20 mai 2017, Jean est entouré de ses fidèles amis pour une journée inoubliable (Gaëtan Bloom, James Hodges, Serge Llado, Jean Martiny, Christian Chelman, Philippe Socrate, Bernard Bilis, Francis Tabary, Claude de Piante, Aude Lebrun, Viktor Vincent, Frantz Réjasse, Ludovic Mignon…) Les Magic History Day resteront des moments uniques de convivialité, riches en partages et en savoir autour du patrimoine magique et de ses acteurs. »
L’art de raconter
Le premier séminaire coanimé par Jean Merlin et la Compagnie du Scarabée Jaune s’est déroulé les 15 et 16 octobre 2022, sur le thème « Le pouvoir de la narration en magie et au cabaret ». Claude de Piante revient sur l’importance de cette collaboration :
« La vie m’a donné la chance de pouvoir rencontrer de nombreux magiciens et parmi les plus grands. Mais personne n’a eu à mes yeux la dimension de Jean Merlin, un artiste libre, inventif, curieux, drôle, d’une grande culture. Et il y avait en lui, derrière une apparence solide et affirmée à l’humour tranché et incisif, beaucoup de tendresse et d’humilité. Quand je lui ai demandé de venir faire avec moi des formations sur l’art de la narration magique à la Casa des Merveilles, il m’a dit : « tu crois que ça va intéresser et je ne sais pas si je vais savoir… », lui qui savait mieux que quiconque écrire un texte magique. C’était un poète et chacun de ses écrits est un petit chef-d’œuvre d’humour et d’intelligence. C’était un musicien accompli, son écriture, sa manière de dire, sa gestuelle étaient ponctuées d’un rythme parfait et envoûtant. Il était un magicien dans l’âme, un conteur exceptionnel et un amoureux de la vie. »
Adieu l’Ami ! Salut l’Artiste !
« Jean Merlin était un ami, un être rare, un grand Artiste, une légende de notre Art, un vrai chansonnier de la Magie. Je ne connais aucun autre Artiste Maître-Magicien avec qui on pouvait parler des heures d’Art en général, de comédies musicales, de musique, de cuisine, de politique et bien sûr de Magie. Jean, nous ne t’oublierons pas. Tu nous manques déjà… » Gilles Mageux
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Céline Noulin / Gilles Mageux. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.
