Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Vers l’âge de cinq ans je voulais devenir écrivain, puis musicien. A six ans, j’ai vu à la télévision un reportage de François Reichenbach (1) sur des magiciens. Pour la petite histoire, Reichenbach se promenait toute la journée dans Paris avec une caméra prête à filmer. C’était un fou d’images qui voulait filmer tout ce qui était intéressant dans le monde. Dans les années 60, il passe devant l’Olympia de Bruno Coquatrix et demande l’autorisation de filmer un festival de magie qu’il organisait avec des gens tels que Fred Kaps, Salvano, Richard Ross, Vito Lupo, etc. En regardant les numéros de ces magiciens qui avaient un style fou et faisant des choses totalement incompréhensibles, cela m’a donné l’envie d’en faire autant. De mon point de vue d’alors, devenir l’un de ces magiciens était le sommet de la classe, de l’élégance, et de la virtuosité.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
A l’âge de sept ans, j’ai appris mes premiers tours dans des « boîtes de magie » telles que Magie 2000 de Dominique Webb, les livres sur l’illusionnisme édités chez Payot et ceux de Jacques Delord, les émissions de Majax, comme la grande majorité des magiciens français. Mais j’étais souvent à court de nouveaux tours pour amuser mes copains et ma famille. J’essayais d’en créer d’autres en combinant mes maigres connaissances d’alors. Un des premiers que je faisais vers onze, douze ans était celui d’une carte choisie retrouvée entre mes dents en étant ficelé sur une chaise et sous couvert d’un rideau. Un effet du style de la « cabine spirite » dont j’ignorais alors l’existence…
Cela m’a permis de faire connaissance, par des hasards et d’heureuses rencontres, avec des amateurs plus âgés et plus informés que moi, et qui m’ont transmis des bases plus solides sur la magie de scène et de salon.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidés. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Au début de mes études de droit, ma rencontre avec le docteur Pierre Guedin a été décisive. C’est lui qui m’a montré pour la première fois un tour de Close-up, grâce à lui que j’ai appris toutes les subtilités techniques et psychologiques de cet art d’extrême proximité. Cet homme possède une connaissance et un savoir encyclopédiques sur l’illusionnisme et les illusionnistes.
C’est par son intermédiaire que j’ai ensuite rencontré ou découvert le travail et les idées de gens tels que Dai Vernon, Tony Slydini, Albert Goshman, Gaëtan Bloom, Dominique Duvivier, Arturo de Ascanio, Philippe Socrate, Fred Kaps, Doug Henning, Larry Jennings et bien d’autres.
Christian Fechner fut l’une des personnes parmi les plus intelligentes et cultivées qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il avait un savoir sur l’art magique impressionnant. Les livres qu’il a écrit et publié en sont le reflet. Il n’était pas un artiste, il en était conscient. Mais il savait transmettre sa passion pour l’illusion et surtout, il savait ce qu’il fallait mettre en place pour faire progresser cet art et le faire apprécier du grand public. Il m’a dit un jour qu’il attendait de connaître l’artiste français qui pourrait devenir une star et remplir le Palais des Congrès avec un travail sur la magie comme David Copperfield l’a fait en 1994…
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
C’est dans les années 1980 que je me suis lancé professionnellement dans le close-up, grâce à Pierre Guedin. A cette époque, nous n’étions pas beaucoup à travailler et à gagner notre vie en travaillant uniquement dans ce domaine : il y avait Bernard Bilis, Eric Pryzbyz (le meilleur selon Patrick Sébastien), Michael Vadini, Jean Faré, Gaëtan Bloom, Bebel, Philippe Socrate.
Le close-up est un art, ce qu’avait bien compris et voulu faire comprendre les fondateurs Dai Vernon, Tony Slydini ou Albert Goshman. Le Close-up ne consiste pas à répéter trois tours d’une table à une autre au cours d’une soirée (cela s’appelle du table hopping). Il n’y a rien d’artistique là-dedans, c’est juste bien pour commencer à travailler et gagner sa vie.
Le close-up est une discipline artistique où l’on est « en scène » devant un public restreint, durant plus d’une heure et où l’on présente une succession de numéros, avec textes écrits et préparés comme des sketches, qui doivent emporter les spectateurs vers le sentiment d’avoir vu et constaté l’impossible. Cet art, inventé dans les années 1950, fut popularisé grâce notamment aux frères Larsen avec la création du Magic Castle à Hollywood en 1963.
A cet instant, les gens venaient voir un spectacle complet de proximité, construit et élaboré durant une heure et demie. C’est ce qu’on fait des magiciens comme Ricky Jay à Los Angeles, Steve Cohen à New York ou les Duvivier au Double Fond à Paris.
En ce qui me concerne, j’ai surtout et longtemps présenté des spectacles de close-up dans des soirées privées pour des particuliers ou des entreprises.
En 1993, j’ai donné mon premier spectacle de Close-up public dans un jazz-club du quartier St Germain à Paris, spectacle intitulé Humour et Illusion que j’ai joué durant neuf mois consécutifs. Je suis ensuite parti en tournée en France comme à l’étranger pendant des années.
J’ai eu la chance d’être parmi les premiers en France qui ont fait apprécier l’art du close-up dans les émissions de variétés. Tout a commencé par une rencontre avec Patrick Sabatier qui m’a proposé de travailler pour les grandes émissions de variétés qu’il produisait et présentait alors sur TF1. Un soir après mon numéro, hors champ de la caméra, Michel Drucker, un des invités, se lève, me donne un papier avec son numéro de téléphone personnel pour que je le rappelle. Il me propose alors d’apparaître sur son plateau. Suivront ensuite plusieurs prestations dans ses émissions et dans celles de Christophe Dechavanne, Jean-Pierre Foucault, « La classe » sur France3 animée par Fabrice, des interventions sur M6, Arte etc.
Après ces années « télévision », j’ai refait des spectacles publics, en one man show, et en y ajoutant du piano. Je réalisais une « lévitation de type Asrah » pour une disparition du piano à queue sans rideau de fond. Un réel défi technique.
Puis je me suis enfermé un an sur un plateau de cinéma pour créer et mettre au point des numéros d’illusions originaux avec une équipe complète de partenaires.
Je suis également conférencier. J’ai donné plus de 700 conférences à travers le monde depuis dix ans sur le thème de l’art de la persuasion au travers des principes psychologiques puisés dans l’illusionnisme. En janvier 2012, j’ai donné une conférence-spectacle, en soirée, au Palais des Congrès de Paris devant 1800 personnes.
Je suis sollicité par des particuliers, des entreprises, des organismes et des structures pour venir leur parler d’illusionnisme, les éveiller à un domaine qu’ils ne connaissent pas. Je leur explique comment je le fait, dans quel état d’esprit je le fait, comment je le pratique et à quoi cela peut servir. Ici, ce n’est pas le métier de magicien qui intéresse les gens, mais tout ce qui gravite autour.
Quand vous êtes un professionnel et que vous vous retrouvez dans un contexte hors travail, certaines personnes vous attendent et vous demandent de leur faire un tour. Et bien, je ne le fais jamais. La magie ce n’est pas ça. La vraie magie arrive quand on ne s’y attend pas. Je choisis toujours le bon moment pour faire un tour, dans le sens où le spectateur ne puisse même pas imaginer une seconde qu’il va assister à un effet magique. C’est à cet instant que les gens peuvent être remplis d’un sentiment de merveilleux. La magie est une offrande, un cadeau inattendu. Albert Goshman appliquait cet effet de surprise à la perfection.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
A mes débuts Fred Kaps, David Berglas, Dai Vernon, Slydini, Hideo Kato, Channing Pollock, puis Ricky Jay, Doug Henning, Siegrfried & Roy, Bebel. Et plus récemment David Williamson, Lennart Green, Yann Frisch et bien d’autres…
La personnalité la plus importante à l’heure actuelle en close-up est sans doute l’espagnol Dani Da Ortiz. C’est un modèle d’intelligence dans la continuité d’Arturo de Ascanio ou de Juan Tamariz. Mais le plus important magicien encore vivant aujourd’hui est sans doute Persi Diaconis, premier élève de Dai Vernon.
José Garcimore était un grand artiste à défaut d’être un grand magicien. Musicien jouant du tuba, il faisait de la magie par « accident ». Il travaillait son apparence burlesque en interprétant un magicien grotesque. Peu de gens savent qu’il était autiste, d’un autisme léger. Il avait, en autres, la faculté de pouvoir additionner instantanément dix nombres à 7 chiffres. Il était également un maître du forçage de cartes. Garcimore était incapable d’expliquer vraiment comment il faisait ses tours. C’était une personnalité attachante et étrange. Une étrangeté qui provoquait un malaise que tout le monde compensait par le rire. Sa présence faisait instantanément rire les gens. Son autisme était perceptible de façon inconsciente et enclenchait instantanément une forme de malaise. Ce malaise ressenti par le public était transformé en rires. Garcimore acceptait cette réaction mais n’y pouvait rien. C’était quelqu’un de très isolé, qui est mort seul et démuni…
Un personnage auquel les magiciens devraient plus se référer et étudier est certainement Harry Houdini. Une personnalité qui a marqué l’inconscient collectif de manière durable jusqu’à aujourd’hui. Son travail est une excellente source d’inspiration, du moins il l’a été pour moi. En tant qu’artiste, il était quelconque mais il avait des idées de génie. Il possédait un sens incroyable de la publicité, et fut le précurseur de la plupart des principes publicitaires.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Il faut travailler presque tous les jours au contact d’un public différent pour espérer être un bon artiste.
Il faut toujours être franc et sincère face au public car c’est lui qui décidera de votre carrière.
La question essentielle qu’il faut se poser est : « Est-ce que j’ai un public ? ».
Car pour faire ce métier, Il faut plaire aux gens, c’est la base ! Notre métier c’est de donner envie. Envie de ressembler, de faire et d’être pareil. Il faut alors travailler son image. Le public achète avant tout de « l’image ».
A mes débuts je m’habillais comme un magicien pour avoir l’apparence correspondant à mon métier. Mais cela ne pouvait pas marcher auprès du public car le public ne peut pas s’identifier à un magicien. C’est trop loin de son vécu quotidien. Je me suis dit : « Essayons autre chose ». Je me suis mis un perfecto en cuir et je rentrais sur scène sur une moto. Le contraste était surprenant, un motard qui fait des trucs surprenant ! Le public peut s’identifier avec un motard car le personnage est vrai et il en connaît. Cela a plu.
Un jour j’ai voulu faire découvrir Bebel à des amis sur les trottoirs du quartier Mabillon à Pairs. Bebel est considéré comme un des meilleurs manipulateurs de cartes du monde… et bien mes amis ont été déçus. Pour quelles raisons ? Parce que ça ne fait pas rêver de voir un type sur un bout de trottoir… Quelle est la valeur de ce que l’on vient de voir ? Si cela avait de la valeur, ça ne serait pas fait sur un trottoir. Le fait de travailler dans ces conditions ne met pas en valeur son travail exceptionnel et cela tue en quelque sorte l’image du magicien qui est assimilé à un SDF. Bebel l’a compris et ne le fait plus, il me semble.
La magie est une activité passionnante, à l’image d’un scénario ou d’un roman où l’on peut y mettre tout de sa propre existence. Un illusionniste est quelqu’un qui « secoue », qui surprend, qui dérange, qui amène à réfléchir, qui fait rêver. Il choisit et incarne un personnage dans le but de plaire aux gens.
Pour incarner un personnage, il faut que cela vienne du plus profond de votre être, ce n’est pas une décision spontanée, réfléchie et intellectuelle, cela ne se décrète pas ! C’est viscéral. L’artiste ne peut pas l’estimer lui-même. C’est le public qui vous le dit. En travaillant, on sent les choses. Il faut repérer les moments où le public est en phase avec vous, où il se dégage une forme d’harmonie. Le personnage s’incruste alors insidieusement en vous et le style s’affine. On peut provoquer cet état en changeant de costume par exemple. Les grands acteurs disent que parfois on trouve son personnage avec le costume. Cela n’est pas systématique mais peut provoquer un déclic.
Prenons un exemple hors du domaine de la magie, mais extrêmement illustratif. Avant Björn Borg, les gens ne s’intéressaient pas au tennis. Le jour où il est apparu et s’est mis à jouer à la perfection, à gagner sans forcer, avec aisance et facilité, tout le monde a eu envie de jouer à ce sport. Pourquoi ? Parce que quand c’est bien fait, cela fait rêver et cela donne envie d’en faire autant !
L’illusionnisme possède deux aspects :
– L’aspect surprenant et étonnant de la performance.
– L’apparence de la facilité : Quand on atteint la perfection, le travail paraît d’une aisance si facile qu’ils croient soit qu’ils peuvent en faire autant tout de suite, soit que c’est un don.
Le but ultime de l’artiste, quelque soit son domaine, doit être de donner le sentiment de l’aisance et de la facilité. Mais ce que découvrent souvent les gens par la suite, c’est ce qui semblait si simple demande des années de travail.
C’est justement la grande injustice de notre métier de magicien car le travail est « invisible ».
C’est le cas aussi du métier de comédien avec comme préjugé : « Ce n’est pas compliqué, il suffit d’être soi-même ! ».
N’oublions jamais que les spectateurs ne voit dans un tour de magie que l’effet qui l’a surpris, comme une bonne histoire drôle.
Un dernier conseil : si vous voulez en faire votre métier, changez de pays. En France la magie n’est pas considérée comme un art à part entière. Ce n’est pas le cas dans beaucoup d’autres pays notamment hispaniques ou anglo-saxons.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie est devenue un monde de marchands. Les vrais artistes, eux, ne se vendent pas, ils ne font pas de commerce. Ce qui manque à 95% des magiciens d’aujourd’hui c’est la classe, la politesse, la courtoisie, celles d’un Channing Pollock ou d’un Salvano. Le public aime voir des gens qui ont de l’allure et qui les font rêver.
La magie est un des métiers les plus ingrats du monde car n’importe qui se dit qu’il peut en faire autant. La télévision et surtout Internet (avec Youtube) a accentué ce sentiment d’accessibilité. Il ne voit pas le travail derrière contrairement à un musicien, comme Elton John qui joue du piano en virtuose… C’est aussi pour cela que les magiciens ne sont que faiblement considérés. Ils font un métier « sans intérêt » aux yeux du public. La magie n’a aucune importance sociale, elle n’est rien du tout. Le magicien n’est pas « une personne importante », à part peut-être Robert-Houdin en son temps.
De ce fait, le magicien ne peut pas se prendre pour Dieu ; mais malheureusement beaucoup le font…
Autre exemple : il y a des récompenses pour pratiquement tous les métiers artistiques : comédiens, musiciens, cinéastes, metteur en scène, architectes, etc. mais aucunes pour les magiciens, à part des autocongratulations convenues de la part de certaines instances magiques… Le public n’est pas en mesure de remettre des récompenses aux magiciens car il ne peut pas « apprécier » leur travail, ignorant qu’il est de ses fondements. Il ne fait pas la différence entre untel et untel car il lui manque beaucoup de critères de sélection et d’appréciation.
Peut-on et doit-on changer l’image de la magie ? Le symptôme actuel est de croire que l’on peut changer les choses, voire le monde, donc de se prendre pour Dieu. Il faut avoir une prétention qui dépasse l’entendement ! On est dans le monde, on vit dans le monde et on y fait ce que l’on peut. Il faut être réaliste. Tout change et tout évolue naturellement avec le temps.
Personne ne peut rien changer aussi rapidement et tout seul. L’art de l’illusion changera lentement et doucement, mais pas radicalement d’un jour à l’autre. Les stéréotypes du magicien seront encore là bien après nous !
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
L’illusionnisme en tant qu’activité et champ culturel est quelque chose qui apporte beaucoup d’intérêts et de satisfactions. Mais on ne peut pas trouver tout, tout seul. On peut avoir une bonne idée mais il n’est pas facile de trouver tout seul la solution. C’est pourquoi il faut se documenter, essayer de collecter du savoir le plus possible, d’avoir une solide culture générale et magique. On ne peut pas devenir un grand magicien si l’on ne connaît rien à l’histoire de la magie, si l’on n’est pas immergé dedans 24h sur 24. C’est la combinaison de ses idées personnelles avec d’autres et la volonté de ne pas accepter les choses telles qu’elles sont, qui font que l’on trouve. Prendre son temps, ne pas se presser et les idées viendront à un moment donné. Vous développerez ainsi une vision personnelle de la magie. Pour créer, on peut réfléchir soit par analogie, soit à contrario, soit par phénomène de spirale ascendante ou descendante… Ce qui est intéressant c’est de ne pas aller vers une idée en disant : « Ca y est, elle est bonne ! » mais plutôt de passer 20 ans dessus et d’affiner les choses d’années en années, et d’aller vers la simplicité et la simplification.
Il m’a fallu 30 ans pour apprendre ce métier de magicien…et je continue d’apprendre !
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Le piano, l’écriture de livres et le tennis.
Mon dernier livre, Le pouvoir de la force mentale, est fondé sur les idées et la pensée pour faire du mentalisme. La base du close-up fût et reste le mentalisme : le Brainwave deck de Dai Vernon est l’un des tous premiers grands tours de mentalisme !
– Entrevue réalisée en décembre 2013.
Notes :
– (1) François Reichenbach (1921-1994) a produit et « tourné » F for Fake avec Orson Welles en 1973.
A lire :
– Le pouvoir de l’illusion, les clés de votre réussite (Editions Plon, 2005).
– Les grands secrets du monde de l’illusionnisme (Editions Eyrolles 2005)
– Le pouvoir de la force mentale, les clés d’un moral d’acier (Editions Plon, 2013).
– Le pouvoir de fascination, les secrets de la séduction (Editions Plon, 2017).
A visiter :
-Le site de jacques H. Paget.