Avec Luca & Tino, Luca Bono, Darcy Oake, Theo Dari, Vincent C, Alain Choquette et Arturo Brachetti.
Avant de rentrer dans le théâtre, un jeu de cartes est donné à tous les spectateurs avec interdiction de l’ouvrir jusqu’aux consignes données sur scène. En guise de préambule, les spectateurs qui s’installent dans la salle ont le droit à une campagne de pub qui vante la belle province de Québec (québecoriginal.com partenaire de l’événement). Ouf, nous avons évité l’autre bande annonce de nos amis québécois du festival Juste pour Rire !
Luca & Tino
Deux placeurs, interprétés par le duo comique italien Luca & Tino, déambulent dans les allées du théâtre et font tourner en bourrique un couple avec leurs enfants en les faisant monter sur scène, passer derrière le rideau et redescendre dans la salle. C’est ensuite au tour de plusieurs personnes dans la salle d’être prises pour cible. Le duo prend ensuite la parole et exécute une petite saynète mimée avec le truc de la valise qui reste sur place et une sympathique séquence musicale où le volume sonore augmente et les musiques changent par les gestes de Tino. Différents morceaux sont diffusés et interagissent avec les mains mises à différents endroits : dans les poches, jusque dans la braguette du pantalon sur le Je t’aime de Serge Gainsbourg.
Introduction
Place à la magie avec l’arrivée de 7 silhouettes sur scène portant un masque blanc, clin d’œil au spectacle L’homme aux mille visages de Brachetti. Les magiciens anonymes exécutent alors chacun un tour de magie : tête qui tombe, livre en feu, masque qui se dédouble et lévite, production de foulards, etc. Arrive alors sur scène, en jogging, le jeune Luca Bono, un « apprenti magicien » de 15 ans secondé par Vincent C son tuteur (fil rouge de la soirée). Tout au long du spectacle, Il devra observer ses aînés pour espérer devenir à son tour magicien et décrocher son diplôme.
« Tout magicien doit maîtriser la lumière, le clair et l’obscur ». Sur ces paroles, Luca & Tino enchaînent avec une routine de D’light vert dans le noir. Ce point de lumière lance parfaitement le numéro suivant de Theo Dari.
Theo Dari
Nous connaissons bien le numéro visionnaire de Theo Dari, et c’est toujours un vrai plaisir que de le vivre en live. Dans un univers futuriste s’inspirant de Tron et de Matrix, l’informaticien-magicien embarque le spectateur dans une séquence hors du temps mélangeant mime, magie, arts martiaux et science-fiction. Costume noir et fluorescent, accessoirisations high-tech, socle en forme de bloc de lumière où jaillissent des faisceaux laser ; tout est pensé dans les moindres détails !
Ici l’utilisation du laser, à la mode dans les années 1980, est détournée à des fins artistiques et non plus démonstratives. Au programme : Matérialisation de la lumière, découpage du faisceau avec les mains, torsion, duplication, rayonnement… Theo Dari a eu l’audace de se réapproprier le laser, de faire oublier son côté ringard et kitsch, pour le transfigurer en une forme artistique complète.
A des années lumières des fameux « shows laser » des boîtes de nuit, Tel un alchimiste, Theo Dari apporte une dimension onirique et poétique en faisant corps avec cette lumière virtuelle et spectrale. Construit en crescendo son numéro, rythmé de musique électronique et de sons Hi-Tech, distille une vraie dramatisation dans l’utilisation du faisceau puis du ruban laser qui évolue vers des formes volumétriques complexes, jusqu’au magnifique tableau final où, tel un Icare des temps moderne, le magicien disparait dans un « plafond de lumière », pour réapparaître ensuite accroupi sur son socle.
Un incroyable travail de programmation est à l’origine de ce numéro qui a demandé 4 ans de travail et des heures de répétitions pour caller chaque geste aux lasers. The Laserman Experience version 3D est une expérience unique au monde, un numéro culte comme celui de Jérôme Murat, autre « sculpture animée sur socle ». La preuve, ces deux numéros sont les plus copiés, mais rien ne vaut les originaux !
Luca Bono revient sur scène déguisé en lapin accompagné de Vincent C. Ils lancent le prochain numéro.
Arturo Brachetti
C’est au tour du maître de cérémonie de faire son show de transformisme en passant en revue de grandes figures magiques en remontant le temps, du XXème siècle à 1100 av J-C.
Il apparaît, tout d’abord, en Mandrake, le magicien des années 1930 avec l’apparition d’une canne, d’un foulard et d’un lapin. Vient le tour de Houdini dans les années 1920, habillé d’une camisole de force. Les années 1910 sont représentées par Chung Ling Soo qui fait voler un papillon de papier grâce à un éventail et produit de la neige japonaise. Deux éventails rubans sont produits et la tenue se transforme en rouge. Okito représente les années 1900. Habillé en kimono qui devient tacheté de ronds blanc. Le spiritisme est évoqué par la figure d’Eusapia Palladino, vers 1880, qui fait léviter une boule de cristal et un guéridon. La magie hindoue, vers 1400, prend les traits d’un fakir qui se transperce la langue avec une aiguille. Pour finir, la figure de Moïse apparait d’un voile bleu représentant la mer. Celui-ci se transforme en Jésus qui change l’eau en vin d’un pichet rempli. Arturo Brachetti réapparait, tout de noir vêtu, au-devant de la scène pour présenter son prochain invité.
Alain Choquette
Le québécois Alain Choquette se propose d’initier les spectateurs à la magie des cartes. Le public est donc invité à se saisir du paquet de cartes qui lui a été distribué avant de rentrer dans la salle. C’est parti pour un tour interactif et automatique que l’on peut suivre sur un grand écran qui retransmet les mouvements du cartomane étapes par étapes. Pour résumer, le jeu est déballé de son cellophane, étalé face en haut pour faire constater que toutes les cartes sont bien différentes et mélangées. Une carte est alors librement choisie au milieu du jeu face en bas. Elle est replacée au-dessus du jeu puis perdue par différents mouvements. A la fin du processus, chaque spectateur retourne la première carte du paquet qui s’avère être la carte choisie.
Deuxième phase du tour, en répétant les mêmes opérations avec le choix d’une deuxième carte. Cette fois ci, ce n’est pas la carte choisie qui remonte au-dessus du paquet mais une autre carte ; pas n’importe quelle carte : celle du magicien sur scène et de toute la salle ! Gros impact sur le public profane et succès assuré pour ce tour participatif qui est un exemple parfait de ce que doit être un tour de magie : « toucher » les gens dans leur propre sphère intime.
Retour de Luca Bono sur scène habillé « en noir », sur les conseils de son parrain. En noir de Chicago (entre le basketteur et le rappeur), et non en habit noir ! Ce jeune se cherche toujours une identité visuelle…
Vincent C
Au tour de Vincent C, comique québécois, d’intervenir sur scène avec une impressionnante séquence de couteau passé entre ses doigts. Muni d’un bandeau, il promène son couteau entre les doigts de sa main gauche et ce de plus en plus vite… frissons garantis dans la salle. Pour finir, il plante l’arme blanche dans la (fausse) main du jeune Luca.
Grande illusion
Vincent C passe derrière un voile et se transforme en Darcy Oake, un jeune magicien-escapologiste canadien. Celui-ci est secondé par Arturo Brachetti qui, déguisé en hôtesse, lui sert de traductrice décalée. Dans un mouvement d’excès, Darcy se saisit du jeune Luca Bono, redevenu un lapin, pour le placer sur une table métallique montée sur roulettes. Un plateau est refermé sur le jeune candide tandis qu’une caméra filme tout autour de la table. Le plateau s’ouvre et Luca a disparu, comme aplati. Vincent C fait réapparaître l’adolescent derrière un voile par un effet Kellar.
Luca & Tino
Le duo comique revient pour exécuter le tour de la banane en mousse qui apparait sans fin, de la poche à la main. « C’est le numéro de la banane que je prends et que je mets dans la poche… ». La mise en scène est répétitive jusqu’à l’absurde, ou comment faire rire avec un tour basic de balles éponge, qui finit en forme de carotte (clin d’œil à Luca déguisé en lapin).
Arturo Brachetti
Nous arrivons au numéro le plus déjanté et le plus drôle du spectacle en la personne d’un vieux magicien pervers interprété par « Braguetti ». Le tour s’intitule : La braguette magique ! Entrez, entrez messieurs-dames pour une visite inoubliable, « le magasin est ouvert ».
Il commence par faire disparaître un foulard dans sa braguette ouverte, bien entendu ! Il en sort ensuite un arc en ciel de drapeaux, puis le drapeau national italien pourvu d’un énorme manche (effet du bâton télescopique du meilleur goût) ! Il sort ensuite un combiné téléphonique et répond à un appel. Il se met à fumer une cigarette et la fumée ressort par l’ouverture du pantalon. Pour finir il extrait de sa braguette un parapluie avec le mot « FIN » écrit dessus.
Darcy Oake
Dans un numéro classique d’évasion, Darcy Oake nous fait monter l’adrénaline jusqu’aux ultimes secondes. Accompagné d’une impressionnante structure, qui ressemble à une étrange sculpture évoquant une bête aux mâchoires d’acier, il va donner au public des sueurs froides.
Sur la musique d’ouverture de Psycho composée par Bernard Herrmann pour Hitchcock, il fait la description de son effroyable machine composée de 16 lames de fer et de deux mâchoires se refermant sur elles-mêmes. Il est ensuite habillé d’une camisole de force et suspendu par les pieds à 6 mètres du sol par une corde qui se consume par le feu. Sa mission : s’échapper en moins de 60 secondes (matérialisées par un chrono géant sur scène) !
Alain Choquette
Le close-up man québécois revient pour proposer au public un délicat moment de poésie en exécutant un classique de la micromagie adapté pour la scène : le fil hindou (The Gypsy Thread). Dans une scénographie intimiste, le magicien assis sur une chaise haute va manipuler, de manière tout à fait délicate, une bobine de fil fluorescent traité à la peinture ultra-violet, signifiant le fil de la vie et du temps, sur un poème écrit et récité spécialement pour lui (en voix off) par Gilles Vigneault, le Brassens canadien. « Le fil du temps » va se casser pour mieux se reconstituer. « Le fil de nos amours se refera toujours »… De la magie simple et pure qui parle de choses universelles.
Depuis le début des années 1990, Alain Choquette présenta ce tour fétiche dans les grandes salles de spectacles aux Etats-Unis et sera diffusé dans l’émission spéciale de la NBC World’s Greatest Magic ; preuve qu’avec trois fois rien, de la simplicité et beaucoup de talent, des effets de close-up peuvent prendre une dimension aussi impactante qu’une grande illusion !
Luca & Tino
Les comiques italiens reviennent dans une saynète sonore qu’ils affectionnent tant, intitulée « Ne touche pas ». Par la gestuelle et le mime, des couinements s’échappent de certains objets et autres vêtements, jusque dans le caleçon d’un des compères (classe !). S’en suit l’apparition d’un foulard, d’un chapeau, d’une perruque jaune et de colombes. La musique d’accompagnement se met à bugger et le tour du lapin dans le chapeau est improvisé avec les doigts de la main…
Arturo Brachetti
Brachetti revient avec un numéro de transformisme reprenant différentes figures de ses précédents spectacles, comme Fregoli, Le clown/chinois, le Pierrot/diable avec les deux marionnettes de l’ange et du démon, puis le gilet qui se change en drapeaux de tous les pays, jusqu’au final avec le drapeau géant.
A la fin de son passage, Arturo est ligoté par Vincent C dans une cabine avant qu’un rideau ne se referme sur lui. Il est ainsi tranquille pour proposer un tour à la salle.
Vincent C
Après avoir choisi une spectatrice, Vincent C se propose de réaliser trois choses en même temps, à savoir : un tour de carte, faire du Hula hoop et reconstituer un rubik’s cube. Il place le Hula hoop sur ses hanches, le rubik’s cube dans sa bouche et fait choisir une carte à la spectatrice, puis la fait remettre dans le jeu. Dès que le cerceau tombe par terre, il a un gage et doit retirer un vêtement. Il va sans dire que le cerceau n’arrête pas de tomber et que Vincent C se retrouve vite en slip. Mais entre-temps, il a réussi à finir son rubik’s cube et retrouve enfin la carte choisie du début, puisqu’elle est marquée sur ses deux fesses.
Vincent C retourne vers la cabine et montre qu’Arturo est toujours maintenu fermement par des chaînes. Dans un mouvement très rapide, la transposition a lieu et c’est Vincent C qui se retrouve à la place d’Arturo.
Luca Bono
Le jeune apprenti Luca arrive sur scène avec une cocotte en papier qu’il anime et qui se matérialise en colombe géante sur l’écran vidéo du fond de scène. Une plume tombe des cintres et se transforme en colombe, colombe qui se dédouble. Les colombes sont ensuite produites de diverses manières : d’une feuille de papier A4, d’une balle, d’un foulard, etc. Vient ensuite une séquence de manipulation de cartes et de production de balles. Au programme : tous les stéréotypes du numéro de manipulation vu et revu depuis des décennies. Une fois le numéro fini et subi, le jeune homme revient à ses esprits et se demande ce qu’il lui est arrivé (nous aussi !).
Que dire de ce jeune magicien italien qui joue à l’apprenti dans les deux sens du terme, autant dans son rôle de composition que dans son travail scénique. Sa prestation d’apparition de colombes a été, le soir de la représentation, une catastrophe : prises visibles, mouvements hachés et ratages en tout genre. Que cela soit fait exprès pour son rôle, on en doute et la jeunesse n’excuse pas tout. Une copie à revoir.
Final
Lucas et Alain Choquette se tiennent face à face en découpant une feuille de papier qui devient de la neige japonaise (le pêché mignon des magiciens !). Celle-ci se répand bientôt dans toute la salle avec la complicité des autres magiciens. Lucas est alors intronisé magicien et reçoit son diplôme. Tous les participants se rejoignent alors sur scène pour former une ronde autour d’une dizaine de ventilateurs qui vont léviter deux voiles, numéro repris du sculpteur américain Daniel Wurtzel intitulé « Pas de Deux ». Les deux grands voiles se mettent à tournoyer, à la fois aspirés vers le haut et chahutés de part et d’autre par le vent dégagé par les ventilateurs. Un vrai ballet poétique d’une simplicité déconcertante : les voiles se frôlent, se séparent, se poursuivent, s’écrasent au sol pour mieux repartir… Rideau.
Brachetti revient seul sur scène pour un dernier rappel et exécute une séance de Sand painting, retransmise sur un écran géant. En hommage à Paris, la ville qui l’a accueilli comme un enfant prodige, il dessine avec du sable le champ-de-Mars, la tour Eiffel et Edith Piaf. Touchant.
La technique du sand drawing (dessin sur le sable) vient de la nuit des temps et est devenue une tradition, une pratique artistique et rituelle chez certaines tribus dont celle de l’archipel de Vanuatu, qui est la plus représentative.
Dans les années 1930, l’école d’animation tchèque créa certains films en stop motion utilisant du sable. Mais c’est en 1968 que la pratique du Sand animation (dessin avec le sable) est créée avec la pionnière américaine Caroline Leaf et son film d’étude Sand, or Peter and the Wolf. Leaf instaure un mode opératoire précis : celui de déverser du sable de plage sur une boîte lumineuse, proche du dispositif de prise d’image des studios tchèques, et de manipuler les grains pour construire des figures, des textures alliés avec des mouvements image par image, filmés en plongé. Ce dispositif peut aussi être utilisé en animation live sans « montage » où l’on voit les images apparaitres, se transformer et disparaitres.
Conclusion
Ce Comedy Majik Cho, destiné au grand public, s’avère au final assez distrayant malgré l’inégalité et la faiblesse de certaines interventions. Le risque d’un « spectacle d’invités » est de tomber dans la succession de numéros décousus, ce qu’évite de justesse Brachetti en tissant un lien entre chaque artiste, même si celui-ci est cousu de fils blancs et ne fait pas dans la dentelle ! L’histoire convenue du jeune apprenti est d’une facilité déconcertante et guère originale, mais l’énergie avec laquelle tous les artistes se donnent est communicative. A défaut d’unité artistique, il y en a pour tout le monde. Les artistes qui se détachent le plus sont sans conteste Theo Dari, Alain Choquette et Arturo Brachetti. Les autres restent dans un registre gentillet, caricatural et stéréotypé loin d’une originalité propre. Un dernier mot sur Arturo Brachetti toujours parfait et impeccable dans tout ce qu’il met en œuvre, tant au niveau créatif que technique : la marque d’un très grand professionnel, d’un artiste d’exception, d’un maître !
A lire :
– Arturo Brachetti, l’homme aux mille visages.
– Brachetti fait son cinéma.
– Solo d’Arturo Brachetti.
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