Introduction
La voix de Brachetti accueille les spectateurs et donne les dernières consignes avant le spectacle. Le visuel d’avant-scène (reprenant l’affiche) commence à s’animer subtilement.
C’est par cette superbe séance d’introduction, réalisée en animation 3D, que s’ouvre la nouvelle création du maestro italien, qui nous conduit à l’intérieur de sa tête pour sonder ses rêves d’enfance qui sont aussi le reflet d’un inconscient collectif universel.
Nous découvrons alors une boîte qui tourne sur elle-même et Brachetti fait son entrée : « Bienvenue dans ma boîte, ma maison de mes rêves. » Il va ensuite nous faire visiter les sept pièces de la demeure une à une qui seront « illustrées » par des tableaux visuels.
Le salon et la télévision
Place au séjour avec la télé, qui rediffuse les émissions de sa jeunesse mais aussi des séries actuelles. Chaque extrait est le prétexte à une transformation dans une démonstration, sans temps mort, de personnages sortant du petit écran. Au programme : Happy Days, Breaking bad (un mixer et du cannabis en projection sur le décor), Star Trek (un faisceau laser et une maquette du vaisseau Enterprise), Batman, J.B Fletcher, Bart Simpson (en peluche), Wonder Woman, Baywatch, Kermite la grenouille (en marionnette), la famille Addams (effet de l’ampoule qui s’allume dans la bouche), Sherlock (avec une grosse loupe), Ghostbusters (l’apparition du fantôme gonflable avec une projection 3D pour animer les yeux et la bouche).
Le grenier et le chapeau de Tabarin
« Bonsoir les amis. La pièce de mes souvenirs est le grenier… toute une archéologie familiale des années 1970. C’est là que j’ai retrouvé le chapeau de mon pépé. Un chapeau troué… mais moi, j’ai rempli ces trous par la fantaisie… »
L’artiste exécute alors vingt-cinq personnages à l’aide d’un simple anneau de feutre noir dans la tradition du bateleur Tabarin (1584-1626). Les personnalités se succèdent avec d’Artagnan, John Wayne, Don Camillo, un cardinal, un torero, Arlequin, l’amiral Nelson, l’avocat de Citizen Kane, l’horloge Big Ben, Gloria Swanson dans Sunset Boulevard, Casanova, le capitaine crochet, un bébé, Sainte Catherine, un Kazakh du Tsar, Guillaume, Tell, le Prince Charles, Elisabeth Taylor, Scarlett O’Hara d’Autant en emporte le vent, un pompier, le 7ème samouraï et Napoléon.
W.C
Apparaît alors derrière Brachetti une ombre qui suit ses mouvements et devient vite récalcitrante. Elle se matérialise ensuite en vrai personnage ; son double joué par un comédien de couleur.
La visite de la maison familiale continue avec la pièce des enfants remplie de jouets, puis dans la salle de bain où apparaissent des toilettes. Décor, qui se matérialise en vrai sur scène.
Brachetti, assis sur le trône, va livrer une métaphore de la vie sous la forme d’un repas avec l’entrée (un bébé qui fait léviter un faux sein), le premier plat (un adolescent accro au téléphone portable), le deuxième plat (un adulte dérangé par un téléphone qui se dédouble), le dessert (une vieille femme qui boit le biberon), à la fin l’addition qui voit apparaître un squelette. La nappe sert de « rideau à transformation » entre chaque personnage.
Une séquence affreuse et de mauvais goût qui ne mérite pas de figurer dans le spectacle. Comme dirait l’autre : « au chiotte ! »
La chambre d’Arturo et les Fairy tales
C’est au tour de la chambre d’Arturo d’être visitée par la micro caméra tenue par l’ombre. Nous voyons ensuite une fée en vidéo projection, jouée par le transformiste, qui fait apparaître un grand ouvrage façon pop-up sur scène. La première du livre page représente le petit chaperon rouge avec le loup qui surgit de l’image projetée. Vont se succéder ensuite Peter Pan avec des lucioles vertes qui lévitent (flying D’light) autour de lui, Alladin surfant sur son tapis volant (avec un décor qui bouge derrière) ; puis tombant dans la rue. La saynète est parasitée par Star Wars, puis Ana se transformant en Elsa de La Reine des neiges. Le miroir de Maléfique et Blanche neige sortant de la maison des sept nains. Cette dernière est entourée d’animaux de la forêt qui sont détournés à des fins de propreté publique ! Nous entendons ensuite le Prince charmant arriver sur son cheval et s’arrêter lorsque la robe de Blanche neige est soulevée. Une grande nappe est soulevée et révèle le tableau suivant avec Shrek et Cendrillon, dont la guenille se transforme en une magnifique robe de soirée.
La chambre à coucher
La chambre de l’amour et du pouvoir, car c’était la mère d’Arturo qui portait la culotte à la maison ! « Chez nous, il y avait maman qui faisait toutes ses robes toute seule. »
Une machine à coudre est actionnée et une robe apparaît sur scène sur le rythme d’une valse. Arturo Brachetti entame alors une danse avec ce vêtement fantôme dans une belle séquence poétique.
Le jardin et le déluge
La caméra se dirige vers l’extérieur de la maison, dans le jardin où gronde un orage dans un déluge de pluie, animé par l’ombre d’Arturo dans la tradition des bruiteurs.
La cuisine et la pièce montée
Tout le monde se réfugie dans la cuisine. Dans un décor avec un grand comptoir et deux entrées, Brachetti va enchainer une incroyable performance à six personnages. Il reprend l’idée du saloon de L’homme aux mille visages, dans une scène de ménage digne de Georges Feydeau avec des personnages haut en couleur comme le pâtissier, la grand-mère en fauteuil roulant et au fusil, ou encore le marié et la mariée confondus en un même personnage suivant le profil exposé.
Ombres chinoises
Sur l’écran vidéo, tombe de la pluie puis la maison miniature se déplace dans l’orage ambiant grâce à un parapluie disposé dans la cheminée. L’ombre de Brachetti demande à ce dernier s’il peut faire « voler les ombres ». Arturo s’exécute et réalise une série d’ombres chinoises projetées sur grand écran. Nous revoyons avec plaisir ce tableau déjà présent dans ses précédents spectacles, qui voit défiler la tour Eiffel, la tour de Pise, un joueur de tambour, un cygne, une colombe, trois races de chien, une chèvre, un âne, un cerf, un éléphant, un crocodile, un requin puis un lapin.
Le couloir et les quatre saisons
« Le couloir est un lieu de passage, de transition, hors du temps. »
Brachetti s’arrête devant une fenêtre pour apprécier les heures et les saisons qui passent : « Temps, heures, jours, saisons… »
Devant un grand paravent avec projection d’image, l’artiste va revisiter de façon magistrale ses tableaux des quatre saisons. Place à l’automne en habit représentant une peinture de René Magritte avec un parapluie. C’est ensuite l’hiver sous les traits minimalistes de Piet Mondrian (plus longue est la vie). Après le tour du papier déchiré qui se transforme en poussière, le printemps de Claude Monet arrive avec ses nymphéas. Pour finir en beauté solaire, l’été de Van Gogh voit apparaître un ruban de couleur et une multitude de tournesols !
Mime sonore
L’ombre écrit différentes pensées sur des feuilles qu’il jette parterre.
« Un peu de fantaisie. Vous voyez ça ? (Arturo fait du mime), alors imaginez-le. »
Reprise de la séquence culte de son précédent spectacle Arturo Brachetti fait son cinéma où l’artiste va mimer différentes actions avec comme seule bande sonore des bruitages. La force du cinéma primitif et archaïque alliée à la précision du geste du mime.
Arrive sur scène un aveugle avec sa canne qui se transforme en l’attribut fétiche du célèbre Charlot popularisé par Charlie Chaplin. La canne se transforme ensuite en club de golf, en canne à pêche, en rame, en archet, en baguette de chef d’orchestre, en mitrailleuse, en pelle de fossoyeur, en queue de billard, en épée de samouraï puis de toréador, en perche du fil-de-fériste, en matraque de l’agent de circulation, en fouet, en flûte, en bâton de majorette, en porte drapeau…
Les bruitages sont savamment montés dans un collage du type « association d’idées ». La prouesse de ce tableau est de convoquer le transformisme sans aucun costume ! Ce n’est plus le comédien qui se travestit mais des objets invisibles. Brachetti choisit de mimer différents personnages qui se succèdent par l’intermédiaire d’un objet longiligne. Il y a mille fois plus de magie dans ce monde « invisible » que dans tous les tours de grandes illusions réunis. C’est une leçon magistrale qui se déroule sous nos yeux. Une leçon d’économie, de simplicité et de génie.
La page blanche et le Sand painting
« Nous pouvons tout imaginer dans une page blanche ou un grain de sable. »
Séquence de sand painting, déjà initié dans le spectacle Comedy Majik Cho, où Brachetti va dessiner avec du sable un tableau représentant une maison sous le soleil qui va laisser place à la pluie. Un mauvais temps qui va disparaître grâce au profil de l’artiste dessiné pour faire apparaître une éclaircie où chantent les oiseaux et fleurissent les fleurs. Une fenêtre de la maison laisse entrevoir un poste de télévision avec à l’intérieur une robe, un tas de livres et le portrait d’Arturo écrivant le titre de son spectacle « Solo ».
Une belle séquence métaphorique où le procédé de la mise en abyme fait écho avec le prologue du spectacle.
Les pensées des spectateurs
« Je vous ai ouvert toutes les portes de ma maison. C’est maintenant à vous de m’ouvrir les vôtres. »
La caméra, manipulée par l’ombre, se dirige sur le public et elle cible une personne du premier rang. La spectatrice choisie prête son sac dans lequel Brachetti sort un tas d’objets hétéroclites comme un spray aux piments, des jumelles, un sandwich, un téléphone portable.
Ce dernier est déverrouillé et nous voyons en images retransmissent des photos de chats puis la playlist musicale de cette « lady mystère ». C’est le prétexte, un peu tiré par les cheveux, pour faire la transition avec un tableau où se succèdent différents chanteurs et chanteuses.
Luciano Pavarotti (avec son costume en forme d’armoire qui s’ouvre pour laisser apparaître une pizza), Elvis Presley (qui fait léviter son pied de micro), Les Beatles (qui apparaissent un par un au-dessus d’une boîte), Edith Piaf (avec un corps de marionnette), Madonna (avec les seins qui bougent), Beyonce, Céline Dion (avec la projection du Titanic qui coule, puis le costume de la chanteuse qui s’envole), Michael Jackson et Freddy Mercury (avec le drapeau anglais).
Mondes parallèles et laser illusion
Différentes portes apparaissent en projection 3D sur l’écran, à la manière d’un tableau surréaliste de Magritte. Ces dernières s’ouvrent sur sept objets que l’on a découvert au fil du spectacle. Arturo Brachetti commence alors un combat avec son ombre avec l’aide d’un laser qui apparaît sur scène, se dédouble et s’anime à la façon des sabres rouges et bleus de Star Wars.
Les faisceaux se multiplient et construisent une prison de lumière, puis des écrans avec un voile de fumée et une boîte triangulaire où sont pris au piège les protagonistes à tour de rôle. Brachetti réussit à s’échapper de cette cage en lévitant jusqu’aux cintres de la scène dans un scintillement le confondant à une multitude d’étoiles. Il tourne ensuite comme une toupille sur lui-même et le tulle d’avant-scène fait apparaître une vidéo projection, en fondu enchaîné, représentant des portes qui sont prises dans une tornade. L’effet est saisissant de beauté et est une variation poétique de l’univers ultra codé du maître des lasers Theo Dari.
Mille pensées
La maison apparaît et se décompose avec tous les objets qui défilent autour d’elle dans un cyclone qui se matérialise sous la forme de papiers tenus par Arturo.
« Pensée n°1000 : ton ombre est heureuse de te voir voler. »
Les papiers s’envolent et se démultiplient par centaine dans un effet de projection 3D. Brachetti finit par un changement de costume, passant du noir au blanc, de l’ombre à la lumière (il termine la majorité de ses représentations solos de cette façon). Un escalier apparaît et l’artiste fait découvrir l’envers du décor aux spectateurs.
Une magnifique conclusion qui vient clore de façon subtile ce voyage intérieur fait d’artifices et de rêves, dont le public est complice.
Conclusion
Nous avons loué à de nombreuses reprises le parcours et le travail exceptionnel réalisé par le maître du transformisme contemporain, son incroyable audace artistique, sa formidable présence scénique et sa science du renouveau. Arturo Brachetti est un artiste unique au monde à la générosité contagieuse. Toutes ses créations sont le fruit de nombreuses recherches et d’un perfectionnement technique de tous les instants.
Sa nouvelle création Solo se concentre sur son histoire personnelle, celle entraperçue dans ses précédents et brillants spectacles, L’homme aux mille visages et Brachetti fait son cinéma. L’artiste reprend l’idée du grenier où il jouait étant enfant et le transforme aux dimensions de sa maison familiale, sous la forme d’une maison de poupée, en explorant toutes les pièces, une à une. Un formidable album de famille divisé en saynètes avec pour fil narrateur un parcours initiatique fait de bonheur et de désillusion. Une vision douce-amère de sa jeunesse, qui rappelle constamment l’univers de Federico Fellini (un de ses mentors) avec ses parades de personnages haut en couleur, où le jeune Arturo se projetait dans les rêves et les féeries les plus folles. Un parcours qui n’est pas dénué de fausses pistes et de maladresses.
Pour matérialiser cet itinéraire, l’artiste se fait accompagner de son double : une ombre qui le suit partout incarnée par un comédien de couleur. Une fausse bonne idée qui plombe certaines saynètes qui deviennent vite répétitives, d’autant plus que « l’ombre » a un jeu très approximatif, voire inexistant. C’est plus un faire-valoir qui est là pour compenser certaines contraintes techniques et faire « écran » pour préparer le prochain décor…
Que dire également de certains tableaux d’une vulgarité et d’une laideur indignes d’un artiste comme Brachetti. Sa scène « des toilettes » est horrible et n’a rien à faire dans un tel spectacle. On lui pardonnera également la redite de certains numéros déjà présents dans ses précédents spectacles comme le Chapeau de Tabarin, le mime sonore ou les ombres chinoises car ils sont exceptionnels et méritent d’être revus mille fois.
Arturo Brachetti fait l’effort de revisiter son mythique tableau des quatre saisons en référence à la peinture des grands maîtres modernes, de développer son travail avec les ventilateurs et le Sand painting (initié sur le Comedy Magik Cho), de donner un nouveau cadre au saloon des cowboys avec la scène de la pièce montée, de réinterpréter l’univers high Tech de Theo Dari et ses lasers, et de donner un nouveau souffle à ses démonstrations de transformiste à la chaîne avec l’utilisation de la projection 3D et du mapping. Paradoxalement, ce que gagne le spectacle en nouvelles technologies numériques, il le perd en magie ; les premières remplaçant souvent la seconde. Les projections ne sont pas toujours pertinentes et esthétiques, étouffant souvent l’artiste qui se contente du minimum en terme de jeu, dommage.
Malgré certaines réserves, Solo reste un formidable spectacle où l’on voit Brachetti se réinventer devant nos yeux, prendre de nouvelles pistes en ayant l’art d’utiliser différents domaines d’expressions et se les approprier pour les fondre dans son univers nostalgique. Un univers qui, loin d’être passéiste, est porté par un vent de modernité propulsant chaque spectateur dans ses souvenirs les plus intimes pour mieux accepter le présent et ne pas oublier que toutes les utopies sont possibles.
Le 13ème Art
Un mot sur la salle de spectacle du 13ème Art ouvert en septembre 2017 ; cette ancienne salle de cinéma (2ème plus grand écran de Paris, à l’époque, après le Grand Rex) a été réhabilité en théâtre malgré des proportions inadaptées. Une scène à l’ouverture gigantesque pour une profondeur ridicule et une jauge de 900 places qu’il faut remplir ! Des contraintes qui seront préjudiciables à nombreux spectacles malgré la diversité et la qualité de la programmation de ce nouveau lieu culturel qui se veut éclectique. Et nous ne parlons même pas de la seconde salle mal foutue et de l’entrée du théâtre, au niveau moins 1 du centre commercial Italie 2, d’une conception surréaliste et dangereuse pour le public avec ses escaliers envahissants !
A noter que ce lieu a été financé par le groupe Juste pour Rire (le plus grand festival d’humour au monde) et pas de censure concernant son fondateur et ancien directeur Gilbert Rozon (en pleine tourmente judiciaire à la suite d’allégations de harcèlement et agressions sexuelles) qui figure dans les programmes (édito et spectacle programmé en début 2018), présomption d’innocence oblige… C’est à Olivier Peyronnaud, directeur de Juste pour Rire France, et Adeline David qu’a été confiée la direction du lieu. On leur souhaite bon courage dans la jungle de l’offre culturelle parisienne !
A lire :
– Arturo Brachetti, l’homme aux mille visages.
– Brachetti fait son cinéma.
– BRACHETTI and Friends / Comedy Magik Cho.
– Fregoli.
A visiter :
– Le site d’Arturo Brachetti.
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