Pouvez-vous nous parler de votre enfance et de votre rencontre avec la magie ?
Je suis née à Paris en 1964. Je suis la dernière d’une fratrie de six enfants (Maïlys, Oona, Xavier, Audrey, Yann et moi). Nos parents James et Liliane (Liane pour la scène) Hodges voulaient, au départ trois ou quatre enfants, et la vie leur a apporté une grande et belle famille ! Je n’ai jamais « rencontré » la magie puisque je suis née dedans. Enfant, ce n’est pas forcément la prestidigitation qui me touchait le plus, je préférais les marionnettes. Je me souviens avoir assisté à un spectacle qui m’a marquée, les Mummenschanz, un mélange de mime, de théâtre, de marionnettes avec des formes plus originales les unes que les autres, c’était féerique et très singulier ! Papa a travaillé un temps dans cet esprit-là.
Je suis aussi sensible à l’univers de Philippe Genty, qui mélange danse, marionnettes, dans une ambiance onirique et surprenante, saupoudrée de quelques effets magiques, tout comme celle de James Thierrée. Je suis plus intéressée par un spectacle ou un projet qui regroupe diverses formes artistiques. D’ailleurs, enfant, James Hodges nous a plus amené dans des spectacles d’art total que juste de magie. La danse et la chorégraphie étaient très importantes pour lui. On pouvait dire qu’on aimait ou pas un spectacle, une peinture ou autre, mais il fallait toujours expliquer pourquoi.
Du côté associatif, enfant et ado, j’ai suivi mes parents au CFIJD (conférences et galas) puis à l’AFAP, mon premier congrès est celui de 1978 à Versailles. Depuis 1993, c’est un rendez-vous annuel que je ne manque pas. J’ai fait partie des collectionneurs AFPAM et maintenant nous sommes à MHC. Bien que nous n’habitions plus Croix près de Lille nous faisons toujours partie, malheureusement de loin, de « Magie en Flandre ». C’est d’ailleurs Jean-Claude Despelchin (Gill Frantzi), un de ses membres et ami qui m’a fait l’honneur d’une très belle caricature dans la revue de la prestidigitation. C’est ainsi que nous avons un pied dans la FFAP.
Justement, quelles valeurs vous a inculqué votre père, comment s’est fait son éducation, notamment sur le plan artistique ?
James travaillait beaucoup à la maison, ce qui fait que nous avons eu la chance d’avoir nos parents pour nous, pendant toute notre enfance et de nous imprégner de leurs idées, de leur savoir et de leur curiosité qu’ils nous ont transmis.
Ça nous a permis aussi de rencontrer énormément d’artistes qui venaient à la maison répéter ou construire un projet. Je me souviens de Jo Patrick (qui m’a aidé à me perfectionner sur Photoshop à la fin des années 1990), Gérard Majax et toute la joyeuse bande de la Caverne d’Abracadabra – Gaëtan Bloom, Gérard Kunian, Paul Gormand -, de Michelle et Ernest Ostrowsky qui ont repris le numéro de « lumière noire » Omar Pasha, numéro joué aujourd’hui par leur fils Louis-Olivier, de Michel Hatte, de François Colin dont le numéro devient surréaliste après l’intervention de Papa, d’Hylarouf, d’Otto et Christa Wessely, de Dominique Webb, puis plus tard, de Sylvain Mirouf, Christophe Rossignol, de K’roline – Caroline Marx -, d’Alice Ecila, d’Antioche et Zegora, de Mikaël Szanyiel, de Françoise et Bertran Lotth, de Philippe Bonnemann, de Gérald Le Guilloux, de Betty et Michaël Ross, d’Antonin Dupel et de tant d’autres…
À l’école et au collège, j’avais énormément de mal à décrire le métier de Papa, qui était à la fois chorégraphe, marionnettiste, ventriloque, prestidigitateur, peintre, illustrateur… D’ailleurs lorsque j’ai réalisé son interview en 2012 à la demande de Claude Nops pour la revue L’Illusionniste n°382, je me souviens de ma première question : « Quel est votre métier ? »… Ceci-dit il en allait de même pour Maman, je ne pouvais pas dire qu’elle était femme au foyer alors qu’elle était à la fois scripte, partenaire, secrétaire, comptable….
Beaucoup de mes souvenirs sont au cœur des années 1970, lorsque je suis devenue suffisamment âgée pour participer, et avant qu’un accident de sport me cloue dans un fauteuil roulant en 1980, m’obligeant à réviser mon « plan de vie ». Ce sont les années CFIJD – Cercle Français de l’Illusion Jules Dhotel -, devenu CFI – Cercle Français de l’Illusion – en 2002. Il y avait aussi des conférences de Goshman, Ali Bongo, etc. Je me souviens d’un repas au restaurant où Papa et Ali Bongo ont échangé par petits dessins sur la nappe en papier lorsque le vocabulaire franco-anglais leur manquait ! Jacques Delord était venu, avec sa fille Delphine, nous avions échangé et je me souviens l’entendre se plaindre d’avoir un perroquet bruyant dans sa chambre ! Alors que dans mes souvenirs, j’aimais dormir dans le séjour de notre maison de vacances pour avoir le plaisir d’entendre nos perroquets ! Comme quoi…
Au milieu des années 1970, Loulou (Gaëtan Bloom) était souvent à la maison. Papa l’avait rencontré dans un cercle magique quand il devait avoir quinze ans. Pour faire travailler leur créativité pendant nos vacances, Papa et Gaëtan avaient mis en place un petit rituel. Le soir, ils disposaient quelques objets sur la table, par exemple : un bout de ficelle, une pince à linge et un réveil, et le matin, ils devaient avoir trouvé un tour de magie avec ces objets. Plus tard, je me souviens aussi de Gérald Le Guilloux qui venait répéter dans notre maison de vacances pour faire apparaître des colombes. Il avait choisi de le faire torse nu !
Tout ce petit monde et cette effervescence artistique et créative étaient propices à un bel épanouissement artistique pour un enfant. J’aimais beaucoup voir pendant les répétitions, comment les idées venaient, et comment une idée pouvait en amener une autre. Ce processus de construction m’a toujours fascinée. James nous a aussi, bien sûr, donné beaucoup de conseils de dessins. Papa disait souvent : « Il vaut mieux un petit dessin qu’un long discours » et Maman disait exactement l’inverse : « Il vaut mieux un long discours qu’un petit dessin ». James et Liliane, toujours complémentaires !
James nous aidait à monter nos spectacles d’enfants. Je me souviens d’un film Super 8 dans lequel il avait filmé une de nos représentations. C’était toujours très humoristique. On pratiquait énormément l’humour en famille, l’absurde, la fantaisie, le surréaliste « un couteau sans lame auquel ne manque que le manche… ». James Hodges disait souvent : « Le plus important dans la vie, c’est d’avoir envie de faire des choses. » Et il ajoutait, avec humour, et un sourire malicieux : « Bon, si vous avez, un jour, envie d’être boxeur, je n’aimerais pas tellement… mais je vous soutiendrai ». Il disait aussi : « Oui, tu as raison, mais, attention à ça et à ça… ». Il ne fallait pas faire du « déjà vu » avec James, car ça l’ennuyait. On pouvait reproduire et copier pour apprendre mais, il fallait ensuite en sortir pour créer quelque chose de nouveau, de personnel. Il nous a toujours poussé, naturellement, à la créativité. PapaMaman nous faisaient découvrir un maximum de choses et ensuite nous choisissions notre voie suivant nos sensibilités.
James aimait s’occuper des jeunes. Je me souviens qu’entre 1975-77, il mettait en scène la première partie du Gala annuel du CFIJD. J’y ai participé en 1977, et les années précédentes, j’avais assisté aux répétitions. Dans ce cadre, venaient à la maison, entre autres, Jean Merlin, Gaëtan Bloom, Quoc Tien Tran, Claude Kapp, Cirs et Nops (Jean-Pierre et Jean-Claude Crispon), François Colin, Guy Lore, Pierre Spiry, Christan Gambin, Doudou, etc…
En 1982, James Hodges a participé à la création d’un spectacle magique, Carré Magique au Carré Silvia Monfort. Quelques années avant le Nouveau Carré, donnant des cours de magie, pour faire la publicité à la télévision, ils avaient besoin d’enfants. Papa a demandé, à ses enfants, qui souhaitait y participer. Yann et moi avons souhaité tenter l’expérience. Yann a fait la publicité puis a affirmé : « La scène plus jamais ! ». Pour ma part, j’ai fait le tour des trois cordes en direct, j’ai eu le trac, certes, mais surtout une immense envie de recommencer ! J’ai enfin pu voir la vidéo, pour la première fois récemment, grâce à Didier Morax qui avait cette séquence dans ses archives.
Comment travaillait votre père ? Sur quels projets avez-vous pu le suivre quand vous étiez plus grande ?
En 1992, je suis revenue vivre sur Paris et je me suis beaucoup rapprochée de mes parents. Ils gardaient mon fils lorsque je travaillais et, en échange, je leur servais de chauffeur de taxi. Ça a été des moments très enrichissants pour moi, cela a duré environ dix ans. Après Papa a trouvé qu’il n’avait plus assez de souffle pour faire le ventriloque et un peu plus tard, j’ai quitté Paris. Pendant cette période, j’ai souvent amené PapaMaman au Grand Parc du Puy du Fou, et j’ai suivi de près les premiers spectacles magiques au Futuroscope, lieux dans lesquels ils travaillaient avec Bertran Lotth sur les mises en scène, les effets spéciaux. J’ai même donné, un jour, un petit coup de main à la réparation de heaumes pour le spectacle de Chevalerie du Grand Parc… Il y avait aussi le Château de Gilles de Rais à Tiffauges pour lequel Papa a créé les spectacles et effets spéciaux.
J’ai vécu la grande aventure de la création de la Maison de la Magie de Blois. Mes parents travaillaient alors sur différents projets avec Christian Fechner et Georges Proust. Le seul « projet Fechner » pour lequel Papa m’a demandé un peu d’aide était pour la maquette de la future Maison de la Magie de Blois. J’ai participé à l’ameublement de la maquette, juste avant qu’elle soit présentée à Jack Lang, entre autres, dans les bureaux FCF. Papa a réalisé les mises en scène d’une dizaine de spectacles entre 2002 et 2010 pour la Maison de la Magie avec Arnaud Dalaine, devenu depuis directeur des lieux, et Soria Ieng, entre autres. Il a aussi exposé des illusions d’optique dans la salle des illusions permanente et lors d’une exposition temporaire. À la fin des années 1990 j’ai aussi réalisé le dossier de présentation de L’Hallucinoscope de Gérard Majax. C’est à cette époque que j’ai beaucoup travaillé avec Georges Proust, le directeur de l’Académie de Magie / Musée de la magie (à Paris), et Bogdan Murat son bras droit pour l’édition.
Parlez-nous de votre carrière professionnelle et magique ? Quelles rencontres ont été décisives dans votre vie ?
J’ai fait des études d’art avec, dans mon cursus final, une spécialisation en infographie. J’aurais aimé être enseignante, mais ça ne s’est pas fait. Au cours de mon mémoire de maîtrise j’ai réalisé des « arcimboldesques » dont un prestidigitateur. Si ma maîtrise s’articulait autour de la gestalt théorie et des illusions d’optique, le sujet de mon DEA tournait autour de la psychologie du double « L’absence et la présence du moi ». C’est à cette période que j’ai réalisé des installations sur le thème du double, dans l’une, la projection sur un mur, de l’ombre d’une toile de jute ficelée qui tournait sur elle-même, formait des profils, dans une autre, des ambigrammes.
Aujourd’hui je suis maquettiste pour la presse. J’ai travaillé pour plusieurs magazines, cependant depuis de nombreuses années, je travaille pour L’Eperon, qui est devenu un hebdomadaire numérique dans le domaine équestre, en plus du site et de quelques numéros spéciaux papier. Depuis toute petite, je suis passionnée par les chevaux. Je possède d’ailleurs, avec Jean-François, mon mari, quatre équidés qui vivent chez nous – enfin pas dans la maison ! -. Après ma paraplégie, je suis passée de cavalière à meneuse, j’ai fait de la compétition d’attelage, aujourd’hui, c’est juste un loisir. En 2012, nous avons créé, Jean-François et moi, une chorégraphie attelée. Je menais les chevaux dans une voiture d’attelage et lui créait à chaque passage des chapeaux de Tabarin différents, le mien et le sien : Antoinette et Napoléon, les chinois, les pirates. C’est d’ailleurs Pierre Switon qui m’a offert mon chapeau de Tabarin ! Je vous l’ai dit, j’ai un faible pour les « arts annexes » à la magie. Mais nous avons aussi fait un numéro de cordes avec Jean-François, mis en scène par Papa : Trois cordes et quatre mains…
Quand j’avais dix-quinze ans, j’ai fait pas mal de spectacles, au CFI, à la télévision, avec mes camarades (de classe ou de vacances). En 1980, à l’âge de seize ans, je me suis mise aux ballons, grâce à Jean Merlin. Plus qu’un collaborateur, Jean est un véritable ami de la famille. Pendant neuf ans, il est venu tous les ans, douze à quinze jours, sur notre lieu de vacances pour élaborer et réaliser, avec Papa, les numéros de l’année de Mad Magic. C’est Jean qui m’a appris la sculpture sur un seul ballon pour m’occuper pendant ma convalescence, après mon accident. À l’école j’étais tombée des barres asymétriques, il n’y avait pas de parade (personne qui réceptionne en cas de chute), et je suis restée depuis paralysée. Jean Merlin voulait écrire un livre sur les ballons. Pour le plaisir du défi, je me suis donnée l’été pour écrire le mien pour qu’il sorte à la rentrée, avant le sien. J’ai réalisé les dessins, avec l’aide de Papa qui m’a donné des conseils et intitulé le livre Ballonomany n°1. Par la suite, Jean Merlin m’a remerciée d’avoir écrit ce livre, car ça l’a forcé à sortir de sa zone de confort et à écrire son magnifique Grand livre des ballons. Par choix, je me suis spécialisée dans la sculpture avec un seul ballon. J’en fait régulièrement dans des cercles privés et, pendant mes études, j’en faisait dans des écoles, des centres de loisir et des patronages pour me faire un peu d’argent de poche. J’ai toujours fait de « l’animation ballon » en faisant participer les gens. L’an dernier (2022), j’ai malheureusement fait un long séjour à l’hôpital : ballons et magie des cordes furent au programme en salle de kiné. J’ai animé quelques ateliers magiques ou de sculpture sur ballons dont un avec Max Le Riochet, en 1997, dans un centre commercial de la région parisienne.
En Juin 2000, j’ai participé, en simple congressiste, à mon premier Millenium Jam, où j’ai rencontré des « ballooners » : Bidou, Arthur Tivoli, M.-F Duchamps-Hennion, Sylvain – Syl Ballon -, Atchoum, que j’ai toujours plaisir à croiser ici ou là. Je me suis essayée un peu à la ventriloquie et même si j’étais plutôt à l’aise, j’ai vite réalisé que ce n’était pas mon truc. J’ai participé à quelques rencontres des ventriloques francophones A2voix, préparées et animées par Jo Maldera et réalisé un petit compte-rendu de l’édition 2014.
J’ai participé à l’élaboration d’un livre avec Papa, le TrombinoGram. Un peu dans l’esprit d’un Tangram où l’on doit créer différents objets, personnages ou animaux avec des morceaux de bois, ici, le principe est de réaliser divers visages avec les mêmes éléments de base, une variante du « peintre chiffonnier ». J’ai beaucoup aidé Papa depuis que l’édition des livres est passée au numérique, c’est à dire à partir du milieu des années 1990. Maman écrivait les textes sur les indications de Papa et, moi, je reprenais l’ensemble, dessins et textes, je corrigeais, réécrivais, mettait en page, et je lui ai indiqué quelques erreurs de conception. J’ai ainsi travaillé sur les cinq tomes des Grandes illusions (1997-98-99), Les Grandes Illusions – Tome I, II et III (2001), Illusions Théâtrales – Tome IV (2005), Exercices de Style – Illusions Théâtrales – Tome V. J’ai ensuite travaillé en 2000 sur L’œil optique, en 2003 sur Un bon tuyau magique, en 2004 sur Nouvelle Universal, en 2005 sur La Magie qui cartonne, en 2009 sur Les entresorts – Les trucages du corps dans lequel la couverture est un photo-montage fait par Jean-François, en 2010 Théâtre, Lumière Noirs Magiques, en 2011 Carnets de note 1 et 2 et en 2012 La Magie rit et Corps à Corps optique.
Papa a aussi illustré des centaines de tours de l’Académie de Magie Georges Proust. J’ai tapé des explications de tours pour qu’ils « rentrent » dans la mise en page prévue. J’ai travaillé pour Georges Proust sur d’autres livres, comme en 2003 pour Carmelo, Une magie originale, ou en 2004 pour Gilbert Raimond avec Bienvenue dans mon univers. J’ai fabriqué des fleurs à ressort, et des journaux à transformation (change rapide de masques) pour Georges. Lorsque Papa réalisait des constructions animées en papier, il me demandait de les réaliser et d’en finaliser la notice de montage. Je réalise aussi des BD « 3 cases » dont Le Chapeau. Des jeux de mots ou de situations avec un dessin réduit au strict minimum. Ce Chapeau était paru dans deux ou trois Magic-press, petits catalogues de L’Académie de Magie Georges Proust, où je participais à la mise en page avec Papa. J’aime écrire et dessiner, j’ai publié de temps en temps sur le net, sur notre (Jean-François et moi) propre blog : Art’moureusement vôtre, mais aussi sur Fulgures, Fanes de carottes – un blogzine de (science) fiction -, Le Défi du samedi, etc. Il m’arrive encore de publier ici ou là et sur Facebook.
D’autres membres de votre famille sont-ils dans le milieu artistique?
La fibre artistique est dans les gènes familiaux, en effet, jugez-en plutôt !
Commençons par ma grand-mère maternelle, Henriette Humbert qui était danseuse étoile au Châtelet et, ensuite, capitaine des Bluebell Girls. Margaret Kelly qui se produisait aux Folies Bergères, devait son surnom, Miss Bluebell, à la couleur de ses yeux bleu jacinthe. Ma grand-mère a ensuite donné des cours de danse classique que j’ai suivis deux ans. Papa a connu sa belle-mère avant de connaître sa femme, lors de représentations artistiques. Mon grand-père maternel, André Valot, était baryton et jouait du violon. Il se produisait à l’Opéra-Comique mais ce n’était pas son métier principal.
Côté paternel, Joseph Hodges était tapissier décorateur et travaillait pour le Musée du Louvre et pour des vedettes de l’époque. Il fabriquait des automates et des jouets pour son fils, James Hodges, dont un train qui faisait tout le tour de sa chambre et, pour lequel, il ne fallait pas oublier de rabaisser les planches – les rails – au niveau des portes et des fenêtres, afin qu’il ne tombe pas ; s’il déraillait c’était l’éclat de rire assuré. Joseph pratiquait la magie en amateur et a initié son fils. Il est décédé des suites des camps de concentration. Ma grand-mère paternelle, Florence Hodges, cousait très bien et fabriquait des poupées et des marionnettes pour James. Papa est né dans une famille très créative.
Maman, Liliane, a fait un peu de danse et a suivi des études de secrétariat. Elle a rencontré James Hodges à seize ans et elle s’est mariée à dix-huit ans. Elle était la partenaire « à l’ancienne » de Papa. Il essayait de la faire jouer et l’a toujours mise en valeur. Mais je pense qu’elle aimait son rôle de faire valoir.
James Hodges est sorti des camps d’affamement en 1941 ou 42 avec sa mère, il avait quatorze ans. Il n’avait pas le droit de travailler et devait signer tous les jours à la kommandantur. Pour gagner de quoi se nourrir, il faisait de la magie et de la ventriloquie pour les relations de son père, dans des salons privés. Vers seize ans, il se grimait en noir pour paraître plus vieux, sa poupée de ventriloquie s’appelait Zumba. Suite aux camps, il avait contracté la tuberculose et n’avait qu’un poumon pour respirer et faire de la ventriloquie. Il passa un an dans un sanatorium pour se soigner où il devint ami avec le réalisateur Gérard Brach et Marc Marceau, un ancien trapéziste, qui fut un temps son partenaire. Après-guerre, il parti travailler dans plusieurs cirques avec différents numéros : déguisé en Charlie Chaplin, en Auguste, avec un numéro de journal coupé au fouet, de cuillères musicales sur une chaise dont chaque pied, chaque barreau avait été étudié pour produire un son différent lors du frappé, etc.
Très tôt, Papa a eu une très large palette artistique, à la fois chorégraphe, marionnettiste, ventriloque, prestidigitateur, peintre, illustrateur, fournisseur d’idées… Dans des spectacles de David Copperfield et Siegfried & Roy, certains effets sont de lui.
James a travaillé sur énormément de projets dont certains qui n’ont pas aboutis, comme le musée Kafka ou le musée Gaston Lagaffe, mais, pour lesquels il a fait des dizaines et des dizaines de croquis. Il s’est énormément impliqué dans les spectacles du Puy du Fou. Il a réglé la mise en scène et les effets spéciaux des spectacles : La Chevalerie où le bouffon se retrouvait empalé sur la corne d’une licorne, et Le Magicien Ménestrel. Il s’est occupé des effets spéciaux du Bal des oiseaux fantômes avec une lévitation au dessus d’un lit à baldaquin, de La légende de Saint Philibert où celui-ci disparaissait en laissant place au vol d’une colombe, et des Arènes gallo-romaines. Il a aussi monté un spectacle de marionnettes Pigouille et Celina. Pour chaque spectacle, James faisait un story-board, au total plusieurs centaines de dessins.
En 1974, il a travaillé sur Le Grand Guignol revient… au Théâtre de l’Européen, en collaboration avec Christian Fechner. J’étais trop jeune pour aller voir le spectacle, alors, ma sœur, Maïlys, a enregistré le spectacle en douce sur son lecteur-enregistreur de cassettes et, le soir dans notre chambre, elle me faisait écouter le spectacle avec moult détails descriptifs !
James Hodges a travaillé sur de très nombreux jeux de cartes répertoriés, pour une partie, dans Cartagogo et de nombreux jeux de société. Papa travaillait pour France cartes, Miro company, Capiepa, etc. J’ai beaucoup joué avec Le Jongleur, Magie autour du monde (Gérard Majax) et L’apprenti sorcier. Nous avons tous fait « mannequin » pour des boites de jeux (Capiepa / Miro entre 1974 et 1976) sauf ma sœur aînée qui avait déjà quitté la maison. Quand notre sœur aîné, Maïlys a dit qu’elle allait faire des études de biochimie, ça a été un choc pour mes parents. Ils ont dit oui, tout de suite, mais ce n’était pas du tout leur univers. Maïlys a toujours aidé Papa pour confectionner des marionnettes. Elle a un talent pour ça.
Oona s’est, très jeune, spécialisée en chant, danse et comédie car elle voulait jouer dans des comédies musicales. Elle a eu le premier prix de magie féminine à Caen en 1974 et elle a fait la couverture du Journal de la Prestidigitation n°303. Elle a suivi Papa dans différentes aventures comme La Caverne d’Abracadabra car « toute expérience scénique est bonne à prendre », disait Papa. Oona a créé, avec Patrice, son mari, auteur-compositeur-interprète, la compagnie Patchwork qui propose principalement des créations musicales pour enfants, mêlant théâtre, chansons, masques, marionnettes et plein d’autres surprises ! Papa était leur metteur en scène. Et j’ai réalisé quelques uns de leurs dossiers de presse et flyers en formant Patrice à la mise en page.
Xavier a une formation de photographe et de vidéaste. Il a repris le numéro de Papa en « lumière noire », puis il l’a personnalisé. Il travaillait seul en scène ce qui est exceptionnel dans cette discipline ! C’est un grand collectionneur de vidéos de spectacles de magie. À une époque, il a fourni des idées d’artistes pour les émissions de Patrick Sébastien. C’est un « acharné » de télévision et de chaînes multi-pays. Il passe son temps à découvrir des artistes et à les enregistrer. Il a aussi fait pas mal de close-up. Audrey a fait une école d’art graphiste et est maquettiste pour la presse, comme moi. Mais elle ne pratique ni magie ni arts annexes. Yann dessine très bien mais n’a pas voulu en faire son métier. Il a préféré passer de l’autre côté de la barrière et est représentant en bandes dessinées. Il fait du close-up pour ses amis.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’ai éprouvé beaucoup d’influences. Mais mes parents m’ont appris à être moi plutôt que de vouloir ressembler à quelqu’un d’autre. J’aime lire. J’aime toutes sortes de musiques mais j’ai un faible pour la chanson française, celle avec de beaux textes. Je suis curieuse de tout et dès que j’ai l’occasion de découvrir quelque chose, je n’hésite pas. Je n’aime pas forcément un artiste en particulier. Je ne suis pas une inconditionnelle. Même chez Papa, je n’aime pas tout. J’aime me nourrir de la diversité. J’ai beaucoup aimé certains spectacles de Bartabas et d’autres m’ont moins plu, mais ils sont appréciés par d’autres spectateurs, il en va ainsi de l’art ! J’aime le mélange arts et science, le côté scientifique dans l’art. J’ai beaucoup été inspirée par le livre Gödel, Escher, Bach : les brins d’une guirlande éternelle de Douglas Hofstadter qui compare mathématiques, gravure et musique dans leur forme leitmotiv. J’ai toujours été plus attirée par la sculpture et même la gravure que par la peinture.
Quel travail effectuez-vous, pour perpétuer la mémoire de votre père ? Parlez-nous des ouvrages parus depuis qu’il nous a quitté (Cartagogo, La Magie des chaises, Le pays du dessus-dessous) ?
En 2009 j’ai créé un site Internet sur tout le travail de James Hodges, Galerie d’un artiste inclassable, car, il a commencé, à cette époque, à parler de son passé. J’ai eu envie de faire un catalogue exhaustif en virtuel. Ma sœur Maïlys a fait beaucoup de recherches, ainsi que Jean-Claude Piveteau, magicien collectionneur. C’est très difficile de répertorier tout le travail de James Hodges car il a fait énormément de dessins dans la presse, des affiches uniques pour le cinéma et le milieu magique, énormément de jeux de cartes et de société, etc. Il a eu plusieurs signatures et plusieurs pseudos sans parler de tout ce qu’il n’a pas signé et de tous les projets restés sans suite.
Pour Cartagogo, l’idée est venue de Jean-Claude Piveteau, il l’a proposé à la FFAP et l’imprimeur a été trouvé par Serge Arhial, qui en 2006 a consacré toute une partie du congrès d’Arcachon à James Hodges. À cette occasion, j’ai réalisé le programme du congrès et lu un texte sur scène, en hommage à Papa. J’ai même en grande partie mis en page un catalogue de l’exposition proposée à Arcachon sur la carrière de James Hodges, que ne n’ai pas publié. Bref, au départ Cartagogo devait aussi être une exposition des cartes à jouer dessinées par Papa, mais trop compliquée à mettre en place rapidement, seul le petit catalogue – que j’ai mis en page – a vu le jour et a été offert aux congressistes en 2019.
En 2020 est sorti le livre La Magie des chaises. J’ai travaillé dessus avec Papa pendant cinq ans. Il en rajoutait tout le temps et me disait : « Ce n’est pas une répétition, c’est une variation ! Laisse, laisse, il faut que tout le monde y trouve son compte ! » En 2022 est sorti Le Pays du dessus dessous, qui a été conçu par Papa comme un spectacle familial pour initier les enfants aux illusions d’optique.
Parlez-nous des projets à venir avec l’Académie de Magie Georges Proust (Les ombres blanches – Silhouettes dansantes – Mes anamorphoses –Magie et poésie)
À ma connaissance, Georges Proust ne travaille pas dessus, pour l’instant. Son grand projet est celui d’une université de la magie. Si je peux l’aider, ce sera volontiers. Je pense que Les ombres blanches est un recueil de silhouettes découpées où quand on projette la lumière dessus, ce n’est pas l’ombre mais la lumière qui forme le dessin. James Hodges a fait le portrait d’un certain nombre de magiciens. Il a dessiné énormément d’anamorphoses. Georges doit avoir beaucoup de dessins sur ce sujet. Enfin, Magie et poésie, Papa a toujours eu très envie de travailler sur la poésie. Avouons-le, c’est Georges le mieux placé pour parler de ses projets plus ou moins avancés !
Quels autres projets avez-vous en cours ? Quels sont vos projets personnels ?
J’ai sorti En roues libres en 2020, un recueil de témoignages écrits – textes courts – ou dessinés, publié aux éditions de textes en images, association loi 1901 crée par Jean-François et moi. Après Le Pays du dessus dessous, nous travaillons désormais, selon les indications de Papa, sur L’incroyable voyage de A à Z qui est un livre pour enfants sur l’apprentissage des lettres. Il fait parti d’une série de neuf livres envoyés au début des années 1990 dans un pays de l’Est pour être imprimés et qui ont été perdus. Plus de vingt ans après James Hodges a retrouvé les brouillons. J’espère avoir assez de matière pour finaliser un ou deux autres de ces livres.
J’ai commencé à écrire un livre sur des anecdotes familiales, sur nous, enfants, et sur nos parents. J’ai, enfin, un projet de livre que je souhaite, pour l’instant, garder secret, qui concerne des dessins de Papa. Dans les projets liés à Papa, 2023 devrait voir la naissance d’un « Cercle James Hodges » avec Maman en présidente d’honneur, il va s’en dire. C’est Jean-François qui s’occupe, en ce moment même, de rédiger les statuts. En substance, l’association a pour objet l’étude de l’œuvre de James Hodges sous tous ses aspects et sa mise en valeur ainsi que sa diffusion et sa promotion, mais aussi de regrouper des illusionnistes.
– Interview réalisée en juin 2023.
Publications en auteur principal :
- 1980 Ballonomany n°1
- 1993 Images doubles – Figures duelles (mémoire de maîtrise mis en page par Jean Merlin)
- Dans les années 2000 quelques publications personnelles d’environ cinquante exemplaires chacune : Le Chapeau – Devenir magicien en 10 leçons (BD), Jeux de mots – Jeux de chevaux, Textes choisis, etc.
- 2020 En roues libres
Publications auxquelles Vanina Hodges a travaillé aux éditions Georges Proust :
- 1996 Trombino-Gram
- 1997 Les grandes illusions
- 1998 Les grandes illusions – Tome II
- 1999 Les grandes illusions – Tome III
- 2000 L’œil optique
- 2001 Illusions Théâtrales – Tome IV
- 2003 Un bon tuyau magique
- 2003 Une magie originale – Carmelo
- 2004 Nouvelle Universal
- 2005 La magie qui cartonne
- 2005 Exercices de Style – Illusions Théâtrales Tome 5
- 2009 Les trucages du corps
- 2009 Les entresorts (avec C. Fechner et G. Proust)
- 2009 Bienvenue dans mon univers – Gilbert Raimond
- 2010 Théâtre, Lumière Noirs Magiques
- 2012 La Magie rit
- 2012 Corps à Corps optique
- 2013-2015 Créations d’illusions théâtrales
Publications auxquelles Vanina Hodges a participé au projet :
- 2008 Des trucs pour épater les nanas -I- (Éditions Georges Proust)
- 2008 Des trucs pour éblouir les nanas -II- (Éditions Georges Proust)
- 2011 Carnets de notes de recherches et de création 1 et 2 (Éditions Georges Proust)
- 2022 Le Pays du dessus dessous (Éditions de textes en images)
À visiter :
– Le site consacré à James Hodges.
Crédits photos et documents : Vanina Hodges, Xavier Hodges, Xavier Belmont. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.