Notes prises par Gérard Kremer, collectionneur, complétées par Anne-Marie Quévrain.
Cette journée, a été organisée par la Cinémathèque Méliès et l’APAV dans l’auditorium de la Halle Pajol à Paris 18ème. Cet événement1, consacré à la magie et au cinéma, a proposé quatre conférences, abondamment documentées, sur la carrière de Méliès, une table-ronde sur la numérisation et la restauration des films, une projection de films de Méliès récemment numérisés en 4K par Hiventy / Transperfect Média, et la remise de la médaille Méliès à Gérard Majax, magicien et homme de télévision de réputation mondiale. Cet événement a été l’occasion d’éditer une brochure numérotée, publiant pour la première fois l’exacte retranscription d’un manuscrit rédigé par Georges Méliès en 1936, édité ensuite sous l’intitulé Mes Mémoires avec des modifications apportées au manuscrit par les éditeurs.
I – Georges Méliès et le théâtre Robert-Houdin
Pascal Friaut, Président de la Cinémathèque Méliès, professionnel de la post-production et magicien collectionneur, souhaite la bienvenue à tous puis rappelle la vie de Méliès, de la richesse à la ruine, et l’importance du théâtre Robert-Houdin dans sa vie, qui est le thème de cette conférence.
En 1845, l’horloger Jean-Eugène Robert-Houdin fonde, au Palais Royal de Paris, le « théâtre des Soirées fantastiques ». Là, il alterne de prestigieux numéros d’illusion, des présentations d’automates de sa fabrication et des projections de lanterne magique, le tout accompagné au piano. Un succès pendant sept années. Robert-Houdin se retire en 1852, et le théâtre va passer de main en main, d’abord celles du gendre du Maître : l’illusionniste Hamilton qui renomme et transfère le « théâtre Robert-Houdin » au 8, boulevard des Italiens, puis dans celles de Clévermann. Enfin, Émile Robert-Houdin (fils du Maître) prend la direction du théâtre en 1877 ; à sa mort en 1883, sa veuve s’associe avec Dicksonn, dont elle se sépare peu après. Puis elle s’associe avec Émile Voisin, fabricant et marchand de trucs à Paris.
Mais le théâtre devient moins rentable et c’est une relation de Voisin, un jeune homme de la bourgeoisie parisienne, passionné de magie, Georges Méliès, qui le rachète à la veuve d’Émile en 1888, ce qui contrariera Dicksonn plus tard. Issu d’une famille de fabricants de chaussures de luxe, Méliès s’intéresse à tout sauf à la chaussure. Il préfère peindre, dessiner, caricaturer. Pour le détourner d’une carrière artistique, ses parents l’envoient à Londres pour y apprendre l’anglais. Là, il fréquente assidûment un grand théâtre de magie, l’Egyptian Hall, et commence son apprentissage d’illusionniste qu’il perfectionne dès son retour en France.
Lorsque son père se retire et transmet son entreprise à ses trois fils, Georges refuse sa part et ses deux frères ainés, Henri et Gaston, la lui rachètent. Grâce à ce capital, Georges, alors âgé de vingt-six ans, reprend le bail du théâtre Robert-Houdin avec la troupe, les dix automates, les accessoires de magie et les décors. Après un détour dans la caricature politique, il consacre tout son temps au théâtre. À partir de 1896, il le partage avec le cinéma. En 1891, il fonde l’Académie de prestidigitation (qui siège au théâtre), pour défendre le statut des magiciens. Il invente plus d’une trentaine de grandes illusions2, qui font le succès du théâtre, augmentant sa renommée internationale.
En décembre 1895, Antoine Lumière, qui possède un atelier de photographie au-dessus du théâtre, invite Méliès à la première séance publique de l’invention de ses fils : le cinématographe. Ébloui, mais déçu par le refus de Lumière de lui vendre son appareil, il se tourne vers l’anglais William Paul (qui a copié l’appareil d’Edison, non protégé en Angleterre) et lui achète un appareil de projection. Grâce à un appareil de prise de vues bricolé en 1896, il tourne ses premiers films dans sa propriété de Montreuil, où il construit le premier studio au monde entièrement équipé comme un plateau de tournage.
On connait la suite : les décors soignés, les films en couleur peints à la main image par image, les films à trucs à la réalisation coûteuse… Il vend d’abord ses films aux forains, les tout premiers exploitants. Pour se protéger des contrefaçons, notamment aux États-Unis, il envoie son frère Gaston à New York. Méliès produit des chefs d’œuvre mais ne réalise pas que le monde change et que le goût du public évolue ! En 1913, la production de masse des films vient à bout de sa conception artisanale du métier. Le théâtre Robert-Houdin ferme ses portes en juin 1920, avant sa destruction en 1925. Méliès rejoint alors Jehanne d’Alcy, sa comédienne préférée, gérante d’une boutique de jouets et bonbons à la gare Montparnasse. Il tiendra la boutique avec elle et vivra ses dernières années au château d’Orly. Il meurt à l’hôpital Léopold Bellan de Paris en janvier 1938.
Pascal Friaut conclut sa conférence par un enregistrement de Christian Fechner, grand magicien et cinéaste, qui évoque Méliès : « C’est un homme qui a démarré dans la vie comme un homme très riche, qui s’est ruiné pour son art, pour ses passions, la magie et le cinéma et qui a assumé cette blessure avec une dignité exemplaire. C’est un destin magnifique ! »
II – Naissance d’une vocation : le premier séjour à Londres de Georges Méliès
Anne-Marie Quévrain, secrétaire générale de la Cinémathèque Méliès et arrière-petite-fille de Georges Méliès, propose d’examiner un sujet inédit à sa connaissance : comment est née, en 1884, la vocation d’illusionniste du ciné-magicien lors d’un séjour à Londres, comme il le relate lui-même dans une biographie manuscrite écrite en 1936, mais quelque peu modifiée par les éditeurs, qui la publient en 1945, après sa mort3.
Dessinateur et caricaturiste compulsif dès l’enfance, Méliès pratique aussi la peinture, la sculpture et la photographie. Sa famille tente de l’embrigader dans l’usine paternelle de chaussures, mais il n’y apprécie que la mécanique des machines, qu’il apprend avec plaisir et qui lui servira plus tard. La Manufacture de chaussures de luxe Méliès exporte ses produits. Son papier à lettres cite nombre de médailles obtenues aux expositions universelles de Londres, de Philadelphie, de Vienne etc. Un an avant la création d’une filiale de cette manufacture à Londres, ses parents l’envoient sur place pour y apprendre l’anglais. Le destinait-on à s’occuper plus tard de la filiale ? Nous l’ignorons.
Dans son manuscrit, Méliès déclare y avoir séjourné un an avant son mariage (effectué en 1885). Il ne mentionne pas les dates de son séjour, ce qui aurait permis d’affiner une liste des spectacles qu’il aurait pu voir. C’est pendant cette année passée à Londres qu’il se mit à fréquenter le théâtre de l’Egyptian Hall4 dirigé par J.N. Maskelyne, illusionniste célèbre en Angleterre, théâtre voué à la prestidigitation, aux pièces fantastiques et aux grandes illusions scéniques. Cette fréquentation assidue fit de lui, en peu de temps, un grand amateur de l’art magique, il travailla ferme… et, en deux ou trois ans, il devint lui-même d’une grande habileté dans l’art de l’illusion.
Que sait-on de l’Egyptian-Hall ? Qui était J.N. Maskelyne ? En quoi déclencha-t-il la vocation d’illusionniste de Méliès ? Sachant que son expérience des spectacles d’illusion influença ses films à truc, y aurait-il un lien entre un « genre Maskelyne », les grandes illusions de Méliès et le « genre Méliès » dont on qualifie ses films à trucs ? Créé en 1812, l’Egyptian Hall, situé au cœur de Londres, est un bâtiment à étages, comportant des salles de musée, un petit et un grand théâtre et de nombreux commerces au rez-de-chaussée. Il accueille un public plus nombreux et moins bourgeois que le théâtre Robert-Houdin, sa fréquentation atteint celle du musée de cire de Madame Tussaud, et du Royal Polytechnic, à Londres. Des magiciens s’y produisent depuis la moitié du XIXe siècle, mais c’est J.N. Maskelyne et son comparse George Alfred Cooke qui vont accroitre la renommée du bâtiment, rebaptisé « Egyptian Hall, The England Home of Mystery ».
J.N. Maskelyne, horloger et mécanicien de génie, conçoit les illusions ; Cooke, menuisier-ébéniste, fabrique le mobilier truqué. Tous deux sont natifs de Cheltenham, petite ville du Gloucestershire. En 1865, les fameux frères Davenport, des américains, font une tournée en Angleterre et présentent des pseudo phénomènes spirites. Maskelyne découvre leurs supercheries et s’associe avec Cooke pour mettre en scène les mêmes effets. Ils s’affichent clairement comme « illusionnistes anti-spirites ». Leur adresse et leur agilité font le succès de saynètes magiques comiques, qu’ils jouent costumés comme au théâtre, avec leurs proches, magiciens comme eux. J.N. Maskelyne invente le genre du « théâtre magique » qui raconte une histoire, donnant prétexte à de grandes illusions sur scène. Il en rédige les scénarios, qu’il modifie au fil des ans. Une saynète dont le titre fixé tardivement fut Will, the witch and the watch, fut jouée durant des décennies.
Méliès n’évoque pas les autres spectacles qu’il a pu voir à Londres (fééries, projections de lanternes magiques). Toutefois, dans le même texte cité plus haut, Méliès décrit comment, au théâtre Robert-Houdin, sa pratique des projections de lanterne magique Molteni a pu le préparer au métier d’éditeur de vues cinématographiques. Sous le règne de Victoria, les spectacles de lanterne magique sont extrêmement populaires, ils sont accompagnés de musique et on y fait chanter le public. Ce serait une piste de recherche pour mieux connaître ce que Méliès aurait pu voir en 1884. La Stroubaïka persane, première grande illusion créée par Méliès pour son théâtre, n’est pas un sketch joué « façon Maskelyne. » C’est un tour anti-spirite, inspiré de l’Armoire des frères Davenport, en beaucoup plus sophistiqué : par exemple les nœuds qui ligotent le pseudo supplicié sont renforcés par des sceaux de cire, mais le supplicié s’évade quand même, et le public constate que les sceaux sont restés intacts. Méliès crée plusieurs saynètes comiques, costumées et jouées à la façon Maskelyne, mais mieux adaptées à un public parisien plus bourgeois. Il lui était peut-être difficile de se dégager d’une tradition française et du genre « gentleman magicien » instauré par le Maître Robert-Houdin. Et c’est surtout dans ses films à trucs, qui n’obéissent – pour cause – à aucune tradition, que l’influence de Maskelyne pourra s’exprimer.
III – « La vie curieuse de Georges Méliès », d’après un récit de Léo Sauvage
Didier Moreau (Morax), magicien-collectionneur et conservateur du musée privé de Christian Fechner, nous commente un texte écrit par le journaliste et écrivain français Léo Sauvage5 (1913-1988). Il en situe auparavant le contexte. Dans son livre consacré à son grand-père, Madeleine Malthête-Méliès témoigne : « En 1937 on projette à nouveau des films de Méliès dans diverses salles. Il est de plus en plus apprécié par la « nouvelle vague »6 d’alors et par les jeunes poètes. Le Festival surréaliste est placé sous la présidence d’Edmond Jaloux et se tient à la brasserie Lux, rue de Rennes, près de la gare Montparnasse. Là, sur un papier à en-tête de la Brasserie, le dessinateur Gea Augsbourg brosse un croquis de Méliès, chapeau sur la tête. La feuille est bientôt couverte de signatures : André Breton, Paul Éluard, Maurice Fombeure, Louis Aragon… cet hommage spontané cause une grande joie à grand-père : se voir reconnu comme l’un des leurs par les surréalistes, quelle surprise à soixante-seize ans ! »
C’est certainement après ou pendant ces moments que Léo Sauvage, journaliste et écrivain français, s’est intéressé à Georges Méliès. Âgé de vingt-sept ans, suite à sa rencontre avec Méliès, il rédige une série de trois articles qui paraissent l’été 1937 dans La Lumière, le grand hebdomadaire des gauches. Dans un papier de 1943, il confirme qu’en 1937, il est allé voir Méliès en compagnie du peintre suisse Géa Augsbourg7 qui, à l’occasion croqua son portrait. Ce jour-là, Léo Sauvage a obtenu des confidences de Méliès, il les a savamment arrangées en les attribuant parfois à d’autres interlocuteurs. Le titre complet de cette série est : « La vie curieuse de Georges Méliès l’enchanteur ou les premiers jours du cinéma, récit authentique par Léo Sauvage ». Le texte est abondamment illustré par des photos de plateau, une photo de Méliès et le fameux croquis de Géa Augsbourg représentant l’« enchanteur » chapeauté, cigarette à la main. Le texte est très vivant, émaillé de dialogues imaginaires. Le début nous situe sur le trottoir, devant le théâtre Robert-Houdin où s’échangent des propos sur la valeur des spectacles d’illusion conçus par Méliès, très appréciés, et ceux de son prédécesseur Dicksonn qui, lui, n’avait pas renouvelé le répertoire. Léo Sauvage se fait ici l’intermédiaire de Méliès qui règle ainsi son compte à Dicksonn (voir la conférence de Pascal Friaut). Ce dernier s’était en effet installé passage de l’Opéra où il s’affichait « du théâtre Robert-Houdin », faisant ainsi directement concurrence à Méliès.
Puis nous pénétrons dans le théâtre Robert-Houdin, pour assister à la saynète magique Le Château de Messmer, un château prétendument hanté, que les artistes du théâtre, très sceptiques, sont allés visiter. Les chapeaux des illusionnistes Duperrey et Marius s’envolent, les meubles virevoltent, un violon joue tout seul… Enfin Marius s’élève et plane, fait un tour de scène en l’air puis se cogne au plafond. On assiste ensuite à une projection Molteni (trois lanternes qui marchent ensemble). On assiste au passage des saisons sur un paysage, grâce à l’effet d’un « fondu » parfait obtenu par des plaques de verre décorées qui glissent sur une autre plaque.
Léo Sauvage nous fait ensuite revivre la rencontre entre Méliès et Antoine Lumière, la projection devenue mythique des frères Lumière, dans le Salon Indien du Grand Café (situé de nos jours dans l’hôtel Scribe, qui donne sur le carrefour Richelieu-Drouot). Nous assistons ensuite aux tracas de Méliès obligé d’acheter son premier appareil de projection à William Paul, de se fournir en bandes de pellicule qu’il faut perforer à la main, puis au bricolage de son premier appareil de prises de vues et aux difficultés de ces prises lorsque le ciel change de luminosité, ou bien lorsqu’on est sur une plage par très gros temps pour filmer du « spectaculaire »… Par ailleurs Méliès est obligé de trouver les récipients ad hoc pour développer ces bandes, puis d’inventer un système pour les faire sécher en évitant les traces de gouttes. On assiste aussi aux prises de vue en plein air des premiers films dans sa propriété de Montreuil, avec le personnel qui est sur place : un jardinier, une femme de chambre, qui deviennent acteurs bien malgré eux.
Les premiers clients de Méliès sont d’abord les Forains. Aussi Léo Sauvage va-t-il nous décrire, dans son style imagé, une séance à la façon foraine, en plein air et bonimentée par le projectionniste : « Je vais présenter une pièce de cinématographe. C’est un spectacle unique, messieurs-dames. Un plaisir artistique, spécialement recommandé aux enfants des écoles. Pour cinq sous, messieurs-dames. Premières : cinquante centimes ». La fille du forain circule avec une assiette qu’elle secoue pour faire tinter les pièces de monnaie. En haut des marches de l’église, sur une table étayée avec des morceaux de bois, un appareil de projection est installé. Roulement de tambour : « Attention ! Nous allons commencer ! », crie le forain ». L’homme a déclenché l’appareil et il commente : — Nous sommes dans un pays qu’est tout à fait loin. C’est le Palais du Roi, avec le trône qu’est tout en or. Regardez comme il est en colère, le Roi. Sa fille a disparu… — Ah, fait l’auditoire, et il rampe pour se rapprocher de l’écran. « Où qu’est ma fille, qu’il dit au grand-vizir. Et le grand-vizir, il est là avec le collier, regardez comme il semble coupable, il tremble, on va peut-être lui couper la tête. — Oh, fait l’auditoire, et il se soulève pour mieux voir. « Il s’incline devant le Roi, le grand vizir, les mains tendues, le pôv’ il dit… ». L’auditoire ne saura jamais ce que le grand-vizir a dit. Le forain, les bandes se déchirant rapidement, a collé ensemble les bandes en bon état de plusieurs morceaux différents. Brusquement, les implorations du grand vizir ont fait place à une vue sous-marine où l’on voit des naïades évoluer dans un aquarium. « C’est le grand vizir qui voit ça en image », enchaine le commentateur. Et il ajoute d’une voix émue au milieu du silence admiratif de l’auditoire « C’est ça qu’est d’ l’art, messieurs-dames ».
Enfin le dernier article, consacré à la naissance du studio et de plus grosses productions avec des figurants, se termine par l’évocation de la décadence de cette formidable aventure cinématographique. Signalons que toutes les péripéties de la vie de Méliès jusqu’à sa retraite à Orly figurent déjà dans le fameux texte qu’il a écrit à la troisième personne en 1936. Ce texte, nommé à tort Mes mémoires par Bessy et Lo Duca dans leur ouvrage Georges Méliès, mage, est paru en 1945. Le style de Méliès y est contrôlé, car son texte devait figurer dans un Dictionnaires des hommes célèbres (jamais publié). Dans La Lumière, Méliès évoque les mêmes épisodes de sa vie, mais y développe davantage la période du théâtre Robert-Houdin. Le texte de Léo Sauvage met Méliès « en situation », interpellant ses interlocuteurs ou se parlant à lui-même : c’est très vivant, imagé et drôle ; on y trouve aussi plusieurs détails qui ne figurent pas dans Mes mémoires.
IV- Les dessous du Décapité récalcitrant
Abdul Alafrez (pseudonyme), ingénieur français, se présente comme « sculpteur d’illusions ». Il pratique aussi bien la magie de close-up que les grandes illusions, qu’il invente pour le théâtre, pour la danse et la musique. Il a participé, en 2002, à la grande exposition Méliès de l’espace Electra, rue de Sèvres à Paris ; au deuxième colloque Méliès de Cerisy en 1996, pour lequel il présenta une grande illusion, et à l’exposition Méliès de 2008 à la Cinémathèque Française. Depuis longtemps passionné par une des illusions préférées de Méliès, Le Décapité récalcitrant, il rêve de pouvoir la reproduire. Pour cela, il s’est d’abord penché sur les aspects pratiques : taille de la scène du théâtre Robert-Houdin et de ses praticables (espace utile sous la scène, dimensions des trappes etc.) ; écrits de Méliès dans la revue Passez Muscade, précisant les déplacements des meubles et des personnes sur la scène ; analyse des détails des affiches réalisées pour promouvoir ce spectacle. Las ! Suite à des échanges avec Jacques Malthête, il s’est rendu compte que Méliès exagérait beaucoup les choses dans ses écrits, par exemple les dimensions. Les déplacements des personnages et du mobilier décrits par Méliès dans Passez Muscade sont peu crédibles ; ainsi, les spectateurs situés sur les côtés auraient pu voir les trucages. Les dessins publiés dans cette revue ne sont pas de Méliès, mais d’un certain A. Ventur, qui résidait à Nice ; les dimensions des praticables déduites de ses croquis contredisent la faisabilité du truc. « C’est ainsi que j’ai appris qu’il fallait se méfier de Méliès ! », nous confie Alafrez, qui illustre ses démonstrations et qui termine en nous projetant des vidéos 3D de sa conception. Découvrez les démonstrations d’Alafrez à propos de cette grande illusion sur : https://www.cinematheque.fr/video/1983.html
V – Remise de la médaille Méliès à Gérard Majax
Après les conférences, la médaille Méliès de la Monnaie de Paris a été remise au célèbre magicien Gérard Majax, qui a, pendant des années, su promouvoir l’art de la magie auprès du grand public, grâce à de nombreuses émissions de télévision (Y a un truc, Abracadabra, Magie Majax), mais aussi grâce à l’édition de livres et de boîtes de magie. Gérard Majax a remercié Pascal Friaut pour son discours ainsi qu’Anne-Marie Quévrain et Jacques Malthête, descendants de Méliès. Majax a souligné que retrouver et montrer l’œuvre de Méliès résulte du travail de toute une famille, qui perpétue sur quatre générations la mémoire de Georges Méliès, admiré par tous les magiciens du monde entier, sans distinction de culture, de religion ou d’origine.
VI – Table-ronde sur la restauration physique et numérique des films.
Loïc Arteaga, Project Manager de la Société Hiventy / Transperfect Média qui numérise en 4K les copies de la Cinémathèque Méliès, rappelle la chaîne de fabrication d’un film 35 mm : tournage, développement du négatif, choix des prises de vues, montage, création du négatif image monté, puis les éléments intermédiaires dont le marron (positif inversible), et le contre-type négatif (pour le tirage des copies). Il évoque ensuite la restauration, qui commence avec la remise en état mécanique du film (perforations et collures), puis la numérisation à sec ou en immersion après dépoussiérage et élimination des traces de moisissures, tout en conservant les défauts d’origine du film qui font partie intégrante de l’œuvre. Ensuite vient l’opération de l’étalonnage numérique, qui se base sur les copies d’époque. La restauration numérique achevée, on opère un retour sur film (shoot), pour la conservation sur le long terme.
Jacques Malthête, docteur en chimie et spécialiste du coloriage des films au pinceau, au pochoir et aux teintures, insiste ensuite sur quatre points :
- Le respect du cadre d’origine (2,30 x 1,72) soit un rapport de 1,33. On peut se poser la question des fenêtres de projection non standardisées.
- Le respect des artefacts archéologiques : attention aux logiciels automatiques qui effacent les traces originelles de montage ou de rayures ou de trucages qui sont l’ADN du film.
- Le respect de la cadence est difficile à imposer, car dès l’origine les forains choisissaient à leur guise, lors de la projection, la vitesse qu’ils jugeaient la plus adéquate pour le spectateur…ou pour la rentabilité. Par ailleurs, l’opérateur réduisait la cadence à la prise de vue, quand la lumière était faible. Et aussi, Méliès a lui-même signalé trois films dont la prise de vue a été ralentie, pour donner un effet d’accélération à la projection : Le réveil d’un Monsieur pressé, Le Déshabillage impossible et Spiritisme abracadabrant.
- La restauration des films coloriés au pinceau. Du fait d’un coloriage « fait main », les copies sont toutes différentes, même coloriées par des professionnels, prestataires ou non de Méliès ; voire peintes par les forains eux-mêmes.
Quant à la restauration numérique des couleurs, il pense qu’il est raisonnable de s’en tenir aux couleurs dans lesquelles elles sont arrivées jusqu’à nous, faute de mieux, dans la mesure ou le coloriage numérique reste incapable de reproduire le flottement, le débordement typique et les nuances appliquées au pinceau. Nul n’a encore entrepris les études physico-chimiques qui permettraient de connaitre l’évolution dans le temps de ces fameuses couleurs selon les conditions chimiques auxquelles elles ont été soumises, notamment pour retrouver leurs teintes originelles lorsqu’elles ont pénétré dans l’émulsion sous le pinceau des coloristes. La Charte de restauration des films édités jadis par la Fédération Internationale des Archives du film, (la FIAF), préconise en outre, le précieux et indispensable « rapport de restauration » qui décrit l’état de la copie avant la restauration et les choix documentés du restaurateur dans l’accomplissement de sa tâche. Ceci à l’usage des générations futures.
Ensuite Anne-Marie Quévrain, Pascal Friaut et Jacques Malthête ont rejoint Loïc Arteaga pour des échanges d’informations avant la projection des nouveaux films numérisés. Anne-Marie Quévrain a montré une déchirure intervenue vers la fin d’une copie 35 mm de Voyage à travers l’impossible (1904), devenue trop sèche, affectant 2 secondes (36 images) de projection, et la réparation image par image effectuée après numérisation, par les laboratoires Hiventy en 2016. Pascal Friaut a déclaré qu’on trouvait de nos jours, des logiciels de restauration d’images pour un montant de l’ordre de 300 euros.
VII – Projection de films de Georges Méliès récemment numérisés en 4 K
Programme : Une partie de cartes (1896), tout premier film tourné par Méliès, en extérieur – Les Cartes vivantes (1905) – Spiritisme abracadabrant (1900, inédit) – Les Bulles de savon vivantes (1906) – Le Chapeau à surprises (1901, inédit) – Le Mélomane (1903) – Le Merveilleux éventail vivant (1904, en couleur) – La Planche du diable (1904, inédit) – Le Fakir de Singapour (1908) – L’Homme à la tête en caoutchouc (1901) – Un Locataire diabolique (1909, en couleur). Cette belle projection a brillamment conclu cette journée particulière, et nous remercions bien vivement toutes les personnes qui y ont participé !
Notes :
1 Cet événement a été l’occasion d’éditer une brochure numérotée à cinquante exemplaires (édition La Cinémathèque Méliès, octobre 2023), publiant pour la première fois l’exacte retranscription d’un manuscrit rédigé par Georges Méliès en 1936, édité ensuite sous l’intitulé Mes Mémoires avec des modifications apportées au manuscrit par les éditeurs.
2 On peut en trouver la liste, dressée par Jacques Causyn, dans notre Bulletin n°6 du deuxième semestre 1984 et premier semestre 1985, page 8. Bulletin déposé à la BnF, ISSN 0758 539 X.
3 Tous les écrits de Méliès (dont celui-ci) sont rassemblés dans un ouvrage sérieux et accessible : J.F.Hood, Georges Méliès, écrits et propos (2016, Éditions Ombre, Paris /Toulouse).
4 Les Riches Heures de l’Egyptian Hall, un siècle de théâtre magique anglais de Jean Merlin (Autoédition, mars 2023)
5 Léo Sauvage sera plus tard correspondant du Figaro aux U.S.A. Il publiera, entre autres, L’Affaire Oswald, Le Cas Guevara.
6 Dont René Clair (dès 1925) ; plus tard Brunius (qui le filma), Hans Richter, Jacques Prévert, pour des projets de film non aboutis.
7 Géa Augsbourg (1902-1974), peintre et plasticien suisse, exposa au Salon des Surindépendants, très ouvert aux Surréalistes (Salvador Dali et Max Ernst y exposèrent).
À lire :
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Nathalie Lambert, Anne-Marie Quévrain, Cinémathèque Méliès, Coll. S. Bazou, Coll. Morax-Fechner. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.