Né à Spa (près de Liège), d’un père belge et d’une mère britannique, Jean-Henri Servais Le Roy arriva en Angleterre à l’âge de dix ans et grandit dans une famille anglaise « d’adoption ». Adolescent, il rencontra et impressionna un magicien assez médiocre et grand buveur, un certain captain Henri Hill, qui, par la suite, emmena Le Roy dans une tournée qui se révéla désastreuse. Le Roy et le frère de Hill quittèrent, le capitaine ivre et partirent de leur côté. Hill les avait ramenés, en criant à cor et à cris qu’ils lui avaient volé son matériel, mais il ne put le prouver et Le Roy et son partenaire continuèrent leur tournée, accumulant expérience et renommée. C’est ainsi que Le Roy eut son premier engagement important, pour le Royal Aquarium de Londres.
Il commença sa carrière solo en Angleterre en se présentant comme Satan et en surnommant son spectacle « Le diable en tenue de soirée », ce qui cadrait parfaitement avec son humour espiègle. L’idée du diable se produisant sur la scène d’un music-hall moderne séduisait le public.
Il rencontra ensuite Mary Ann Ford (née dans le sud de Londres), qu’il prit comme assistante et qu’il épousa en 1890, en la rebaptisant Mercedes Talma. Outre, qu’elle lui servait d’assistante, elle devint une experte des tours d’adresse, faisant se matérialiser des centaines de pièces d’un dollar en argent au bout de ses doigts. En tant que « Reine des pièces », elle partageait l’affiche à parts égales avec son mari.
LE ROY-FOX-POWELL
Dans les années 1890, Le Roy s’associa à La Grande Triple Alliance, qui faisait des tournées de music-hall aux Etats-Unis, et il travailla avec Imro Fox et Frederick Eugene Powell.
La Grande Triple Alliance joua pour la première fois à Milwaukee en août 1898. Elle avait été créée par un producteur de théâtre, M.B. Leavitt, qui pensait qu’en rassemblant les numéros de trois magiciens internationaux, il obtiendrait un grand succès auprès du public. Sous le nom des « Têtes couronnées de la magie », Le Roy, Fox et Powell présentaient un brillant spectacle pendant lequel l’un d’eux jouait sur scène, et les deux autres dans la salle parmi le public.
La Grande Triple Alliance joua pendant deux ans, s’arrêtant parfois pour permettre à l’un d’eux de monter des spectacles tout seul.
Imro Fox (Isidor Fuchs, 1862-1910), naquit à Bromberg, en Allemagne, et vint aux Etats-Unis comme maître d’hôtel en 1874. Il ne faisait des tours de magie que pour son plaisir personnel jusqu’à ce qu’on lui demande de remplacer un magicien alcoolique. Ce fut un succès immédiat ; sa voie était toute tracée. Fox est remarquable pour avoir été le seul magicien burlesque de son époque. N’étant pas un très habile manipulateur, ses effets étaient tous mécaniques. Son numéro des deux pigeons sortant du gâteau fut une grande nouveauté pour l’époque.
Frederick Eugene Powell (1856-1938), était de Philadelphie. Intellectuel et homme d’affaires, son attirance pour la magie lui posa d’abord quelques problèmes et il retourna à des occupations plus classiques, y compris un poste de professeur de mathématiques à l’Académie militaire de Philadelphie. Cependant la magie l’emporta et Powell devint un professionnel. On le vit souvent sur la scène du Wood’s Theatre de Philadelphie où il donnait son numéro de « Double Vue », et il eut plusieurs longs engagements à l’Eden Museum de Londres où son fameux tour, Elle, fut donné pour la première fois en 1892. Une extraordinaire illusion d’optique, où l’on voyait une femme brûler sur scène.
LE ROY-TALMA-BOSCO
Au début du XXe siècle, le trio comptait parmi les illusionnistes les plus novateurs et saisissants de leur génération.
Fort de ses contrats en Angleterre et sur le continent ainsi que le succès de sa femme en tant que « Reine des pièces de monnaie », Le Roy pensa que la création d’un nouveau trio serait bien venue. Avec Talma, ils furent rejoints par un comédien acrobate plus vieux, chauve et corpulent du nom de Leon Bosco, dont la fantaisie en magie faisait un complément parfait au style de Le Roy et Talma. Bosco repris le personnage de bande dessinée joué par Imro Fox, quand il faisait partie de la Triple Alliance. Il était aussi un spécialiste des cartes à jouer (inventant pour certains « l’empalmage arrière »). Dans son numéro solo, il affirmait qu’il était le meilleur magicien des cartes et contre toute attente ratait tout ce qu’il entreprenait.
Le Roy, Talma et Bosco présentaient un très divertissant spectacle sous le nom des « Monarques de la Magie » et des « Comédiens de Mephisto ». Ce trio fit des tournées dans les deux Amériques, en Australie, en Angleterre, en Europe et en Afrique du sud, amusant le public de son habileté et de sa bouffonnerie. Le spectacle de Le Roy, Talma et Bosco était plein de mystère et de fantaisie. Des pièces de monnaie et des lions disparaissaient, des plantes, des lapins et des canards envahissaient la scène.
Chaque membre du trio jouait un personnage qui amuserait les gens. Attaqué par un chien féroce, Le Roy lâchait un lapin pour faire diversion ; Talma jetait la confusion dans la rue avec une pièce étrange qui ne tombait jamais dans la main du cocher et restait toujours dans la sienne ; et Bosco le comique transformait un bambou en flammes en échasses et ainsi « chassait les cannibales et se sauvait ». La soirée était très divertissante.
Le Roy améliora le tour des pigeons de Bartolomeo Bosco en créant d’étranges effets comiques. Armé d’un grand couteau, il faisait semblant de décapiter un canard puis un coq. Il lançait leurs corps et leurs têtes dans une boite, d’où les deux volatiles ressortaient en se dandinant sur la scène, chacun portant la tête de l’autre.
Photographie spirite avec Servais Le Roy (1925).
Quand Bosco quitta le spectacle pour un autre, son personnage avait remporté tant de succès que Le Roy continua avec une série d’artistes qui jouèrent tous sous le nom de Bosco. Le premier fut Mac Laube, suivi de Daly, puis Wilmot Hastings, James William Elliott, Baley et Mullens. James « Doc » Elliott créa de nombreux tours de cartes et écrivit quelques livres à ce sujet. Il était tellement entré dans le personnage de Bosco qu’il se rasa le crâne pour le rôle. Son chien, Napoléon, faisait aussi partie du spectacle.
Gloire et déclin
Le Roy dominait le monde de la magie de scène, au point qu’Harry Kellar le considérait comme l’artiste le plus accompli qu’il ait jamais vue et qu’Howard Thurston le craignait comme rival. Le Roy cessa de paraître en public après un accident d’automobile en 1930. En 1940, le magicien, qui avait 75 ans, essaya de jouer une dernière fois à New-York dans un spectacle intitulé Never before such a magic show, mais il avait arrêté depuis trop d’années et la soirée fut catastrophique.
Le lendemain, Le Roy détruisit tout son équipement et tout son matériel. Après la mort de Talma, quatre ans plus tard, il mena une vie solitaire, pris en charge par sa belle-sœur jusqu’à sa mort à 88 ans à Keansburg dans le New Jersey. Le fameux tour de la femme coupée en deux, version Horace Goldin, exécuté par Servais Le Roy avec la permission du magicien américano-polonais dès 1921.
Ses tours les plus marquants
– Les Trois Grâces (1890)
Une illusion où trois jeunes filles apparaissent dans un cabinet vide.
– Une visite volante, a flying visit (1900)
Cette illusion était un parfait exemple de transposition magique. Le magicien entrait dans le coffre posé sur la scène. Quand ce dernier se s’ouvrait, une assistante en sortait, tandis que le magicien réapparaissait dans le coffre suspendu. Il disparaissait à nouveau et resurgissait parmi les spectateurs. Un des premiers tours à utiliser des doubles.
– Asrah (1902)
Le numéro Garden of Sleep, plus connu sous le nom Asrah, fut inventé par Servais Le Roy et présenté pour la première fois à l’Empire Theatre de Johannesburg, en Afrique du Sud puis à Londres. Cette illusion fait partie des chefs-d’œuvre de la magie scénique. D’après Le Roy lui-même, il eut l’idée de ce tour grâce à une remarque fortuite de Leon Bosco, son partenaire dans le trio Le Roy, Talma et Bosco quand Le Roy faisait flotter dans l’air puis disparaître une carte à jouer. On l’appela d’abord Le Mystère de Lhassa et Le Roy le présenta avec méfiance, craignant que le public n’y croie pas. Leon Bosco se tenait dans les coulisses, prêt à se ruer sur scène avec un plat en terre cuite pour faire diversion si le numéro manquait. L’Asrah présentait une femme hypnotisée est allongée sur une haute table et recouverte d’un drap. Elle s’élevait dans les airs, la table était enlevée et le magicien faisait le tour du corps en passant un cerceau autour de lui. Puis, se tenant debout devant elle, il retirait le drap qui retombait sur scène. La femme avait disparu. Ce numéro obtint un succès immédiat !
Rostrum (vers 1920), un mystérieux numéro entre l’Asrah et la production de fantôme sur scène volant au dessus du public dans le spectacle The Transmission of Souls.
L’Asrah était une analogie poétique de la mort et de l’âme. En réalité, l’illusion se déroulait sur scène et non au-dessus du public. Une version plus tardive, où une pianiste et son piano disparaissaient (1920), bien que tout aussi stupéfiante, ne rencontra pas le même succès auprès des autres magiciens pour des raisons pratiques. Le secret de L’Asrah fut volé lors d’une représentation à l’Alhambra de Paris en 1910 et se retrouva très rapidement au programme de nombreux magiciens. Ce fantastique effet continue de nos jours à être un des numéros préférés des publics du monde entier. Parmi les magiciens qui ont inclus ce numéro dans leur spectacle, il y a Thurston, Dante, Mark Wilson ou Doug Henning.
LE ROY, TALMA, BOSCO. Extrait de la revue L’Illusionniste n°107 (novembre 1910).
Voici, je crois, la trilogie la plus universellement connue dans le monde des magiciens. L’union parfaite du talent supérieur de l’un, de la science gracieuse de l’autre, enfin du comique échevelé quoique très artistique du troisième, a donné naissance à des spectacles merveilleux et complets que s’arrachent à prix d’or les music-halls les plus luxueux. L’Alhambra vient de posséder durant un mois ces artistes exceptionnels et les Parisiens qui les avaient cependant maintes fois appréciés, sont revenus en foule les voir, les revoir, et les applaudir sans se lasser. C’est qu’eux-mêmes sont inlassables, et si l’ensemble de ces trois grands performers se faisant valoir l’un par l’autre, et accueillis par le succès le plus flatteur et le plus mérité, chacun d’eux, en particulier, est digne des plus grands éloges.
Servais Le Roy n’est-il pas l’un des plus adroits et des plus talentueux magiciens de notre époque et, lorsque ses fécondes tournées l’éloignent de nos pays, ne nous reste-t-il pas, entre autres souvenirs, celui de la première application du double empalmage qu’il inaugura à l’Olympia, il y a dix ans, lors de sa première visite à Paris. Qui ne se souvient de ce tour sensationnel des cartes brûlées et reconstituées qu’il ne se contenta pas de présenter comme travail de manipulation, mais au contraire en dissimulant ce double empalmage, seul secret du tour, sous les apparences d’une véritable scène mais aussi lors de ce séjour à l’Olympia qui nous révéla, avec le même succès, les boules Excelsior.
Auprès d’un tel maître, Madame Talma n’était-elle pas tout indiquée pour devenir une reine de la magie ? Lorsque Nelson Downs, après son succès de « Roi des Dollars » défia aucune femme d’accomplir d’aussi savantes passes, Madame Talma, coquettement, accepta la gageure et les applaudissements qui l’accueillent lorsqu’elle présente, avec tant de grâce et d’adresse son numéro de pièces, disent assez haut sa parfaite réussite. Enfin Bosco, c’est le maître du rire, très adroit magicien lui-même, il unit à son talent une verve comique qui rencontre peu de rivaux eu music-hall. D’un coup d’œil, d’un geste de son hilarante personne, il déchaîne les tempêtes de la gaîté et du succès. Que le Dieu de l’amitié conserve donc toujours unis ces trois grands artistes qui ont su réaliser par leur entente si intelligente un des plus merveilleux spectacle de magie moderne.
J. C.
A lire :
– Servais Le Roy : Monarch of Mystery de Mike Caveney et William Rauscher (Mike Caveney’s Magic Words, 1999).
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