Extrait de la revue L’Illusionniste, N° 60 d’octobre 1906
Parmi les prestidigitateurs du XIXème siècle, Bartholomeo Bosco tient une place très importante, autant par son talent que par sa personnalité et sa vie aventureuse. Né à Turin, le 11 janvier 1793, il descendait d’une noble famille du Piemont. À dix-neuf ans, étant fusilier au 11ème régiment d’infanterie de ligne, il fit partie de la triste campagne de Russie. A la bataille de Borodino, il fut assez grièvement atteint d’un coup de lance qui le laissa pour mort sur le champ du combat. Sa blessure, heureusement, ne fut pas mortelle. Il conserva même assez de sang froid et de présence d’esprit pour mettre en oeuvre sa dextérité de prestidigitateur et subtiliser adroitement la bourse bien garnie d’un cosaque pendant que celui-ci, croyant opérer sur un cadavre, le dépouillait du peu qu’il possédait sur lui. Ce ne fut en réalité qu’un échange, mais tout a l’avantage de Bosco. Ce petit fait, qui vaut la peine d’être conté, pourrait s’intituler : Le voleur vole.
Cependant, Bosco, recueilli par le corps médical russe, fut, aussitôt guéri, retenu prisonnier en Sibérie, près de Tobolsk. Son talent d’escamotage lui fut, la encore, d’un grand secours, non seulement pour adoucir, par la distraction, sa captivité et celle de ses compagnons, mais pour se créer à lui-même des ressources assez importantes avec les séances qu’il donnait devant les plus hauts fonctionnaires de la place, séances qui lui étaient très généreusement payées.
Août 1844 vit la fin de son exil. Bosco revint alors en Italie et s’adonna à l’étude de la médecine. Mais bientôt il abandonna l’art d’Esculape pour retourner à la magie et devint dès ce moment un prestidigitateur professionnel. Sa renommée s’étendit très vite dans tous les pays d’Europe qu’il visita. Il était d’ailleurs particulièrement doué pour se tailler lui-même une réclame continuelle et audacieuse. Comme Alexandre Herrmann, il se chargeait en personne de se faire connaître à la foule qu’il voulait attirer à ses représentations. Aussi ne négligeait-il aucune occasion de se mettre en valeur en donnant des preuves impromptues de son adresse dans les cafés, les hôtels, les voitures publiques et dans la rue même.
C’est à lui certainement qu’il faut attribuer ce fameux tour des oeufs qui consistait, se rendant au marché, à acheter des oeufs, les casser devant la marchande et la foule ébahies, et sortir de chacun d’eux une pièce d’or… On comprend facilement qu’après de telles exhibitions les spectateurs se pressaient aux représentations que Bosco annonçait avec une aussi alléchante réclame.
Son spectacle n’était cependant pas extraordinaire par lui-même. Il comprenait surtout des tours de gobelets qu’il exécutait avec une adresse merveilleuse, des tours de pièces de monnaie, celui des pigeons décapités et ressuscités, etc. Mais tout cela était préparé par d’affriolantes annonces, dans le genre de celle-ci, extraite d’un journal de l’époque : « Le fameux Bosco, qui peut escamoter une maison aussi facilement qu’une muscade, est à la veille de donner, à Paris, des représentations au cours desquelles il exécutera quelques tours miraculeux »
Il opérait avec une mise en scène bizarre et macabre: draperies noires, flambeaux, têtes de morts, etc., et dans un costume aussi original que son accent italien. Enfin l’aide de compères remplissant consciencieusement leur rôle, concourait puissamment à donner aux séances de Bosco cette apparence d’extraordinaire et de merveilleux qui attirait et séduisait les foules. Robert-Houdin, dans ses Mémoires, raconte en ce sens une représentation de Bosco à laquelle il assista. Toujours est-il que la vogue de cet habile magicien le conduisit devant les plus illustres auditoires et Marie-Louise, veuve de Napoléon Ier, voulut de lui une séance qui eut lieu le 27 avril 1836. En France, sa réputation était aussi brillamment établie. Son nom, toujours populaire, est encore porté par des prestidigitateurs contemporains. Après de nombreux voyages, Bartoloméo Bosco mourut à Dresde en 1862 et fut enterré dans un cimetière sur la Frédérichstrasse.
Harry Houdini, le célèbre roi des menottes américain, découvrit l’emplacement de sa tombe, le 23 octobre 1908. Sur la pierre étaient gravés les insignes de la profession de Bosco : un gobelet et une baguette entourés d’une guirlande de laurier. M. Houdini écrivait dans une lettre adressée au « Mahatma » : « … Je découvris que le haut de la baguette manquait, mais regardant dans l’herbe épaisse aux environs j’aperçus l’extrémité cassée… »
II présenta cette relique au Dr Saram R. Ellison, de New-York, en 1904. La pierre tombale portait cette inscription en français : « Ici repose le célèbre Bartoloméo Bosco né à Turin le 11 janvier 1793, décédé à Dresde le 2 mars 1862 ». Lorsqu’ Houdini découvrit la dernière demeure de Bosco, le temps de la concession était depuis longtemps expiré et les restes du prestidigitateur et de sa femme qui avait été enterrée avec lui, bien qu’il n’en soit pas fait mention sur la pierre, allaient être transférés dans une partie du cimetière réservée aux morts abandonnés. Houdini empêcha cette regrettable translation en achetant le terrain et en faisant ensuite don du tombeau à la Société des Magiciens Américains.
J. G.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Collection Christian Fechner / Didier Morax / Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.