Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Quand j’étais petit, mon oncle aimait faire des jeux de mains. C’est le premier souvenir que j’ai de voir de la magie et de ressentir de l’étonnement. Plus tard, je me souviens avoir vu un magicien dans un cirque forain, j’étais fasciné et rêvais à l’idée d’avoir le pouvoir de faire ces merveilles. Mais ce n’est qu’après quelques années, qu’un de mes professeurs d’école, amateur de magie, a décidé de m’enseigner les premiers secrets et techniques, après avoir insisté beaucoup. Je pense que cette insistance a été décisive pour qu’il accepte de me montrer ses secrets, Pendant que mes amis jouaient au foot à la récréation, je m’entraînais avec des cartes et à passer une pièce entre mes doigts.
Photo : David Ruano.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Mon contact avec la magie avait déjà eu lieu quand j’avais 6/7 ans, mais ce qui s’est passé après mes 10 ans a été décisif pour me plonger dedans. J’ai commencé à beaucoup fréquenter Magicus, un établissement dédié à la vente de matériel magique à Barcelone. Et grâce à mes parents j’ai pu acquérir les premiers livres avec lesquels j’ai appris, en particulier, beaucoup de magie de close-up, que j’ai ensuite mis en pratique à l’institut où j’ai étudié. La magie de close-up était celle que je pouvais jouer plus facilement dans mon environnement, une magie que je continue à pratiquer aujourd’hui. Je pensais qu’avoir une bonne base en micromagie et savoir comment un effet est structuré, m’aiderais à construire une routine scénique.
À l’âge de 12 ans, j’ai pris contact avec la société espagnole d’illusionnisme, afin qu’elle m’accepte comme membre. Ce que je suis devenu à 14 ans. J’ai pu ainsi rencontrer de bons amis magiciens et apprendre l’art magique avec de très bons professionnels. Une expérience très enrichissante.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Il y a beaucoup de personnes qui m’ont aidé dans mon projet. Parmi mes premières fréquentations, il y a des magiciens que j’ai rencontré dans les clubs de magie ; ils ont été un pilier important dans mon développement en tant qu’illusionniste et sont devenus des amis : Gabi Pareras, Amilkar Riega, Pedro Aragones, Miguel Conesa, Josep Roma, Elías Hugart, entre autres.
Magic Andreu fut le magicien qui m’a donné ma première opportunité de travailler pour la télévision dans son programme. J’avais seulement 15 ans. Pendant mon adolescence, j’ai commencé à me former en tant qu’illusionniste dans un petit et beau café-théâtre, El Llantiol, où de nombreux artistes, désormais reconnus, ont commencé. Ce fut pour moi une grande école où j’ai développé mon travail scénique et mon numéro d’ombres chinoises.
Sergi Buka dans le programme télévisé « La Màgica Màgia del Màgic Andreu » effectuant du close-up à l’âge de 15 ans en 1990.
Sergi Buka avec son numéro d’ombres chinoises (Photographie : Ivan Moreno).
En 2001, j’ai rejoint la troupe de théâtre Els Comediants pour participer au spectacle Bocatto di Cardinale. Avec eux j’ai appris à travailler en équipe et avec des artistes de différentes disciplines sous une direction artistique. En tant que magiciens, nous sommes habitués à travailler seul, une particularité propre à la pratique de la magie, à la préservation du secret et aux épreuves que nous menons individuellement. Nous devons donc très souvent assumer tout le processus de création d’un effet. Cette expérience a marqué en moi la manière d’aborder mes futurs projets scéniques.
Sergi Buka (à droite) avec ses collègues acteurs de la compagnie de théâtre « Els Comediants » en 2001.
En 2002, j’ai créé Quimera, un numéro visuel interactif entre la scène et un écran de cinéma, ce qui me valu des récompenses en Espagne (Grand Prix National d’Espagne) et en France (Mandrake d’Or 2004). Avec Quimera, j’ai passé des années à voyager et à participer à des congrès et des festivals magiques.
Sergi Buka et son numéro « Quimera » en 2002.
Mais pendant tout ce temps, l’idée de créer une œuvre du magie pour le circuit théâtral était dans mon esprit, et un jour l’opportunité de présenter un projet pour le Théâtre National de Catalogne est apparue. C’était très satisfaisant pour moi, de pouvoir présenter Umbra, une proposition scénique d’illusionnisme dans cet espace emblématique. Beaucoup de personnes ont participé à ce projet. Dix ans plus tard, je suis revenu au Théâtre National avec un concert d’illusionnisme et de lanterne magique.
Scène du spectacle « Umbra » de Sergi Buka au « Teatre Nacional de Catalunya » en 2007 (Photographie : David Ruano).
Scène du spectacle « Lucis et Umbrae » de Sergi Buka au « Teatre Nacional de Catalunya » en 2017 avec le compositeur et musicien Jordi Sabaters et l’actrice Rosa Serra (Photographie May Zircus).
Mais pour moi la grande découverte a été le cirque ; le clown Joan Montanyes (Monti) était mon ami et la personne qui m’a donné l’opportunité de connaître et d’aimer le monde du cirque. Je lui serai toujours reconnaissant, et si je fais du cirque c’est grâce à lui. Nous nous sommes rencontrés dans la compagnie de théâtre Els Comediants, en 2008 et il m’a proposé de participer à un spectacle de Noël au Teatro Circo Price de Madrid où il assumait la direction artistique. Depuis lors, j’ai été happé par “la magie” du cirque. Monti est décédé très jeune et j’aurais aimé continuer à partager la piste et d’autres aventures avec lui. J’ai toujours une pensée envers lui quand je me retrouve sur une piste. Depuis, ma magie est toujours située entre le théâtre et le cirque.
Sergi Buka avec les clowns Pipo Sosman, Monti et Marco Rossi (Photographie : Manel Sala).
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
J’ai travaillé dans presque tous les endroits où la magie a un espace de représentation. Je peux donc affirmer que là où je me sens vraiment à l’aise, c’est au théâtre et au cirque. Des espaces où prédomine le contact avec le public. Je suis un romantique et la scène d’un théâtre ou la piste d’un cirque est pour moi comme la toile vierge d’un peintre, le lieu où les miracles se produisent, l’espace où se créé une atmosphère, une illusion.
J’ai une préférence pour les espaces théâtraux à taille humaine, qui favorisent le contact avec le public, écouter ses réactions, sentir qu’il est vivant. Au cirque, les conditions de travail d’un magicien sont techniquement très différentes de celles d’un théâtre, mais l’énergie transmise par le public est un sentiment merveilleux.
Sergi Buka salue le public sur la piste du Cirque Roncalli en Allemagne (tournée 2014 – 2015).
De nombreux collègues trouvent leur place à la télévision, sur Internet ou dans des événements d’entreprise… Pour moi, il n’y a rien de comparable à la scène d’un théâtre ou la piste d’un cirque et peut-être est-ce dû à la prédisposition que le public acquiert lorsqu’il décide de se déplacer pour voir un spectacle. Là commence une sorte de rituel.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
A mes débuts, j’ai été impressionné par le numéro que James Dimare a joué avec Luna Shimada. Ensuite, Tommy Wonder et son numéro poétique des gobelets sur scène était un délice. La vitesse de substitution des Pendragons m’a étonné la première fois que je l’ai vu. Arturo Brachetti et sa capacité à créer des scènes et des personnages. Au fil du temps, j’ai commencé à découvrir des artistes qui, sans être magiciens, ont exploré le territoire de la magie, comme Victoria Chaplin et Jean Baptiste Thierrée avec Le Cirque Invisible, El Teatro de los Sentidos, Philippe Decouflé ou Robert Lepage.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime toutes les magies, celles qui sont bien exécutées et qui parviennent à éveiller l’émotion de surprise chez le spectateur. Mais, j’ai un intérêt particulier pour la magie scénique et visuelle qui se nourrit d’autres arts et techniques pour créer des mondes nouveaux.
Photographie : David Ruano.
Mon grand-père était dessinateur et peintre. Mon père était éditeur de livres et à la maison il aimait jouer du piano. Il m’a transmis l’amour de la musique et de l’art. Je pense que l’environnement artistique de ma famille a influencé ma façon de voir et de faire la magie d’un point de vue plastique.
Quelles sont vos influences artistiques ?
En magie, mes influences ont varié au fil du temps. Les grands maîtres de la magie du XIXe siècle ont été une source d’inspiration importante pour moi. Je suis fasciné par la grande inventivité et l’imagination qu’ils avaient avec les ressources dont ils disposaient. Je pense que l’inspiration se trouve non seulement dans la magie mais aussi dans les différents arts qui nous entourent : le cinéma, les lettres, les arts plastiques, la photographie, la musique. Tous ces domaines peuvent tous être une grande source d’inspiration s’ils provoquent de l’émotion et suggèrent un état magique et créatif.
Par exemple, au théâtre, j’ai trouvé l’inspiration pour mon travail visuel et suggestif avec Le Cirque Invisible, La Compagnie du Hanneton de James Thierrée, Philippe Genty, Il Teatro di Giocco Vita, El Teatro de los sentidos…
La musique classique est aussi pour moi une grande source d’inspiration pour son pouvoir évocateur. En photographie, je trouve intéressant le travail et les mondes que Robert Parket Harrison crée. Dans le cinéma j’affectionne Georges Méliès, Segundo de Chomon, Fellini, Lotte Reiniger et Ingmar Bergman. Dans le arts plastiques le travail de Paul Friedlander et ses sculptures lumineuses ou les installations de Tony Oursler pour sa relation à la magie et la création de personnages qui prennent vie avec ses projections. Ce sont des références artistiques que j’admire.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Quand vous avez un rêve dans la vie, vous vivez avec l’illusion de comment l’atteindre. Il est important de vous connaître pour savoir ce que vous voulez vraiment. Je vous dirai de ne pas vous contenter, donnez-vous le plaisir d’expérimenter, Je ne crois pas beaucoup au génie, je ne dis pas qu’il n’existe pas, mais il y en a très peu et je crois que le dévouement, la persévérance, le travail et un peu de chance, sont la clé pour découvrir au fil du temps ce qui nous rend authentiques en tant qu’artistes.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Actuellement, il y a de très bons spectacles et de professionnels dans les différentes spécialités de la magie avec des styles très divers. Dans beaucoup de villes, il est possible de voir des spectacles de magie dans les grands et petits théâtres. Les programmeurs culturels sont de plus en plus habitués à programmer des propositions d’illusionnisme. La magie est en bonne santé, mais elle est généralement axée sur le divertissement et le spectacle. Néanmoins, apparaissent des propositions intéressantes qui cherchent à aller au-delà de la simple démonstration ou d’un enchaînement de trucs. Et c’est un chemin intéressant pour l’évolution de l’art magique.
Sergi Buka dans le spectacle VOILA en 2019 (Photographie : David Ruano).
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
De mon point de vue et sans être un expert en anthropologie et en histoire de la magie, je pense qu’il est important de noter que jusqu’au XIXe siècle, les magiciens, les chamans et les sorcières avaient beaucoup d’influence sur la prise de décision et les croyances ou superstitions qui affectent la vie culturelle des gens. Encore aujourd’hui, il y en a des traces dans notre inconscient. D’autre part, les magiciens utilisaient déjà à l’époque leurs connaissances pour renforcer leurs rituels, quelque chose qui se produit encore aujourd’hui dans la magie en tant que spectacle.
Sergi Buka dans le spectacle VOILA en 2019 (Photographie : David Ruano).
De nos jours, la magie est fondamentalement une discipline artistique, une forme d’expression et donc elle est nourrie par les arts et les expressions artistiques qui nous entourent, comme la littérature, l’art vidéo, la musique et en général toutes les disciplines qui aident la magie à grandir en qualité et en contenu.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime passer du temps dans le jardin et faire pousser des roses, cuisiner pour rencontrer des amis, lire, écouter de la musique. J’aime la musique classique et j’essaie chaque fois que je peux d’aller dans des concerts pour la sentir vivre.
L’une de mes grandes passions est le monde de la lanterne magique et de la fantasmagorie. Elles sont le germe du cinéma, de la photographie et de la réalité virtuelle. Les magiciens ont été les pionniers de l’utilisation de la lanterne magique pour émerveiller leur public. Il y a 5 ans, j’ai commencé à faire des démonstrations de lanterne magique dans mes propositions scénique, avec du matériel original de ma collection. Actuellement je travaille sur un nouveau projet de lanterne magique où Ramón Mayrata collabore en tant que dramaturge. Comme vous le voyez, il est difficile pour moi de séparer mes passe-temps de mon travail.
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Interview réalisée en juin 2020. Crédits photos – Copyrights avec autorisation : David Ruano / Manel Sala / May Zircus / Ivan Moreno. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.