Textes de Sylvio Arriola, Carole Faisant, Nuria Garcia, Tony Guilfoyle, Martin Haberstroh, Robert Lepage, Sophie Martin, Roberto Mori. Dramaturgie de Peter Bjurman. Spectacle en français, anglais et espagnol surtitrés. Scénographie de Jean Hazel. Mise en scène de Robert Lepage.
Quelques années après qu’il ait débuté au Québec, sa fameuse pièce La Trilogie des dragons (1985) connaît un succès fabuleux un peu partout dans le monde. Robert Lepage est à la fois, le plus souvent, auteur du texte de ses pièces, metteur en scène, acteur mais aussi réalisateur de quelques films. Il créera, entre autres, nombre de spectacles qui furent très remarqués comme Le Polygraphe (1987), Les Plaques tectoniques (1988), Les Aiguilles et l’Opium (1991), ou La Face cachée de la lune (2000). Et, en 2008, pour le 400 ème anniversaire de Québec où il est né, Robert Lepage crée Le Moulin à images, une fresque audiovisuelle projetée la nuit sur des silos à grains du port, sur cinq cent mètres de longueur et trente mètres de hauteur, où il racontait l’histoire de sa ville.
Chaque fois, Robert Lepage reconstruit son espace dans les salles modulables qui lui sont proposées. Avec une forte implication dans les nouvelles technologies. Comme le dit son remarquable scénographe Jean Hazel : « Robert est un metteur en scène extrêmement sensible à l’espace. Il adore mettre tous ses collaborateurs sur la corde raide, y compris les scénographes ». Imaginez ici les Ateliers Berthier avec un dispositif essentiellement bi frontal, quadri-frontal si l’on veut, puisqu’il y a quelques rangées de spectateurs devant chacune des deux tables de régie. Au milieu, une scène ronde absolument plate avec un parquet, petit bijou scénographique, muni d’une bande tournante à la périphérie « Le jeu de cartes, dit Robert Lepage, invitait à ce rassemblement autour d’une table en rond. (…) Mais quand nous avons commencé à développer le spectacle, nous avons eu besoin d’un carré au centre d’un rond : le symbole de la civilisation, de l’homme qui impose sa mathématique dans un monde plus organique ».
Ce plateau rond comporte donc un carré central, avec une petit plateau qui descend à la demande, de nombreuses trappes, de petits escaliers, des portes qui se dressent à l’instant précis où l’on en a besoin, et une foule d’accessoires qui surgit des profondeurs du sol comme par magie, que ce soit un lit deux places, un bar avec ses bouteilles, etc. Au-dessus du plateau, un grill comportant quatre écrans vidéo rétractables en hauteur, et des accessoires comme douze chaises en altuglass transparent. Magique, mais bien entendu, il n’y a pas là-dedans plus de magie que de beurre en broche mais un travail souterrain de plusieurs excellents techniciens, qui, munis de casques audio, puisqu’ils ne voient pas grand chose, font, sans doute courbés en deux, un travail de virtuoses pour donner toute sa continuité à un spectacle composé de très courtes séquences.
Et, comme toujours chez Lepage, le son, la lumière, et les images vidéo jouent un rôle considérable. On peut imaginer la difficulté et la précision des réglages et des implantations, pour que l’ensemble puisse fonctionner avec le jeu des acteurs. Il y a toujours eu chez Lepage, une sorte de cosmogonie personnelle proche où on sent le géographe qu’il était tout jeune. On regarde fasciné ces courtes séquences qui s’enchaînent dans un incessant ballet d’acteurs et d’accessoires, d’écrans vidéo et de lumières pendant deux heures quarante ; qui sont destinés à produire un espace poétique dont les multiples combinaisons, devraient faire naître un univers poétique d’envergure sur le thème de la guerre. Guerre entre individus, entre couple, jeu de cartes sur tapis verts de casino/ métaphore de la guerre, machines à sous de Las Vegas, guerre réelle cette fois à Bagdad, avec discours à la nation du sinistre Bush, autoproclamé défenseur des valeurs de la démocratie américaine.
Jeux de cartes 1 : Pique obéit à de très fortes contraintes scénographiques, ce qui n’est sans doute pas pour déplaire à Lepage qui semble s’amuser comme un fou à cette suite de petites scènes parfois muettes, la plupart à deux personnages (de toute façon, il n’y a que six acteurs pour incarner ces très courtes scènes). On pense inévitablement au fameux Shorts Cuts (1993) de Robert Altman réalisé il y a vingt ans, adapté de Raymond Carver avec ses nombreux personnages et l’entrelacement de plusieurs histoires. Ici, ce sont des soldats, hommes d’affaires, femmes de chambre et groom d’un grand hôtel réunis autour d’un buffet/dîner pour le personnel, un couple dont le mari est accro au jeu, etc. C’est, servi par des acteurs exemplaires, bluffant de vérité.
Cela fonctionne ? Oui et non. Oui, par exemple, dans cette scène très orageuse où un mari qui a tout perdu au jeu retrouve sa femme dans sa chambre d’hôtel qui lui apprend qu’elle vient de passer la nuit à faire l’amour avec un autre et qu’elle va le quitter, ou cette scène très violente où un homme d’affaires danois qui menace avec un revolver une très jeune pute en soutien-gorge et porte-jarretelles de cuir noir cloutés, va à sa demande lui lier les mains avec une ceinture de peignoir. La jeune pute finit par lui enfoncer le revolver dans la bouche et tire, avant de lui subtiliser tout son argent. Il y a aussi ce viol d’un jeune militaire par ses copains et cet entraînement de soldats danois, à la fouille, dans un faux village irakien… Mais le plus souvent, comme dans ces scènes de bar, qui reviennent plusieurs fois, le texte de ces petits dialogues semble sorti tout droit d’improvisations et n’a rien de très convaincant, et ces flashs de petites scènes de vie quotidienne font souvent long feu.
Comme il se passe toujours quelque chose sur le plateau et que l’on est fasciné, comme des enfants, par cette incessante transformation du décor, que les acteurs sont immédiatement crédibles et ont une grande présence, on ne s’ennuie pas tout à fait, sauf dans la dernière heure, où on a l’impression de faire du sur-place et où cela devient vraiment longuet, surtout à la fin qui semble se perdre dans un tourbillon de fumée rouge aspirée vers le haut. Le spectacle se termine sans que cela finisse vraiment. Dernière scène très réussie sur le plan esthétique mais inutile où l’on peine à en trouver le véritable sens.
Au final, un spectacle d’une grande beauté esthétique. Quelle mise en scène parfaitement maîtrisée et quelle direction d’acteurs : Sylvio Arriola, Nuria Garcia, Tony Guilfoyle, Martin Haberstroh, Sophie Martin, Roberto Mori sont tout à fait remarquables. Et quelles lumières (Louis-Xavier Gagnon-Lebrun), quelle conception sonore (Jean-Sébastien Côté) ! Mais cela tourne un peu à vide. D’habitude, un Robert Lepage, cela vaut toujours le coup d’y aller voir mais, cette fois, on est déçu et le compte n’y est pas tout à fait. Mais, comme ce Jeux de cartes 1 : Pique est le premier volet d’une série de quatre (suivront Cœur, Carreau, et Trèfle), on peut encore avoir de l’espoir… Robert Lepage, avez-vous du cœur ?
– Source : Le Théâtre du Blog.
Note :
– Le metteur en scène « magicien » Robert Lepage, acclamé sur les scènes de théâtre et d’opéra du monde entier, a imposé le style unique, souvent imité mais jamais égalé, d’un théâtre foisonnant, essentiellement visuel, truffé d’apparitions, d’effets et d’illusions.
A voir :
– Jeux de cartes 1: Pique, aux Ateliers Berthier/Odéon à Paris, Jusqu’au 14 avril 2013.
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