Discussion avec Michel Ocelot dans le cadre de la projection cinématographique d’Ivan Tsarevitch et la princesse changeante, quatre courts-métrages tirés de Dragons et Princesses (La Maîtresse des Monstres, L’Écolier-Sorcier, Le Mousse et sa chatte, Ivan Tsarévitch et la Princesse changeante) et deuxième transfuge pour le cinéma après Les Contes de la nuit.
Michel Ocelot (Creative Commons)
Comment élaborez-vous vos scénarios ?
Pour la plupart de mes histoires, je m’inspire des contes traditionnels et je les adapte à ma façon en enlevant ou rajoutant des choses pour améliorer l’histoire et la narration. Ce processus de travail est mis en abîme dans chaque prologue avec Téo, le vieux projectionniste et les deux enfants. Pour Ivan Tsarevitch et la princesse changeante, je voulais un film russe avec de la musique russe. Il y a dans ce conte une mécanique très précise en cinq étapes, de A à E. Pour avoir A, il faut B, pour avoir B, il faut C, ainsi de suite… jusqu’à revenir en arrière.
Dans Kirikou, l’histoire, au début, était bien mais la suite était mauvaise car l’enfant tuait la sorcière. J’ai décidé de changer cette partie pour que Kirikou aime la méchante… Pour La maitresse des monstres, j’ai mis des éléments personnels dans l’histoire, qui me sont arrivés au cours de ma vie.
Dans votre film Ivan Tsarevitch, utilisez-vous la technique du papier découpé ?
Non, le film est entièrement réalisé en numérique. Seul Princes et princesses (1989) fut fabriqué avec des pantins de papier. Mais, j’ai donné des consignes très précises à mes informaticiens en leur disant qu’il fallait faire aussi simple que ces silhouettes bidimensionnelles. Au final, le film est conçu comme du papier découpé et un théâtre d’ombres.
Comment fabriquez-vous vos décors de fond et les couleurs ?
Tout est fait par ordinateur, comme je vous l’ai dit plus haut. Le décor est translucide avec des effets de lumières. Nous utilisons de l’aquarelle car c’est transparent, et ensuite, avec la palette numérique, nous travaillons toutes les possibilités de nuances. C’est une véritable orgie, un vrai plaisir de peintre !
Pour Azur et Asmar (2006), nous avons réalisé les décors en peinture sur papier et le plus gros a été traité par ordinateur par un travail de collages.
Dans l’introduction de chaque conte, nous voyons un hibou qui précède le lever de rideau. Est-ce un symbole ?
Oui, c’est un symbole. Il s’appelle « Petit Duc ». Je pousse les spectateurs à faire comme moi. Pour le spectacle, il faut des spectateurs qui sont symbolisés par cet animal de nuit, tous les soirs.
Pourquoi voit-on un plan d’une ville et d’un cinéma au début des contes ?
Le petit cinéma représente la réalité, une réalité que l’on peut « déformer », un endroit qui permet toutes les fantaisies qui vont être proposées par les deux jeunes gens.
C’est aussi un moyen de marquer une respiration entre chaque petit film. Il y a l’extérieur, l’intérieur du cinéma, la préparation, l’attente et la projection où conteurs et spectateurs sont entremêlés.
Avez-vous procédé à des changements pour l’adaptation de vos courts métrages sur grand écran ?
Non, il n’y a pas eu de changements. J’ai fait ce que je voulais en écrivant mes propres histoires, un tas d’histoires que j’ai proposé au producteur. Le financement vient essentiellement de la télévision. Avec cet argent, nous avons eu une grande liberté d’action et nous avons pu fabriquer 10 contes en silhouettes (contre cinq contes en images traditionnelles, en temps normal). C’est une opération très économique au final.
Combien de temps faut-il pour fabriquer vos films d’animation ?
Pour faire un conte, il faut environ un à deux mois de travail avec une à deux personnes. Pour un long métrage c’est 6 ans avec une équipe complète.
Pouvez-vous nous parler de votre prochain film ?
Il s’agit de Dilili à Paris. Nous avons commencé le travail d’image et d’animation. La sortie est prévue début 2018.
L’histoire est la suivante : « Dilili est une petite métis venue de Nouvelle-Calédonie, découvrant le Paris de la Belle Epoque. Les Parisiens l’ont observé pendant des mois dans un village kanak reconstitué, elle décide d’observer à son tour les Parisiens… Il y a surtout un mystère à résoudre : l’enlèvement de petites filles… Un jeune livreur en triporteur, connaissant Paris comme sa poche, accompagne la jeune Dilili parmi des hommes et des femmes fascinants, qui donnent informations, indices et idées aux jeunes héros. Ceux-ci découvriront une secte ténébreuse, et lutteront pour une vie active dans la lumière et le vivre-ensemble… »
Il y a comme un fil conducteur dans vos films, où les personnages principaux se retrouvent seuls contre tous.
Au début de ma carrière, j’ai eu beaucoup de mal à faire ce que je voulais et à intéresser des producteurs. J’étais quelqu’un d’innocent et d’honnête et on me disait souvent que je n’arriverais à rien ; mais j’y suis arrivé ! C’est pourquoi dans mes films, on retrouve très souvent des innocents qui ne se laissent pas faire.
D’où vient votre passion pour l’animation ?
Le premier film d’animation que j’ai vu était constitué de jouets en mouvement. J’ai toujours dessiné, bricolé des petites mécaniques, des petits théâtres et j’ai naturellement découvert, petit à petit, que je pouvais fabriquer des films avec des poupées et du papier découpé.
Pourquoi y a-t-il une très forte présence de différentes ethnies dans vos films ?
Tous les pays et les époques m’intéressent. Tout me fait rêver et j’aime explorer la planète en changeant à chaque fois d’endroit : l’Orient, l’Afrique, l’Asie, l’Europe, etc. La prochaine ethnie que je célèbre ce sont les français à Paris au temps de la Belle époque dans mon prochain film Dilili.
Avez-vous des univers de référence, des films préférés ?
Je m’inspire d’un peu de tout et pas nécessairement de films. Bien sûr, Walt Disney m’a beaucoup frappé avec Cendrillon et La belle au bois dormant. J’ai bien aimé Persepolis de Marjane Satrapi. Mais je n’ai pas d’admiration particulière. Je n’ai jamais eu envie d’être quelqu’un d’autre. J’ai par contre de l’admiration pour les gens qui font bien leur boulot dans n’importe quel domaine.
Quel regard portez-vous sur le cinéma d’animation actuel ?
A une certaine époque, il n’y avait que l’empire Disney qui propageait une politique de terre brulée. Aujourd’hui tout va bien, l’animation est à la mode et on trouve facilement du travail. Les japonais ont donné le goût de l’animation à beaucoup de gens.
Avec Kirikou, j’ai prouvé que les français pouvaient faire du cinéma animé et de l’argent ! Actuellement, la France est le troisième producteur de films d’animation en termes de quantité. Nous avons de la chance car les français sont très bons et sont reconnus dans le monde entier. Pour la petite anecdote, j’ai été juré dans différents festivals d’animations étudiants à Moscou, Séoul et Cannes, et à chaque fois nous avons dû « tricher » pour ne pas avoir que des français dans le palmarès.
A lire:
– Michel Ocelot, les trésors cachés.
– Princes et princesses.
– Azur et Asmar
– Les contes de la nuit.
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