Dans l’univers des films d’animation à la française, existe un franc tireur
nommé Michel Ocelot. Cet artiste a développé une œuvre unique hors des sentiers commerciaux. Une
œuvre exigeante et sensible qui la conduit au succès planétaire avec Kirikou et Azur et Asmar. Mais avant ce triomphe tout ne fut pas rose. Ce créateur de formes, passionné de dessin dès le plus jeune âge entre aux beaux-arts puis aux arts décoratifs à sa majorité. Il travaille ensuite à Los Angeles chez Walt Disney, et s’en détache très rapidement, n’étant pas en phase avec l’animation à l’américaine.
En 1975, il réalise des épisodes d’animation pour la télévision, dont le
héros sera Gédéon le canard. Ne voulant pas être le créateur d’un seul personnage, il crée son chef d’œuvre et obtient la reconnaissance du milieu. En effet, « Les trois inventeurs » réalisé en 1980 raflera de nombreux prix
internationaux dont un « British academy award ». Ce film en papier découpé et napperon de pâtissier allait à contre courant de l’animation classique de l’époque. Il n’empêche que le résultat est d’un raffinement et d’une poésie folle.
Les trois inventeurs. Matrice des jeux de découpages cher au réalisateur.
Après une période de vache maigre il travaille à nouveau pour la télévision en 1986 et réalise treize épisodes de quatre minutes intitulés La princesse insensible.
Et c’est en 1989 avec la série Ciné si qu’il atteint l’apogée de sa
collaboration avec le petit écran. Il imagine six courts métrages de douze
minutes traités en théâtre d’ombre regroupés sous le titre Princes et Princesses.
Avec ces six histoires, Michel Ocelot revient au papier découpé. Il maîtrise
cet art comme personne d’autre. Son point de départ est une mise en scène de son propre travail de création. En prologue de chaque conte, un garçon et
une fille se retrouvent chaque soir dans une salle de cinéma désaffectée. Un
vieux projectionniste leur ouvre les portes du spectacle. En six séances
magiques, ils inventent des histoires merveilleuses qui les transportent à
travers les siècles et leur font franchir les frontières. Ces trois
personnages représentent le réalisateur et ses assistants. Ils se
documentent sur l’histoire des costumes et des représentations, inventent
des histoires inspirées de contes existant pour les transfigurer et les
jouer eux-mêmes.
Michel Ocelot nous met dans la confidence et nous immerge dans son travail de création :
« Tout ce que vous allez voir est faux. Ce sont des contes de fées. On va
se déguiser devant vous et petit à petit vous allez y croire ».
Une belle métaphore résume le travail d’Ocelot et pourrait être reprise par beaucoup :
« J’utilise à ma manière les idées de tout le monde. Je joue avec des
balles que des jongleurs innombrables ont déjà utilisées de siècle en
siècle. Ses balles, qui se sont passées de mains en mains, ne sont pas
nouvelles. Mais aujourd’hui c’est moi qui jongle ».
En effet l’art du théâtre d’ombre est ancestral et son utilisation au cinéma
a déjà connu ses lettres de gloire en 1925 avec notamment Les aventures du prince Achmed de Lotte Reiniger, l’inventrice du film à silhouette. Michel
Ocelot connaît sur le bout des doigts toutes ces histoires et s’amuse à les
faire et le défaire devant nos yeux ébahis.
Je vous invite à voir cela de plus près :
La princesse des diamants. Un jeune prince, aidé d’une multitude de fourmis,
retrouve les cent onze diamants qui parent le collier d’une princesse. Il
parvient ainsi à la sauver du sort qui la frappait et peut l’épouser. Ce
conte reprend beaucoup de thèmes classiques : l’animal reconnaissant, les
méchants punis, les transformations, la princesse qu’il faut délivrer, les
épreuves à réussir, etc. Le réalisateur nous éblouis au passage avec la
séquence des diamants, utilisant la technique du papier noir troué et
irradié de lumière.
Le garçon des figues. Au temps des égyptiens, un pauvre fellah offre à la
reine des figues succulentes mûries en plein hiver. Le fourbe intendant du
palais est jaloux des présents que la reine lui offre pour le remercier. Il
cherche à supprimer le jeune homme. Sa traîtrise se retournera contre lui.
Cette histoire déchiffrée sur des hiéroglyphes serait vraie. Le réalisateur
à simplement remplacer le pharaon par une pharaonne pour respecter la
dramaturgie de l’ensemble. Il en profite également pour reproduire la faune
et la flore égyptienne avec une précision d’horloger.
Le garçon des figues. Précision des représentations égyptiennes
La sorcière. Au Moyen-âge, malgré de puissants assauts, personne n’est
jamais parvenu à pénétrer dans le château de la sorcière. Sans aucune arme
et contre toutes attentes, un jeune garçon parvient à la séduire et à
l’épouser. Cette histoire est originale et reprend l’imagerie « des donjons
et dragons ». La sorcière est en fait une inventrice. Elle a des idées et
les suit. Comme elle est différente et autonome, qu’elle ne veut pas se
soumettre, les gens ordinaires la détestent. Le garçon observe la scène et
ne la condamne pas sans raison. Il finit par comprendre qu’au lieu
d’attaquer ce problème de front, il suffit de parler simplement et gentiment
à cette femme et de lui demander d’ouvrir sa porte.
Le manteau de la vieille dame. Au Japon, un voleur veut dérober son superbe
manteau à une très vieille dame. Mais celle-ci est malicieuse et va lui
faire passer une nuit qu’il n’oubliera jamais. Ce conte est inspiré d’une
histoire japonaise du XIX ème siècle, « La veuve Ohiko », découverte dans
les carnets de dessins du grand Hokusai. Michel Ocelot rend ainsi un bel
hommage au maître.
La reine cruelle. En l’an 3000, une reine cruelle tue ses prétendants. Un
simple montreur de « fabulo », petit animal qui siffle à merveille, parvient à
échapper à son méga radar et à son rayon de la mort, et à l’épouser. Inspiré
du « Lièvre de mer » des frères Grimm, un récit à l’époque maladroit et
raconté par quelqu’un qui ne comprend pas vraiment ce qu’il raconte. Ce
texte devient sous la caméra de Michel Ocelot, une savoureuse histoire de
duperie. Où se cacher ? Dans un seul endroit insoupçonné, celui là même où
se trouve la personne qui vous surveille.
Prince et princesse. De baiser en baiser et de métamorphose en métamorphose,
un prince et une princesse souhaitent retrouver leur forme initiale, surtout
le prince devenu… princesse ! Avec cette histoire, Michel Ocelot évoque
tous les stéréotypes des histoires de princes et de princesses. Tous les
faits sont contrariés et rien ne se déroule comme prévu. Les deux
personnages se muent en animaux plus ou moins grands, ce qui donne lieu à
des couples cocasses comme le teckel et la puce, l’éléphant et la girafe.
L’histoire d’un sujet commence dès sa conception dans l’imaginaire de ses
parents et de ses proches. L’enfant à venir est source de représentations et
d’attentes. Par exemple, selon son identité sexuelle, selon les désirs de
perfection ou de performances à son encontre, la société attend de lui un
rôle, mais cela peut être lourd de conséquences…
Les bonus.
Fidèle à son sens de la pédagogie, le réalisateur agrémente ses courts
métrages de jeux ludiques et intelligents :
« Le jeu des ombres » est un quiz sur les costumes, le symbolisme et les représentations à travers les siècles.
« Théâtre d’ombres » Où et comment fabriquer soi-même un théâtre et des silhouettes pour inventer ses propres histoires.
Il décortique aussi tous ses contes en expliquant leur genèse.
A voir :
– Princes et princesses. DVD disponible chez France Télévisions.
A lire:
– Michel Ocelot, les trésors cachés.
– Azur et Asmar
– Les contes de la nuit.
– Rencontre avec Michel Ocelot.
A Visiter :
– Le site Cinéma et Internet
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