Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Comme il y eu plusieurs déclics ou étapes, je vais répondre à la manière de Georges Perec !
Je me souviens…d’une boîte de magie reçue je ne sais plus à quelle occasion, ni même si c’est moi qui avais souhaité la recevoir.
Je me souviens… du magicien Kio au Cirque de Moscou en représentation à Bruxelles. Je devais avoir plus ou moins 6 ans et en regardant certains de ses numéros, je me demandais si j’étais dans un rêve ou si ce que je voyais était bien réel.
Je me souviens…plus tard… avoir été fasciné par les artistes de rue sur le parvis de Beaubourg à Paris ou aussi par un magicien à Saint-Tropez qui avait réussi à obtenir un grand cercle (de spectateurs) autour de lui grâce à des tours plus drôles que mystérieux.
Je me souviens aussi… de spectacles de magie qu’enfant, je donnais et imposais (!), à chaque fête de Noël, à toute la famille…
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Par défi envers moi-même, je me suis « planté » un jour dans les Galeries de la Reine près de la Grand Place de Bruxelles. « Planté » car il a fallu un certain temps avant que j’ose tenter d’intéresser les passants pour pouvoir commencer un spectacle et passer ensuite le chapeau. Je ne sais plus si j’étais encore étudiant en polytechnique ou si j’avais déjà commencé ma “reconversion professionnelle” !
Les Magiciens (1989-1995).
Avant ce premier pas « en rue », je m’étais débrouillé tant bien que mal pour apprendre… car Internet n’existait pas à l’époque.
Une petite annonce du magasin « Monsieur Séraphin » à Lyon (!) dans l’hebdomadaire pour enfants Pif Gadget m’a permis de commander le Cours Magica de Robert Veno et aussi le livre de Pavel.
Et chaque année, j’achetais un livre de magie à la maison d’édition Payot à la Foire du Livre de Bruxelles !
J’ai même loué aussi un magnétoscope pour visionner ma première cassette vidéo de magie ! Celle sur le Topit de Patrick Page.
Et puis surtout, un article dans un journal m’a appris l’existence d’un club pour jeunes magiciens à Bruxelles qui était animé par Klingsor et Mandrex. Les réunions permettaient de présenter des tours et d’en apprendre d’autres. Cela donnait aussi parfois l’occasion de rencontrer un vrai public lors de spectacles organisés sous forme de concours.
De fil en aiguille, j’ai commencé à fréquenter les congrès de magie à Bruxelles et à l’étranger.
Deuxième prix à la Colombe-d’Or (Antibes Juan-les-Pins, 1998).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Ce fut le magicien Stanislas qui me sollicita en 1989 pour faire partie de son nouveau spectacle Les Magiciens : c’était basé un peu sur le même concept que la grosse production actuelle The illusionists mais en plus théâtralisé : rassembler des magiciens de différentes disciplines et aux caractères bien “tranchés et contrastés” avec des numéros individuels mais aussi collectifs : d’abord surtout les talents de bonimenteur et présentateur de Stanislas accompagné de Francy Begasse (numéro de chapeau de Tabarin), Daniel Adrian et Annick pour la magie générale, Fredini et Véronique aux grandes illusions et moi avec un numéro de manipulation. Sans oublier Roger Hindricq, le musicien qui jouait du synthétiseur pour illustrer musicalement le spectacle.
Festival International du Rire de Rochefort (Belgique 2002).
A noter que la mise en scène a évolué et s’est enrichie au cours des années pour aboutir à un fil conducteur, une progression dramatique, une évolution et une transformation des personnages : un magicien (Daniel Adrian) devenait un vampire à cause d’une chauve-souris qui le mordait, un autre (moi) devenait aveugle à cause d’un coup de foudre amoureux, une femme de ménage (Véronique) devenait une partenaire sexy de magicien ou encore un musicien se prenait pour un lapin à moins que ce soit l’inverse… Il s’agissait d’une création collective suite à des nombreuses représentations publiques plutôt qu’une mise en scène avec un metteur en scène et sans public.
En fait, ce spectacle m’a permis de me rendre compte de la réalité de la profession de magicien : la réalité juridique du statut d’artiste, la manière de déclarer ses contrats, de se vendre, quels tours présenter professionnellement, etc. Aspects que l’on n’apprend pas dans les congrès ou les clubs de magie…
A la même époque, je débutais ma « carrière » d’ingénieur civil. J’ai d’ailleurs hésité à accepter la proposition de Stanislas pour cette raison.
Mais finalement mon expérience professionnelle polytechnicienne a été de courte durée ! J’y ai mis un terme assez rapidement car j’ai senti que ma voie était ailleurs…
LAPIN ! avec Céline Taubennest (2004).
Ce qui m’a freiné ou peut-être retardé c’est peut-être mes études universitaires. Bien que paradoxalement, ce fut une «sorte de publicité » et une « curiosité de mon parcours » quand la Fondation de la Vocation m’a attribué une bourse qui a, d’ailleurs, aussi été un « tremplin ».
Les autres personnes qui m’ont aidé et m’aident encore : les magiciens Daniel Adrian, Mimosa et…Bob Alan avec son immense culture magique !
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Comme je l’ai dit, j’ai travaillé avec d’autres magiciens à l’occasion du spectacle Les Magiciens. Pour mes productions personnelles : avec une chanteuse ou une musicienne et aussi un régisseur son et lumière. Récemment aussi avec ma compagne Corinne Rigaud.
Mais je travaille principalement seul et ceci dans toutes les conditions : à la fois dans le cadre feutré des théâtres ou centres culturels, mais aussi en extérieur ou dans des fêtes privées où l’on doit s’attendre à devoir divertir dans toutes les conditions même dans celles qui n’étaient pas prévues ou promises au départ !
RAINBOW avec Rachel Ponsonby (2005-2008).
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y en a beaucoup ! Pour en citer quelques-unes :
la “pureté” du numéro de Richard Ross. Finn Jon et sa ”lenteur magique”.
Lance Burton à la FISM en 1982 : il regardait en permanence le public et jamais ce qu’il tenait dans ses mains… et les colombes n’arrêtaient pas d’apparaître et de s’envoler vers leur perchoir.
Le professionnalisme et le perfectionnisme des spectacles de David Copperfield même si en fin de compte, selon moi, cela manque de spontanéité et d’énergie théâtrale vue la relative froideur de son personnage.
Le pragmatisme et l’efficacité magique de Jean Merlin, Stanislas, Mimosa et aussi Jeff Mc Bride (pour les trois premiers : évidemment aussi leur pouvoir comique !)
Et les facéties magiques d’Otto Wessely que j’avais vu notamment à Paris en 1980 dans la Révolte des Colombes au Théâtre de Dix Heures et que j’ai revu récemment à Blackpool en 2016 dans un des galas du soir !
Et puis parmi les artistes non magiciens : Guy Bedos, Raymond Devos, les Mummenschanz, entre autres…
Présentation du Festival de Magie de Nivelles 2016 (Belgique).
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je préfère citer ceux qui ne m’attirent pas vraiment : souvent le mentalisme et la magie bizarre. Mais aussi la cartomagie et le close-up car ces deux disciplines sont la plupart du temps exécutées par des « techniciens sans émotions et qui sont assis et presqu’immobiles derrière une table » … Et d’une manière générale la magie sans émotion humaine, théâtralité ou qualité artistique.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Sans doute une influence « cinéma muet » (Charlie Chaplin, Buster Keaton). J’ai peut-être aussi été influencé indirectement par Le Cirque imaginaire de Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin.
Aussi par le Cirque Plume : j’ai d’ailleurs travaillé avec Rachel Ponsonby : une anglaise, femme orchestre et clown, qui a travaillé avec cette troupe.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Il n’y a pas que la magie dans la vie !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je suis avec intérêt et curiosité l’évolution de la magie nouvelle même si je trouve leur définition (« Langage qui est le détournement du réel dans le réel ») assez nébuleuse. Par contre, leur propos sur l’histoire de la magie sont intéressants (en particulier sur la fête de Saint-Nicolas !).
Xavier Mortimer, Pierric ou même James Thierrée ne se revendiquent pas de ce mouvement mais leur travail est aussi très intéressant et original sans qu’il soit nécessaire de l’expliquer par des phrases et des mots…
Les spectacles de magie nouvelle sont de grandes qualités artistiques et techniques mais je me suis quand même ennuyé dans la « pénombre monotone » du Soir des Monstres jusqu’à la très belle scène finale. J’ai beaucoup aimé l’ambiance musicale et certains numéros du Cabaret Magique, Nous, Rêveurs Définitifs.
J’irai voir Le Syndrome de Cassandre dès que possible.
En ce qui concerne la magie actuelle de manière générale, je suis parfois écœuré par les gimmicks dont le nombre explose depuis plusieurs années.
Evidemment c’est une source de revenu pour les magiciens et cela fait preuve de créativité mais quand on vante les beaux emballages de ces gimmicks sur Internet : je trouve que ce n’est plus que du commerce et qu’il faut attirer le client pour qu’il achète « la merveille » pour … « en fin de compte »….la ranger dans un tiroir après peut-être une seule utilisation en public et encore…
Finalement, je trouve qu’il y a parfois peu de différence entre un magicien dans une foire aux trucs (ou après une conférence) et “la ménagère” (femme ou homme !) qui achète le dernier gadget de cuisine vendu par un camelot au marché ! Ustensile qu’elle (ou il) n’utilisera jamais !
Il y a plusieurs années, les gimmicks n’étaient pas vendus avec un beau « packaging ». Les clips publicitaires sur YouTube font partie de la même démarche : un bel emballage !
La surabondance de ces articles mais aussi des dvd sur le marché laisse peu de place aux livres qui restent un moyen d’apprendre pourtant essentiel.
Quels gimmicks résisteront à l’épreuve du temps ? Pour les cartes, sûrement déjà l’omnideck de Jerry Andrus par sa pureté, son côté très pratique, inusables et la non nécessité de « recharges » ou d’une longue préparation. Mais les autres ? Qui dit plusieurs gimmicks dit poches encombrées : un close-up man essaie au contraire de limiter le contenu de ces dernières !
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
J’ai envie de répondre par une pirouette : la magie fait partie de la culture !
Plus sérieusement, il est certain que le théâtre et la musique, par exemple, sont des « outils » qui ne peuvent qu’enrichir une performance de magie.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Principalement la randonnée et aussi les treks de plusieurs jours en montagne de refuge en refuge.
– Interview réalisée en août 2016
A visiter :
– Le site de Philippe Lelouchier.
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