C’est une véritable malle aux trésors que nous ouvre l’auteur de Kirikou avec la mise en lumière de ses courts-métrages « de jeunesse ». La découverte de merveilles d’animation qui font ressortir le talent de conteur d’Ocelot, sa singularité, son sens de l’audace, de la narration et de l’ellipse.
Les trois inventeurs (1979)
L’histoire se passe au XVIIIème siècle et conte les aventures de trois inventeurs qui créent de jolies machines utiles que les gens ne comprennent pas. Ces inventeurs sont en fait une famille qui, profitant des révolutions techniques qu’offre leur époque, innovent pour le bien de l’humanité.
Michel Ocelot explique qu’il a pensé à différents inventeurs qui ont été chassés, tués et leurs inventions détruites, uniquement parce que les gens ont souvent peur de la nouveauté : « J’ai pensé à Lavoisier, et à son épouse qui l’aidait (le Grand Inventeur et la Grande Inventrice ont leurs silhouettes), Lavoisier, guillotiné après qu’un juge lui ait déclaré : La République n’a pas besoin de savants ».
Utilisant la technique du papier découpé dans des nuances de blanc différentes, les personnages et décors sont fabriqués dans du papier dentelle et du napperon de pâtissier gaufré. Une fabrication artisanale et expérimentale pour un résultat visuel incroyable. Récompensé dans le monde entier Les trois inventeurs est l’œuvre chérie d’Ocelot et la matrice suprême de toutes ses œuvres à venir.
La légende du pauvre bossu (1982)
L’histoire se passe au Moyen-âge. Une princesse attend son prince sur un trône placé en hauteur dans un édifice religieux. Différents princes aux riches atouts se présentent en offrant des trésors devant une foule de badauds. Un bossu essaie lui aussi d’accéder à la princesse avec uniquement quelques fleurs mais se fait frapper par les autres prétendants. L’un deux va même l’humilier en public et le bossu va devoir se défendre tant bien que mal. Devant tant de haine et de mépris, le bossu dévoile le secret de sa bosse pour s’envoler vers d’autres horizons.
Ce court-métrage sans dialogues est constitué de plusieurs dessins crayonnés et coloriés qui se succèdent pour créer une animation saccadée dans le style des « romans photos ». Accompagné par une musique solennelle, les dessins, aux abords austères, prennent vie doucement pour arriver à une véritable apothéose de la forme et du fond. Car tout ici est question de métamorphose. Le thème classique du bossu, reprit de Victor Hugo, est intelligemment détourner pour s’orienter vers un univers plus mystique et poétique convoquant des figures mythologiques. Un mélange des styles tonitruants, qui étonne et trouble mais séduit finalement le spectateur, peu habitué à ce genre de récit hybride.
La princesse insensible (1986)
L’histoire de différents princes qui essaient de distraire une princesse qui semble ne jamais être touchée par les numéros qu’ils présentent, pourtant avec talent, dans son théâtre privé à l’italienne. Pourtant un seul arrivera à surprendre la princesse contre toute attente.
Cette petite série de treize saynètes destinées pour la télévision utilise la technique du papier découpé en couleur et met en avant le théâtre d’ombre dans la scène d’introduction. Chaque prince propose un petit spectacle dans la pure tradition du théâtre baroque du XVIIème siècle. Des petits moments d’humour et de poésie se succèdent sur la scène d’un théâtre royal richement décoré. Michel Ocelot laisse libre court à la fantaisie utilisant l’espace scénique comme une zone d’expérimentation où toutes les fééries sont possibles. Car il s’agit bien d’un théâtre de féérie digne de Méliès qui nous est proposé avec comme support machineries, trappes et jeu de lumières. Une magie scénique où la scénographie est extrêmement bien étudiée pour le plaisir des yeux et de l’esprit. Un mini théâtre fantasmagorique oh combien divertissant.
Michel ocelot balaye l’histoire de l’art scénique dans un concentré de temps. Nous verrons ainsi apparaître sur scène un dompteur, un magicien, un botaniste, un transformiste, un clown, un mime, un artificier ainsi qu’un peintre. De ce spectacle baroque total ressortent quelques tableaux dont :
– Le prince à transformations qui fonctionne comme un cadavre exquis.
– Le prince sourcier qui nous rejoue les grandes eaux de Versailles dans un théâtre.
– Le prince qui fait semblant qui utilise l’art du mime pour créer des situations surréalistes en évoquant le théâtre Olympique de Palladio pour créer des perspectives en trompe-l’œil.
– Le prince magicien qui transforme la scène en un décor exotique surchargé.
– Le prince peintre qui met en abyme le décor du théâtre.
Icare / Ciné si (1989)
Icare est un court-métrage inédit de Ciné si, regroupé plus tard sous le titre Princes et Princesses pour l’édition DVD.
Reprenant le mythe du labyrinthe construit par l’architecte Dédale pour enfermer le minotaure dans la Grèce antique, il met en lumière le personnage d’Icare, fils de Dédale, tous deux enfermés dans cette gigantesque forteresse écrasée par le soleil de Crète.
Les contes de la nuit (1992)
Voici les courts-métrages qui constituaient la série TV Les contes de la nuit. Ses petits films utilisent la technique du théâtre d’ombres. Comme dans Princes et Princesses on retrouve des décors tout en détail et des silhouettes graciles ainsi que des histoires imprégnées de beaucoup de poésie.
– Le prince des joyaux
Ce conte des mille et une nuits met en scène un jeune homme qui, pour pouvoir épouser une princesse, doit ramener au père de celle-ci une montagne de pierres précieuses. La séquence de la montagne avec l’aigle aux joyaux est un grand moment ainsi que l’arrivée du prince au palais.
– La belle fille et le sorcier
Une fille moche et enrobée s’apitoie sur son sort et rencontre par hasard un sorcier « qui tombe du ciel » telle une bonne fée. Celui-ci la transforme en une ravissante princesse du Moyen-âge. Mais cela ne résout pas le problème de sa solitude…
– La bergère qui danse
Un jeune berger joueur de flûte ensorcelle à chaque note une fée qui apparaît pour lui faire la cour. Le berger refuse systématiquement ses avances et ne veut pas quitter sa bergère qu’il aime plus que tout. La fée vexée le capture pour qu’il repose dans la tour du sommeil à jamais loin de sa bien aimée…
Michel Ocelot renverse ici habilement les rôles du prince et de la princesse en faisant du héro « une belle au bois dormant » qui se fait charmer par une méchante sorcière.
Earth intruders (2007)
Dans ce clip créé pour la chanteuse islandaise Björk, Michel Ocelot s’est inspiré des motifs et des figures tribales africaines de ses longs métrages avec Kirikou en filmant de vrais danseurs en action et en prise de vue réelle. Il combine également la technique du théâtre d’ombres ainsi que la surimpression vidéo. Cet amalgame de technique, déconcertant au départ, colle finalement assez bien au style de la chanson. Une fois de plus Ocelot, répondant à une commande, a sut innover et proposer un objet totalement original.
L’invité aux noces d’Azur et d’Asmar (2008)
Cette deuxième fin inédite proposée par les enfants d’une classe de Beyrouth montre une petite suite au long métrage Azur et Asmar. Touché par le texte, Michel Ocelot à rassemblé l’équipe qui avait travaillé sur le film pour constituer un post-scriptum d’un quart d’heure. Moyen oblige, le film n’est pas animé mais est constitué d’une succession de dessins en noir et blanc, « un animatic ». Les personnes qui ont prêté leur voix aux personnages du film récitent à nouveaux les dialogues.
Secrets de fabrication
Michel Ocelot en fin pédagogue décortique un par un les différents courts-métrages et livre quelques secrets de fabrication passionnants.
– Pour son chef-d’œuvre Les trois inventeurs il s’est isolé tel un ouvrier du compagnonnage réalisant seul la conception et la réalisation dans une liberté absolue. Cinq mois de préparation pour trois mois d’animation auront été nécessaires pour accoucher de « cette pièce de maître ».
– Pour La légende du pauvre bossu, qui reçu le César de la meilleure animation, Michel Ocelot a prit le contre-pied de sa précédente réalisation en utilisant des techniques simples et une économie de moyen. Une enfilade de dessins monochromes animés succinctement sans mouvements de caméra et sans texte.
– La princesse insensible, œuvre de commande pour la télévision, donnera à Michel Ocelot la possibilité de travailler comme il l’entend. Une liberté rare qu’il exploitera remarquablement pour réaliser « sa petite musique de nuit pour enfant sage ». Il utilisera le papier découpé mais aussi l’animation classique sur celluloïd pour créer des tableaux originaux et minutieux.
– Avec la série des contes de la nuit, Ocelot garde le papier découpé mais change de technique pour adopter le théâtre d’ombre. Une idée qui lui est venue d’ateliers qu’il animait pour des enfants danois. La simplicité et l’économie de moyen permettent une souplesse dans l’animation des figures qui changent d’échelle suivant les cadrages. Différents filtres sont également utilisés pour créer des effets de lumière animés telles des vues optiques perforées du XVIIème siècle.
– Gédéon est le premier travail officiel de Michel Ocelot destiné à la télévision. Une série de soixante fois cinq minutes qui est une préfiguration de Kirikou mettant en scène un petit canard malicieux inspiré par le conte d’Andersen.
Le synopsis : Gédéon naît dans une ferme où tout le monde le rejette à cause de son long cou. Il décide de se sauver et passe une première nuit à la campagne. Il s’aperçoit que dans la campagne comme à la ferme, les animaux se moquent de lui. Là, il se rebiffe et passe à l’attaque : il punit ainsi un lapin, une pie, un chien méchant et aide des petites souris grâce à son long cou qu’ils acceptent désormais….
Pour des raisons d’ayants droits, les quelques épisodes prévus pour l’édition DVD ont été annulés à la dernière minute.
A voir :
– Les trésors cachés de Michel Ocelot. DVD disponible chez France Télévisions distribution (octobre 2008).
A Lire :
– Princes et Princesses.
– Azur et Asmar.
– Les contes de la nuit.
– Rencontre avec Michel Ocelot.
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