Cette exposition sous titrée, Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art (1913-2013), est un événement exceptionnel qui regroupe 140 artistes, 220 œuvres sur 4000m2 de surface ! Dynamo présente les travaux d’artistes travaillant sur l’art optique, l’art perceptuel, l’art cinétique et l’art luminescent. Ces créateurs sont essentiellement préoccupés de formes, physiques, sensitives et visuelles ; ils sont adeptes d’expérimentations qui découlent d’un optimisme à toute épreuve, créant toutes sortes d’effets d’illusions. Ils réinventent la lumière et le mouvement par des jeux de miroirs ou de couleurs, questionnent la vision et la perception, et interrogent la place du spectateur face à l’œuvre.
L’exposition est présentée par thèmes purement plastiques et visuels, tissant ainsi d’intenses filiations entre artistes d’hier et d’aujourd’hui. Au programme : Claire-voie / permutation / Concentrique-excentrique / Interférence / Immersion / Distorsion / Tactile / Trame / Battement / Abîme / Champs de force / Nuée / Halo / Maelstrom / Espace incertain / Céleste.
Les œuvres interrogent la perception visuelle à travers leur aura phénoménologique. C’est pourquoi, il faut expérimenter en live chacune d’entre elle dans leur espace réel et physique. Le but est de vivre une expérience sensorielle abstraite et ludique qu’aucune photographie ou vidéo ne peut retranscrire. Plus globalement, le visiteur est compris dans le système créatif ; sa participation construit l’œuvre et lui donne son sens.
Jeppe Hein, Rotating labyrinth (2007). Dans cette installation rotative, « Le cerveau comprend le mécanisme mais le corps est désorienté et envoûté ».
Le spectateur découvrira comment certaines œuvres sont stables alors que d’autres semblent bouger ou sont mues par un moteur, comment et pourquoi la lumière artificielle, le tube de néon, le miroir sont utilisés, comment certaines sont des environnements dématérialisés, comment le temps est mis à contribution, comment le visiteur est sollicité pour participer à des expériences et éprouver des sensations.
Dynamo propose un programme singulier qui ne laisse aucun répit aux visiteurs, pris dans un tourbillon visuel unique. Outre, le fait de (re)découvrir certaines œuvres ou certains artistes iconiques (Vasarely, Tinguely, Le Parc, Soto), l’exposition met en lumière des « nouveaux venus » comme Philippe Decrauzat et révèle le fabuleux travail plastique de Ann Veronica Janssens.
Archéologie luminocinétique
L’idée d’introduire de manière littérale le mouvement dans le champ des arts de la représentation est très redevable à l’âge baroque, où la question de l’emprise et de la démonstration visuelle est omniprésente. En effet, la contre-réforme cherche à convaincre les esprits au moyen d’images et de dispositifs visuels qui emportent la croyance grâce à de multiples effets d’émerveillement, de sidération et d’artifices.
Machine catoptrique d’Athanasius Kircher (DR).
Une des figures les plus influentes fut celle du père Athanasius Kircher (1601-1680), génie de la physique des phénomènes optiques et acoustiques. Les planches gravées de son Ars Magna Lucis et Umbrae (1646) évoquent des machines à projeter des images (la lanterne magique, machine catoptrique) mais aussi le procédé de démultiplication mécanique de l’image (le premier kaléidoscope. Brevet déposé par David Brewster en 1819). Le cabinet de curiosités qu’il installe à Rome rassemble une impressionnante collection de nouvelles machineries optiques qui trouve un écho immédiat dans la spectacularisation des églises baroques, non seulement par des trompe-l’œil où peinture et architecture rivalisent d’illusionnisme, mais aussi par d’importants systèmes d’animation mécanique de certains tableaux. Ceci bien avant la naissance du diorama, en pleine époque romantique.
Dans cet esprit d’animation et s’appuyant sur les travaux de Kircher, Louis-Bernard Castel (1688-1757) propose dans son traité consacré à L’Optique des couleurs (1740), la création d’un « clavecin pour les yeux », un instrument capable de rendre visible l’analogie entre sons et couleurs, ainsi que d’imiter, au moyen de couleurs mobiles, la beauté du mouvement. Son « Clavecin oculaire » doit nourrir le sentiment d’existence du spectateur par le renouvellement constant des impressions.
Par la suite, « le sentiment d’infinitude » de l’âge baroque s’est converti en une réflexion beaucoup plus immanente et neurologique sur les conditions d’attention de la conscience moderne, à l’ère du village global.
L’art en mouvement
« L’unique chose stable c’est le mouvement, partout et toujours. » Jean Tinguely
L’idée de représenter le mouvement a toujours existé dans la peinture et la sculpture depuis l’antiquité. Un artiste baroque comme Le Bernin exprimait le mouvement et la transposition au travers de ses statues en marbre comme Apollon et Daphné (1622-1625).
Marcel Duchamp, Nu descendant l’escalier, 1912 (DR).
A partir de la fin du XIXe, avec la révolution industrielle et l’apparition du cinématographe, le mouvement s’est emparé du monde des images. Les locomotives fusent, les avions décollent, les foules grouillent dans les villes encombrées d’automobiles et l’image a perdu sa fixité. Le courant abstrait, initié par Kandinsky vers 1910, se débarrasse définitivement du sujet. Delaunay, Kupka, Balla, Rodtchenko, Duchamp, le Bauhaus emboîtent le pas. Le positivisme est alors une foi et va trouver ses grands prêtres chez les futuristes, les cubistes et tous les autres pionniers de l’abstraction. Plusieurs artistes mettent l’art en mouvement et commencent à questionner la notion même de perception, plutôt que la réalité ou les mythes.
Moholy-Nagy, Modulateur Espace Lumière (1922-1930).
En 1922, dans le cadre du Bauhaus, Moholy-Nagy crée le Modulateur Espace Lumière, un dispositif mobile précurseur inventé pour produire des effets lumineux en constante transformation. Cette machine rotative est pourvue de plaques de métal et de plexiglas permettant de projeter ombres et lumières dans un mouvement hallucinatoire et abstrait. Un film sera réalisé d’après ces effets, dématérialisant l’œuvre au profit de la simple recherche visuelle.
Alexander Calder, Sans titre (1931).
Très vite, on ne représente plus le mouvement, mais on l’utilise. Le premier à travailler dans ce sens est Alexander Calder dès 1930, en incorporant les aléas des éléments comme le vent, lui dicter les mouvements de ses sculptures (à l’inverse de Jean Tinguely, utilisera des moteurs).
Le cinétisme
Dès les années 1950, lumière et cinétisme inoculent leur virus aux tableaux et aux sculptures.
Jean Tinguely réalise ses Méta-reliefs (dès 1954), des peintures-sculptures à animer soi-même constitués de moteurs à mouvement irrégulier (utilisés sur les tableaux de bord des avions). C’est une petite révolution plastique dans la continuité de l’abstraction et du constructivisme. En utilisant des matériaux pauvres bricolés entre eux et en jouant sur la dérision de l’ensemble, l’œuvre devient transformable.
Jean Tinguely, relief méta-mécanique (1954).
« Je pouvais continuer sur une peinture pendant des mois, jusqu’à usure totale de la toile : racler, revenir, sans laisser sécher la peinture ! C’était impossible pour moi ; je n’arrivais pas à, disons, décider : Voilà, c’est terminé… C’est à partir de là, au fond, que le mouvement s’est imposé à moi. Le mouvement me permettait tout simplement d’échapper à cette pétrification, à cette fin. » Jean Tinguely
La première exposition d’art cinétique a lieu en 1955. Intitulée Mouvement, elle est organisée par la galeriste Denise René et initiée par Vasarely. Elle regroupe une brochette d’artistes qui allaient devenir des symboles. Leurs noms : Soto, Agam, Schöffer, Bury, Tinguely.
L’art cinétique se veut visionnaire en impactant le visiteur et la société au-delà de son propre cadre d’exposition. Ebranler les codes de l’art, investir l’espace public, faire participer le public, tel est le programme de ce mouvement « populaire », qui veut être en phase avec les machines, le cosmos et la magie, avec les sciences dures et la psychologie, avec l’architecture et la mode, le visible et l’invisible. En pratique, les dispositifs sont très simples et leur structure d’une logique imparable. Ils reposent sur les rapports duels entre les couleurs complémentaires ou entre le blanc et le noir. De manière générale, il n’y a jamais une seule façon de voir l’œuvre. C’est le spectateur qui initie le mouvement créatif en interagissant avec elle.
LES ARTISTES
Voici une liste des artistes les plus représentatifs du mouvement luminocinétique.
Victor Vasarely (1906-1997)
On a attribué à tort le titre de « père du cinétisme » à Vasarely, alors que celui-ci est le symbole de l’art optique. Travaillant ses tableaux dans une logique de métamorphose en jouant avec les surfaces, les couleurs, les formes, créant des pièges optiques, des déformations, des anamorphoses, et l’illusion d’un mouvement à l’intérieur même de la toile selon le déplacement du spectateur et son champs de vision. Le plasticien franco-hongrois fut l’artiste des 30 glorieuses par excellence, la preuve d’un vrai succès populaire, mainte fois « reproduit », jusqu’à l’usure !
Victor Vasarely, Bora II (1964).
Devant ses œuvres, on ne voit, tout d’abord, qu’un simple tableau, un support académique de la peinture traditionnelle, puis, après quelques secondes d’observation, les cercles et carrés colorés semblent se transformer en losanges et en ovales, en volumes et en creux. L’œuvre paraît se rapprocher puis s’éloigner, rien n’est fixe et tout vacille !
Henri Georges Clouzot (1907-1977)
Pour L’Enfer, Clouzot veut entrecouper son film d’images expérimentales. Il comprend tout de suite le potentiel hallucinogène des oeuvres lumino-cinétiques de l’époque et va filmer certaines d’entres elles à l’exposition de 1964 intitulée Propositions visuelles de la nouvelle tendance aux Arts décoratifs de Paris. Bien que le film soit inachevé, l’essentiel de ce travail de recherche resurgit 4 ans plus tard dans son dernier film La prisonnière (1968), qui se déroule dans le milieu de l’art contemporain avec l’apparition à l’écran d’oeuvres cinétiques prêtées par la galeriste Denise René.
Nicolas Schöffer (1912-1992)
Artiste franco-hongrois, Schöffer réalise les premières œuvres interactives en temps réel de l’histoire de l’art, en travaillant avec des dispositifs invasifs, de la lumière pulsée et brasée, provoquant chez le spectateur une forme d’hypnose qui est sensée avoir des effets bénéfiques sur sa mécanique neurale et toucher directement ses centres de perception.
Nicolas Schöffer, Sculpture spatioluminodynamique Lux 10 (1959).
Schöffer se fait prophète de la robotique à venir à travers des machineries redoutables, toutes de bruit et de lueur. Entre art cinétique et cybernétique, Schöffer a définit le concept de spatiodynamisme (l’intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique) et de lumino-dynamisme.
Nicolas Schöffer, Microtemps n°13.1 (1968).
François Morellet (né en 1926)
Morellet est considéré comme l’un des précurseurs de l’art minimaliste. Il réalise sa première exposition en 1950 et, jusqu’en 1960, ses travaux sont composés sur des arrangements de formes simples (lignes, carrés et triangles). Ses modes d’intervention le sont tout autant : superposition, fragmentation, juxtaposition et interférences.
François Morellet, Triple X Néonly (2012).
Il est le cofondateur du mouvement GRAV en 1960, et est l’un des premiers à utiliser le néon dans les oeuvres d’art avec l’américain Dan Flavin.
Il va développer par la suite, en solo, une oeuvre unique qui tord les attentes et les moyens traditionnels de la peinture. Morellet se débarrasse de la sacro-sainte subjectivité de l’artiste et vise la neutralité mathématique. Ses tableaux se construisent à partir de principes et de calculs trigonométriques. Les lignes n’ont rien de spontané ou d’improvisé et les « trames » affichent dans le titre les angles qu’elles suivent.
François Morellet, Sphère trame (1962).
Jesus Rafael Soto (1923-2005)
Très influencé par les impressionnistes qu’il considère comme la base de l’art moderne, Soto travaille la lumière et ses vibrations en relation avec l’énergie du monde et son rayonnement sur le spectateur. Le spectateur qui prend conscience qu’il est une force en lui-même à l’intérieur des systèmes mis en place par l’artiste vénézuélien. Il suffit à Soto d’affronter quelques lignes de métal sur fond strié pour empêcher notre œil de se poser vraiment sur ses toiles. Tout semble vaciller, et le corps du visiteur s’anime alors de la volonté même du tableau de nous faire aller et venir incessamment devant lui, sans que jamais ses lignes vibratiles comme des cils ne cessent de faire semblant de bouger.
Jesus Rafael Soto, Pénétrable BBL bleu (1999).
Il y a dans ses œuvres une dimension magnétique et fantasmatique, une part de physique cantique et d’imaginaire scientifique au service d’une immédiateté sensitive hors du commun.
Parmi ses œuvres importantes : Spiral con Rojo (1955), Les pénétrables (dès 1960), Carré interne avec T noirs (1979).
Julio Le Parc (né en 1928)
Cofondateur du mouvement GRAV (Groupe de Recherche d’Art Visuel) en 1960, Le Parc est la figure la plus importante de l’art cinétique et perceptuel. Avec ses collègues Horacio Garcia Rossi, François Morellet, Francesco Sobrino, Jean-Pierre Yvaral et Joël Stein, l’artiste argentin pose les bases d’un nouvel art basé sur la participation joyeuse du spectateur dans l’œuvre qui ressemble à une salle de jeux, à un labyrinthe avec des éléments mis à disposition pour être manipulés. Une « machine de guerre » contre la notion d’artiste unique, contre l’œuvre définitive, contre l’école de Paris, et contre les établissements d’art. La volonté est d’attirer un public nouveau, différent de celui des musées (proche en cela de l’esprit Dada), de faire en sorte que les œuvres soient le plus accessibles et efficaces possible, ce qui est en soi très politique dans le sens où le visiteur fait partie intégrante de l’œuvre, de son univers.
Julio Le Parc, Cloison à lames réfléchissantes (1966)
Rideau en lames miroitantes, lumières aléatoires, explosions de couleurs dans la toile, tableaux et installations articulés par un moteur, le travail de Le Parc est gracieux, spirituel et poétique.
Julio Le Parc, Continuel-mobile (1962-1996).
Yaacov Agam (né en 1928)
Plasticien israélien, Agam considère que l’œuvre n’existe que par l’action du spectateur sur celle-ci. Peinture, sculpture, architecture se métamorphosent par le déplacement de celui qui regarde. La dimension du temps est une notion essentielle pour Agam qui en fait un de ses matériaux de prédilection (sa 4ème dimension). L’œuvre se transforme avec le temps et une image n’existe pas en elle-même, mais que par rapport à celle qui la suit.
Dans ses tableaux transformables, on ne remarque pas le dispositif immédiatement lorsque l’on se situe en face. Pourtant, hérissé de lamelles de bois qui sont peintes sur chacune de leurs tranches, le tableau d’Agam présente bien une surface en relief. Montagneux en quelque sorte, il fait obstacle à une contemplation paresseuse qui se limiterait à un seul point de vue. Interdisant la position statique, il pousse le spectateur à se déplacer. La peinture change alors d’aspect au moindre mouvement latéral dans un kaléidoscope de couleurs. Tableau deux en un, trois en un, cela prouve que le monde est complexe, que sa perception dépend de l’angle sous lequel on le considère. Rien n’est jamais fini, tout se réinvente en permanence par le rôle de chacun.
Parmi ses œuvres importantes : les tableaux à transformations (dès 1953), les tableaux tactiles (1970), la sculpture Cœur battant transformable à l’infini qui suit « un mouvement cosmique ».
Larry Bell (né en 1939)
Bell traque la lumière en ses moments d’apparition, en ses occurrences les plus confondantes de beauté. Dans des cubes de verre, il enferme en semi transparence métallisée toutes sortes de jeux de lueurs qui se transforment avec le mouvement du regard. Certains évoquent la notion de Radiant minimalism. Bell fut le premier artiste à oser utiliser les miroirs sans tain dans ses installations. Qu’il s’agisse d’un micro labyrinthe de parois de verre aux angles triangulaires posées en équilibre, ou de deux cubes mâtinés d’une grisaille translucide et imbriqués l’un dans l’autre, laissant surgir quatre carrés de lumière.
Larry Bell, Cube (1967). « Ne croyez surtout pas que je vais vous expliquer comment j’ai fait : ça c’est ma magie, je la garde pour moi ! » Larry Bell
Brian De Palma (né en 1940)
On connaît l’obsession de Brian De Palma pour les jeux et les pièges optiques qu’il utilise dans ses films à l’instar d’Alfred Hitchcock. Avant de réaliser ses premiers long-métrages, le tout jeune De Palma va filmer, en 1965, un documentaire sur l’exposition intitulée The responsive eye au MoMa de New York. Nous sommes alors en pleine apogée de l’abstraction perceptuelle. Les œuvres des artistes travaillant à Paris sont découvertes par les américains aux côtés des artistes locaux comme Ellsworth Kelly, Morris Louis, Kenneth Noland, Larry Poons, Frank Stella et Bridget Riley. L’exposition se découpe en deux volets : l’art cinétique bidimensionnel et la sculpture cinétique. Le film entremêle la description de la soirée mondaine du vernissage aux commentaires de critiques, artistes et spectateurs qui exposent leur point de vue sur cette exposition consacrée aux différents courants de l’art optique. Le psychologue Rudolph Arnheim conclut : « Il y a de la construction sans impulsion dans l’école de Mondrian, et l’impulsion sans la construction chez les expressionnistes abstraits. Ici on a les deux mais dans l’abandon. Ni la construction, ni l’impulsion ne viennent de l’artiste. La construction est due à la géométrie et l’impulsion à la physiologie. »
Anish Kapoor (né en 1954)
Dans les œuvres de Kapoor, l’environnement fonctionne à une double échelle : celle de la ville avec ses sculptures monumentales et architecturales et celle de l’œuvre elle-même qui créée des espaces pénétrables.
Le miroir n’est pas là pour réfléchir une image mais pour transformer la vision. La réalité est modifiée, malaxée et anamorphosée dans une expérience sensorielle et visuelle. Le miroir est la matière instable par excellence, un support idéal pour attaquer l’espace, modifier les choses sans y toucher et intégrer le spectateur en son sein.
Untitled, 2008. Trois miroirs concaves pourpres qui reflètent le monde extérieur à l’envers puis à l’endroit quand on est tout proche.
Islamic mirror, 2008. Un miroir concave en acier inoxydable, formé de prismes de petites tailles, cette oeuvre entièrement parcellisée peut donner l’impression d’un gouffre immense et insondable.
Ann Veronica Janssens (née en 1956)
Cette artiste belge joue sur la dématérialisation de l’œuvre au profit de la création d’un espace, d’une lumière, d’une atmosphère ou d’une durée. Le but est de faire vivre une expérience perceptive au spectateur qui « s’imprègne » de quelque chose de l’ordre de l’éphémère.
Le travail d’Ann Veronica Janssens reprend sans conteste les réflexions entamées depuis les années 1960 par les cinétiques français (notamment François Molnar et le GRAV dès 1960), et les minimalistes américains (Robert Morris avec Steam en1967 ou Robert Barry avec Inert Gas Series en 1969)
Bluette (2006).
Ann Veronica Janssens ne montre rien mais nous incite à voir. Elle ne fabrique pas d’image mais travaille la lumière comme un sculpteur, qu’elle matérialise (Bluette, 2006). Ses travaux ne racontent pas d’histoires, ils ne contiennent aucune subjectivité, aucune psychologie. C’est, au contraire, par l’objectivité que naît une forme de poésie qui parle à chacun de nous de façon personnelle.
L’œuvre n’est jamais finie car elle se réinvente sans cesse, se recrée continuellement, et ne fait plus qu’un avec le spectateur, à l’image de l’installation immersible Daylight blue (2011), qui recrée un brouillard artificiel coloré où le spectateur perd ses repères pour mieux se retrouver avec lui-même dans un rapport physiologique et fusionnel.
Cette expérience unique (la plus belle de l’exposition) nous fait pénétrer dans un espace cotonneux où la visibilité est restreinte à quelques centimètres, puis se déplacer avec moult précautions dans un lieu devenu inconnu et sans limite. Le spectateur se retrouve « isolé » et fait l’expérience très personnelle du déplacement, du temps et de la perception corporelle et non uniquement visuelle. Lorsque l’horizon devient sans fin, de plus en plus abstrait, tel un espace fantomatique où les systèmes de reconnaissance ne sont pas immédiats, «la perte de repère» est au rendez-vous. Dans ce «labyrinthe» sensuel, la limite entre le voir et le toucher se dilue et l’expérimentation prend le pas sur la prétendue connaissance visuelle. L’œuvre se confond alors avec une exploration d’un espace architectural sans limite, à l’aide d’un corps aux sens exacerbés.
Magic mirror (2012). Plaque de verre feuilleté crash dichroïc.
Philippe Decrauzat (né en 1974)
Decrauzat aime partir d’une image et créer un objet en l’exagérant, en l’extrapolant. C’est pour lui le moyen de revenir à une forme de dématérialisation en regardant les effets que produit ce nouvel objet sur la lumière et le mouvement. Le travail de peinture produit par l’artiste est lié par des éléments de cinéma, par un répertoire d’images connues comme The birds d’Hitchcock, ou Rashomon de Kurosawa. Il dépend aussi d’une recherche sur la perception et la psychologie en jouant sur les effets de contraste, de vitesse et de pulsation. Pour ses vidéos, Decrauzat se rapproche des artistes des années 1920 qui travaillaient la pellicule comme une toile abstraite tels que Walter Ruttmann, Fernand Léger ou Moholy-Nagy avec son installation manifeste Modulateur Espace Lumière (1922) : une machine qui crée des images, des ombres, de la lumière et dématérialise complètement l’œuvre d’art qui n’existe plus que par le film réalisé par l’artiste lui-même.
La sculpture Shut and open at the same time (2008) et le sticker mural Mirrors (2013).
PORTFOLIO
Francisco Sobrino, Transformation instable / juxtaposition superposition (1963-2011). plexiglass transparent teinté en bleu.
Kenneth Noland, Spring cool (1962).
Jeppe Hein, Mirror billboard (2008). Aluminium et plaque de miroir triangulaire qui tourne comme un panneau publicitaire.
Jeppe Hein, 360° Illusion II (2007). Installation tournante.
Jean-Pierre Yvaral, Instabilité n°3 (1962-1967). Caoutchouc, acrylique et tiges de bois peintes en noir et blanc.
Joël Stein, Accélération optique (1964).
Joël Stein, Anamorphose (1967).
Bridget Riley, Fall (1963).
Enrico Castellani, Sans titre (1961).
Zilvinas Kempinas, Beyond the fans (2013). bandes magnétiques lévitant dans les airs grâce à deux ventilateurs placés face à face.
Felice Varini, 23 disques évidés + 12 moitiés et 4 quarts (2013).
Christian Megert, Zoom in a endless room (1972-2000).
Evariste Richer, Slow snow (2007).
Stéphane Dafflon, AST n°196 (2012).
James Turrell, Awakering (2006). Tubes fluorescents et variateur dans un caisson mural.
Dan Graham, Triangular solid with circular inserts (1989).
Richard Anuszkiewicz, Concave and convex 3 unit dimensional (1967).
Timo Nasseri, Epistrophy n°7 (2013).
Elias Crespin, Circunconcentricos transparente (2013). Les cercles en plexiglass, tenus par du nylon, se déforment par l’action d’un moteur assisté par ordinateur.
– L’exposition Dynamo, Un siècle de mouvement et de lumière dans l’art, 1913-2013, s’est déroulée du 10 avril au 22 juillet 2013 au Grand Palais à Paris.
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