D’origine juive polonaise, Arnold Bierstein émigre très tôt aux États-Unis avec ses parents à Bradford, en Pennsylvanie. Il reçoit une boîte de magie à quinze ans et présente dans la foulée des petits spectacles à ses amis. Il donne sa première représentation publique à dix-huit ans. En 1904, il déménage en Angleterre. Une fois professionnel, il présente à la perfection des effets classiques de salon comme Le sac à l’œuf, Les pouces attachés, La cage éclipsée, la manipulation de boules de billard ou la production de cadrans d’horloge.
En 1907, il se met en scène dans un programme qui imite les performances de Horace Goldin (1873-1939), n’hésitant pas à s’approprier certaines de ses illusions comme Invisible Flight (l’illusion du canon). De Biere se met vite à l’écart de ses collègues illusionnistes et ne fréquente aucuns cercles magiques, ce qui lui vaut le surnom d’ « homme mystérieux ». Un de ses rares amis du milieu est Will Goldston (1878-1948).
De Biere ajoute ensuite des grandes illusions spectaculaires à son spectacle qui est composé d’une troupe de trente-deux personnes. Il effectue des tournées internationales à travers l’Europe de 1903 à 1904. Il part en Australie et en Nouvelle-Zélande de 1912 à 1913. Avant la Première Guerre mondiale, il est considéré comme l’un des plus grands illusionnistes du XXe siècle, notamment à cause de son magnifique matériel scénique. Il travaille au St George’s Hall de Londres de 1919 à 1920 puis de 1922 à 1923.
Vers la fin de sa carrière, après avoir perdu sa fortune dans des spéculations malheureuses comme le crash de Wall Street et son investissement dans la Houdini’s Film Development Corporation, il se présente seul dans un one-man-show modeste. Il meurt en 1934 au sommet de sa carrière.
Ses tours les plus marquants :
– Production d’une cage à oiseaux. Sous l’assistance de deux spectateurs qui entourent le magicien, un foulard est retiré de la poche et, tout en étant éloigné du corps, une cage à oiseaux est produite à partir de celle-ci.
– Vanishing Birdcage (La cage volante). Un canari dans sa cage disparaît instantanément entre les mains du magicien. De Biere utilise une disparition originale et différente de la version classique en enlevant son manteau et en permettant aux spectateurs de le fouiller afin de retrouver une éventuelle trace de la cage et de l’oiseau. Cet effet est inventé par Buatier de Kolta en 1875 sous le nom de The Flight of the Cage of Canaries. Harry Kellar s’empare de cette invention sans la permission du magicien français, ce qui sera le début de la diffusion du tour auprès d’autres magiciens comme Carl Hertz, Servais Le Roy, Harry Blackstone, Charles Bertram…
– Conradi rope trick (la corde coupée et restaurée). Une longueur de corde d’environ trois mètres est tendue et tenue aux extrémités par deux spectateurs. De Biere coupe ensuite son centre. La corde est immédiatement restaurée et les spectateurs sont invités à tirer sur ses extrémités pour vérifier sa solidité.
– Egg Bag (Le sac à l’œuf). Cette routine est un classique qui remonte au XVIe siècle et a été décrit dans une foule d’ouvrage dont La Première partie des subtiles et plaisantes inventions de Jean Prevost (1584). La version présentée par De Biere est celle de Herbert Albini (créée en 1891) qui utilise un tout petit sac. D’autres magiciens apporteront leurs variations comme Tarbell, Sachs, Miller, Malini, Sterling ou Mesh. La routine de De Biere est une des meilleures qui soit. Il l’a immortalisé dans un film Pathé de 1933 (https://www.youtube.com/watch?v=qfDJoosgQds&t=1s).
– The Thumb Tie (Les pouces liés). Cet effet d’évasion est décrit pour la première fois dans l’ouvrage Supplément à La Magie Blanche Dévoilée de Henri Decremps (1785) qui explique la méthode de Joseph Pinetti. De Biere présente une version personnelle du fameux tour popularisé par le magicien japonais Ten Ichi à partir de 1901.
De Bière au Moulin Rouge. Extrait de la revue L’Illusionniste n°29, mai 1904 par Le servant de scène
De Bière, le Roi de l’illusion, dont l’arrivée en Europe nous avait, dernièrement, été annoncée par Houdini, vient de donner une intéressante série de représentations. Par la variété des expériences composant son numéro et la rapidité de leur présentation, il rappelle le genre de Goldin que nous n’avons pas encore vu à Paris. La mise en scène se compose ; au fond, d’un paravent à cinq feuilles, dont celle du milieu est truquée, de chaque côté un paravent jaune sur chacun desquels un morceau d’étoffe est jeté. Une grande cage dorée et d’autres accessoires forment, dès le lever du rideau, un joli coup d’œil. Il entre en scène avec chapeau et manteau et se débarrasse de ces vêtements entre les mains d’un servant en habit bleu. Il regarde l’heure à sa montre et la faisant tournoyer au bout de la chaine, il la lance dans sa poche. Un canari, pris à la joue d’une dame qui entre à ce moment, est dédoublé ; les deux oiseaux placés dans un sac en papier sur lequel on tire un coup de pistolet passent dans une cage tenue par la dame (cage à l’apparition). Quelques excentricités avec la montre, qui disparaît des mains de l’artiste pour se trouver dans le dos, et successivement accrochée à plusieurs endroits des vêtements pour finir par se trouver au bout de la chaine. Ce genre d’exercice a été exécuté déjà par Vandy et fait toujours partie de son numéro. On a pu le voir le mois dernier à l’Alhambra. Disparition à l’aide de paravent d’une dame habillée en japonaise.
Viennent ensuite les boules de billard, joliment présentées devant un petit écran de soie blanche et vivement éclairées par les projecteurs électriques. De Bière emploie, pour ce travail des boules, la servante au gilet, dont l’usage aura, je le présume, quelque peine à s’acclimater en France. Les Bols de Riz suivant le nouveau procédé récemment expliqué dans l’Illusionniste. Ce tour a surpris quelques confrères qui étaient dans la salle : s’ils lisaient notre journal avec plus d’attention, ils auraient reconnu le procédé employé. Voici maintenant « le tour des Anneaux » tel que les Ten-Ichi l’ont exécuté au Casino de Paris. Ceux de de Bière sont entourés d’osier ce qui rend leur contour plus glissant et facilite le passage entre les doigts, la corde est toujours de même nature, en papier du Japon. Le servant amène au milieu de la scène la grande cage dorée, ouvre les six panneaux dont elle est formée, et abaisse devant chacun un store de soie verte. Le Prestidigitateur, vêtu d’une robe de moine, se place dedans. Le servant, ferme toutes les portes, fait tourner la cage, va chercher derrière le paravent, un pistolet, fait feu sur la cage, et, les portes étant ouvertes, une belle demoiselle paraît dans l’appareil, tandis que le servant ôtant perruque et moustache se fait reconnaître pour être de Bière lui-même. À la place de cette cage on porte une sorte de caisse cubique, ouverte devant, du côté des spectateurs, et au fond, de sorte qu’on voit le jour au travers ; un panneau peint est placé au fond. De Bière pendant ce temps a revêtu dans la coulisse un costume de chinois, il rentre en scène et exécute le tour du papier déchiré (procédé Robinson / Chung-Ling-Soo). Ce tour est très joli, et a obtenu un grand succès. Après cela de Bière se met une fausse barbe et place sur sa tête un calot de Chinois, il va prendre derrière le paravent de droite le morceau d’étoffe dont j’ai parlé au commencement et l’étaler à terre sous l’appareil qui est porté par quatre pieds de cinquante centimètres de hauteur, il va aussi prendre l’autre morceau d’étoffe sur le paravent de gauche, entre dans l’appareil et ferme un rideau devant lui, il passe la main à l’extérieur pour tirer un coup de feu, et au bout d’un court instant revient par le fond de la salle, le rideau levé devant la boîte cubique la laisse voir vide. Le numéro est terminé par le tour de L’aiguille obéissante sur le cadran de cristal (catalogue Caroly). L’effet produit a été extraordinaire même et surtout parmi les professionnels présents qui ne se doutaient pas qu’on puisse avoir tant de succès avec ce truc. La vérité est qu’il était habilement mis en valeur. De Bière avait préparé un jeu de cartes sur un guéridon, mais, fatigué sans doute, il n’y a pas touché, c’est le seul regret que nous ayons rapporté de notre soirée.
De Bière à l’Alhambra. Extrait de la revue L’Illusionniste n°54, juin 1906 par Le servant de scène
Cet artiste, que nous avons déjà vu au Moulin-Rouge, a fait durant le mois de mai les délices des habitués du grand music-hall de la rue de Malte. Le programme qu’il présente en ce moment diffère un peu de l’ancien. Cependant, nous y retrouvons Le cadran de cristal qui avait, on se le rappelle, fait sensation au Moulin-Rouge. Mais aujourd’hui ce cadran est surmonté d’une cloche, également en cristal, qui sonne l’heure indiquée par l’aiguille. Ce dernier perfectionnement rapproche cette pendule de celle de Robert-Houdin, restée sans rivale. Les bols de riz sont toujours au programme, qui comporte encore une production de fleurs très bien exécutée, quelques tours de boules de billard véritablement remarquables, les oiseaux passant du cornet de papier dans la cage, etc. Après ces exquis hors-d’œuvre viennent les grands trucs : les trois malles avec le canon et quelques autres pièces d’artillerie que le succès des Goldin et des Thorn a mises à la mode et qui nécessitent l’emploi du prestidigitateur-sosie. Il paraît que les directeurs de music-halls affectionnent particulièrement ces gros effets. Qu’il nous soit permis d’exprimer notre regret de voir des artistes habiles être obligés, pour introduire dans leur programme ces grandes illusions, de renoncer à de jolies choses comme le papier déchiré et raccommodé, que de Bière présentait si agréablement.
Extrait de la revue L’Illusionniste n°95, novembre 1909 par Jean Caroly
Nous voulons évidemment que la galerie des portraits de L’Illusionniste soit complète, afin de représenter aux magiciens des temps futurs ceux qui furent leurs devanciers dans un art si charmant. Mais, pour ce défilé des célébrités, le temps est à la fois notre guide et notre frein. C’est pourquoi un grand nombre de prestidigitateurs qui, par leur mérite et leur talent, peuvent prétendre occuper une place honorable dans ces annales marquent encore le pas en attendant un vide favorable. Depuis longtemps, nous voulions mettre sous les yeux de nos lecteurs, les traits de De Bière dont nos colonnes ont souvent relaté les succès. En effet, ce jeune et intelligent artiste, apparu depuis peu au firmament de la magie, y brille déjà d’un bel éclat parmi les étoiles qui l’illuminent. Lorsque nous vîmes De Bière pour la première fois, nous remarquâmes tout d’abord son adresse, sa dextérité, et surtout la composition de son programme qui était alors véritablement personnel et très artistique. Depuis cette époque, entraîné sans doute par le bien légitime désir de conserver cette vogue qui l’avait salué dès sa première apparition, De Bière eut peut-être, comme tant d’autres, le tort de délaisser son originalité première pour suivre la voie tracée et adopter des numéros qui avaient déjà fait leurs preuves et valu à leurs détenteurs de brillants engagements. Les véritables amateurs de magie s’en plaignent peut-être un peu tout bas, mais ils ne sont pas légion ; et, puisque De Bière réussit pleinement en suivant ce nouveau système, il fait ainsi preuve d’un esprit pratique dont nul ne saurait le blâmer.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°217 (mai-juin 2019). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : The Davenport magic Collection / George and Sandy Daily Collection / Nielsen Collection / Ken Klosterman Collection / Zander & Labisch / State Library Victoria / Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.