De milieu modeste, son père étant bûcheron, le jeune Alois Kassner découvre à l’âge de dix ans, à Noël 1897 un livre de magie. Il est alors fasciné par cette discipline et réalise, tous les jours, des petits spectacles devant ses parents et amis. A dix-huit ans, Kassner quitte sa ville natale pour Hambourg. Il rencontre dans un festival Eduard Jänichen (Jänicken) magicien, jongleur, acrobate, acteur, pianiste et trompettiste travaillant dans les foires. Kassner part alors avec lui en tournée pendant deux ans. C’est un moment difficile, mais formateur, où il apprend les bases de l’illusionnisme, de l’interprétation et de l’investissement personnel.
A partir de 1911, il prend son indépendance et crée son premier spectacle d’illusion le 11 septembre au Théâtre de la ville de Stade. Le résultat est mitigé car à cette époque, les illusionnistes étaient classés en fonction du « poids de leurs bagages » et Kassner ne pouvait rivaliser avec cela. Jusqu’en 1914, il persévère et fait le tour des auberges et des villages autour de Hambourg avec un succès très modéré. Devenu soldat et mobilisé sur le front, il rencontre par hasard, à la fin de la Grande Guerre en 1918, Erna Vandredy (1899-1966) la fille du magicien Vandredy qui devient son assistante et sa femme en 19221.
Alois Kassner en 1922 (Collection Rüdiger Deutsch).
Erna Vandredy, femme et partenaire de Kassner.
Après la Première Guerre mondiale, il met au point un spectacle avec quatre assistants. Il monte un numéro de télépathie avec sa femme Erna : Meoma, femme ou machine et un final qui voit la disparition de douze personnes sur scène. Kassner est le plus grand illusionniste allemand de l’entre-deux-guerres, de 1918 à 1939, proposant un gigantesque spectacle d’illusions2, limitant ses tournées à l’Europe centrale. L’extravagance de Kassner est comparable dans le style à celle de Howard Thurston aux Etats-Unis. Ses spectacles comportent une vingtaine d’assistants et des tonnes de matériel transportés dans deux wagons de train.
La taille colossale du spectacle de Kassner est en partie rendue possible par le Chevalier Ernest Thorn, le grand illusionniste autrichien, qui lui avait ouvert la voie. Quand Thorn prend sa retraite en 1923, Kassner lui rachète de nombreuses illusions, mais ce dernier sait les présenter d’une manière unique. Il est accompagné de dix-huit assistants, trente animaux et transporte treize tonnes de matériel. Le succès mondial vient en 1929 lorsque Kassner fait disparaître un éléphant sur scène.
Matériel scénique de Kassner en 1923, avec fronton décoré à son effigie.
Lorsqu’Hitler arrive au pouvoir, un sympathisant nazi nommé Helmut Schreiber prend le nom de Kalanag et achète le gigantesque spectacle de Kassner par des moyens détournés. Kassner a la chance de survivre aux nazis, mais il doit se résigner à céder tout son spectacle à Kalanag. Kassner fait un bref come-back après la Seconde Guerre mondiale, mais sans son éléphant Toto mort entre temps. Il voyage peu par manque de personnel et se produit en Suisse en 1952. Puis vient son spectacle d’adieu au Friedrichstadt Palast de Berlin en août 1954. Il prend sa retraite à l’âge de 65 ans et meurt le 23 mars 1970.
Publicité
Kassner maitrise parfaitement sa publicité. En 1911, il commence avec des étiquettes et achète ensuite les premiers « Camp Posters ». Il fait produire de grandes lithographies à partir de 1919 par les ateliers d’Heinrich Barkow et par ceux d’Adolph Friedlander à Hambourg, qui sont, de 1872 à 1935, les principaux fournisseurs d’affiches de cirques et d’artistes de variétés se produisant en Europe. Kassner a le souci de moderniser son image par des affiches de style art-déco et en produit une quarantaine différentes.
Son répertoire
Le crane parlant (1920). Dans un décor moderne, un crâne est posé sur une table en verre pour prouver qu’il n’y a pas de trucage et se met à parler avec le magicien.
Meoma, femme ou machine (1920). « Qui est Meoma ? Une femme ou une machine ? Un être artificiel qui parle ? » pouvait-on lire sur l’affiche de ce numéro entre l’entresort et la télépathie où Kassner et sa femme ont répété un système de code parfait pendant trois ans. Une tête posée sur une armoire, surmontée de pieds, communique avec le magicien. Ce dispositif est complété par un intérieur d’horlogerie où l’on peut voir un « corps mécanique ». Les spectateurs peuvent être convaincus que personne ne peut prendre place dans cet espace clos. Kassner entre alors dans la salle et emprunte plusieurs petits objets au public. Il demande à Meoma ce qu’il a dans sa main ? Et les réponses ne tardent pas à venir.
L’évasion d’un bidon de lait (1925). Enfermé dans un récipient en métal, évasion rendue célèbre par Houdini, Kassner en ressort sans toucher aux cadenas. Au lieu d’être immergé dans l’eau, le bidon est recouvert d’un sac en toile. Kassner y est enfermé à l’intérieur les mains attachées dans le dos. Le couvercle du bidon est ensuite fermé avec quatre cadenas. Un rideau cache le tout et Kassner sort libéré quelques secondes après. La présence d’un complice démoniaque que l’on voit, sur l’affiche de ce tour d’évasion, laisse entendre que le magicien escapologiste réalise son exploit avec l’aide d’une puissance surnaturelle.
Lévitation (1927). L’assistante de Kassner s’élève dans les airs jusqu’à pratiquement disparaitre du champ de vision des spectateurs dans un saisissant effet de lévitation.
Toto, l’éléphant (1929). C’est le directeur du cirque Stosch-Sarrasani qui a inspiré cette illusion en 1926 à Kassner, mais la route fut longue pour mettre en place un dispositif capable de faire disparaître un animal de cette taille et d’acheter un éléphant pour voyager avec. La disparition d’un éléphant vivant3 sur scène est un événement dans le monde entier et Toto devient très vite une star. Kassner dépense beaucoup d’argent pour son éléphant qui lui rend bien par le succès considérable qu’il lui rapporte. Il embauche des soignants spécialisés et loue une grange à la périphérie de chaque ville pour lui servir de refuge. Chaque jour, Toto se promène dans les rues jusqu’à ce qu’il atteigne le théâtre lors des représentations, devenant ainsi la meilleure publicité pour l’illusionniste. Kassner se produit avec Toto pendant quatorze ans, jusqu’en 1943 date de sa mort. Le magicien dû lui tirer une balle dans le cœur à cause du choc que l’éléphant reçu lors des bombardements aériens qui le rendit malade. Après la mort de Toto, Kassner continue un certain temps cette illusion avec un cheval.
Pour une histoire de rivalité, le magicien Janos Bartl annonce qu’il a déposé un brevet pour l’illusion de « l’éléphant qui disparait » en septembre 1926 et intente un procès à Kassner pour plagia. En décembre 1932 une audience a lieu et statut la victoire de Kassner dans cette affaire. Il est clairement démontré que la technique de l’illusionniste allemand est différente de son confrère.
La cruche inépuisable (1935). Une version dynamique du célèbre tour du Barman du diable4 (The Inexhaustible Bottle) où Kassner peut verser n’importe quelle boisson demandée par le public.
Notes :
1 Alois Kassner a deux filles de sa première épouse : Elvira et Helma, qui jouent un rôle actif dans ses spectacles. Elvira a même son propre numéro avec des chiens dressés. Le frère de Kassner, Fritz Kassner, l’assiste également. Alois Kassner se marie une seconde fois avec Margot Kassner, qui est sa gouvernante.
2 Dans le programme de Kassner figurent de nombreux tours de magie modernes qu’il exécute à chaque représentation comme La casserole au canard d’où apparaissaient un canard, un chien et un coq. Une démonstration de manipulation de balles Excelsior (Excelsior Ball Trick d’August Roterberg, 1898) et de billes de billard , Une production de réveils et de coterie. Les chaises électriques, La boîte au dé (la version d’Alexander Davis et Otto Maurer de 1887 amélioré par Carlton en 1907), Metamorphosis (Houdini /John Nevil Maskelyne), La femme qui disparaît d’une chaise (Buatier de Kolta), Invisible Flight (l’illusion du canon de Horace Goldin), La crémation…
Une autre spécialité de Kassner est de faire surgir tout un jardin plein de fleurs, couvrant la scène entière. En réalité, les fleurs étaient en plumes (Harry Blackstone ouvrait son spectacle de la même manière pendant des années). Kassner présente aussi une illusion très rarement montrée car extrêmement contraignante : l’apparition d’une petite danseuse se déplaçant sur une bouteille de Champagne. L’illusionniste utilise ici un dispositif complexe de miroirs dont le Tanagra Theater était équipé.
3 La première version de The vanishing elephant est créée par l’anglais Charles Morritt (1861-1936) et interprété pour la première fois par Houdini le 7 janvier 1918, sur la scène de l’hippodrome de New York avec un éléphant à la place de l’âne. Jenny était son nom ; la fille du célèbre Jumbo appartenant à P.T Barnum, pesant 450 kg. Cette disparition de l’éléphant est jouée pendant quatre mois dans le cadre d’un programme plus vaste appelé Cheer Up. Puis plus tard, il est présenté au Times Square Theatre en 1922 pour promouvoir l’un des films du roi de l’évasion. Les séances à L’hippodrome, qui abrite alors la plus grande scène du monde, demandent une énorme armoire et une équipe de douze hommes forts pour la manipuler. Toutes les parties de l’armoire sont montrées au public et l’éléphant prend place à l’intérieur. Les portes et les rideaux sont alors fermés. Deux côtés sont alors ouverts montrant l’armoire vide, l’éléphant a disparu. Pour tout savoir sur cette illusion mythique, lire l’ouvrage Hinding the Elephant de Jim Steinmeyer (2003), ou L’éléphant invisible -2019) sa traduction française au Editions Marchand de Trucs.
Avant même sa première disparition, Guy Jarrett dit avoir eu l’idée le premier et l’avoir soumis au directeur de l’hippodrome. Les copies ne manquent pas de faire leur apparition et le magicien Jean Hugard déclare même qu’il a créé cette illusion cinq ans avant Houdini et Morritt pouvant le prouver avec des coupures de journaux. Harry Blackstone en revendique également la paternité. Malgré cela, il n’y a pas eu de procès… La guerre des éléphants fait rage et l’illusion est présentée sous diverses formes et différentes méthodes par The Great Carter (1927), Kassner (1929), Nicola (1931), The Great Carmo (1933), John Calvert (1952), Mark Wilson, Doug Henning (1976), Blackstone Jr. (1980), Siegfried & Roy (1981) et Lance Burton.
4 Chronologiquement, le tour du Bar magique (Any Drink Called For) est un dérivé de l’effet Inexhaustible Bottle, dans lequel le volume de liquide contenu dans une bouteille se révèle beaucoup plus important que la capacité de la bouteille ; le contenu versé est disproportionné par rapport au contenant. Ce tour a été décrit dans le Hocus Pocus Junior en 1635 et a été popularisé, vers 1838, par le Professor Anderson, « The Great Wizard of the North », puis par Robert Heller (The inexhaustible punch bowl). En 1846, Robert-Houdin propose une formidable version avec La bouteille inépuisable, puis David Devant en 1905 avec La bouilloire mystique (The Obliging Tea Kettle), Ryss avec son Barman de Satan dans les années 1920, Charles Hoffman en 1935 avec Think-a-Drink Hoffman, Alan Wakeling avec son Bar act dans les années 1960, et Jim Steinmeyer en 1995 avec Hospitality Drink act.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°220 (nov-déc 2019). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : State Library of Victoria / Rüdiger Deutsch / Norm Nielsen Collection / Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.