J’avais posé à David Copperfield, lors de sa venue à Paris en 1995, la question suivante : « comment voyez-vous l’évolution de la magie à Vegas ? Des stars genre Siegfried & Roy, Lance Burton et vous ou des superproductions dans lesquels le magicien serait une sorte de Kio, c’est à dire un type qui fait et Hop ! Et dont le spectacle se déroulerait aussi bien s’il n’était pas là ? » Notez que comme à mon habitude j’exagère un peu, mais d’un autre côté, il semble qu’on aille plus vite à apprendre la magie à un danseur un peu doué pour la chose que la danse à un excellent magicien. Même Siegfried & Roy ou Burton ne dansent pas, ils se promènent dans de beaux habits et s’occupent seulement de la magie.
EFX
Dérangeant s’il en est, le spectacle EFX a son importance car c’est un spectacle charnière. Adoré par les uns, détesté par les autres, il était la preuve flagrante qu’en prenant un showman doué genre Michael Crawford (Barnum) on pouvait lui faire jouer le rôle de Houdini avec Torture Cell, Flyings, etc. Non seulement sans qu’il ait l’air ridicule, mais en plus avec un public se disant : « Damned ! Comment a-t-il fait ça ? »
EFX a eu trois versions différentes : une avec Crawford, parfaite, une avec David « Oublionsonnom », Nul en chant, nul en danse et frisant le ratage dans les illusions, et la dernière avec Tommy Tune. Disons-le tout de suite, si Tune n’égale pas Crawford, il est nettement plus fort que lui en danse, en claquettes et avec ses deux mètres, il fait un meneur de revue plus que convenable car en plus il chante juste !
La troisième version de EFX, entièrement rebrushée, est donc un spectacle d’effets spéciaux avec une grande partie magique qui dérange par le fait même qu’elle apporte la preuve qu’il manque au « magicien » s’il veut se maintenir à Vegas deux « savoir-faire » qui sont en passe de devenir indispensables : le chant et la danse à haut niveau.
IMAGINE
Plus ou moins sans le vouloir, EFX a engendré la revue Imagine (au Louxor) qui démode d’un seul coup les spectacles type Lance Burton, « que voici la médaille que j’ai gagné à la FISM que c’est un peu les jeux olympiques de la magie… »
Dans Imagine, le magicien est un danseur, qui non seulement a répété mais sans doute aidé par des concepteurs a amélioré certaines expériences existantes. Je pense à deux en particulier : Les fantômes et The vanishing lady in the mid air. Dans Les fantômes, point de cabines, deux chaises Buatier de Kolta qui sont utilisées à l’envers pour faire apparaître cinq girls. Il y a plusieurs trappes, il change les chaises de place, bref, on est loin de la grosse cabine que les magiciens utilisent et à la fin, il y a quand même substitution. Dans la femme qui disparait en l’air, il démode l’Asrah à tout jamais. Une fille bien vivante est posée sur quatre cordes qui lui passent sous les pieds, sous les fesses, sous le dos et sous le cou. Ces cordes sont attachées à deux portants descendus du haut et la fille que l’on ne perd pratiquement pas de vue, est élevée dans les airs. Elle ne cesse de bouger, on la voit très clairement. Puis, arrivé à 5/6 mètres, elle « s’efface » comme dans un film, les cordes retombent et il n’y a plus rien. Je l’ai vu trois fois sans rien pouvoir discerner du truc, ce qui prouve que je ne suis pas fait pour la grande illusion !
La réponse de la question posée à Copperfield se trouve peut-être là. Jusqu’ici, les trucages étaient restés l’apanage des magiciens, mais si les professionnels des effets spéciaux se mettent eux aussi à la magie, nous avons du souci à nous faire. Reste le problème de personnalité. C’est vrai que le magicien de Imagine ne laisse pas de trace derrière lui. Démaquillé, c’est un danseur, ce n’est pas une star. Et c’est là que réside le problème : il vaut mieux investir dans une machinerie que dans « du matériel humain » (comme on dit dans les parcs d’attractions). Une machinerie n’a pas d’état d’âme : elle peut en général être réparée dans la journée comme une voiture, et un danseur à qui on a tout appris se paie moins cher qu’une star capricieuse.
O
Passons maintenant à O et Mystère du Cirque du soleil. Les deux spectacles proviennent des mêmes ateliers ! et la façon de faire est la même : des attractions top niveau, mais vraiment top, des choses jamais vues (surtout dans O) et en finale, on ne sait pas qui on a vu. La gloire que ces gens pourraient légitimement revendiquer est totalement gommée au profit de la revue. Ces artistes EXTRAORDINAIRES à qui on demande un travail sur-humain ont leur nom quelque part en caractères de huit points, pêle-mêle, derrière les concepteurs, les machinistes et les éclairagistes. On ne sait pas qui fait quoi et en les dépersonnalisant ainsi on doit pouvoir leur dire qu’ils sont remplaçables, et que s’ils ne sont pas contents, ils peuvent toujours prendre la porte… A la fin, on les empêche pratiquement de saluer. « Soyez les meilleurs du monde, mais sachez que pour nous, vous ne comptez pas plus qu’un Kleenex ™ ! »
De plus on subodore que tous les artistes doivent être soumis à une discipline de fer : à ce niveau de perfection, aucun manquement ne peut être toléré. Ont-t-ils encore une vie ? Combien de temps peuvent-ils tenir avant la dépression ? Ce sont des sensations qui laissent un peu mal à l’aise…
Reste que la revue est magnifique, surréaliste, insensée… et magique : c’est vraiment Alice au pays des merveilles ! Et ce qui ne gâte rien : esthétiquement, c’est sans doute ce qui s’est fait de mieux. Attention, il faut réserver huit jours à l’avance si on est deux… En sortant, personne ne regrette ses 100 $ dépensé. On voit même des gens qui se précipitent vers le ticket booth pour reprendre une place avant de quitter Vegas (J’en étais…)
Pendant ce temps-là, loin du Strip, Downtown se produit Steve Wyrick. Son show est conventionnel, voir démodé en ce qui concerne le design, mais il présente aussi deux illusions nouvelles : la quadruple scie circulaire (Blades of death) et surtout l’apparition d’un avion beechcraft en pleine scène. C’est moins beau et de loin que O, mais en sortant les gens savent qu’ils viennent de voir Steve Wyrick. C’est à dire un ETRE HUMAIN.
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