Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
J’y suis entré via une expérience cinématographique. J’avais cinq ans quand ma grand-mère m’a emmené voir le premier Harry Potter à l’école des sorciers, en 2001, et je pense que cet univers m’a marqué à tout jamais. Ce moment a été mon premier déclic. Je me souviens d’avoir été scotché à mon siège, surpris par les images que j’avais devant moi. Ce qui m’a le plus marqué c’est que c’était un enfant comme moi, qui avait la capacité d’interagir avec les éléments extérieurs d’une manière très visuelle, et fantastique. C’est comme si le monde était plus grand que celui que je connaissais. Ma grand-mère m’a aussi raconté qu’à cinq ans, je faisais se téléporter des sucres, un peu à la manière du tour Matrix avec les pièces, j’imagine. Je ne m’en souviens plus, mais je prends plaisir à me dire que ce qu’elle m’a raconté est vrai.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Je suis rapidement devenu obsédé par Harry Potter et par la magie. Je ne me souviens plus vraiment de l’ordre dans lequel ça s’est passé mais j’ai dû tanner mes parents, et ma mère a dû commencer à m’acheter, chez le marchand de journaux, les fascicules de Sylvain Mirouf : Au coeur de la magie. C’est vraiment avec ça que j’ai commencé. Et par la suite : La Magie par les cartes de Bernard Bilis. À neuf ou dix ans j’ai rencontré un magicien amateur qui était en vacances au même endroit que ma famille et moi. Il m’a montré plein de tours, dont un précis qui m’a marqué : Il m’a fait croire que les tibétains avaient la capacité de concentrer de l’énergie dans leurs pieds et de se soulever du sol. Il est sorti de la piscine et a commencé à léviter. À la fin du séjour, il m’a offert son jeu Bicycle rouge, ce fut mon premier vrai jeu de cartes que j’ai toujours. Le moment où j’ai vraiment commencé à travailler la magie, c’est à dix-huit ans, l’été après mon bac, quand j’ai découvert la chaine 52Kards. J’ai été fasciné par une Classic pass, invisible à l’œil nu. Je me suis plongé dedans tout l’été.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Autour de mes dix ans, mon grand-père m’a emmené pour la première fois dans une boutique de magie : Mayette Magie Moderne au 8 rue des carmes à Paris. Disons que mes grands-parents ont contribué à mon entrée dans ce monde. Ma mère n’a jamais aimé la magie, elle déteste ça. Plus qu’un manque d’encouragement c’est comme si je ressentais que c’était quelque chose qui ne fallait pas faire.Il y a aussi eu un événement ou je voulais faire un tour de magie devant ma famille et mon
petit frère m’a pris des mains la corde qui devient raide et dont j’étais en train de me servir. Les adultes ont voulu s’interposer et ça a rapidement dégénéré. J’en garde une cicatrice et un souvenir traumatique.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos spectacles, numéros et créations
J’ai surtout beaucoup fait de la magie des cartes, un peu de pièces, mais si je devais donner certains domaines dans lesquels j’ai fait un pas supplémentaire ce serait la mémorisation et la recherche approfondie de l’utilisation du son en magie.J’ai suivi une formation scientifique en passant par une classe préparatoire aux grandes écoles, à Versailles, me spécialisant en physique où j’y ai découvert des phénomènes fondamentalement magiques. En dehors des prestations de magie, lorsque je travaille à écrire des numéros ou à essayer de créer, je suis généralement chez moi, seul, assis à mon bureau. J’aime beaucoup entrer dans un état de contemplation et laisser les idées jongler toutes seules dans mon esprit. Je mélange souvent l’écriture spontanée, la méditation et la visualisation comme outil de travail.

J’ai un spectacle écrit mais que j’ai préféré mettre en attente pour me consacrer uniquement au développement de SONORE, un projet qui vise à explorer l’utilisation du son pour les magiciens. Je n’ai pas encore fait mon spectacle sur scène mais au cours des dernières années j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire des numéros pour des scènes ouvertes. J’aime bien quand le thème est imposé et qu’il faut partir de zéro.
Parlez-nous de la conception de votre création SONORE, qui a obtenu le Prix de l’innovation au salon International Create Illusion. Vos inventions ouvrent une nouvelle dimension spatiale et sensorielle à la magie. Comment vous viennent vos idées ?
En 2015, j’ai eu un premier déclic sur l’importance que le son pouvait avoir dans la création de l’effet magique lorsque je passais des heures et des heures à travailler le Snap deal de Lennart Green. Si on se penche bien sur cette technique, le plus compliqué se passe au niveau des mains, mais l’impression magique est grandement créée grâce au bruit de la carte qui se dépose sur la table alors qu’elle est en train de disparaître.

La première chose que j’ai fait est d’enregistrer le son de plusieurs cartes que je distribuais sur la table. Je me suis ensuite simplement filmé en lançant le son et en me synchronisant. J’avais alors l’impression de distribuer des cartes invisibles. À ce moment-là je me suis dit : « wow y’a quelque chose de magique qui se passe devant mes yeux. » Il s’est ensuite passé deux choses à peu près en même temps. J’ai compris le pouvoir du son et j’ai commencé à chercher plein d’autres idées. En parallèle, j’ai voulu créer un outil me permettant de faire apparaitre ces sons afin de commencer à tester des nouveaux effets en situation devant les gens. Il m’a fallu quelques années et au moins quatre ou cinq prototypes différents pour aboutir à l’outil SONORE qui permet à un magicien de faire apparaitre n’importe quel son, les mains vides, quand il le souhaite et n’importe où, dans l’environnement de perception des spectateurs. Une grande attention a été portée sur l’invisibilité du système porté par le magicien, et sur la nécessité de produire un son d’une très grande qualité, couvrant des basses fréquences jusqu’aux hautes fréquences afin de pouvoir reproduire avec fidélité des sons tout aussi différents que l’harmonica, la voix, ou le tintement aigüe d’un verre. Je tiens à remercier Les French Twins, Tony et Jordan, pour leur soutien. C’est eux qui m’ont mis en contact avec Geraint Clarke, le CEO d’Ellusionist pour permettre la commercialisation à l’international de SONORE.



Plus haut, je parlais des quelques techniques de travail que j’ emploie. Ce que je trouve intéressant de mentionner, c’est que dans ces états de contemplation, une partie de notre mental et de notre cerveau qui cherche à garder le contrôle, s’endort. Dans ces conditions-là, je trouve que mes ressentis et observations sont plus riches. J’ai l’impression qu’il est plus facile de percevoir les liens, parfois subtils, qui structurent la manière dont nous percevons notre environnement et avec lesquels nous interagissons les uns avec les autres. Une observation de qualité s’impose à nous comme une évidence réjouissante. C’est de cette façon que j’ai compris l’importance du son et de son fonctionnement dans la perception de ce qui nous entoure. J’ai beaucoup travaillé sur le concept de spatialisation. Par exemple, il est important de noter que les gestes que nous employons jouent pour beaucoup sur l’endroit précis où on pense qu’un son vient d’être émis. Au cinéma, les enceintes sont fixes et cachées tout autour de nous, pourtant on a l’impression que les voix des personnages sortent directement de leurs bouches.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Comme pour beaucoup j’ai été marqué par les nombreuses apparitions de Bernard Bilis au Plus Grand Cabaret du monde. Par exemple, le tour de l’apparition des 4 as devant Jamel Debbouze. Ma rencontre avec le magicien et ami Sasha Crespi, a été déterminante pour moi. Nous nous sommes rencontrés en Asie, et l’aplomb, le magnétisme et le charisme avec lesquels je l’observais faire de la magie dans la rue m’ont donné envie de faire pareil.

J’ai beaucoup été surpris par les vidéos de David Blaine, notamment celle où il fait un 2 Card Monte à Georges W Bush. Il y a aussi évidemment les émissions de Derren Brown sur la chaine anglaise Channel 4. J’ai toujours en tête le moment où il hypnotise quelqu’un pour lui faire oublier la station de métro où il veut descendre. Et celui où il arrive à payer un bijou d’une grande valeur avec des billets de banque complètement blancs. À Blackpool en 2020 j’ai beaucoup apprécié le spectacle d’Arturo Brachetti: Solo. J’ai trouvé qu’il avait fait preuve d’authenticité et que c’était une œuvre vraiment signée et très riche. Le dernier spectacle qui m’a réellement marqué est In & Of Itself de Derek DelGaudio. La magie est un outil au service de la dramaturgie. Moi aussi j’ai pleuré à la fin du spectacle. J’admire aussi beaucoup le travail de Tobias Dostal. Il a une capacité déconcertante à créer une magie à la fois très puissante et très amusante pour les magiciens et les spectateurs. En non-magicien, en 2009, après la mort de Michael Jackson, je me suis vraiment intéressé à lui et j’ai été profondément marqué et passionné par sa capacité de showman et d’artiste complet.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime la magie qui fait sens. Une magie qui nous pousse à nous interroger sans forcément donner de réponse. Une magie qui n’est pas tout le temps percutante et explosive, mais plutôt sensible, belle et poétique.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Ce n’est pas une influence mais je me retrouve un peu dans le mouvement de la « magie nouvelle ». L’artiste qui m’influence le plus est Roman Freyssinet. J’aime beaucoup comment il décrit son art et le travail qu’il requiert. Il en parle notamment dans le podcast Nouvelle École d’Antonin Archer. Il y a également Kyan Khojandi et Navo.
Quels conseils et quels chemins recommander à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Ne cherchez pas à aller plus vite que la musique. Faites confiance au temps. Le seul moteur c’est l’envie. Si vous avez des amis magiciens, ne cherchez pas à les impressionner à tout prix. Restez curieux. Tout ce qui vous anime et vous intéresse de différent, viendra nourrir votre magie (danse, cinéma, politique, humour…) Cherchez à faire de la magie aux autres le plus tôt possible. La peur est normale, elle sera toujours là. Partez à sa rencontre pour qu’elle devienne votre compagnon de route.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je suis partagé, je pense qu’on arrive à un point de rupture. J’ai l’impression que la magie d’aujourd’hui est désincarnée et qu’on a oublié l’essentiel. Nous passons notre temps à chercher le tour le plus percutant, le plus extraordinaire. Une magie qui cherche à faire le buzz mais qui a beaucoup de mal à rester dans nos coeurs. On cherche à multiplier les objets dans nos tiroirs, sans réelle intention de libérer un message ou de créer du lien entre les gens. On consomme les nouveaux gimmicks comme on commande chez Uber Eats. Une fois l’effet filmé, posté sur Instagram, on le range et on attend le prochain. Certaines présentations vétustes ne sont pas remises en question. On croit que le nouveau gimmick à la mode va faire de nous un meilleur magicien, comme une belle voiture élèverait notre statut social. Dans la plupart des performances que je vois en ce moment, j’ai l’impression que les magiciens sont déconnectés de leurs spectateurs, insensibles. Ils paraissent seuls. C’est mort, rien ne prend vie. Mais, il y a aussi beaucoup de choses que je trouve très bien : le mouvement de la « magie nouvelle », le travail de Yann Frisch, celui d’Arthur Chavaudret, d’Edi Rudo… J’ai également d’autres amis que je vois évoluer autour de moi et dont je suis très fier.

Quelle est l’importance de la culture dans l’approche de la magie ?
Arthur C. Clarke disait : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »
Je pense que la magie est une réponse à un besoin d’émerveillement fondamental chez l’être humain. Elle vient répondre aux envies, aux désirs, à nos superstitions et à nos peurs. Ces derniers éléments cités viennent prendre des formes différentes en fonction de l’époque et de la culture dans laquelle on vit. C’est donc un exercice constant que d’adapter, réinventer, supprimer, pour rester pertinent, et ne pas tomber du train en marche.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime beaucoup la musique et le chant. J’écris souvent des paroles de slam et de rap. J’aime jouer avec les mots. Je joue de la guitare, je danse depuis que je suis tout petit. Je fais de la peinture acrylique depuis peu, et de la gymnastique et du trampoline depuis longtemps. En ce moment je fais de l’escalade en bloc et je pratique le Wing Chun. Je suis passionné de littérature sur la psychologie et la philosophie (Robert Greene, C.G Jung, etc.)
À voir et entendre :
Interview réalisée en octobre 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Nicolas Nargeot / Caroline Perche / Rayane Solaris / Benjamin Danneville / Yannick Barth / Ellusionist. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.