Collection curieuse et choses inquiètes
En écho à son spectacle Alice versus Lewis, l’artiste réalise une plongée étonnante dans l’œuvre de Lewis Carroll, qu’elle met en résonance avec son propre imaginaire. Elle nous entraîne de l’autre côté du miroir, dans un monde enfantin, saturé d’animaux empaillés et de jouets défraîchis… L’univers de son frère Georges qui a rejoint le pays des merveilles d’Alice en se retirant hors du monde à sept ans et demi pour s’enfermer en lui-même…
« C’est, dit Macha Makeïeff, pour la petite Alice Liddell que Charles Dodgson, dit Lewis Carroll, invente Alice au pays des merveilles. Il y a des êtres qui portent en eux une petite fille, il était de ceux-là. Mon frère Georges aussi. J’ai imaginé Trouble Fête à partir du Journal de Lewis Carroll et des cahiers de Georges, de fragments de mon enfance, des souvenirs de rituels que nous partagions dans une maison trop grande. »
Un étrange bestiaire hante les couloirs et les salons de la Maison Jean Vilar, reflété dans des miroirs, au cœur d’un concert de sons distendus (la voix de l’artiste, des feulements, des pépiements…) Le moindre recoin est habité par un amoncellement de poupées désarticulées dans des vitrines ou par un bric-à-brac d’objets obsolètes, dénichés ça et là. Et les murs sont tapissés de déguisements de garçonnet. Une colonie d’oiseaux se perche, de toutes les espèces, de nuit, de jour, exotiques, de bon ou de mauvais augure. Des cages vides s’entassent sous le perchoir d’un perroquet ; une niche attend un chien assis qui n’entrera jamais, immobile pour l’éternité ; un lion trône sans gêne sur un grand lit carré ; une autruche hautaine jouxte un lapin blanc… Ces bêtes sauvages de tous poils et plumes, mortes mais comme animées d’une présence disparue, semblent s’adresser à nous : «J’ai dessiné un genre de fiction immobile. » (…) « Quelque chose me hante à coup sûr, que je voudrais partager », dit Macha Makeïeff.
On y lit l’absence de ce frère, passé dans un autre royaume avec son monarque et ses sujets… La mort est ici déjouée, avec ces petits squelettes ornés de bijoux de pacotille et on pénètre par effraction dans une sorte de cérémonial magique. Dans ce jeu de piste, on retrouve de petites phrases de Lewis Carroll : « J’ai toujours pensé que les enfants étaient des monstres fabuleux, dit la Licorne à Alice. » « Les adultes sont des bêtes dangereuses. » Avec ce Trouble fête, Macha Makeïeff propose un parcours initiatique, à la fois ludique et sensible, dont on ressort fasciné et inquiet. Au détour d’une pièce, on rencontre les collections d’objets d’Agnès Varda et l’on retrouve la voix d’éternelle petite fille amusée de la cinéaste. La metteuse en scène nous dévoile ici ses talents d’artiste avec cette proposition poétique et touchante qu’on espère voir se renouveler ailleurs.
– Article de Mireille Davidovici. Source : Le Théâtre du Blog.
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