Rencontre réalisée à l’occasion du Jean Merlin Magic History Day n°9 au Zèbre de Belleville, le samedi 21 mai 2016.
C’est l’heure du traditionnel talk-show du soir avec comme invité le discret et mystérieux Stanislas, déjà entrevue lors de son numéro de rue (à lire à la suite).
Jean Merlin : « Vous aviez 5 ans lors de l’Exposition Universelle de 1958 à Bruxelles ».
Stanislas : » La Belgique se réveillait de la Guerre et je me souviens de l’Atomium de Bruxelles, de nombreuses de couleurs, des feux d’artifices chinois avec des fumées colorées et des bombes en forme de parachutes. J’ai été, très tôt, inspiré par ces spectacles. »
Jean Merlin : « Comment la magie est entrée dans votre vie ? »
Stanislas : « Un jour, j’ai flashé sur une boîte le petit magicien. Une belle boîte avec des objets tournés en bois et en métal. Mais, je n’ai pas eu cette mallette pour la St Nicolas (l’équivalent de Noël en Belgique) mais celle de Dominique Webb. Je me rappelle aussi d’un démonstrateur qui faisait le jeu radio. A 8-10 ans, j’ai rencontré Klingsor qui détestait tout le monde ! Dans son magasin, on se faisait jeter. Mon premier tour, je l’ai acheté dans un magasin de farces et attrapes : une boîte d’allumettes avec un bloc en métal qu’une allumette traverse magiquement.
Je faisais de la magie et de la chimie. J’aimais les explosions ; on faisait exploser les arbres de mon quartier avec des copains.
Mes premiers livres furent le Payot, le Rémi Cellier puis le Kaplan à 16 ans. Je me rappelle que je faisais des tours de magie en classe. Je faisais également un numéro avec une poule en peluche et des œufs. »
Jean Merlin : « Y a-t-il une législation sur les spectacles de rues ? »
Stanislas : « Les spectacles sont pratiquement interdits partout ou alors il faut des autorisations et cela dépend des pays mais aussi des villes et des préfectures. J’ai déjà eu plusieurs amandes mais je m’en fou royalement. »
Jean Merlin : « En 1979 vous créez le Cirque du Trottoir, année de notre rencontre à la FISM de Bruxelles. »
Stanislas : « Oui, je vous ai rencontré ainsi que Flip et d’autres magiciens lors de ce congrès. L’aventure du Cirque du Trottoir a commencé avec des amis musiciens qui jouaient de la musique Folk. J’ai ensuite rassemblé des copains d’Université et nous avons fait la connaissance de deux danseurs extraordinaires de Boleadoras du groupe argentin Los Indianos. On s’est mis à écumer les festivals folks en proposant en plus un spectacle. On faisait 200 dates par an et on jouait dans toutes sortes d’endroits pour les festivals, les mairies, les théâtres (en adaptant la mise en scène pour la scène), dans le monde entier. Parallèlement au cirque, je continuais la magie en solo et j’ai travaillé de nombreuses fois pour le président François Mitterrand qui est devenu un ami. Plus tard, en 2003, j’ai reçu le titre de champion du monde de magie de rue à La Haye. »
Jean Merlin : « Pourquoi vous avez monté un Cirque ? »
Stanislas : « Je suis un homme de spectacle. Nous étions un cirque de rue qui créait des images fortes avec un premier degré de compréhension pour les spectateurs. L’aventure a duré jusqu’en 1988.
Nous voyons des extraits de spectacles qui s’avèrent avant-gardistes mêlant danses, musique, pantomime, arts du cirque, avec un orchestre autonome constitué de comédiens. Une partie de ces musiciens participeront au premier spectacle du Cirque du Soleil, L’homme en noir.
Nos spectacles ont instauré le pointing, où tout le monde regarde et amplifie la performance d’un artiste qui est en train de réaliser. Le Cirque du Soleil a repris ce principe dans beaucoup de ses spectacles depuis. »
Jean Merlin : « Comment est né le Cirque du Soleil ? »
Stanislas : « Nous étions de plus en plus connu et en 1982, nous avons été invité au festival d’été de Québec devant 15 000 spectateurs. Nous avons rencontré une autre troupe qui s’appelait la Fanfafonie dont l’arrangeur était René Dupéré, le futur compositeur du Cirque du Soleil (dès 1984). L’année suivante, nous avons créé avec la Fanfafonie, le Théâtre National Populaire de Lux (TNPL) en réaction au Théâtre Populaire de Jean Vilar. En 1984, le gouvernement de Québec et son 1er ministre nous demande si cela nous intéresse de fonder une compagnie au Québec. Nous répondons oui et les subventions tombent pour construire un chapiteau à une piste, sur le modèle du cirque Knie en Suisse (les mâts étant à l’extérieur du chapiteau).
La Fanfafonie rassembla alors une troupe québécoise de Baie-Saint-Paul, le Club des Talons hauts dans lequel Guy Laliberté (l’actuel propriétaire du Cirque du Soleil) faisait partie comme échassier. Nous avons ensuite créé, en trois semaines, un spectacle de 50 artistes, Le Grand Tour, prévu pour ne durer qu’une semaine, dont j’ai assuré la mise en scène. »
Jean Merlin : » Pendant 10 ans, de 1984 à 1994, le Cirque du Soleil n’était pas connu, jusqu’à ce qu’il ait un spectacle permanent à Las Vegas avec Mystère. D’ailleurs, d’où est venu le nom du Cirque du Soleil ? »
Stanislas : « Un hommage à Ariane Mnouchkine et à son fameux Théâtre du Soleil. »
Jean Merlin : « Pourquoi avez-vous arrêté l’aventure du Cirque du Soleil ? »
Stanislas : « J’avais d’autres projets en Europe et la structure était dure à bouger. Je ne voulais pas devenir un avocat. Le but était de rassembler des individualités et de faire un spectacle ensemble. En 1988 est né le Théâtre de l’Attrape et la pièce Les magiciens avec un groupe de 9 comédiens-magiciens alignés qui font des tours de magie à tour de rôle lors de l’introduction du spectacle. Parmi ces magiciens se trouvaient Daniel Adrian, Fredini et Philippe Lelouchier. »
Philippe Lelouchier a reconstitué, spécialement pour l’occasion, son passage avec une infirmière-assistante (Corinne Rigaud) où il joue le rôle d’un aveugle. Il nous propose en live de rejouer cette séquence 28 ans après ! Un beau moment nostalgique. Bravo pour ce travail de reconstitution.
Jean Merlin : « Le dragon est une obsession chez vous. »
Stanislas : « Oui, notre premier spectacle à utiliser le dragon fut La nuit des enragés, qui se déroulait dans toute la ville de Charleville-Mézières à la manière du film Mad max, où le feu était manié au bout de grands bâtons. Notre deuxième spectacle fut Le jeu du dragon en 1988 et quatre autres ont suivi derrière. »
Jean Merlin : « Parlez-nous de Babel. »
Stanislas : « C’est un spectacle sur le mythe mésopotamien avec la construction d’une tour de 15 mètres de haut et de 300 mètres de large, avec au centre des musiciens et des danseurs. La musique fut spécialement créée pour la pyrotechnie. »
Jean Merlin : « Vous avez fait d’autres projets ? »
Stanislas : « Oui, j’ai réalisé des entre-sorts, travaillé avec la compagnie du Tarmac, réalisé un spectacle nommé Trio avec le magicien Mimosa, qui a tourné pendant 12 ans. Mon dernier spectacle en date s’appelle Le maître des ruses. »
Trio avec Mimosa.
Le maître des ruses.
Le talk-show s’achève avec une dernière surprise concoctée par Stanislas et son assistante Monika : une tournée générale de bières belges servies sur un plateau par Jean Merlin !
STANISLAS, le numéro de rue
Stanislas, de son vrai nom Philippe Stanislas André est de nationalité belge et est né en 1953. Il a été l’élève de Flip et de Jean Merlin et s’est constitué un bagage impressionnant de tour pour commencer à travailler au coin d’une rue de Bruxelles quand il était encore étudiant en droit. Ce qui est important dans un numéro de rue c’est le final du numéro et la cascade de « blagues » que vous sortirez pour conquérir le public et le faire « cracher au bassinet ». Quand il travaillait en restaurant, il serrait les mains des spectateurs quand il avait fini de travailler en disant « merci, il fallait pas », alors que les gens ne donnaient rien ; ce qui incitait les autres à donner quelque chose !
Après avoir raconté ces anecdotes de travail, Merlin présente Stanislas qui est enfin prêt après avoir emmené sur scène tout un tas de choses comme s’il s’apprêtait à faire un vide grenier. Le personnage est rare dans le milieu magique et plus connu dans le théâtre de rue qu’il a commencé à l’âge de 16 ans.
Le magicien belge nous présente son numéro de rue en commençant par une routine de balles qui sortent de la bouche de façon répétitive et l’empêche de parler à son public : « Mesdames et monsieur…. Je m’appelle Stanislas ».
La magie de rue est pour lui un truc basique. Les gens se promènent et il faut constituer un cercle pour ensuite réaliser des tours d’une façon correcte pour ensuite leur soutirer des sous.
La première chose à faire est de trouver le bon endroit au bon moment. Le bon endroit est dos à quelque chose pour avoir son arrière « protégé », pour sauver aussi son matériel des voleurs, mais aussi des enfants ! Avoir toujours un regard attentif et périphérique. Le bon moment est celui où les gens flânent avant ou après les repas.
Stanislas a dans un sac une série d’accessoires, un tabouret et une gibecière qu’il porte sur lui avec une série de choses dedans, qui sert aussi de lapping. Le tout facilement transportable seul.
Il se fond dans la foule en s’habillant d’une façon adéquate, avec un costume un peu extravagant.
Avant de commencer la représentation, il faut tracer un cercle, défini par la projection de sa voix, en le matérialisant à l’aide d’une craie pour contenir 200 à 300 personnes. Stanislas dessine parfois les contours des pieds de certains spectateurs et bloque les gens de manière progressive : à droite, à gauche, puis au centre. Il distribue ensuite des accessoires de musique rigolos et invite les gens à faire du bruit. En 30 secondes, une centaine de personnes arrivent, ce qui est le bon moment pour commencer le spectacle.
Une variante consiste à regarder une façade d’immeuble et bientôt une trentaine de personnes font de même, intriguées, et se font piéger.
La structure du numéro se déroule en 3 parties et ne dure pas plus de 10mn : un tour rapide et marrant comme les balles dans la bouche ou des ballons, un tour plus long, très rigolo avec un enfant par exemple et un final fort et intense.
Après avoir introduit son spectacle avec les balles dans la bouche, Stanislas prend un enfant dans le public et le maltraite volontairement, ce qui fait marrer les gens. Il fait aussi un gag en volant une poussette et en échangeant les enfants avec leurs parents… Il exécute ensuite une routine catastrophe de corde coupée et raccommodée avec des ciseaux truqués donnés à l’enfant.
Pour terminer son numéro, il effectue les coupes inépuisables version Michael Vadini (également utilisé dans leur répertoire par Jeff Mc Bride et Mimosa). Il annonce qu’il va demander des sous car c’est son métier et qu’il gagne sa vie avec ça. Il nous montre un truc avec un chapeau où un billet de 20€ rentre à l’intérieur grâce à un barillet pour faire sourire les gens. Pour les « radins », ils peuvent mettre des pièces dans un tambourin. Stanislas utilise également un filet avec un billet à l’intérieur, une astuce psychologique pour éviter les pièces de monnaie. Il finit son spectacle par un feu d’artifice (des petits sacs de confettis qui éclatent).
En bonus, Stanislas nous montre sa routine du lapin en peluche, un doudou confié à une spectatrice dont les membres s’arrachent un par un pour finalement être reconstitué dans un tube magique mais à l’envers (les pattes à la place des oreilles). Un deuxième passage dans le tube le remet d’aplomb.
L’artiste belge nous montre également comment il a confectionné un sac à échange avec une poche qui suit la couture, une baleine amovible et une couture disposée plus haut que le fond afin d »éviter que le sac se déforme si celui-ci est secrètement chargé (très astucieux).
Crédits photos : S. Bazou, Stanislas, M. Deschamps. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.