Après les gialli postmodernes Amer (2010) et L’Étrange Couleur des larmes de ton corps (2013), le western contemporain Laissez bronzer les cadavres (2017), le quatrième film du duo français Cattet / Forzani est une subjuguante attraction qui s’attaque à un nouveau genre : le film d’espionnage. Un mélange de James Bond, OSS 117, Irma Vep, Les Vampires, Fantômas et Danger : Diabolik.
Le synopsis
John D, un septuagénaire vivant dans un hôtel de luxe sur la Côte d’Azur, est intrigué par sa voisine de chambre qui lui rappelle les heures les plus folles de la Riviera durant les années 60. À cette époque, il était espion dans un monde en pleine expansion et plein de promesses. Un jour, cette voisine disparait et meurt mystérieusement. Cet événement replonge John face à ses démons : ses adversaires d’antan sont-ils de retour pour semer le chaos dans sa retraite tranquille ?
Pour la première fois, les deux auteurs développent une histoire et construisent une vraie structure dramatique, ce qui n’était pas le cas dans leurs précédents longs métrages. Reflet dans un diamant mort est un film onirique sur l’illusion raconté de différentes manières par la narration, la forme et les lieux. Entre réalité et fantasme, vérité et mensonge, bien et mal, passé et présent ; le film fait des va-et-vient, des remous comme la mer Méditerranée accolée à l’hôtel où John D a élu domicile.
Ce personnage principal est très ambigu. Un homme hyper viril et possessif qui n’a pas pu sauver le monde et dont il est, en partie, responsable de sa dégradation. Plus le film avance et plus ses certitudes s’effritent petit à petit comme sa mémoire défaillante, car tout ici est construit sur du faux, comme sa doublure (ou le premier rôle qui le remplace définitivement ?) et les pierres précieuses que John D garde comme un trésor.

L’histoire convoque une flopée de « supers vilains » dont la plus dangereuse est l’antagoniste du héros, l’insaisissable Serpentik ! La bonne idée du film est de la faire interpréter par plusieurs actrices grimées avec des masques de latex, dont certains morceaux sont retrouvés sur les scènes de crime (une bouche, un œil, comme les sculptures hyperréalistes de Walter Adam Casotto), de l’art éparpillé façon puzzle ! Les femmes prennent ainsi le pouvoir dans une inversion des rôles qui ramène John D à sa virilité surannée et à sa vacuité. Comme tout bon film d’espionnage qui se respecte, il y a une profusion de gadgets dont l’idée géniale de la bague « troisième œil » véritable objet surréaliste qui voit à travers la matière.
Mise en abyme cinématographique
Le titre du film Reflet dans un diamant mort, fait référence au film de John Huston Reflets dans un œil d’or (pour le côté faux-semblants) mais aussi et surtout aux gialli des années 70 adeptes des titres poétiques et imagés à rallonge. Les spectateurs avertis reconnaitront un savoureux jeu de piste cinéphilique citant Mario Bava (Danger : Diabolik, Six Femmes pour l’assassin), Tarantino (Kill Bill), Visconti (Mort à Venise), Clouzot (L’Enfer, La Prisonnière), Wilder (Sunset Boulevard), Zeller (The Father), Resnais (I Want to Go Home), etc. Cattet et Forzani aiment jouer avec les codes du film de genre et emmener le spectateur vers un voyage inattendu et ouvert aux multiples interprétations. Mais au-delà du jeu référentiel, le film écrit et produit sa propre mythologie en générant des images qui n’appartiennent qu’à lui, d’une singulière force cathartique. Ce jeu maniériste prouve d’une manière éblouissante la capacité du cinématographe à procurer encore de nouvelles expériences sur les vestiges de sa propre histoire.
Un magma visuel et sonore
Reflet dans un diamant mort est un objet expérimental déconcertant et jubilatoire, un véritable feu d’artifices visuel, sonore et narratif. Il aura fallu huit ans de préparation pour accoucher de ce film tentaculaire qui est une véritable prouesse technique au découpage et montage virtuose (à la Hongkongaise). Un kaléidoscope incessant où les gros plans en sont l’essence même, scrutant les visages, les gestes, les objets, les matières, les textures ; découpant la chaire, les vêtements, les espaces. Tout un monde physique et charnel de sensations, d’impressions, de distorsions, d’hallucinations qui produisent un effet hypnotique sur les spectateurs.

Ce qui est remarquable dans ce film est le mélange des médiums : fiction, bande dessinée (Fumetti neri), tournage documentaire, arts graphiques, peintures, installations, musique classique, musique pop, bruitages. Ce magma pictural et sonore mixe des images et des sons nobles et triviaux pour accoucher d’une forme à la cohérence remarquable.
Le côté expérimental et graphique est tout à fait sidérant, citant Hans Richter, Fernand Léger, Marcel Duchamp et l’Op art (art optique). En atteste l’hallucinante séquence du casino avec l’actrice noire habillée d’une robe psychédélique faite de miroirs ovales à la Paco Rabanne. Prise dans le piège du jeu elle tourne sur elle-même et se confond avec la roulette, prisonnière du tapis et de ses lignes noires et rouges acérées. Ses ronds aux facettes réfléchissantes sont de redoutables armes tranchantes qui enregistrent aussi les images. Nous retrouverons tout au long du film des jeux de miroir aux motifs pop et psychédélique mais aussi une multitude de références à l’art pictural et performatif avec notamment les Anthropométrie d’Yves Klein des années 60. La mise en scène imbrique parfaitement les images comme les différentes facettes d’un faux diamant aux deux mille plans ! Des milliers de fragments qui se projettent à la vitesse de la lumière, qui se concentrent et se cristallisent dans un dénouement orgasmique où tout prend sens.
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