Présentée pour la première fois au Museum of Modern Art de New York en 2006 et complétée depuis par les images de films récents, cette exposition donne l’occasion de découvrir l’extrême richesse stylistique des célèbres studios qui ont révolutionné le monde de l’animation en 1995 avec Toy Story.
Art Ludique, le musée
Pour accueillir l’exposition Pixar, Jean-Jacques Launier a concrétisé son projet de musée, qui est l’aboutissement d’un projet initié il y plusieurs années au sein de la galerie Arludik, qu’il cofonda sur l’île Saint-Louis. Ce lieu unique au monde se veut un espace muséal consacré à l’art contemporain issu de l’entertainment. Une volonté d’abolir les frontières entre l’art et le divertissement populaire, pour mettre en lumière la bande dessinée, le manga, le jeu vidéo, le cinéma ou le film d’animation. La culture de masse possède aussi des créateurs qui œuvrent dans une vraie démarche artistiques, bien qu’elle soit ciblée pour le plus grand nombre…
L’exposition Pixar
Le public pourra découvrir la face cachée de l’animation et se rendre compte que derrière les ordinateurs se cache de véritables artistes qui utilisent toujours des techniques classiques comme le dessin ou la peinture pour concevoir le dessin animé final. C’est une véritable explosion de techniques qui s’offre aux visiteurs : encre, pastel, fusain, huile, marqueur, acrylique, papier, résine…
On entre dans les ateliers d’artistes singuliers, qui possèdent tous un style et un univers propre. On mesure l’extrême liberté qui leur ait donné à créer tout azimut, loin de l’image stéréotypée que l’on se fait des studios d’animations avec leurs employés impersonnels. C’est là que le tour de force de Pixar se réalise : comment faire coïncider et fusionner des styles et des imaginaires différents en une seule vision ? Comment synthétiser le meilleur pour proposer aux spectateurs le nec plus ultra de l’animation ?
Ces dessins, peintures, collages, sculptures en résine et créations numériques, révèlent le dialogue visuel quotidien qui se forme autour de chaque projet. Au cœur de ces approches créatives se trouvent les trois aspects fondamentaux de la création des films d’animations du studio : le Récit, les Personnages et l’Univers. Une sainte trinité qu’il faut respecter à la lettre pour que la magie opère. Ce sont ces concepts chers à John Lasseter, le directeur de création du studio, qui sont mis en avant dans cette exposition.
« J’ai toujours considéré l’animation par ordinateur comme un outil, un crayon, un papier ou un pinceau. Je reste toujours fidèle aux principes que j’ai appris sur l’animation classique. Je les ai tous appliqués aux nouvelles technologies, parce que je savais que le récit et les personnages allaient toujours être la chose la plus importante et non pas la technologie qui les a créés. » John Lasseter.
Le récit et les personnages
Conçue en deux parties, l’exposition consacre un espace aux œuvres de concept ayant participé au développement du récit et des personnages de Pixar. Nous voyons comment est mise en place une idée de base qui évolue en scénario, puis en story-board. Le développement des personnages se fait à travers de nombreux croquis, des peintures ou des collages. Le style unique de chaque artiste et sa sensibilité sont exprimés librement, encourageant l’échange des idées créatives et repoussant les limites de l’imagination de chacun.
Une spécificité du travail pour l’animation en images de synthèses (3D) est la création de sculptures en résine, qui serviront ensuite de modèles de référence. Les concepteurs infographistes utilisent également la « convergence numérique » pour modeler un personnage et le redesigner en 3D. Ils sont ainsi virtuellement sculptés avec leur ossature, éclairés, peints et prêt à l’animation.
Parmi les œuvres les plus marquantes :
– Nemo : la série de pastels délicates comme des miniatures, la planche de recherche sur le requin Gills avec ses différentes expressions, la planche de recherche pour les différents mouvements de l’étoile de mer et les grandes pastels allongées en forme de paysages abstraits.
– Monstres et Cie : le dessin représentant un monstre jouant au château de cartes avec une petite fille, la généalogie des monstres (lay-out des personnages) des rôles principaux au background en passant par les personnages secondaires, les deux personnages principaux esquissés au marqueur par Pete Docter
– Rebelle : une belle peinture numérique de Steve Pilcher.
– Cars : une affiche numérique décalée du théâtre de Kabuki et un dessin avec une superposition judicieuse d’une moissonneuse batteuse et d’un taureau pour montrer la concordance et l’expression souhaitée de la machine par Jay Shuster.
– Là-Haut : l’oiseau Kevin esquissé au feutre à pinceau noir par Ricky Nierva et le collage sans visage de la jeune Ellie par Albert Lozano.
– 1001 pattes : Croquis des mille pattes Chivap et Chichi.
– Ratatouille : les dessins d’Ego le critique gastronomique et des autres cuisiniers par Carter Goodrich, la peinture numérique d’Ego un verre à la main façon vanité avec un guéridon où sont posés dessus bouteille de vin, raisins et fruits.
– Les indestructibles : la figure abstraite de Monsieur Indestructible au marqueur rouge et noir par Teddy Newton.
« Petit à petit, les peintures et les dessins se complètent sur les tableaux et commencent à former une description visuelle de ce monde que l’on n’a jamais vu auparavant. » Tia Kratter.
L’univers
Les œuvres présentées dans la deuxième partie de l’exposition révèlent la manière dont les artistes de Pixar développent un univers dans lequel les personnages évoluent de façon évidente et naturelle. L’attention accordée aux détails, aux formes et aux couleurs qui caractérise ces œuvres, contribue à la définition d’un univers cohérent et crédible pour chacun des films.
La forme la plus spectaculaire est le colorscript, qui représente le film tout entier en une seule image comme une feuille de route. Le colorscript stylisé des Indestructibles, façon collage cubiste avec ces figures géométriques à angles vifs, en est le plus bel exemple.
Artscape
Cette installation audiovisuelle gigantesque d’Andrew Jimenez est projetée sur un écran panoramique qui plonge le spectateur dans l’univers de Pixar. Cette œuvre immersive est composée d’un patchwork de créations réalisé à l’aide de techniques traditionnelles par des artistes du studio. En simulant un effet de mouvement 3D pour animer des dessins en 2D, cette installation symbolise, par ce dispositif, le lien très fort qui existe entre les techniques traditionnelles et l’art numérique, tout en offrant aux spectateurs une expérience singulière.
l’Artoscope est un film abstrait qui suit les plongées successives d’une caméra dans des peintures à la gouache, des dessins au pastel ou au fusain, qui révèlent sous la surface toute la profondeur de mondes sonores et animés en 3D.
Zootrope
La pièce maîtresse de l’exposition est un saisissant Zootrope (1) géant en forme de manège. L’équipe de Pixar, inspirée par celui créé par le musée Ghibli à Mitaka au Japon, ont conçu en 2005 le Zootrope tridimensionnel Toy Story, animant des figurines représentant les personnages marquants du premier opus. Ils ont été épaulés par les précurseurs du genre, à savoir Gregory Barsamian et Toshio Iwai les artistes concepteurs du Stobe-Zoetrope.
Le Zootrope Toy Story est une grosse boîte octogonale vitrée de 3 mètres de diamètre contenant un plateau tournant sur lequel ont été minutieusement disposées les sculptures des personnages de manière circulaire. Au total, se sont cinq saynètes qui sont montées en couches successives comme un gâteau d’anniversaire : le martien et le pingouin, Woody sur son cheval, Buzz et sa balle, Jessie et son lasso, les soldats parachutistes.
Les différentes figures, disposées à des points stratégiques, s’animent à la vitesse d’un tour par seconde quand le plateau est en marche. Sept lampes stroboscopiques, crées un faisceau lumineux qui « s’arrête » sur chaque maquette, immobilisant l’image et permettant à l’œil de percevoir chaque étape du mouvement comme un tout. L’effet de « mouvement apparent » les associe, donnant ainsi vie aux personnages dans une vision fascinante !
Conclusion
L’exposition Pixar est un phénomène unique et rare qu’il ne faut pas louper. Un Patchwork d’idées, de technicités et de rêves cousus ensemble, capable de fédérer petits et grands, grand public et cinéphiles. Quelques réserves néanmoins. Même si l’exposition suit chronologiquement les étapes de la création, le parcours s’avère parfois redondant. Il y a une certaine redite au niveau de la présentation et un systématisme qui peut agacer. Autre point noir, le ticket d’entrée qui est hors de prix (14 euros, plein tarif !).
Note :
– (1) Le Zootrope est un jouet optique breveté en 1867 aux Etats-Unis dont le dispositif permettait de créer l’illusion du cinéma, grâce à la rotation rapide d’une séquence d’images fixes à l’intérieur d’un cylindre.
A voir :
– Pixar, 25 ans d’animation, l’exposition s’est déroulée du 16 novembre au 2 mars 2014, au musée Art ludique, Paris 13e.
A lire :
– Le livre-coffret Les Coulisses des Studios Pixar (Editions Prisma, 2013).
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