La collection exceptionnelle de la Cinémathèque Française est enfin visible après de longues années de fermeture pour cause d’incendie. Sa réouverture (le 28 septembre 2005) coïncide avec le déménagement de l’institution au 51 rue de Bercy à Paris, dans le très beau bâtiment de l’architecte Frank Owen Gehry. Cette institution mythique doit sa renommée internationale à Henri Langlois, défendeur infatigable du 7ème Art. L’exposition permanente « Passion cinéma » présente l’histoire de la collecte et de la sauvegarde de ce qui constitue aujourd’hui l’immense patrimoine cinématographique à travers trois collections, mise en valeur par la « spectaculaire » scénographie de Massimo Quendolo. On y retrouve films projetés, objets, appareils, costumes, archives, affiches et beaucoup d’appareils de prestidigitation dont Le carton fantastique de Robert-Houdin de 1846 avec ses accessoires d’origine (dessins, chapeaux dépliants, cages truquées, casseroles avec faux haricots), un coffre aux pièces transparent, une corne d’abondance, des sphères truquées pour disparition d’objets….
Cinémathèque française (Photo : Arthur Weidmann – Creative Commons)
1- La collection Will Day
C’est la plus ancienne collection cinématographique au monde. A l’Anglais Wilfrid Ernest Lytton Day (1873-1936) revient sans conteste le titre de premier collectionneur de films, appareils et archives cinématographiques. Bien avant Henri Langlois, il a réuni une splendide collection qui, à partir de 1922 et durant une longue période, a constitué à elle seule la section «cinéma» du Science Museum de Londres. Will Day était un technicien du cinéma qui se voulait également historien du Septième art. Il a été le premier à comprendre l’importance des oeuvres filmiques et de ce qui entoure celles-ci : appareils, archives, écrits, etc. La mort de Day en 1936 symbolise une sorte de passage de flambeau : c’est en effet cette année-là que la Cinémathèque française est créée par Henri Langlois, avec ses amis Georges Franju, Jean Mitry, Jean Epstein et quelques autres. Par un hasard extraordinaire, la Cinémathèque française allait acquérir la collection Will Day en 1959, grâce à André Malraux, ministre d’Etat chargé des affaires culturelles. Il y a là, entre Day et Langlois, ces deux pionniers de la collection de cinéma, une filiation que la Cinémathèque française est évidemment la seule à pouvoir illustrer.
La lanterne magique
Will Day a pu acquérir l’ouvrage fondateur d’Athanase Kircher, Ars magna lucis et umbrae (1646), de même que la « bible » des projectionnistes du XVIIe siècle, l’Oculus
artificialis de Johannes Zahn (1702). Parmi les appareils on trouve une lanterne magique londonienne de Scott (fin XVIIIe – début XIXe siècle). La collection Day comprend également plusieurs exemples de lanternes fabriquées par l’opticien anglais Philip Carpenter : deux lanternes mises côte à côte et équipées de peignes métalliques ou de « robinets fondants » à gaz oxhydrique, afin d’assurer le changement de lumière dans chacune des lanternes (pour le « dissolving views »). Plusieurs luxueux modèles ont été trouvés par Day. Le fonds des plaques de lanterne magique est très important et contient des chefs d’oeuvre, notamment les grandes et somptueuses plaques de la Royal Polytechnic, uniques au monde. Quant aux plaques animées, elles sont nombreuses et elles aussi très variées : chromatropes de Henry Childe préfigurant Saül Bass et Vertigo, « cycloïdotropes », « eidotropes », « choreutoscopes », et autres « Wheels of Life ».
Les boîtes à images
La pièce la plus précieuse est la chambre noire de William Storer, brevetée à Londres le 29 juin 1778, et baptisée « Royal Delineator ». Elle porte les armes du roi George III. Deux larges lentilles interchangeables permettent de varier la qualité et la taille des images captées par cette luxueuse boîte en acajou ; ces images se réfléchissent
sur un miroir, puis sur un écran de verre. Les vues obtenues sont très précises et lumineuses, en raison du système optique utilisé, bien supérieur à la majorité des
chambres obscures de cette époque. Le Royal Delineator, comme l’indique Storer dans son brevet de 1778, « peut être utilisé sans l’assistance du soleil, juste avec des
chandelles, pour dessiner des visages humains, une maison, l’intérieur d’une pièce, des perspectives, des paysages, des feuilles d’arbre, des fleurs, exactement représentés comme à l’identique, petits ou grands, avec les mêmes traits, la même lumière, la même ombre et les mêmes couleurs ». On connaît l’influence de ce genre d’appareils sur l’oeuvre de grands peintres comme Canaletto, Vermeer, Crespi, Thomas Sandby, etc. L’écrivain anglais Horace Walpole, qui possédait une chambre de Storer, écrivit avec humour, en 1777 : « Sir Joshua Reynolds et West sont fous de cet appareil et ce sera entièrement leur faute s’ils n’arrivent pas à supplanter Rubens en lumière et ombre, et tous les maîtres flamands en vérité ». Will Day a pu acquérir un ensemble de superbes vues d’optique datant des années 1750 et portant la signature d’un maître graveur, Martin Engelbrecht (1684-1756), ayant exercé à Augsbourg. Cette collection comprend 51 gravures originales, encadrées de bois. Elles sont finement percées de trous minuscules, qui deviennent des points lumineux du plus bel effet lorsque la gravure est éclairée par l’arrière. Les images représentent des paysages d’Italie et d’Allemagne, avec une profondeur de champ et des effets de perspective très prononcés. Plus récente, la boîte d’optique « megaletoscopio » de Carlo Ponti, fabriquée à Venise en 1862, avec une riche collection de vues photographiques (à l’albumine) perforées et coloriées, offre un spectacle diurne et nocturne également inoubliable.
La stroboscopie
L’intense commercialisation des jouets d’optique illustrant le phénomène dit de persistance rétinienne (thaumatropes, anorthoscopes, disques de Faraday, phénakistiscopes), qui a débuté au début du XIXe siècle, a donné naissance à une production artistique étonnante. La collection Day est très riche en disques stroboscopiques ; elle contient aussi les précieuses roues de Michael Faraday.
Les objets des débuts du cinéma américain
C’est aux Etats-Unis qu’un photographe anglais, Eadweard Muybridge, réalise les premières photographies successives d’un cheval au galop (1878). Will Day a pu acquérir un exemplaire presque complet du gigantesque et rarissime ouvrage édité par Muybridge à Philadelphie en 1887 : Animal locomotion. Le kinetoscope Edison marque l’avènement aux Etats-Unis et en Europe de l’industrie cinématographique. L’importance de cet appareil, devenu si rare, est capitale. Day a acquis un très précieux kinetoscope, expédié à Londres en 1894 par la Continental Commerce Company. Il porte le numéro 69, ne possède pas encore de système monétaire. En 1895, on lui a adjoint un phonographe Edison, ce qui l’a ainsi transformé en « kinetophone ». Day a également acquis plusieurs films pour le kinetoscope Edison. Plusieurs pionniers ont tenté de concurrencer Edison aux Etats-Unis. La Cinémathèque, grâce à Will Day, possède trois exemplaires différents de la spectaculaire caméra
« Mutagraph » ou « Biograph » de Casler, Dickson, Lauste et Marvin, brevetée en 1894. Elles utilisent toutes du film 68 mm non perforé (mais deux pointes viennent trouer la pellicule lors de la prise de vues, ce qui sert plus tard au tirage des bandes sur papier du mutoscope). Plusieurs négatifs et positifs de la Biograph ont été également acquis par Day.
Les objets des débuts du cinéma anglais
William Friese-Greene (1855-1921), grande figure des débuts du cinéma britannique, a commencé à réaliser des films à la fin des années 1880. Au début des années 1920, Will Day le retrouve et l’aide financièrement – Friese-Greene est alors dans la misère et décèdera peu après. Will Day, dans tous ses écrits, considère (avec quelque peu d’exagération) Friese-Greene comme « l’inventeur du cinéma ». Il a recherché avec passion tout ce qui pouvait évoquer le travail de ce pionnier. C’est en 1927 que Day achète ce qu’il considère comme l’une des plus importantes pièces de sa collection : le projecteur « Biophantic » de John Arthur Roebuck Rudge, fabriquée en 1882 à Bath. Rudge a travaillé en compagnie de William Friese-Greene. Dans le projecteur « Biophantic », sept vues photographiques positives sur verre sont disposées circulairement sur le corps d’une lanterne. Ces vues se succèdent rapidement et une à une au foyer de l’objectif, grâce à un ergot rotatif commandé par un arbre
longitudinal à manivelle. L’obturation se fait par des ciseaux à lamelles de verre dépoli. Les sept vues montrent un homme qui retire sa tête et la remet sur son corps. Le visage est celui de Rudge, le corps est celui de William Friese-Greene. Il s’agit donc de l’une des premières lanternes à projections photographiques animées, mais proposant également l’un des premiers trucages photographiques, bien avant Méliès. Rudge, le 16 janvier 1882, a vendu à un nommé Willoughby la lanterne « Biophantic ». Willoughby l’a cédée à Will Day le 26 août 1927, pour la somme de 40 pounds. Day publia immédiatement un article sur cette découverte importante dans The Photographic Journal.
2- La collection Henri Langlois
Dès sa création en 1936, la Cinémathèque française poursuit le travail de collecte de Will Day, en lui donnant une bien plus grande ampleur. Films, costumes, décors, dessins proviennent du monde entier. Elle provoque ainsi une véritable prise de conscience internationale de la fragilité de ce patrimoine, et crée une véritable et forte cinéphilie. La Cinémathèque française, grâce à Henri Langlois et à Lotte Eisner, a accompli un travail à peu près inégalé à travers le monde dans le domaine de la collecte de films et « non film ». La collection de la Cinémathèque française est constituée par quatre grands ensembles : Avec ses quelque 40 000 films, la Cinémathèque française est l’une des premières archives filmiques en Europe. Une collection d’archives, affiches, photographies, manuscrits, dessins, maquettes, livres : des millions de documents ont été collectés par Henri Langlois et son équipe. Dans ces « archives » on distingue la présence d’éléments extrêmement précieux qui appartiennent aussi bien à l’histoire du cinéma qu’à l’histoire de l’art moderne : oeuvres de Survage, Richter, Eggeling, Duchamp, Fischinger… Ce sont probablement ces oeuvres d’avant-garde que Langlois préférait dans toute sa collection.
Une collection d’appareils :
Dès la fin des années 1930, la Cinémathèque reçoit en « cadeau » de la part de Jehanne d’Alcy, la veuve de Méliès, deux appareils uniques : la caméra et le projecteur de Méliès, le fameux Kinétographe du Théâtre Robert-Houdin. Alors que le premier acte de fondation de la Cinémathèque (1936) ne prévoyait pas la sauvegarde du matériel, Langlois va pourtant consacrer ses efforts et ses finances à enrichir sa première collection. Grâce à de multiples expositions, grâce à une politique active d’acquisition menée en collaboration étroite avec Malraux, Langlois arrive rapidement, et particulièrement dans les années 1950, à accumuler une collection d’appareils et de documents fondamentale pour l’histoire de la technique cinématographique, qui vient s’ajouter à celle de Will Day. Ainsi, vers 1959, Langlois peut acquérir la collection des brevets d’invention rassemblés par John Allen ; la collection de disques pour Vitaphone de Raymond Rohauer. En organisant une remarquable exposition sur Etienne-Jules Marey, il obtient en 1963 des dons très importants de Pierre Noguès et Lucien Bull, deux disciples du physiologiste : caméras dont le Chronophotographe), plaques de verre, films chronophotographiques, quelque 500 dessins uniques de Marey et Demenÿ. Grâce à ses bonnes relations avec James Card, Langlois reçoit vers 1958 un don de la George Eastman House : deux appareils magnifiques de la firme Gaumont, le chronochrome et le chronomégaphone (1910-1912). Après la crise engendrée par « l’affaire Langlois » en 1968, la Cinémathèque française, faute de crédits, ne s’enrichit pratiquement plus. Ce n’est que depuis les années 1990 que la Cinémathèque a pu renouer avec une politique d’acquisition, d’enrichissement et de restauration pour sa collection d’appareils.
Une collection de costumes et d’objets :
Henri Langlois et ses successeurs ont constitué une des plus précieuses et plus rares collection de costumes, accessoires et d’objets existant au monde.
Les costumes :
Henri Langlois vouait une véritable passion à ces robes de stars qu’il fut le premier à collectionner. C’est parce que la robe de Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion et le blouson de James Dean dans La Fureur de vivre avaient été volés (faute de moyens pour avoir des gardiens) que, désespéré, il avait fermé son musée du Palais de Chaillot. Au-delà d’un fétichisme incontestable, il avait compris que le costume de cinéma n’est pas un simple accessoire décoratif mais un élément esthétique de la forme narrative du film en privilégiant les créations d’artistes (Sonia Delaunay, Manuel Orazi, Leonor Fini) et les grands couturiers. La Cinémathèque française conserve ainsi un millier de pièces qui couvrent les années 1900 à nos jours et sont représentatives des aspects les plus divers du cinéma
international.
Les objets et accessoires :
Henri Langlois a rassemblé des milliers d’objets qui ont été, pour certains, créés par de grands noms du cinéma comme Georges Méliès (tête de Belzébuth du Théâtre R-H), Emile Raynaud (Praxinoscope théâtral et pantomime lumineuse), Alexandre Trauner, Julio Tomassi, Alexandre Alexeieff, Stephen Grimes, Jean Cocteau, Spat, Pablo Picasso, Man Ray, Hilton McConnico, André Tattegrain, Woody Allen, Marten Toonder, Jiri Trnka, Halina Bielinska, John De Cuir, l’illusionniste Caroly (automate en Pierrot), Jean-Christophe Averty, Etienne Raïk, Paul Grimault, Pierre Guffroy, Jacques Saulnier, Alexeieff, Charlie Chaplin, etc. Certains sont devenus de véritables icônes, comme L’Etoile de mer de Man Ray, le robot de Metropolis, la boîte de cycliste du Chien andalou, les boucles de chaussures de Louise Brooks, la tête de cheval du Testament d’Orphée de Jean Cocteau, la tête de mort de Psychose d’Alfred Hitchcock, le chapeau serpent de Mae West, les maquettes de décor en volume des Nibelungen de Fritz Lang, celles du Locataire de Polanski, le studio de Méliès, celui de Pathé à Montreuil, la tête d’oiseau de Judex de Georges Franju, la véritable peau d’âne portée par Catherine Deneuve dans le film de Jacques Demy etc.
Les enrichissements de la collection présentés en exposition temporaire :
Parmi ces nouveaux enrichissements, quelques très beaux objets de la collection Méliès acquise par le Centre national de la cinématographie en 2004 : des dessins originaux, et des costumes de l’époque du Théâtre Robert-Houdin (le diable vert, l’arlequine et le voyage dans la lune).
L’espace du niveau 7 est consacré aux derniers achats, dons et dépôts, dont disposent l’institution. Ce dernier espace est une sorte de micro-exposition temporaire,
puisqu’il sera en perpétuel changement et évolution, en fonction des nouveaux enrichissements. L’aventure continue donc…
A lire :
– Le dossier MAGIE et CINEMA.
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