Depuis plus de vingt années que j’ai le plaisir de m’intéresser au monde de la lanterne magique et de la naissance du cinéma, j’ai vu et rencontré la petite dizaine de « lanternistes » professionnels qui, aujourd’hui, en Europe et aux États-Unis, ressuscitent l’art des projections lumineuses d’antan. Tant pis si la modestie de Laura Zotti en souffre : je peux assurer que c’est son spectacle de lanterne magique qui a suscité en moi le plus d’émotion. La première fois que j’ai vu son spectacle – c’était en Italie, mais depuis elle a parcouru le monde entier avec lanternes et bagages –, j’ai été émerveillé par l’extrême virtuosité de sa technique. Les plaques défilent une à une, se superposent, s’animent ; les images du XVIIIème siècle vous transportent dans un autre monde ; les chromatropes vous plongent dans un vertige enivrant ; les vues de Venise, les verres mécanisés, les couleurs éblouissantes de fraîcheur vous captivent les yeux et l’esprit. Derrière sa lanterne magique, éclairée par une faible lumière, toute seule aux commandes, Laura Minici Zotti semble maîtriser, sans aucune faiblesse, sa machine. J’ai longtemps cru, naïvement, que ce genre de spectacle n’était, au fond, pas si difficile que ça à monter. Mais, lorsque je me suis retrouvé responsable des collections d’appareils de la Cinémathèque française, lorsque j’ai moi-même organisé un spectacle de lanterne magique avec une tri-unial Riley, j’ai compris mon erreur.
Le métier de « lanterniste » est très complexe : il faut d’abord savoir composer un répertoire, l’organiser, préparer les plaques une à une. Il est nécessaire de les manipuler avec grande précaution – ce sont des images originales, souvent uniques, peintes à la main sur de fragiles lamelles de verre – , dans un ordre rigoureusement précis. Les « dissolving views » doivent être effectuées en douceur ; les systèmes d’animation de chaque plaque mécanisée ne sont pratiquement jamais identiques. Il faut surveiller l’écran, la machine, la lumière, les plaques de verre, tout en guettant la réaction du public. Je peux témoigner que le « lanterniste » sort épuisé d’une telle épreuve !
À mes yeux Laura Minici Zotti, au fil des années, est devenue la meilleure, sans conteste, dans cette technique. Son spectacle me paraît extrêmement fidèle et proche des procédés utilisés au XIXe siècle. Elle seule peut proposer un tel répertoire d’images extraordinaires : les vues qu’elle projette proviennent toutes de sa collection. Et quelle collection ! Un musée à Padoue désormais abrite tous ses trésors, rassemblés avec une passion inlassable. Il contient la plus belle collection privée au monde en matière de lanterne magique et de plaques. Les Italiens ont bien de la chance : en France, non seulement nous n’avons pas de
« lanternistes » professionnels, mais en outre nous n’avons pas de musées dévolus à ce sujet.
Pour terminer, je voudrais dire que le travail mené par Laura Minici Zotti est exemplaire à bien des égards. Elle a d’abord réuni et sauvé de la destruction des milliers de plaques de verre, des centaines d’appareils anciens, acquis un peu partout à travers le monde avec ses propres deniers. Elle a ensuite retrouvé tous les secrets des projectionnistes du temps passé : elle a réveillé et révélé au monde actuel une technique complètement perdue et oubliée. Grâce à elle, le public du XXIème siècle, pourtant gavé d’images animées et virtuelles, découvre, totalement fasciné, les peintures lumineuses et mouvantes des époques de Goldoni, Balzac et Dickens. Enfin, en ouvrant sa collection au public dans son beau musée de Padoue, elle continue généreusement à vouloir faire partager, pour le plus grand nombre, le merveilleux univers des projections lumineuses. Elle encourage les étudiants et chercheurs à travailler sur ce sujet, encore relativement vierge d’études. Elle a d’ailleurs trouvé, en son fils Alberto, l’un des meilleurs historiens actuels sur le sujet. Bref, je voudrais ici exprimer toute mon admiration pour l’oeuvre de Laura Minici Zotti, et lui dire – mais est-ce bien nécessaire ? – : continuez, je vous en prie, ce superbe travail !
A voir :
– Collezione Minici Zotti, Prato della Valle 1/A, 35 123 Padova.
A lire :
– Le monde fantastique des images lumineuses.
– « Lanterne magique et film peint ».
– Magie lumineuse au château de Talcy.
– Magie et Cinéma.
Texte extrait du Bulletin de la Sémia n°4 de janvier 2004. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Collection Minici Zotti. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.