Dans Hugo Cabret (2011), Martin Scorsese déclare son amour pour Georges Méliès en lui rendant un hommage des plus émouvant. Le paradoxe est que le réalisateur a choisit d’adapter le roman de Brian Selznick (L’invention d’Hugo Cabret) en mélangeant fiction et documentaire, ce qui rend le film bancal et monstrueux.
Le film
Hugo Cabret, version Scorsese est une déception, un film « de fin d’année » dégoulinant de bons sentiments où la niaiserie n’est jamais bien loin. On savait le réalisateur de Mean Streets en manque d’inspiration depuis Casino (1995) ; il confirme ici qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même depuis quinze ans. Scorsese est un monument du cinéma mondial mais, comme beaucoup de maître, son travail s’est mit à faire du sur place et à rejouer les scènes de ses chef-d’oeuvres (Taxi driver, Raging bull, Goodfellas). Lui, le roi du découpage et de la mise en scène fiévreuse adapte des projets qui ne lui ressemblent pas. Pire, il laisse de côté toutes ses idées pour mettre bout à bout des images sans saveur.
Malgré la prometteuse ouverture du film, qui assimile Paris à un gigantesque mécanisme d’horlogerie, il faut voir ensuite avec quel ennui les séquences s’enchaînent (une scène d’exposition interminable). Une des grandes erreurs du réalisateur est de ne pas avoir su dynamiser sa mise en scène, au vu de l’unité de lieu où se déroule le film (une gare). Ajouté à cela, une histoire cousue de fils blancs, des acteurs stéréotypés et le (mauvais) tour est joué ! A part, le clin d’œil évident à l’invention des frères Lumière et aux débuts du cinéma (la métaphore entre le train et le cinématographe), le film tourne à vide (dépourvu de passagers) en laissant la place à des seconds rôles sans intérêt (simplement esquissés dans le livre de Selznick). Des histoires « bis » qui essayent de combler les trous narratifs : deux ridicules amourettes entre l’inspecteur de la station et la fleuriste, et entre la propriétaire du café Mme Emile et le propriétaire des kiosques à journaux, Monsieur Frick.
Scorsese structure sont récit avec des séquences à sketch en références aux courts-métrages du début du XXème siècle. Mais ces ersatz de tranches de vie façon frères Lumière ne fonctionnent pas à l’écran et manquent sérieusement de rythme. Que dire, enfin, des personnages principaux : Hugo et Isabelle, les deux enfants du film sont représentés comme deux têtes à claques. Ils sont tellement caricaturaux qu’ils en deviennent énervants. Le seul personnage secondaire à sauver est le libraire monsieur Labisse, joué par un Christopher Lee toujours aussi magnétique à 89 ans. L’acteur mythique de Dracula impose sa présence et son regard hypnotique dans deux courtes scènes.
Le cas Méliès
Malgré le ratage de la partie fiction du film, Hugo Cabret doit être vu pour « le documentaire » sur Méliès, qui est la reconstitution la plus émouvante et la plus juste à ce jour de la synthèse de sa vie d’artiste (seulement 20 minutes du film). On peut remercier Scorsese d’avoir réussit à faire partager son admiration pour le sorcier de Montreuil l’espace de quelques séquences d’anthologie.
On connaît l’attirance du réalisateur américain pour l’histoire du cinéma ; il en a d’ailleurs tiré un fabuleux documentaire (A Personal Journey with Martin Scorsese through American Movies, 1995). C’est un cinéphile doublé d’un pédagogue hors pair, qui a l’art de faire partager sa passion avec érudition.
Bien avant Scorsese, le cinéma s’était déjà penché sur l’évocation du petit monde de Méliès, à commencer par Georges Franju dans Le grand Méliès (1952), Jean-Christophe Averty avec Le Magicien de Montreuil (1964) et Jonathan Mostow dans la mini-serie, From the earth to the moon (1998). Bien que ces réalisations soient honnêtes, elles ne donnaient pas la pleine mesure de l’univers protéiforme du cinémagicien.
Grâce à sa distribution internationale et à la notoriété de Martin Scorsese, Hugo Cabret est une formidable opportunité de faire découvrir, au monde entier, le grand Georges Méliès en le replaçant au panthéon des cinéastes les plus important de l’histoire du 7ème art. Scorsese met toute sa passion dans la reconstitution minutieuse des grands moments de la vie artistique et personnelle de Méliès. Extrêmement bien documenté, il a une arme ultime : l’incarnation parfaite du réalisateur mythique en la personne de Ben Kingsley, étonnant de mimétisme.
Reconstitutions Scorsesiennes
Dans la partie « fiction » d’Hugo Cabret, quelques séquences sont à sauver. Elles concernent essentiellement les apparitions de Georges Méliès. Tout d’abord, la découverte du personnage, prisonnier de sa boutique de jouets et la très émouvante scène du coffre à dessins.
Comment introduire Méliès dans le récit ? En le montrant comme un simple marchand anonyme, aigrit et fatigué, perdu dans les couloirs immenses d’une gare. Il subissait alors la période la plus difficile de sa vie, un maître déchu du cinéma, oublié de tous et condamné à vendre des jouets dans une boutique impersonnelle. Scorsese ne fait pas de détails et nous présente un homme défait et écorché. Lors de sa première confrontation avec le jeune Hugo, il se transforme presque en ogre assoiffé de colère, envahi par la rancoeur.
Reconstitution de la boutique gare Montparnasse chez Scorsese.
La boutique originale.
Une très belle scène montre Méliès feuilletant le carnet de croquis du père d’Hugo. Submergé par l’émotion puis la colère, le passé ressurgit grâce au défilement des pages qui jouent le rôle d’une machine à remonter le temps en convoquant la technique du Folioscope (Flipbook). A la fin du carnet, plusieurs dessins du visage de l’automate prennent vie devant les yeux effrayés de Méliès. Et pour cause, cet automate c’est le sien. Perdu et oublié depuis des années, l’automate convoque les grandes heures du Théâtre Robert-Houdin quand le prestidigitateur Méliès y donnait ses représentations. La boucle est bouclée dès le début du film (d’où le manque de suspense dans la fiction) en renvoyant l’automate à un des plus grands inventeurs du genre : Jean Eugène Robert-Houdin, le père de la magie moderne.
Vers la fin du film, se situe une séquence très touchante lorsque Hugo et Isabelle découvrent un coffre caché, rempli de dessins préparatoires du maître. Par accident, celui-ci tombe par terre et laisse s’envoler des dizaines de dessins qui lévitent comme part magie dans la pièce. L’espace d’un instant, le temps s’arrête, le passé ressurgit de façon sublime et la 3D devient enfin pertinente, puisqu’elle nous jette littéralement au visage un passé secret qui ne demandait qu’à être réveillé. Un coffre à trésor comparable à la mythique boîte de pandore. Les enfants ont bravés un interdit, au risque de réveiller la colère de son propriétaire. Entre alors dans la pièce Méliès qui découvre l’étendue du « désastre ». Il est dévasté par tant de « cruauté ». La vie qu’il a voulu oublier lui est jetée à la figure comme un supplice. Ne trouvant plus les mots, il s’effondre dans les bras de sa femme Jeanne.
Jeanne d’Alcy avait été la maîtresse de Méliès bien avant leur mariage en 1925 (sa première épouse, Eugénie, décède en 1913). Ils avaient tous deux travaillé au Théâtre Robert-Houdin avant leur collaboration au cinéma, où elle est apparue plusieurs fois. Dans le film de Scorsese, c’est une femme dévouée qui n’a pas perdu l’espoir de voir son mari reprendre goût à la vie. L’actrice Helen Mc Crory incarne subtilement cette épouse sensible et délicate, tiraillée par des sentiments contradictoires.
Lors d’une projection du Voyage dans la lune, provoquée dans l’appartement des Méliès, devant Jeanne d’Alcy, le maître fait son apparition. Tel un fantôme, réveillé par le bruit de la caméra, il traverse le salon et va s’asseoir. Commence alors un long flash back qui retrace les moments marquants de sa vie artistiques sous la forme d’un documentaire fictionnel.
L’évocation des grandes heures mélièsiennes sont fabuleuses. A commencer par une séance au Théâtre Robert-Houdin où, Méliès prestidigitateur exécute une lévitation avec sa future femme Jeanne d’Alcy. C’est ensuite le moment d’être propulsé à l’intérieur des studios de Montreuil. Nous assistons médusé, aux tournages du Royaume des fées (1903), à une scène de L’éclipse du soleil en pleine lune (1907), qui voit Jeanne d’Alcy se transformer en étoile filante, et à deux scènes du Palais des mille et une nuits (1905) avec l’apparition du dragon et celle des squelettes.
Le Royaume des fées (1903).
L’éclipse du soleil en pleine lune (1907).
Le Palais des mille et une nuits (1905).
Dessin original de Méliès pour la scène du dragon dans Le Palais des mille et une nuits (1905).
Scorsese immortalise ensuite l’équipe des studios en apparaissant comme photographe, dans une belle mise en abyme. Nous voyons enfin, la grande verrière de Montreuil se désagréger avec le temps, jusqu’à sa disparition imminente. C’est la fin du flash back provoqué par Méliès. Retour à la triste réalité de la fiction…
Pour la petite histoire, Méliès a tourné ses derniers films en 1913 grâce à Pathé Frères. La Première Guerre mondiale n’a pas provoqué la disparition de la Star Films mais, ironiquement, elle a conduit Méliès à un gel de ces paiements. Ces studios végètent jusqu’en 1923, puis sont abandonnés.
La redécouverte de Méliès a commencé au milieu des années 1920. Lui et Jeanne d’Alcy vivaient misérablement dans un minuscule appartement de Paris (bien reconstitué dans le film). En 1925, ils ouvrent leur boutique de jouets et de bonbons gare Montparnasse. En 1926, Méliès devient le premier membre honoraire de la Chambre Syndicale Française de la Cinématographie. En 1929, J.P. Mauclaire, directeur du cinéma Studio 28, trouve un lot de douze exemplaires de films teintés de Méliès. Un gala en l’honneur de Méliès est organisé à la salle Pleyel le 16 décembre avec la projection de huit de ses films (qui comprenait aussi la projection de The Cheat de Cecil B. De Mille). Cet hommage clôture Hugo Cabret, Hugo remercié publiquement par Méliès, qui lui doit sa renaissance artistique.
La suite, n’est pas évoquée par Scorsese, souhaitant finir son film sur une note optimiste dans l’appartement des Méliès. En 1930, un autre programme de films de Méliès a été montré au public. En 1931 il reçoit la croix de la Légion d’Honneur. En 1932, la mutuelle du cinéma fourni à Méliès et à sa femme des appartements plus grands au château d’Orly. En 1934 il est nommé président honoraire de la Chambre Syndicale de la prestidigitation. Sa mauvaise santé l’a empêché de poursuivre certains projets cinématographiques provisoires, émis par des admirateurs au sein de l’industrie cinématographique, et il meurt d’un cancer en 1938.
Bibliographie :
– Cinématographe, invention du siècle de Emmanuelle Toulet (Découverte Gallimard, 1988).
– Georges Méliès, l’illusionniste fin de siècle ? de Jacques Malthête et Michel Marie (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997).
– Pour une histoire des trucages de Thierry Lefebvre (Revue 1895 AFRHC n°27, 1999).
– Méliès, magie et cinéma de Jacques Malthête et Laurent Mannoni (Fondation Electrique de France, Paris musées, 2002).
– L’oeuvre de Georges Méliès par Laurent Mannoni (Editions de La Martinière, 2008).
– Georges Méliès l’enchanteur de Madeleine Malthête-Méliès (Editions La tour verte, 2011).
A Lire :
– L’invention de Hugo Cabret de Brian Selznick. Editions Bayard jeunesse (2008). Editions Scholastic Press (2007, pour la publication d’origine).
– Le dossier Méliès, L’homme orchestre.
– La présentation de Méliès par Caroly.
– Le compte rendu de l’exposition Méliès, magicien du cinéma.
– Le dossier Magie et cinéma.
– Le compte rendu du spectacle Méliès, Cabaret magique.
– Méliès et le Théâtre Robert-Houdin.
A voir :
– Hugo Cabret de Martin Scorsese en DVD chez Metropolitan (2012).
– Le DVD Georges Méliès, l’intégrale !
– Le DVD Méliès, 30 chefs-d’œuvre.
– Le DVD Méliès, le cinémagicien.
– Le DVD Méliès, Encore.
– Le DVD collector George Méliès, à la conquête du cinématographe. Livre réalisé en partenariat avec les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès, contenant les 2 DVD précédents de Fechner productions + un DVD de films inédits (novembre 2011).
A visiter :
– Les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès.
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