À l’occasion du 120e anniversaire de la naissance du Cinématographe (1), l’Institut Lumière organise au Grand Palais à Paris une exposition inédite dédiée à leurs inventeurs Louis et Auguste Lumière. Cette histoire est intimement liée à Paris : après le tournage du premier film à Lyon, la première projection eut lieu à Paris le 22 mars 1895, puis la première séance publique payante fut organisée au Salon Indien du Grand Café le 28 décembre 1895. Enfin des vues Lumière furent présentées avec succès sur écran géant lors de l’Exposition universelle de 1900, non loin du Grand Palais, qui en fut l’une des grandes figures.
Insuffler le mouvement : le cinéma des premiers temps
Dans la première moitié du XIXe siècle, un événement majeur marque l’histoire des images : la naissance de la photographie qui confère à l’Art la possibilité de ne plus représenter le réel à l’instar de la peinture, mais de le capturer. L’histoire du cinéma naît de la volonté d’animer et de projeter des photographies, autrement dit d’insuffler le mouvement aux images fixes. Cette détermination à capturer le monde au plus près de sa réalité nourrit à son tour Auguste et Louis Lumière qui, s’inspirant de leurs prédécesseurs, inventent un appareil permettant tout à la fois de filmer, de tirer des copies et de les projeter. Ils le baptisent le Cinématographe.
Conçue à partir des collections de l’Institut Lumière, riches d’appareils et objets originels, documents graphiques et archives familiales, l’exposition présente ce que fut la famille Lumière et la façon dont leurs fils Louis et Auguste marquèrent leur époque. Une large place est consacrée à la diffusion, sous différentes formes, des 1400 films Lumière, joyaux aux multiples interprétations : reflets de l’Histoire, des prémices de l’écriture cinématographique, de l’ouverture au monde mais aussi témoins de la vie familiale du début du XXe siècle.
Transformer l’image
L’exposition propose de découvrir l’Histoire de l’image animée, de ses origines jusqu’aux dernières techniques de production et de diffusion. Plus d’un siècle sépare les premières expérimentations cinématographiques du cinéma tel qu’on le connaît aujourd’hui. Tout au long du XXe siècle, des évolutions techniques et esthétiques ont traversé et métamorphosé notre rapport sensible et cognitif aux « images-mouvement ». L’exposition interroge les liens qui perdurent entre le cinéma des premiers temps et le cinéma d’aujourd’hui : comment notre regard de spectateur averti, quotidiennement sujet à une profusion d’images en mouvement, reçoit et interprète ces images pionnières ? Aussi l’exposition est l’occasion de mettre en regard les images fixes ou animées issues du passé et celles de l’ère numérique, de réfléchir aux problématiques de l’image, de la technique et de la réception qui ont jalonné l’Histoire du cinéma.
Des boîtes de films Lumière manufacturées dans les usines familiales aux écrans tactiles numériques, le dispositif scénographique évoque intrinsèquement ces évolutions. L’exposition didactique et pédagogique redonne toute sa place à l’importance de l’image de cinéma qui au début du XXIe siècle est parfois reléguée à l’espace miniature d’un écran de téléphone portable. Faisant appel à la sensibilité et aux émotions du spectateur, le parcours et le dispositif scénographique contribuent à ré-enchanter les images et à retrouver leur magie originelle.
L’industrie Lumière : une aventure familiale
Antoine Lumière et ses fils. Un père et deux frères. Un père aux origines très modestes, fils d’un vigneron journalier et d’une sage-femme dont il fut très tôt orphelin. Deux fils, les frères Lumière, liés par un serment adolescent de travailler toujours ensemble, né dans l’obscurité d’une grotte de Bretagne où ils s’étaient vus retenus prisonniers par la marée montante. Fuyant l’invasion prussienne de 1870, la famille s’installe à Lyon. C’est dans cette ville qu’elle fait fortune, grâce à la fabrication de plaques photographiques dites « Étiquettes bleues », inventées par Louis Lumière à l’âge de 17 ans.
Quelques années plus tard, l’entreprise familiale spécialisée dans la fabrication et la vente de plaques sur verre, de papier photographique et de produits chimiques connaît un véritable succès et occupe la première place européenne. Les usines Lumière s’industrialisent et diversifient leur production : sont ainsi fabriqués à Lyon des pellicules photographiques, des films radiographiques, et nombre de produits photochimiques et accessoires. Des objets issus de cette aventure industrielle, des photos réalisées par Antoine Lumière et des tableaux qu’il a peints, et qui sont autant de témoignages sur l’époque, sont présentés aux visiteurs.
Du pré-cinéma à la première séance collective
Fort du phénomène de persistance rétinienne observé dès le début du XVIe siècle, l’engouement pour les jouets optiques voit l’émergence de divers systèmes pour animer les images. Au cours du XIXe siècle, nombre de scientifiques mettent au point des appareils, tels que le Thaumatrope ou le Zootrope pour reconstituer l’illusion du mouvement à l’aide de dessins, de gravures, et par la suite de photographies. Sont aussi présenté, des lanternes magiques, Phénakistiscope, Praxinoscope, Kinetoscope et un magnifique Polyorama panoptique de 1850 où le jeu de l’éclairage révèle des images cachées.
À partir de ces premiers balbutiements, les inventeurs Marey, Muybridge et Edison développent des appareils de saisie du mouvement, puis des outils régularisant la vitesse de défilement des images. Inspirés par ces inventions techniques qui voient le jour à la fin du XIXe siècle, les frères Lumière mettent au point le Cinématographe, littéralement « l’écriture du mouvement », appareil capable de filmer, de tirer des copies et de les projeter. Cet appareil marque un tournant considérable dans l’évolution des technologies de prises de vue ; les frères Lumière ouvrent la voie au cinéma du XXe siècle. Le monde de la cinématographie devient alors un terrain fécond pour la recherche et l’expérimentation.
Le cinématographe Lumière n°1 équipé pour la projection de décembre 1895.
Au-delà de cette prouesse technique fondatrice, les frères Lumière initient également l’expérience collective du partage des images, en organisant la première séance publique payante au Salon Indien du Grand Café à Paris le 28 décembre 1895. Les dix films projetés (d’abord en image arrêté comme une photographique) lors de la première séance sont diffusés ici en 35 mm, en version restaurée, dans une reconstitution du Salon Indien, imaginée par le décorateur Jacques Grange.
Amis des frères Lumière, Félicien Trewey, célèbre ombromane de la scène londonienne, introduit le premier spectacle du Cinématographe à l’École polytechnique de Regent Street, le 20 Février 1896. Ce fut la première séance publique en Grande-Bretagne. Bientôt, les films Lumière furent présentés au prestigieux Empire Theatre de Leicester Square. De plus, Trewey a tourné dans plusieurs films Lumière, notamment un des premiers en 1896 : Partie d’écarté. Il apparaît aussi dans Assiettes tournantes, Le serpent, Chapeaux à transformations.
En 1896, les Lumière inventent le Kinora un petit appareil à vision directe inspiré du Mutoscope de Casler, équipé d’un rouleau papier de 600 images.
Les contemporains des Lumière : Pathé, Gaumont et Méliès
Contemporains des frères Lumière, Charles Pathé, Léon Gaumont et Georges Méliès ont influencé le monde du cinéma et plus particulièrement celui de la production. « Éditeurs de vues cinématographiques », les deux industriels Charles Pathé et Léon Gaumont dont l’activité consistera à produire et à distribuer des films, vont contribuer en France à faire du cinéma une industrie. Méliès quant à lui, réalisateur, producteur et distributeur de films, confère à l’industrie cinématographique une dimension esthétique. En véritable cinéaste, il expérimente la mise en scène cinématographique. Malgré des langages cinématographiques pluriels, ces quatre mousquetaires partageaient une vision commune du cinéma. Le cinéma des premiers temps portait moins d’attention au contenu des histoires racontées qu’à leur réception par les spectateurs. Les vues fascinaient car elles généraient l’illusion : illusion du mouvement chez Lumière, illusion de la magie chez Méliès.
Les films Lumière : filmer le réel au-delà des frontières
Les 1 422 films Lumière tournés entre 1895 et 1905, projetés en intégralité dans l’exposition sur un immense mur, témoignent de l’importance de la production Lumière au début du XXe siècle et de la diversité des sujets filmés : scènes de la vie quotidienne, vues de paysages, actualités officielles, prémices de la comédie… Elle constitue pour le spectateur d’aujourd’hui un fonds patrimonial cinématographique important, autant d’images qui reflètent une vision de la société au début du XXe siècle.
Mus par la volonté de partager avec le plus grand nombre les vues photographiques animées, les frères Lumière forment de nombreux opérateurs aux techniques de filmage et de projection. Envoyés aux quatre coins du globe, caméra sous le bras, ils capturent des images inédites de territoires lointains. Les films montrent l’extraordinaire diversité des sujets abordés et constituent les premières archives animées du début du XXe siècle.
Ces films témoignent également de la très grande qualité de leur prise de vue et de la modernité de leur écriture. Ils attestent de l’importance donnée au geste cinématographique. Louis Lumière et ses opérateurs ont mis au point un premier langage cinématographique, langage qui jalonne l’histoire, et qui trouve écho auprès de cinéastes tout au long du XXe siècle. Ils jettent les bases de la production, de l’exploitation et de la distribution des vues cinématographiques, disciplines qui forgent aujourd’hui l’identité de l’industrie cinématographique.
La photographie, toujours…
Lumière, ce n’est pas seulement le Cinématographe, c’est une vie entière dédiée aux images avec de nombreuses inventions dans le domaine de la photographie. L’invention du Cinématographe s’est ainsi inscrite dans le travail photographique de la société Lumière puisqu’elle repose sur un appareil et une surface sensible, comme en photographie. En ce sens, elle est une extension de la production de l’entreprise familiale.
En 1901, toujours dans l’optique de contribuer à la modernisation de l’outil photographique, Louis Lumière met au point le Photorama, premier procédé de photographie panoramique permettant la projection dans une rotonde d’un cliché unique représentant un tour d’horizon, soit 360°.
En 1903, Louis Lumière brevète le premier procédé commercial de photographie des couleurs qu’il nomme Autochrome. Il permet d’obtenir des diapositives sur plaques de verre. Ici des plaques originelles datant du tout début du XXe siècle sont exposées en regard d’ingénieux appareils de visionnement des plaques datant des années 1910, comme le Chromodiascope. Véritable procédé de photographie picturale, l’Autochrome suscite une émotion esthétique inégalée lorsque l’œil du spectateur rencontre ces millions de particules, percevant dès lors le remarquable contraste des couleurs et la finesse du grain de ces joyaux de la photographie.
L’héritage Lumière au XXe et XXIe siècle : permanence esthétique et mutations technologiques
La trace Lumière dans le cinéma existe, comme un héritage revendiqué par les metteurs en scène qui lui ont succédé et dans l’œuvre desquels on retrouve ici l’idée d’un plan, là une inspiration commune, là encore un cadrage ou un sujet. D’emblée, Lumière et ses opérateurs se sont posés des questions de cinéastes – celles qu’après eux des milliers d’artistes formuleront à leur manière. Il s’agit plus d’une manière de faire du cinéma : enregistrer le réel, donner la vie en mouvement dans ce qu’elle a d’évident, de prégnant et d’éternel. Ici, des extraits d’œuvres de cinéastes des XXe et XXIe siècles, viennent se confronter au cinéma des Lumière. Une confrontation des images pionnières à celles d’hier et d’aujourd’hui qui permet de saisir la permanence de la « trace Lumière » et de voir combien l’esthétique Lumière est déjà celle de la modernité.
Dans une installation inédite et spectaculaire, en avant-première mondiale, la société Alioscopy présente sa version 3D sans lunette de l’Arrivé du train en gare de la Ciotat. Louis Lumière inventa un procédé de cinéma en relief qui aboutit, en 1935, au tournage et à la présentation de plusieurs films avec des lunettes anaglyphique bleue et jaune. De 1935 à 2015, les progrès technologiques ont permis un incroyable saut dans le temps.
On retrouve Lumière chez les Français Jean Renoir, Robert Bresson ou Maurice Pialat, chez les Italiens du néo-réalisme dans les années 1950 et chez Roberto Rossellini toute sa vie, chez Bertrand Tavernier quand il s’inspire de la couleur des Autochromes pour tourner Un Dimanche à la campagne, ou chez Abbas Kiarostami, figure tutélaire d’un cinéma iranien qui sait retrouver l’innocence des premiers gestes.
Si sur le plan artistique, les permanences de l’héritage Lumière demeurent, qu’en est–il de la technique ? 125 ans après l’avènement de la pellicule qui impressionnait la lumière sur sa surface sensible, les processus de capture du réel ont-ils évolué ? Au cours du XXe siècle, le cinéma connaît de nombreuses évolutions techniques et artistiques. Le passage de l’argentique au numérique a définitivement transformé les systèmes de filmage et de projection. La pellicule a disparu au profit du numérique. Mutation ou glissement, l’ère numérique a opéré un changement de nature de l’image capturée et de l’image projetée. Cette mutation affecte par ailleurs le cinéma dans son essence, de la redéfinition des milieux professionnels jusqu’à l’élaboration de nouvelles théories esthétiques.
En 2013 et 2014, les cinéastes Jerry Schatzberg, Xavier Dolan, Michael Cimino, Pedro Almodóvar, Paolo Sorrentino et Quentin Tarantino ont été invités à revisiter le premier film, Sortie d’usine, en le tournant à nouveau, chacun à leur manière, sur le site originel du Hangar du Premier-Film à Lyon.
Note :
(1) Au même moment, le 104 de Paris propose l’exposition 120 ans de cinéma : Gaumont, depuis que le cinéma existe. La plus ancienne société de production au monde, n’est pas n’ont plus la plus marquante au niveau artistique. Leur catalogue privilégie les films populaires et commerciaux sans grand intérêt. Il ressort pourtant des pépites dues à Robert Bresson (Un condamné à mort s’est échappé, Lancelot du lac, Le diable probablement), Maurice Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble, A nos amours, Sous le soleil de Satan, Van Gogh), Georges Franju (Les yeux sans visage) et Fellini (Huit et demi).
L’exposition est découpée en trois espaces. Une installation anecdotique de Alain Fleischer avec un système de projection/miroir, Une salle projetant sur une multitude d’écrans des extraits de films montés par thématiques entouré de costumes et des œuvres de Annette Messager, puis un parcours au milieux d’objets, d’affiches, d’appareils anciens et autres raretés inédites.
Parmi ces dernières un incroyable Diorama prêté par le Musée des arts forains : une toile peinte translucide de grande dimension datant de la fin du XIXe siècle et dont l’image se modifie avec les variations de la lumière, selon que cette dernière frappe chacune des deux faces de la toile alternativement.
Diorama représentant la baie de Naples et le Vésuve. Toile de 410×270 cm, issue du théâtre mécanique Morieux (Jean-Paul Favand, Musée des Arts Forains).
Inventé en 1822 par Louis Daguerre, le Diorama fut un divertissement populaire jusqu’en 1880. En concurrence avec le panorama, il fut dès son origine une expérience théâtrale présente dans des salles spécifiquement conçues dans ce but.
– La majeure partie du texte est extraite du programme de l’exposition.
– L’exposition, Lumière ! Le cinéma inventé fut présentée au Grand Palais à Paris du 27 mars au 14 juin 2015.
A lire :
– L’illusion cinématographique.
– Magie et Cinéma.
– Jouets optiques et attraction.
– Media Magica.
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