Résumé
Cet article étudie le Théâtre Noir (1), un type de spectacle magique spécifique qui se développe quelques années avant l’invention du cinématographe. Mise au point par hasard, sa technique permet de créer des effets magiques impossibles auparavant. Les conflits de paternité portant sur cette invention et ses antériorités montrent que le Théâtre noir est loin d’être une découverte. Sa résurgence à la fin des années 1880 se fait avec l’électrification des théâtres : il s’agit de ce qu’on peut appeler une invention inverse. Ce concept permet d’analyser l’invention, tout autant « hasardeuse », du truc par substitution de Méliès et de proposer une nouvelle définition du truc cinématographique.
Introduction
Reconnaître dans l’attraction foraine l’origine historique du spectacle cinématographique et identifier les trucages « géniaux » de Méliès aux premiers balbutiements de l’art cinématographique constituent les deux lieux communs, qui apparaissent dans les années 1930 en France (2).
Dans son article portant sur « Les enjeux sociaux du trucage cinématographique », Jean-Marc Leveratto montre qu’en reconnaissant chez un « Méliès-Magicien » l’origine de trucages hérités de la scène, on a défini un « état de nature » qu’il a fallu dépasser afin d’atteindre l’art cinématographique, posant ainsi les jalons d’une histoire du cinéma libérée de ses rapports à d’autres formes d’art. Encore dans les années 1970, selon Paul Hammond :
Il est parfaitement naturel qu’une illusion d’optique supérieure comme le cinéma se trouve initialement dans les mains des magiciens, qui souvent sont des mécaniciens experts, bien renseignés sur les trucages optiques (3).
Utilisation du Black Art pour « Le Dernier Mystère du Docteur Lynn » ou Dr. Lynn’s Thauma (1879).
La relation prestidigitation-cinéma, postulée ici comme « naturelle » et hiérarchique, reste à questionner : elle n’est liée ni à un déterminisme technique – l’évolution des effets présentés par les magiciens est loin d’être linéaire –, ni à une invention ex nihilo. Afin de dépasser ces « lieux communs », il convient donc de se détacher d’une histoire hagiographique et linéaire du cinéma en reconsidérant des formes oubliées. Comme l’ont fait Georges Sadoul puis Jacques Deslandes (4), prendre en compte la pratique des artistes magiciens – illusionnistes ou prestidigitateurs – permet de proposer une nouvelle histoire et de la détacher des grandes figures de référence. En effet lors de la période dite « des premiers temps », les utilisations du cinématographe sont multiples.
The Stage Setting for Black Art. Illustration tirée de l’ouvrage de Albert A. Hopkins : Magic Stage Illusions and Scientific Diversions, Including Trick Photography (1897).
Cette machine est, en particulier, incorporée à différentes pratiques spectaculaires préexistantes (telles que la danse, le théâtre, la pantomime, etc.). Dès lors que le cinématographe s’intègre à d’autres pratiques, exogènes, ses usages sociaux et culturels en dépendent : l’introduction du cinématographe dans d’autres formes de spectacle n’aboutit pas à un simple mélange de médias, ni à une forme multimédiatique (5). Le cinématographe est alors sans identité propre au sens usuellement prêté à la définition d’un medium fondé sur sa « spécificité ». Il est dans « un état transitoire au cours duquel une forme en voie de devenir un média à part entière se trouve encore partagée entre plusieurs médias existants » (6). Ainsi pour André Gaudreault :
Il [le cinématographe] fut à la fois numéro de vaudeville, spectacle de lanterne magique, numéro de magie, spectacle de féerie, ou numéro de café concert. (7)
Le magicien polonais Will Goldston alias Carl Devo dans son numéro de Black Art en 1899.
Cette position que l’on remet en question aujourd’hui au vu des nouvelles hybridations médiatiques induites par la « fracture numérique », permet d’ouvrir de nouveaux horizons et de renouveler un certain nombre de questionnements sur les modes d’utilisation de cette machine, qui, autour de 1900, n’est pas encore fixée. On s’efforcera ici de mettre en lumière l’un des transferts qui eurent lieu entre l’art magique et le cinématographe en étudiant le cas du Théâtre Noir. Au-delà de cette technique nous montrerons comment ce schéma de création peut se retrouver dans d’autres cas de la pratique cinématographique. Cette confrontation entre art magique et cinématographe nous mènera ainsi à redéfinir la notion de trucages cinématographiques.
Spectre de Diogène dans Les Merveilles de l’occultisme spectacle avec fantômes réalisé par George Méliès, sur la scène du Théâtre Robert-Houdin, avec le magicien Jules-Eugène Legris (1909).
Le Théâtre Noir
La récente Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, nous renseigne :
Noir (Théâtre) : Technique théâtrale permettant de faire apparaître certains personnages ou certains objets, […] tout en dissimulant d’autres […]. Le dispositif scénique utilisé pour le Théâtre Noir consiste à draper toute la cage de la scène de tentures noires. L’éclairage est réglé sur l’avant-scène, équipé de projecteurs à faisceaux parallèles, au minimum à la cour et au jardin, masqué du public par le cadre de scène. […] Les manipulateurs, entièrement vêtus, gantés et cagoulés de noir, sont invisibles sur un fond noir. Les marionnettes sont uniquement révélées lorsqu’elles sont placées dans le rai de lumière. (8)
Illustration tirée de l’ouvrage Book of Magic, Black Art Fully Exposed (1903) de Alexander Herrmann.
Le Théâtre Noir découle de ce que Jim Steinmeyer a nommé la magie optique (9). Pour ce chercheur et inventeur d’effets magiques, son principe repose sur deux illusions distinctes : le Background Masking et le Background Blending (10). Dans le premier cas, un objet devient invisible parce qu’il est placé derrière un cache de même matière que le fond. Dans le second cas, le cache est rendu invisible par fusion avec le fond : ses contours se confondent avec les motifs du décor. Ces deux illusions reposent sur les limites du pouvoir de séparation de l’œil : le spectateur ne distingue plus le fond du cache.
Le Théâtre Noir est rendu possible d’abord par une gestion spécifique de la lumière, la suppression des ombres atténuant la perception de la profondeur ; ensuite par l’exploitation d’un hors-champ d’interposition (11), donc par une conception spécifique de la mise en scène en profondeur. Pour les artistes magiciens, l’invention de ce procédé est communément datée du dépôt du brevet français par l’illusionniste lyonnais Buatier de Kolta à Paris en 1886 (12). Son étude permet de comprendre les installations de son spectacle qu’il nomme la Magie noire moderne (13), ouvrant, selon le Morning Advertiser, « une nouvelle ère dans l’histoire des spectacles de magie » (14).
Buatier de Kolta.
Selon son brevet, le procédé est basé sur « la nuance foncée et uniforme de toutes les parois de la scène, ainsi que du plancher et du plafond » (15). Buatier recommande de tendre intégralement la scène de velours, la double trame du tissu minimisant les réflexions lumineuses à sa surface. Un fond mobile peut alors se déplacer sans qu’il soit possible pour un spectateur d’en percevoir les mouvements, grâce à « l’ombre dont semble être enveloppée la scène » et malgré « la rampe de lumière qui l’éclaire » (16). Ce fond mobile est visible, mais l’absence de nuance lumineuse rend le volume de la scène indistinct. Cette paroi fait office de cache intégral, elle masque la totalité du fond de scène (17).
En 1908, un vif débat divise les artistes magiciens concernant l’attribution du principe (18). Son invention est discutée – et disputée – par le magicien allemand Max Auzinger. Acteur de formation et directeur du Théâtre National de Berlin (19), il dit avoir découvert son procédé en 1885 lors d’un réglage lumières de la pièce Donatin Morlay (20). Son décor représentant un donjon était tapissé de velours noir et lorsqu’un Maure dut donner sa réplique, sa tête était invisible : seules deux rangées de dents semblaient suspendues dans l’obscurité. Réalisant les possibilités du procédé, Auzinger abandonna temporairement sa carrière d’acteur de théâtre pour présenter un spectacle exclusivement basé sur le principe du Black Art (21).
Max Auzinger alias Ben Ali Bey.
Ce principe repose sur une application plus radicale du procédé breveté par Buatier. L’Allemand présente la même scène tapissée de velours noir ; cependant il adjoint de petits projecteurs dits « aveugleurs » qui, placés à l’avant de la scène et dirigés vers le public, tendent à l’éblouir. L’iris du spectateur se contracte pour doser l’intensité lumineuse qui vient frapper la rétine, l’œil s’adapte aux hautes lumières. Le champ de vision présente alors un contraste trop important pour son œil (22). Ainsi les parties de la scène de basses lumières, trop faiblement éclairées, ne sont plus perçues, la stimulation de la rétine étant trop faible. Il se crée alors une zone de noir insondable, sans information et sans texture, un hors champ perceptif.
Omar Pasha, numéro créé par M. Berscheid en 1895, qui tourne toujours de nos jours. Willy Berscheid (1ère photo) et Louis-Olivier Ostrowsky (2ème photo).
Dans le Black Art et la Magie noire moderne, la lumière recrée l’espace scénique, elle est utilisée autant pour son pouvoir d’éclairement que d’aveuglement. La Magie noire moderne repose sur la suppression de la perception de la profondeur et sur l’indiscernabilité relative entre le cache et le fond. Quant au Black Art, il repose sur la création de zones d’invisibilité absolues et sur une mise en lumière plus radicale ; c’est sous cette forme que ce procédé se retrouve de nos jours dans le Théâtre Noir (23).
Les Chapeaux Blancs, un numéro visuel de Théâtre Noir par Claude Brun et Jérôme Helfenstein (2010).
Traces dans l’histoire
Après le dépôt de brevet de Buatier, un grand nombre de spectacles recourant au principe du Théâtre Noir voient le jour. Le Hongrois Joseph Velle, costumé en Japonais, semble être l’un des premiers à en présenter un dès le 15 janvier 1887 (24) ; il sera ensuite repris par son fils, Gaston Velle (25). Puis, à partir du 28 janvier 1887 (26), le Professeur Carmelli (27), nouveau directeur du Cabinet fantastique du Musée Grévin (28), assisté de Jeanne d’Alcy (29), interprète Magie Noire, un spectacle conçu par Eugène Voisin auquel Georges Méliès semble avoir collaboré (30). Ce spectacle laissera temporairement place aux pantomimes lumineuses d’Émile Reynaud.
Joseph Velle présente l’escamotage d’un cheval vivant à l’Eden Théâtre (1887).
Professeur Carmelli dans Magie Noire (1887).
Le prestidigitateur Alber (31) présente lui aussi de la Magie Noire et l’adapte aux salons mondains ainsi qu’aux séances chez des particuliers. De son côté, le professeur Dicksonn présente la Sorcellerie Russe au théâtre des Variétés (32) puis à l’ouverture de son propre théâtre en 1889 (33), et la Fée Dicka présente en 1894 un numéro de Sorcellerie noire (34).
Professeur Dicksonn présente la Sorcellerie Russe (Source BNF).
Méliès lui-même utilise ce procédé dans ses créations : en 1909 (35), sur la scène du Théâtre Robert-Houdin. Les Phénomènes du spiritisme, représentent l’aboutissement de son travail dans le domaine du Théâtre Noir (36). L’analyse des affiches du Théâtre Robert-Houdin nous permet de supposer que Méliès utilise ce principe sur la scène principale bien avant cette date. Celle du Château de Mesmer (37) présente une ouverture en profondeur où règne la pénombre. Dans l’Escarpolette polonaise (38), la présence d’un fond noir sans raison apparente, à l’arrière du Polonais, laisse aussi supposer une obscurité relative sur scène et donc une possible utilisation du Théâtre Noir.
Les Phénomènes du spiritisme par Georges Méliès sur la scène du Théâtre Robert-Houdin (détail du dessin de Méliès).
En s’intéressant à la cinématographie, Méliès applique ce procédé à ses vues animées. Il l’utilise de manière discrète, dans le Diable au couvent (39) : comme à son habitude, Méliès a peint le bénitier sur une feuille de bois, mais les espaces ajourés, situés entre les ornements et le pied central sont peints eux aussi en noir. Le vide est représenté par ces zones sombres. Ils masquent la présence des personnages qui auraient été perçus à travers ces espaces ajourés.
Le magicien de Méliès (1898).
D’autres occurrences du procédé peuvent être relevées dès 1898. Dans le Magicien (40), un buste de femme prend vie et attaque le magicien. Georges Méliès transforme le buste grâce à un arrêt caméra : une femme se positionne alors à l’arrière du pied et ne laisse apparaître que le haut de son corps : ce trépied est peint, mais également l’espace situé entre ses jambes. Le vide étant représenté par une surface noire qui se confond avec la tenture du fond, les pieds de la jeune femme disparaissent. Dans Pygmalion et Galathée (41), même effet et même technique : une statue devenue vivante se divise en deux, les jambes prennent leur autonomie et le tronc apparaît posé sur le même trépied que précédemment. Ces deux vues animées, vraisemblablement tournées sur une courte période, attestent d’une recherche autour du Théâtre Noir. Le Magicien, titré en anglais, Black Magic, ne laisse pas de doute sur la technique employée (42).
Pour Georges Méliès, le Théâtre Noir semble pouvoir s’adapter parfaitement aux trucages cinématographiques. Tel est le cas dans la seconde partie de l’Homme-Orchestre (43). Entre les différents arrêts de caméra, Georges Méliès ne sort pas les chaises du champ, mais les recouvre d’un tissu noir, lequel, faiblement éclairé, ne renvoie pas suffisamment de lumière pour sensibiliser la bande cinématographique. À la sortie hors-champ, Méliès préfère ainsi utiliser la technique du Théâtre Noir. Dans l’Enchanteur Alcofrisbas (44), des spectres debout sur des praticables (45) noirs, semblent flotter dans l’espace : le Théâtre Noir évite ainsi de devoir suspendre chacun des acteurs aux cintres du studio.
l’Homme-Orchestre de Méliès (1900).
Georges Méliès utilise donc d’abord le Théâtre Noir. Ce n’est que dans un second temps qu’il combine le procédé avec les moyens photographiques des passes multiples. Par conséquent, s’il est vrai, comme le note Jacques Malthête (46), que la technique de prise de vue sur fond noir se rapproche des travaux du physiologiste Marey (47) et des récréations photographiques, il nous semble cependant plus probable que l’agencement de l’espace cinématographique méliésien soit un héritage des techniques illusionnistes.
Etude sur le mouvement de Etienne-Jules Marey.
Le Théâtre Noir est peu abordé dans les histoires du cinéma. Ce qui est étonnant à plusieurs titres. D’une part, parce que cette forme de spectacle est importante et très populaire au moment de l’émergence de la pratique cinématographique, d’autre part, parce que l’étude de ses agencements montre un espace entièrement dédié aux installations optiques. La vision du spectateur y est maîtrisée et contrôlée. Les installations de la scène peuvent être considérées comme un agrandissement homothétique des boîtes d’optiques présentées par les montreurs de vues (48). La boîte s’étend ici aux dimensions de la scène et le spectateur s’y installe.
Beauty de Howard Thurston (1925). Utilisation du Black Art pour la disparition d’un pur-sang arabe.
Le Théâtre Noir a été un important facteur d’innovation contribuant à faire évoluer et à transformer aussi bien la scène du théâtre que le spectateur. S’il semble peu étudié, c’est sans doute parce qu’il constitue une forme intermédiale exemplaire, pouvant aussi bien être rangé du côté des arts de la marionnette (49) que du théâtre symboliste (50), de la danse (51), ou de la fantasmagorie. Il est ainsi difficile à appréhender sauf à entrer dans le détail de chacune de ces pratiques artistiques. Pourtant son étude au sein de l’art magique permet d’expliquer bon nombre de choix de costumes, d’accessoires et d’éclairages et de comprendre plus précisément les effets recherchés par les médias qui en ont exploité le principe. Un autre aspect du Théâtre Noir doit être relevé, car il touche à l’épistémologie des découvertes scientifiques ou techniques, c’est celui qui en fait une invention inverse.
Rapport large à la technique des trucages
La perte du pouvoir de séparation de l’œil lié à un contraste trop grand, est une illusion d’optique connue. On ne peut guère lui trouver une origine précise ; les expressions françaises : « n’y voir que du feu », ou « voir trente-six chandelles » en sont des images langagières dérivées. D’autres brevets et occurrences du procédé existent dans la littérature magique, notamment dans l’expérience Un Tableau de fantaisie (52), créée par Robert-Houdin et programmée par Georges Méliès dans son théâtre. Aux différentes antériorités théâtrales, étudiées par Steinmeyer (53), l’ajout de deux autres références nous semble important. Georges Moynet cite l’exemple du « ballet des squelettes » qui provoquait des évanouissements dans la salle (54), et dont on trouve une forme dérivée dans la représentation de la Danse macabre de la Règle du jeu de Jean Renoir (55).
Séquence de la Danse macabre dans le film la Règle du jeu de Jean Renoir (1939).
Dans la féerie les Quatre éléments, présentée le 10 juillet 1833 au Théâtre de la Gaîté, les danseurs sont vêtus de justaucorps noirs sur lesquels sont brodés en tissu blanc, seulement sur le devant, les os d’un squelette. Ces costumes permettent alors de réaliser des effets saisissants : lorsque les danseurs présentent leur dos aux spectateurs, les squelettes disparaissent. Plus en amont, Etienne Gaspard Robert dit Robertson, relate dans ses mémoires l’anecdote de M. Nahuys de Breda, amateur de fantasmagorie. Son domestique, habillé comme les précédents danseurs, devait réaliser une apparition lors d’une soirée de fantasmagorie qu’il avait organisée. Or à la tombée de la nuit, oubliant qu’il était ainsi costumé, le domestique sortit en hâte et, dans la rue, « on se mit à fuir de toutes parts devant le squelette ambulant » (56).
Illustration tirée de l’ouvrage Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques d’un physicienaéronaute de Robertson (1831-1833).
Magie optique et projections lumineuses ont de multiples origines communes (57) et Sidney Clarke conclut en 1924 :
L’idée d’éliminer les ombres et formes par l’utilisation du noir ou toute autre draperie absorbant la lumière et la gestion de la lumière n’était pas inconnue au monde du spectacle (58).
Le Théâtre Noir n’a donc pas d’origine précise, mais sa redécouverte – quasi simultanée – par Buatier et Auzinger représente ce que Steinmeyer appelle une invention inverse, où « le dispositif le plus complexe est d’abord découvert, puis les composants plus simples sont progressivement identifiés (59) ». Son principe procède des installations du cadre théâtral et dérive d’une illusion plus complexe. En effet, dans son brevet, Buatier souligne la spécificité de son invention en rappelant l’antériorité de son dispositif :
Jusqu’à présent on a fait usage de miroirs reflétant l’image d’un artiste placé sous la scène. Le public ne voyait donc qu’une image imaginaire. (60) L’illusion à laquelle il se réfère est celle des spectres, restée sous le titre générique de Pepper’s Ghost (61). Son principe, hérité probablement des polyramas (62), est élargi à l’ensemble de la salle de spectacle. Le Théâtre Noir, quant à lui, n’exploite qu’une partie de ses éléments : la lumière et les fonds noirs.
Pepper’s Ghost.
Ainsi l’invention inverse est-elle liée à une démarche « régressive » : le Théâtre Noir repose sur le retour à un faible niveau de lumière sur la scène. Son principe va à l’encontre de l’augmentation du niveau lumineux de la scène théâtrale, dont l’électrification des théâtres à partir de 1883, accélère l’évolution. Les projecteurs tendent à emplir de plus en plus l’espace scénique de lumière. Le Théâtre Noir se développe sous l’impulsion d’une nouvelle technologie – l’éclairage électrique – et son émergence peut être considérée comme une réponse à l’électrification des théâtres qui gagne les salles. Le Théâtre Noir s’affirme après la mise en place de cette technique.
Retour à la discontinuité cinématographique
Cette réinvention fait écho à la découverte par Méliès du « truc par substitution », déclenchant la réalisation de ses nombreuses vues à transformations. Dans l’Annuaire de la photographie, en 1906, il rapporte la fameuse anecdote selon laquelle :
Un blocage de l’appareil dont je me servais au début produisit un effet inattendu un jour que je photographiais prosaïquement la place de l’Opéra ; une minute fut nécessaire pour débloquer la pellicule et remettre l’appareil en marche. Pendant cette rupture, je vis subitement un omnibus Madeleine-Bastille changé en corbillard et des hommes changés en femmes. Le truc par substitution dit « truc à arrêt » était trouvé… (63)
Le voleur invisible de Segundo de Chomon (Pathé, 1909).
Des « accidents » comparables se produisent chez d’autres : l’Espagnol Segundo de Chomon en 1902, réalise les possibilités de la technique de l’animation image par image grâce aux déplacements d’une mouche sur des cartons titres (64). En 1905, c’est Albert E. Smith qui constate un effet similaire par le déplacement inattendu de nuages entre les tableaux qu’il cinématographie en extérieur (65).
Les discours dominants sur le cinématographe ont longtemps mis en avant la supposée suprématie de la stricte continuité photogrammatique (66). Le synchronisme de l’obturateur et du défilement intermittent de la bande, la fixité des images et la longueur du support photographique furent autant d’obstacles au développement du cinématographe Lumière (67). Le « truc par substitution » découvert par Méliès révèle, à l’inverse, le pouvoir de discontinuité du cinématographe. L’erreur technique – le blocage de l’appareil – crée un hiatus dans la continuité photogrammatique et le résultat de l’accident met à jour un des éléments constructeurs de l’illusion cinématographique.
La notion d’invention inverse semble confirmer ces accidents révélateurs : les inventions inverses sont le résultat d’approches dites ascendantes (Bottom-up). Elles partent de résultats issus de la pratique (ici la discontinuité) et font émerger de nouvelles morphologies remontant vers des formes d’organisation plus globales (ici les films à trucs). Méliès utilise le cinématographe d’une manière décalée, car l’un de ses effets a été isolé et suspendu momentanément (68). Il conserve la restitution photographique mais crée un hiatus dans la continuité photogrammatique. Or, l’exploitation de tels dysfonctionnements ne peut se réaliser qu’à partir d’un cadre technique établi. De même, la mise en ombre de la scène ne peut se développer qu’une fois la mise en lumière obtenue, la discontinuité cinématographique, qu’une fois la continuité établie. L’erreur révèle un effet de la machine, opposé aux recherches qui ont présidé à son élaboration. L’appareil est, en quelque sorte, utilisé « à l’envers » et détourné d’une de ses fonctions initiales. Méliès délie les effets simultanés de la machine puis les démultiplie dans ses films à trucs, les combinant de manières différentes. Ce qui importe, c’est que l’accident arrive dans un contexte propice à son développement, au moment où s’établit une technique associée à une machine (69).
Pepper’s Ghost.
L’exploitation de ces erreurs et leur mise en spectacle sont propres au travail des artistes magiciens. Les effets développés par les scientifiques, comme les Pepper Ghost, présentés au Polytechnic Institut, sont des applications parfois délicates à mettre en œuvre pour des effets magiques ; leurs approches sont frontales, descendantes (Top-down) : on va de la théorie à sa mise en pratique.
Le magicien illusionniste se situe entre le chercheur et le vulgarisateur : il développe sa technique dans l’intervalle qui sépare une découverte technologique et ses potentialités de sa reprise par les institutions. Il exploite un temps faible séparant deux temps forts (70) : celui de l’invention et celui de la vulgarisation. Le succès de l’exploitation des dysfonctionnements et le mystère qui entoure la technique des films à trucs montrent à quel point le courant positiviste associé au « progrès » de la machine, crée simultanément un temps faible. Le lourd investissement de Méliès dans la fabrication de vues animées répond à sa prise de conscience des effets possibles d’un détail technique. Son empressement s’impose par la nécessité d’exploiter ce temps faible, éphémère.
Une nouvelle historiographie du cinéma cherche à élargir les champs d’étude, elle semble le faire sous l’impulsion du cinéma numérique qui définit une nouvelle donne L’histoire du cinéma évolue ainsi vers une forme d’histoire des médias, comme le remarque Janet Staiger (71). Ainsi le télescopage entre cinématographe et art magique, ici étudié localement, gagne à être étendu à d’autres médias. En particulier, parce que l’art magique, dans les premières vues animées mais aussi dans les premiers émissions radiophoniques ou télévisées, est présent comme programme à l’arrivée d’un nouveau média. L’art magique a servi aussi de cadre pour révéler les potentialités de nouveaux médias au grand public, par exemple l’art magique précède les vues animées en utilisant, dans le cas étudié ici, une écriture lumineuse de la scène permettant de créer les effets du Théâtre Noir. Cette même approche se retrouve plus récemment dans la présentation par des magiciens de jeux vidéo à écran tactile (72), de films sur téléphone portable (73), ou d’animations sur tablettes graphiques (74).
Les effets magiques associés aux nouvelles technologies ne dépendent pas seulement d’innovations mais aussi des modèles et des désirs qui les ont constitués. Les magiciens reprennent et développent ces innovations à contresens, avant leur reprise institutionnelle. Ce modèle d’invention inverse est récurrent, il en a été de même avec l’électricité qui déclenche des mécanismes à distance chez Robert-Houdin que celui-ci présente ensuite dans des applications domestiques préfigurant la domotique moderne (75). On trouve le même cheminement lorsque les techniques de la photographie spirite passent dans le répertoire des récréations photographiques (76), quand celles de la transmission sonore – utilisées pour les numéros de lecture de pensée – passent dans le théâtrophone puis le téléphone et plus récemment, lorsque les puces RFID – utilisées pour réaliser des « divinations sans contact » – sont employées aujourd’hui dans les cartes de transports publics.
La notion d’invention inverse amène ainsi à définir une nouvelle conception du « truc » au regard de la technique : les magiciens, revenant sur les spécificités admises de l’utilisation d’une machine, en exploitent les erreurs de fonctionnement : le « truc » devient un écart technique par rapport à une norme qui s’établit. Ces trucs sont ensuite abandonnés lorsque le spectateur connaît et reconnaît ces écarts, la « disparition d’un truc » allant de pair avec une prise de conscience, par le spectateur, des limites de cette norme.
Photo spirite du magicien William S. Marriott (1910).
Concluons en formulant l’hypothèse selon laquelle, dans la genèse des médias, un mode magique peut être mis à jour. Déjà Roger Odin relevait : « [on assiste] à un remarquable essor d’une lecture entraînée par la prestidigitation» (77). Poursuivons en supposant que ce mode, repose sur une série d’opérations (par exemple l’invention inverse mais aussi de nombreuses autres (78)), et qu’il se développe entre l’invention d’une technique et son implantation en nouveau média. Ce moment serait le marqueur d’une crise d’identité (79) car ni la technique ni les formes qui en dérivent ne sont encore définies : le mystère et l’expérimentation voilent le média à venir.
Ce « mode magique » prendrait des formes spécifiques : lors de la période dite de novelty, alors que le média est inconnu du grand public, il irait de pair avec une présentation illusionniste, directe et minimaliste. Puis une période de « spectacularisation » verrait l’enfouissement du dispositif dans une présentation où le média est camouflé, maquillé, dissimulé dans les installations du magicien : il s’agirait d’une présentation théâtrale. Enfin dans une troisième phase d’intégration narrative (80), le média utilisé par les artistes magiciens circule : il est mis en scène dans d’autres formes de spectacle et utilisé pour créer des effets non plus magiques, mais perceptifs au sens large (visuels et auditifs). Le nouveau média quitte le mode magique et, par-là, la scène des artistes magiciens.
La généralisation de nos résultats à d’autres technologies, en particulier à celles de la reproduction et de la transmission du son, devrait mettre à jour ce mode magique des médias et permettre de repenser l’histoire du cinématographe mais aussi des techniques, à partir de l’art magique.
Notes :
– (1) Nous remercions Philippe Genty et La famille Ostrowsky, pour leur témoignage lors des recherches préparatoires à la rédaction de cet article ainsi qu’Abdul Alafrez, Philippe Saint-Laurent et Jacques Malthête pour leurs commentaires et remarques sur cette recherche. Cet article a été publié pour la première fois en avril 2013, voir Tabet Frédéric, « Entre art magique et cinématographe, un cas de circulation technique : le Théâtre Noir », 1895 Revue d’histoire du cinéma, Paris, AFRHC, n°69, avril 2013, pp. 27-43.
– (2) Jean-Marc Leveratto, « Les enjeux sociaux du trucage cinématographique », Champs Visuels, n° 2, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 85.
– (3) Paul Hammond, Marvellous Méliès, Londres, Gordon Frazer, 1974, p. 94, [notre traduction].
– (4) Concernant l’Art Magique voir en particulier, Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma. Tome 1 : L’invention du cinéma 1832-1897, Paris, Denoel, 1946, pp. 372-380 ; Jacques Deslandes, Jacques Richard, Histoire comparée du cinéma 2 : Du cinématographe au cinéma 1896-1906, Paris, Casterman, 1968, pp. 395-488.
– (5) Rick Altman, « Technologie et textualité de l’intermédialité », Sociétés et Représentations, n° 9, Paris, 2000, pp. 11-19.
– (6) Rick Altman, « De l’intermédialité au multimédia : cinéma, médias, avènement du son », Cinémas, vol. 10, n° 1, Montréal, 1999, p. 38.
– (7) André Gaudreault, Cinéma et attraction, Paris, CNRS, 2008, p. 113.
– (8) Henryk Jurkowski, Thieri Foulc, « Noir (Théâtre) », Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, Nîmes, L’Entretemps, 2009, pp. 497-498.
– (9) Jim Steinmeyer, Hiding The Elephant, How The Magicians Invented The Impossible And Learned To Disappear, New York, Carroll & Graf, 2003, p. 90. Voir aussi Samuel Sharpe, Conjurers’ Optical Secrets, Calgary, Hades Publications, 1992 ; ce volume est entièrement dédié à la magie optique.
– (10) Terminologie donnée par Samuel Sharpe, Ibid., pp. 34-50.
– (11) Cette interposition doit être effective pour l’ensemble des points de vue des spectateurs. Nous trouvons une version pratique du calcul de l’ensemble du champ visible par les spectateurs dans Jean-Eugène Robert-Houdin, « Spectres vivants et impalpables, Apparitions fantastiques », Magie et physique amusante : œuvre posthume, Paris, Omnibus, 2006 [1876], p. 875.
– (12) Joseph Buatier dépose un brevet intitulé Mémoire descriptif à l’appui d’une demande Brevet d’invention de 15 ans pour mode d’apparition et disparition de spectres ou autres sujets réels par Monsieur Joseph Buatier le 26 novembre 1886 a l’Office industriel des brevets d’invention, sous le n°179906.
– (13) Buatier présente des effets relevant de ce principe en France fin 1886, mais passée la période de Noël, il ne reprendra plus ce principe dans ses illusions suivantes.
– (14) [Anon], Morning Advertiser, 23 décembre 1886, n. p., cité sans autre référence dans Peter Warlock, Buatier de Kolta, Génie de l’illusion, Paris, Joker Deluxe, 1997, p. 58.
– (15) Joseph Buatier, Mémoire descriptif, op. cit., n. p.[2].
– (16) Ibid., n. p. [3].
– (17) C’est aussi le cas, par exemple dans les boîtes à double fond.
– (18) Relaté et analysé dans Peter Warlock, « The Great Black Art Caper », Genii, [s. l.], janvier 1976, pp. 33-35, 135 et février 1976, pp. 39-42.
– (19) Ces informations sont issues de Ottokar Fischer, Illustrated Magic, New York, Macmillan Company, 1929, pp. 169-171.
– (20) Voir, Jim Steinmeyer, The Glorious Deception : The Double Life of William Robinson, aka Chung Ling Soo, the Marvelous Chinese Conjurer, New York, Carroll & Graf, 2005, pp. 73-80.
– (21) Il jouera plus tard dans un certain nombre de films, notamment dans Michael de Carl Theodor Dreyer, en 1924.
– (22) L’œil accepte au mieux des écarts de luminance de 1 à 1000, soit un écart de 10 diaphragmes (voir Claude Bailblé, le Noir et blanc au cinéma, Zurich, Focale, 2003, p. 1).
– (23) Comme dans le numéro Omar Pasha, créé par M. Berscheid en 1895, repris et interprété de nos jours par la famille Ostrowsky.
– (24) E. F., « Théâtres et Concerts », Journal des débats politiques, Paris, 15 janvier 1887, n. p. 3], Rémi Ceillier soutiendra plus tard que Buatier n’est pas plus le créateur du Théâtre Noir que Joseph Velle. Voir [David Devant, Mes secrets d’Illusionniste, Paris, Payot, 1938, p. 135, note 2.
– (25) Gaston Velle est plus connu pour sa carrière cinématographique chez les Frères Lumière, la maison Pathé et la firme Italienne Cinès.
– (26) [Anon.], « Théâtres et Concerts », Journal des Débats politiques, op.cit., 28 janvier 1887, n. p. [4].
– (27) Auguste Joseph Coene, puis Coën devenu plus tard Caramel « le sorcier du nord » dit Carmelli, est un ancien trapéziste qui travaillera par la suite au Théâtre Robert-Houdin sous la direction de Georges Méliès, avant de diriger un cinéma forain.
– (28) Voir Maxime-Gabriel Thomas, « Historique du Cabinet Fantastique du Musée Grévin », l’Escamoteur, troisième année, n°19, Paris, novembre-décembre 1949, p. 270.
– (29) Jeanne d’Alcy annonce : « C’est là que nous avons fait les spectres – on faisait marcher des têtes de mort dans la salle. C’était moi le squelette. Ça se passait en 1886 ou 87 au Cabinet Fantastique du Musée Grévin ». [Anon.], Rapport de la Commission de recherche historique du 17 juin 1944, Paris, Cinémathèque française (Bibliothèque du film), Boîte B5M61, p. 5.
– (30) Selon les souvenirs mêmes de Jeanne d’Alcy, voir [Anon.], Rapport de la Commission de recherche historique du 17 juin 1944, op. cit., p. 5.
– (31) Le prestidigitateur Alber présente une version réduite du Théâtre Noir, pour des séances chez des particuliers. Voir l’affichette publicitaire conservée dans le dossier d’archives MELIES6-B1, Paris, Cinémathèque française (Bibliothèque du film).
– (32) Nous reprenons ici les informations données dans Paul Alfred de Saint-Genois, [pseud. Pr Dicksonn], Mes Trucs, Paris, Jouvet et Cie, 1893, pp. 199-201.
– (33) L’ouverture du théâtre annoncée le 6 est reportée au 7 février 1889. Bridaine, « Courrier des théâtres », La Presse, Paris, 6 février 1889, p. 4.
– (34) [Anon], « Petites nouvelles », le Figaro, Paris, 18 avril 1894, p. 5. La magicienne est programmée jusqu’au 24 juin 1894.
– (35) [Anon], « Chronique théâtrale de la prestidigitation », l’Illusionniste, Paris, juin 1909, pp. 190-191 et [Anon], « Chronique théâtrale de la prestidigitation », l’Illusionniste, op.cit., novembre 1909, p. 243.
– (36) Georges Méliès, « les Phénomènes du spiritisme », Journal de la Prestidigitation, n°90, Paris, juillet août 1936, pp. 326-332, et n°91, septembre octobre 1936, pp. 346-351, description du spectacle reproduites dans Rémy, Spirites et Illusionnistes, Paris, A. Leclerc, 1911, pp. 245-249. Selon cet article, le spectacle est ensuite adapté pour des scènes plus grandes et pour des tournées en province et à l’étranger, sous les titres les Fantômes du Nil et les Merveilles de l’occultisme, joué jusqu’en 1911. Si l’on se réfère au Rapport de la Commission de recherche historique, cette création eut beaucoup de succès et fut interprétée par deux compagnies simultanément ([Anon], Rapport de la Commission de recherche historique du 17 juin 1944, op.cit., pp. 24-25).
– (37) [Anon], « Théâtre Robert-Houdin », l’Orchestre, Paris, 26 décembre 1894, n. p.[4]. Une relation plus détaillée de ce spectacle est donnée, vraisemblablement sous la plume de Charles De Vere, dans un compte rendu destiné à ses confrères américains (voir C. D. V.[pseud : Charles De Vere], « Paris News », Mahatma, Vol. 1, n°8, New York, octobre 1895, p. 83).
– (38) Pour une description de cette illusion voir Jacques Deslandes, le Boulevard du cinéma à l’époque de Georges Méliès, Paris, Cerf, 1963, p. 44.
– (39) Star Film n°185-187, 1899.
– (40) Star Film n°153, 1898.
– (41) Star Film n°156, 1898.
– (42) Méliès nomme le procédé « Magie Noire » (voir Georges Méliès, « Les Phénomènes du spiritisme », le Journal de la Prestidigitation, n°91, Paris, septembre-octobre 1936, p. 346).
– (43) Star Film n°262-263, 1900.
– (44) Star Film n°514-516, 1903.
– (45) « Plate-forme mobile qui supporte des caméras, des projecteurs, ainsi que le personnel qui s’en occupe » (André Roy, Dictionnaire général du cinéma : du cinématographe à internet, Québec, Fides, 1993, p. 360).
– (46) Jacques Malthête, « Marey et Méliès, ou à quoi bon montrer la vie réelle sur un écran ? », Bulletin de la Sémia, n°2, juin 2002, p. 12.
– (47) En effet, Etienne-Jules Marey propose de réduire artificiellement la surface du corps étudié : il habille de noir les membres qu’il ne cherche pas à étudier : « C’est ainsi qu’un homme vêtu de velours noir et portant sur les membres des galons et des points brillants, ne donne, dans l’image, que des lignes géométriques … » (Etienne-Jules Marey, le Mouvement, Paris, G. Masson éditeur Librairie de l’Académie de Médecine, 1894, p. 61. Voir aussi, Laurent Mannoni, Étienne-Jules Marey, la mémoire de l’œil, Milan, Mazzotta, 1999, p. 190).
– (48) Laurent Mannoni, le Grand Art de la lumière et de l’ombre, Paris, Nathan, 1999, pp. 81-102.
– (49) Dans la pratique du Bunraku en particulier.
– (50) Constantin Stanislavski redécouvre le procédé et l’applique dans une mise en scène de l’Oiseau bleu de Maeterlinck. Le hasard fit qu’un velours noir avait été posé sur le dossier d’une chaise placée devant un pendillon de même tissu. Le haut de la chaise avait disparu pour ne laisser voir que le bas en forme de tabouret (Constantin Stanislavski, Ma Vie dans l’Art, Paris, Librairie Théâtrale, 1950, pp. 489-490, [rééd. Lausanne, L’Age d’Homme, 1980]).
– (51) A Paris, la danseuse Loïe Fuller, présente, à partir de 1892, ses « danses serpentines ». Elle fait breveter ses installations dont les effets reposent en partie sur un espace tendu de velours noir (voir Françoise Le Coz, « Loïe Fuller et la danse », Loïe Fuller, danseuse de l’art nouveau, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2002, p. 37).
– (52) Christian Fechner, la Magie de Robert-Houdin, t. 3, Boulogne, CFC Editions, p. 104.
– (53) Jim Steinmeyer, Two Lectures on Theatrical Illusion, Burbank, Hahne, 2001, pp. 3-95.
– (54) Georges Moynet, la Machinerie théâtrale. Trucs et décors, explication raisonnée de tous les moyens employés pour produire les illusions théâtrales, Paris, Librairie illustrée, 1893, pp. 296-297. Une description de ce spectacle est disponible dans le Moniteur universel, n°196, Paris, 15 juillet 1833, p. 1840.
– (55) Je remercie Laurent Leforestier d’avoir porté à mon attention cette résurgence du procédé.
– (56) Étienne -Gaspard Robertson, Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques d’un physicienaéronaute, Langres, Clima, 1985 [1831-1833], pp. 190-191.
– (57) Des explications des effets majeurs de la magie optique sont publiés, entre autres, dans la chronique régulière de The Optical Lantern and Cinematograph Journal, revue corporative destinée aux lanternistes (voir Edmund H. Wilkie, « Optical Illusions », The Optical Lantern and Cinematograph Journal, 1904-05, rééd. East Sussex, The Projection Box, 2005).
– (58) Sidney W. Clarke, « The Annals of Conjuring », The Magic Wand, 1924, cité sans autre référence par Jim Steinmeyer, Two Lectures on Theatrical Illusion, op.cit., p. 95.
– (59) Ibid., p. 56 [notre trad.].
– (60) Joseph Buatier, FR, n°179906, 26 novembre 1886, Mémoire descriptif, op.cit., p. 182.
– (61) John-Henry Pepper et Henry Dircks déposent le 5 février 1863, sous le n°326, un brevet intitulé Improvements in apparatus to be used in the exhibition or dramatic and other like performance, pour une étude du procédé des spectres voir les études des auteurs suivants : Henry Dircks, The Ghost ! As produced in the spectre drama, popularly illustrating the marvellous optical illusions obtained by the Dircksian phantasmagoria, Londres, E et F. N. Spon, 1863, [rééd. East Sussex, The Projection Box, 2005] ; John Henry Pepper, True History of the Ghost, Londres, Casell, 1890 [rééd. East Sussex, The Projection Box, 2005]. Suite à l’étude qu’il réalisa pour la pièce de Jules Adenis et Octave Gastineau, la Csarine, représentée pour la première fois le 30 mai 1868, Jean Eugène Robert-Houdin fit l’une des descriptions techniques les plus poussées, à son époque, dans son ouvrage posthume Magie et Physique amusante. Jean-Eugène Robert-Houdin, op. cit., pp. 871-882. Pour une analyse du procédé voir Jeremy Brooker, « The Polytechnic Ghost, Pepper’s Ghost, Metempsychosis and the Magic Lantern at the Royal Polytechnic Institution » (Early Popular Visual Culture, vol. 5, n° 2, Londres, Routledge, 2007, pp. 189-206), ainsi que Groth, Helen, « Reading Victorian Illusions: Dickens’s Haunted Man and Dr. Pepper’s “Ghost” » (Victorian Studies, vol. 50, n°1, automne 2007, pp. 43-65). Suite au succès de l’illusion, le Professeur Pepper refusa d’en dévoiler l’explication, dérogeant ainsi à sa fonction de vulgarisateur scientifique et entrant en même temps dans la posture de l’artiste magicien.
– (62) Le magicien Henri Robin affirme être l’inventeur du procédé et se base sur le brevet du Polyrama animé d’Henry Seguin (voir Laurent Mannoni, le Grand Art…, op. cit., pp. 235-237 ainsi que « la Lanterne magique du Boulevard du Crime. Henri Robin, fantasmagore et magicien », 1895, n°16, 1994, pp. 5-26).
– (63) La genèse du fameux épisode est relatée par Jacques Malthête dans André Gaudreault, Cinéma et attraction, op. cit., p. 213, note 20.
– (64) Donald Crafton, Before Mickey : Animated Film, 1898-1928, Cambridge, MIT Press, 1982, p. 23.
– (65) Albert E Smith, Phil A. Koury, Two Reel and a Crank, Garden City New York, Double Day, 1951, p. 51.
– (66) André Gaudreault, « Fragmentation et segmentation dans les “vues animées” : le corpus Lumière », dans François Albera, Marta Braun, André Gaudreault (dir.), Arrêt sur image, fragmentation du temps. Aux sources de la culture visuelle moderne/Stop Motion, Fragmentation of Time. Exploring the Roots of Modern Visual Culture, Lausanne, Payot, 2002, pp. 225-246.
– (67) Auguste et Louis Lumière, « Le cinématographe par MM. Auguste et Louis Lumière », la Revue du siècle, 11ème année, Paris, mai-juin 1897, pp. 233-263.
– (68) Il en va de même pour les effets magiques obtenus par surimpressions, impressions multiples ou flous.
– (69) Nous avons bien conscience qu’une opération de collage – que Méliès appelle « soudure » – est nécessaire, nous nous plaçons ici au niveau de la découverte.
– (70) La création de « temps forts » et de « temps faibles » a été systématisée par le magicien d’origine italienne Tony Slydini (voir Lewis Ganson, The Magic of Slydini, Devon, Supreme Magic Company, 1980. pp. 21-34).
– (71) Janet Staiger, « the Future of the Past », Cinema Journal, vol. 44, n°1, 2004, p. 127.
– (72) Dans Masters of Magic, le joueur peut présenter une série de tours à l’aide de sa console (http://tenyomagic.blogspot.com/2011/05/tenyo-nintendo-ds-master-of-illusion.html).
– (73) Le magicien Marco Tempest a effectué en 2006 une série d’effets magiques utilisant des téléphones portables caméra : http://www.youtube.com/watch?v=nvbQQnvxXDk ; voir dans un autre registre : http://place4geek.com/blog/2011/06/un-peu-de-magie-avec-votre-ipod-deceptions.
– (74) Voir, par exemple, la présentation mise en ligne le 4 juin 2011 de l’artiste magicien Simon Pierro à l’adresse http://www.youtube.com/watch?v=LAhP-yLJJ9s.
– (75) Ainsi en 1906 pour G.Vaillant : « La plus grande nouveauté apportée à la prestidigitation c’est l’électricité. Aujourd’hui elle n’étonne plus. » (G. Vaillant, « L’évolution », le Journal de la prestidigitation, op.cit., n°7, 1er octobre 1906, pp. 2-3). Pour un descriptif des installations voir Jean-Eugène Robert-Houdin, « Le Prieuré, organisations mystérieuses pour le confort et l’agrément d’une demeure (1858) », op. cit., pp. 943-956.
– (76) Un même parallèle pourrait être fait avec l’établissement de la photographie spirite par l’Américain William H. Mumler dès les années 1860, puis celle de la photographie amateur courant 1888 et celle de la popularisation d’ouvrages portant sur les recréations photographiques dans les années 1890 (voir Clément Chéroux, « Les récréations photographiques, un répertoire de formes pour les avant-gardes », Études photographiques, n°5, Paris, novembre 1998, pp. 73-96 ; et « La dialectique des spectres. La photographie spirite entre récréation et conviction », le Troisième Œil, la Photographie et l’occulte, Paris, Gallimard, 2004, pp. 45-71).
– (77) Roger Odin, « Sémio-pragmatique et intermédialité », Sociétés et représentations, n°9, Paris, avril 2000, pp. 115-130.
– (78) Dans notre thèse nous avons étudié entre autre la continuité apparente, l’identité altérée, et l’exploitation d’artefacts.
– (79) Rick Altman, « Penser l’histoire du cinéma autrement : un modèle de crise », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 46, n°1, Paris, 1995, pp. 65-74.
– (80) Nous reprenons ces “temps” de André Gaudreault, Philippe Marion, « Un média naît toujours deux fois », Sociétés et Représentations, n° 9, Paris, 2000, pp. 21-36.
– Article publié dans 1895, Revue d’histoire du cinéma n°69, (Paris, AFRHC, avril 2013, pp. 27-43).
– Frédéric TABET est diplômé de l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière et Maître de Conférences à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès. Sa thèse, ses publications et ses recherches portent sur les modalités d’échanges et les emprunts entre l’art magique et les médias.
A lire :
– Notes et réflexions sur le Théâtre Noir par Omar Pasha.
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