1/La Promesse
La scène se passe au début du XXème siècle à Londres. Un numéro spectaculaire s’ouvre devant nous : «le Vrai Homme transporté», tandis qu’une voix off nous explique les trois actes d’une illusion. La promesse (l’exposition d’une situation banale), l’effet (pendant l’exécution, la situation devient extraordinaire) et le prestige (le climax final, le coup de théâtre qui cloue les spectateurs à leurs sièges). On entre ainsi de pleins pieds dans le monde des illusionnistes de l’ère victorienne avec comme intrigue la rivalité entre deux magiciens surdoués. Robert Angier alias « The great Danton » et Alfred Borden alias « The professor ».
2/L’Effet
Le contexte historique
Christopher Nolan (auteur britannique et réalisateur de Memento, Insomnia et Batman begins) situe son film à la croisée de deux mondes et de deux siècles. Une période charnière qui voit s’accomplir la seconde révolution industrielle du XIXème et l’arrivée de nouvelles techniques qui vont révolutionner le monde et sa vision : l’électricité et le cinéma entre autres. A cette époque le public était obnubilé par les phénomènes magiques, que ce soit sur la scène ou au niveau des progrès technologiques et des découvertes scientifiques révolutionnaires. Ils avaient le sentiment que la magie pouvait défier la mort… Des sciences nouvelles apparaissent et c’est l’âge d’or des prestidigitateurs. Sous l’influence de Robert-Houdin en France et de David Devant en Angleterre, l’illusionnisme acquière ses lettres de noblesse et les magiciens remplissent des théâtres entiers (aidés par l’apparition de la publicité de masse matérialisée par d’énormes panneaux d’affichage). C’est vite l’explosion des grandes illusions spectaculaires qui annoncera le divertissement moderne. Le marché étant porteur, chacun s’improvise magicien et reprend les tours des autres ; ce qui crée des clones sans originalité. Le public n’étant pas dupe demande de la nouveauté, de l’inédit voir du spectaculaire ! Ainsi quelques prestidigitateurs arrivent à améliorer certains tours voir à les dépasser. Chacun y va de sa « nouvelle version » : « la nouvelle balle volante » ou « l’ultime pagode chinoise » ; une véritable course à la surenchère qui aura le mérite de faire avancer les trucages mais aussi de perdre certains individus dans un aveuglement obsessionnel et une rivalité dangereuse. Le film met aussi en évidence les liens entre l’illusionnisme et la science. La création et le développement décisif de l’électricité ainsi que son emploi par les prestidigitateurs. L’ombre du génial inventeur Thomas Edison, plane sur le film par la présence de son ancien assistant Nikola Tesla (1856-1943), ingénieur serbe et précurseur du courant alternatif (jouer par un grand David Bowie). Les gens de l’époque pensaient que l’électricité était de la magie, voyant de simple objets mécaniques s’animer soudain, il se passionnèrent pour les thèmes mystiques comme l’au-delà, le spiritualisme ou tout ce qui défie la raison. Par ces concordances, le film mêle des aspects mystiques, magiques et surnaturels à la science et à la réalité.
La face cachée des illusionnistes
Le sujet du film est la course effrénée à la nouveauté, au succès, au Prestige tant convoité ; un narcissisme obsessionnel concentré sur Le truc, une compétition pour découvrir les secrets de l’autre qui entraînera des conséquences dramatiques. Comme le résume si bien Alfred Borden dans le film : « Un vrai magicien essaye d’inventer un nouveau tour qui deviendra un vrai casse-tête pour les autres magiciens qui essayeront, en vain, de trouver la solution. » Bienvenue dans le fabuleux monde des magiciens ! La face la plus sombre habille « Le prestige »: jalousie, envie, réussite, haine, obsession, tromperie, et volte face à tous les étages jalonnent le film qui est construit comme un thriller à suspense aux multiples ramifications (thème cher à l’auteur de Memento). Tout n’est qu’illusion et les apparences sont oh combien trompeuses !
Le thème du double : perte et quête identitaire
Derrière tout grand magicien se cache un homme qui est le véritable auteur du tour. Comme le dit Angier « on ne se souci guère de l’homme dans la boite », en d’autres termes à l’homme de l’ombre, celui qui tire les ficelles, le véritable créateur. Dans le film il est matérialisé par les ingénieurs qui conçoivent le matériel et les trucages mécaniques. Ce que voit en réalité le public de l’époque, n’est que l’interprète du tour, plus ou moins bon comédien (on le voit explicitement avec la doublure d’Angier et le faible charisme de Borden) ! Si chaque prestidigitateur est « doublé », les deux magiciens rivaux ne sont que les deux côtés de la même pièce, deux facettes complémentaires de la même personne. Angier est un homme de scène, il a le sens du spectacle et des affaires mais il s’efface devant ses illusions, il n’est qu’un interprète. Borden n’a pas de charisme, il ne veut pas séduire mais c’est un inventeur de génie qui cherche l’illusion parfaite. En finalité, quand le magicien est en représentation, il n’est plus le même homme. Il se transforme physiquement et psychologiquement : c’est « un autre lui ». Sur ce point le film reflète à merveille ce trouble qui se transforme petit à petit en ambiguïté identitaire. Le film regorge de doublures jusqu’au vertige. Sans dévoiler l’intrigue, le spectateur est pris dans un miroir à multiples facettes où les différents protagonistes ne sont peut être pas ceux qu’on croit !
Mimétisme
Prenant le contre-pied de tous les films où la magie n’est qu’un accessoire, traité, la plus part du temps, comme une séquence « clin d’oeil » dénuée de tout contexte, Nolan rend justice aux pionniers du cinématographe en mêlant intimement magie et cinéma. En transposant le roman de Christopher Priest, le réalisateur a voulu reproduire l’équivalent des techniques de tromperie, il a voulu rivalisé de subterfuges pour duper le spectateur de cinéma par un dispositif illusoire renvoyant à un contexte historique précis. Tout comme le prestidigitateur, le cinéaste use de techniques identiques. Il utilise lui aussi les fausses pistes pour tromper le spectateur.
Ecoutons le réalisateur à propos de la construction du scénario avec son frère Chris : «Le cinéma, à ses débuts, faisait régulièrement appel à la magie. Dans les films de Méliès ou même d’Orson Welles, les effets étaient le plus souvent réalisés par des magiciens. Aujourd’hui, même si la technique évolue, la tension née d’un effet répond au même mécanisme que pour un tour de magie : soit l’effet est invisible, simplement destiné à aider le réalisateur, soit il est au contraire une véritable attraction au cœur du film, vouée à impressionner le spectateur. C’est très similaire pour un tour de magie, qui peut tromper l’assistance ou au contraire l’éblouir. De la même façon, le public du cinéma, comme celui de l’illusionniste, vient au spectacle en sachant qu’il va être dupé, et en le souhaitant. L’essentiel du film repose sur ce qui nous fascine, Chris et moi, à savoir le fait que le public d’un spectacle de magie est tout à fait conscient qu’il s’agit d’une supercherie, mais ils veulent être dupés, et c’est pour cela que le troisième acte, intitulé Le prestige, est le plus important. Le monde réel est brutal, il manque de mystère, ce qui ne plaît pas aux gens : d’où l’importance de la magie. Si tout est connu d’avance, et qu’on vit dans un monde où on se contente de trouver un boulot, mettre de l’argent de côté et mourir, à quoi bon ? Je crois qu’on préfère tous que l’univers nous réserve quelques surprises et quelques tours de magie… »
On aura compris que Le prestige est un tour de magie à lui tout seul. Il fonctionne comme un tour, comme une illusion susceptible de fasciner, tromper et déconcerter le spectateur. C’est la raison justifiée du choix du fantastique dans les dernières séquences, pour fuir notre besoin d’explication et d’analyse cartésienne. Les deux protagonistes, obsessionnels et déterminés, entretiennent une rivalité cruelle qui pousse l’un d’eux a avoir recours à des techniques modernes, inquiétantes, risquées et sophistiquées pour posséder un tour de magie ultime, à la limite du surnaturel.
3/Le Prestige
Avec Le Prestige, la magie est mise au même niveau que le cinéma. Sur plus de deux heures de film, pas de répit ni d’ennui : le résultat, fort de ces oppositions claires et tordues, souligne les qualités exceptionnelles de conteur et la fluidité formelle de Christopher Nolan (images subliminales, enchaînement des séquences). Utilisant à merveille les codes du film noir et la piste des fausses solutions, le réalisateur plonge le spectateur dans une spirale sans fin qui nous emprisonne jusqu’aux coups de théâtres successifs, montés comme un feu d’artifices (au sens propre comme au sens figuré). Le réalisateur réussit un film commerciale spectaculaire (à l’image des tours, avec pour conseillés les magiciens Ricky Jay et Michael Weber) mais également un vrai film d’auteur expérimental. C’est le véritable tour de passe-passe du film, jouer sur les doubles sens de lecture (encore une doublure) ! Au bout du compte, à jouer au magicien extraordinaire, Angier et Borden ont tout perdu. Cependant l’un d’entre eux aura au moins compris quelque chose d’essentiel dans sa quête désespérée : Quand on découvre le secret, on est toujours déçu, la véritable magie ne se trouve pas où on le pense, elle n’est pas cachée dans les trucs mais bien dans les yeux des spectateurs ! C’est la moral de ce film indispensable parabole féroce sur l’ambition et le pouvoir.
A voir :
– Le Prestige de Christopher Nolan. DVD disponible chez Warner Bros vidéo (2006).
– Le site du film.
A lire :
– Cinéma et magie de Maxime Scheinfeigel aux éditions Armand Colin Cinéma (octobre 2008).
– Le dossier Magie et Cinéma.
– Le compte-rendu du film Inception.
Crédits photos – Documents – Copyrights : Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant droits, et dans ce cas seraient retirés.