Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Mon « histoire magique » est quelque peu inhabituelle. Je n’ai jamais vraiment exploré la magie quand j’étais un jeune garçon. J’ai l’ai découverte après avoir terminé mon doctorat en philosophie et j’étais déjà installé dans mon académie.
Une nuit en 1994, mon jeune fils et moi avons vu une émission de David Copperfield à la télé, et c’est quand l’ampoule électrique s’est allumée à distance, que je me suis demandé : « Quelle est cette forme d’art extraordinaire et captivante ? », « Pourquoi est-ce si excitant et agréable de voir des choses impossibles ? », «Pourquoi aucun des grands philosophes ou théoriciens de l’art ne prêtent aucune attention à cette forme d’art spécifique ? »
C’était le début de mon déclic pour la magie, et il n’y a eu aucun retour en arrière depuis. En effet, en 2010, j’ai pris prématurément ma retraite d’enseignement pour devenir un magicien professionnel à plein temps.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Comme je l’ai dit précédemment, mes premières réflexions sur la magie furent philosophiques et théoriques. Mais immédiatement, j’ai découvert que mon principal intérêt pour la magie était de pratiquer des tours pour les gens. C’était ma véritable vocation ; pas seulement penser ou théoriser sur la magie, mais créer réellement pour les gens, des plaisirs et des merveilles spécifiques à la magie.
Ce ne fut pas si difficile pour moi de commencer à réaliser des tours. J’avais eu une excellente formation théâtrale avant et pendant le collège, donc j’ai tout de suite compris qu’il fallait travailler le jeu, la voix, le mouvement, l’attention, la direction….
Ce que j’avais vraiment besoin d’approfondir et d’absorber, c’était le monde de la technique et des méthodes magiques. J’ai donc passé beaucoup de temps chez Magic, Inc. à Chicago (la boutique fondée et dirigée à l’époque par le légendaire Jay Marshall). J’ai acheté de nombreux trucs et des vidéos et j’ai absorbé tout ce que mes mains pouvaient réaliser. À l’époque, j’avais un intérêt particulier pour le close-up, et surtout la magie des cartes.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Un moment très important dans mes premières explorations magiques a été le jour où Bruce Bernstein (de Magic, Inc.) m’a pris à part et m’a dit : « Mon meilleur conseil pour vous est de ne pas acheter de tours. Mais dépenser plutôt votre argent dans les livres de magie. Vous apprendrez beaucoup plus avec de bons livres, et pour vous aider à commencer, je vous recommande celui-ci… » À ce moment-là, il me tend le livre Intimate Power d’Eugene Burger (maintenant compilé dans Mastering the Art of Magic) Comme on dit : c’est l’histoire.
J’ai pris le livre chez moi, je l’ai lu, et j’étais absolument fasciné par sa pensée et son approche artistique de la magie. J’ai pensé : « Ca, c’est ce que la magie devrait être et non pas de simples tours ou des trucs. Plutôt la création d’expériences puissantes et magiques pour les gens. »
Mon approche de la magie et de la performance magique a été complètement transformée en lisant ce livre, puis, par la suite, d’autres livres d’Eugene. En seulement quelques semaines, Eugene et moi nous nous sommes rencontrés à Chicago et nous avons commencé une amitié très étroite qui continue à ce jour.
Depuis, nous avons créé plusieurs programmes magiques ensemble, plusieurs « two-man shows » (notre plus récent est intitulé Mystery Loves Company), et nous travaillons en étroite collaboration en tant que doyen et doyen associé de la Jeff McBride’s Magic & Mystery School.
Eugene a été mon principal mentor, mais j’ai eu beaucoup d’autres enseignants en cours de route, par exemple : Juan Tamariz, Tommy Wonder, et Jeff McBride. Au fil des ans, j’ai aussi eu la chance d’obtenir des conseils avisés de Teller et Max Maven. En plus de mes mentors magiques, j’ai travaillé avec rigueur pour développer mes compétences théâtrales avec des professeurs comme Bob Fitch, Kathleen Campbell, Edward Bordo, Max Howard et Tobias Beckwith.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Comme je l’ai mentionné, au début, j’ai réalisé que mon envie première était de faire de la magie. Et j’ai compris qu’une partie essentielle de l’apprentissage était de pratiquer le plus souvent possible !
Dans mes premières années, j’ai fait beaucoup de close-up à des dîners et pour des restaurants ; J’ai aussi passé trois ans à pratiquer chaque semaine dans les hôpitaux, apprenant comment réussir ses prestations dans des circonstances très difficiles.
En 1999, j’ai fondé le Theory and Art of Magic Program dans mon université – un programme qui a amené des magiciens de renommée mondiale à intervenir devant les étudiants pour leur montrer des routines et les instruire sur la magie et leur démontrer que cette dernière était une importante forme d’art. Au cours des onze années où j’ai conduit ce programme, j’ai présenté des artistes tels que David Blaine, Eugène Burger, Robert Giobbi, René Lavand, Max Maven, Jeff McBride, Robert E. Neale, Jim Steinmeyer, Juan Tamariz et Teller.
Je mentionne ce programme parce que la publicité internationale et extraordinaire qu’il a reçue m’a amené d’innombrables retombées dans ma carrière. Ainsi, j’ai pu développer un vaste répertoire de magie pour le cabaret, et la scène ; des lieux où je suis engagé pour travailler.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Outre les mentors mentionnés plus haut : Eugene Burger, Juan Tamariz, Tommy Wonder et Jeff McBride ; je veux signaler que Dai Vernon a exercé une influence profonde sur ma magie. Je n’ai jamais rencontré « le Professeur », mais j’ai eu très tôt le bonheur de découvrir ses livres et ses enseignements, et j’ai été profondément inspiré par son approche minimaliste et naturaliste de la magie.
Je dois aussi mentionner Penn & Teller et David Copperfield. Pour moi, de façon très différente, ces messieurs sont des artistes extrêmement créatifs et leur magie fait appel à notre intelligence et à nos émotions.
En ce qui concerne l’histoire, j’ai un penchant particulier pour Howard Thurston et Jean-Eugène Robert-Houdin, qui ont tous deux révolutionné la magie de scène à leur époque.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’ai déjà mentionné mes influences premières parmi les magiciens, mais plusieurs artistes non magiciens influencent aussi ma vision et mes engagements. Quelques exemples, David Bowie (son style et son originalité), Mark Rothko et Barnett Newman (leur utilisation de la couleur), Miles Davis (jazz) et Todd Rundgren (Son honnêteté et son intégrité artistique). Je dois également mentionner que je suis constamment inspiré par les athlètes professionnels qui affûtent leur physique tous les jours afin d’être prêts le jour de la compétition.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Le premier conseil que je voudrais donner est simplement de rappeler à un magicien débutant que la magie est un art de la scène, et donc une forme de théâtre. Nous pouvons lire des livres sur la magie, regarder de la magie à la télévision ou en ligne sur Internet, acheter des tours pour apprendre des secrets… Toutes ces activités sont amusantes et stimulantes. Mais au fond, la magie est un art de la performance, et un magicien est quelqu’un qui fait de la magie pour les gens.
Ce fait fondamental signifie qu’un débutant a besoin de comprendre que la pratique régulière, la répétition, le choix du vocabulaire, le travail de la présentation sont des étapes inéluctables et fondamentales pour devenir un magicien. La plupart des livres et des vidéos magiques pour débutants ne vous disent pas tout cela parce que vous pourriez abandonner et ne plus acheter leurs produits ! Mais, il est impossible pour un magicien d’éviter ce travail : si vous ne pratiquez pas, ne répétez pas et ne parlez pas correctement lorsque vous êtes en représentation, alors vous n’aurez plus de public.
Les magiciens – même les débutants – doivent apprendre une partie du métier théâtral et doit être un bon interprète. Des choses telles que la projection de votre voix, en prenant appréhendant la salle entière, en respirant correctement, en gérant les applaudissements, et ainsi de suite.
Beaucoup de magiciens débutants peuvent partir sur de bonnes bases en respectant ces fondamentaux et en étudiant des livres de magie qui couvrent ces sujets. Je recommande, par exemple, les livres suivants :
– Mastering the Art of Magic de Eugene Burger
– Magic and Showmanship de Henning Nelms
– The Five Points in Magic de Juan Tamariz
– The Dai Vernon Book of Magic de Dai Vernon
– The Show Doctor de Jeff McBride
– Et mon dernier livre, Inspirations : Performing Magic with Excellence.
Ces livres de magie sont bons et importants. Quand on grandit dans l’art de la magie, on devient plus sérieux. Quand la magie se déplace d’un passe-temps à une pratique professionnelle, alors on a besoin de trouver des professeurs qualifiés pour la pratique et la théorie en magie ainsi qu’en art théâtral.
C’est pour ces différentes raisons qu’en 2009, Jeff McBride et Eugene Burger m’ont invité à rejoindre leur école The Magic & Mystery School en tant que doyen associé, un honneur. En tant que professeur de longue date et professeur expérimenté de magie et de théâtre, je sais que travailler avec des enseignants hautement qualifiés et expérimentés amène les magiciens à un autre niveau de réussite et de joie dans l’art magique.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Il s’agit d’une question très importante. Nous vivons dans un nouvel âge d’or de la magie – un moment où la magie est partout à la télévision, sur YouTube, sur Internet, à Las Vegas et dans les films. Le grand public, en Amérique du moins, a entendu parler du Magic Castle et connaît les noms de plusieurs magiciens célèbres. C’est une chose merveilleuse et sans précédent. Et pourtant, parfois, je me demande : « à quel prix ? » Car la plupart des gens pensent encore que ce que font les magiciens se sont des « tours » conçus pour les « tromper », les « tuer » et les « sécher ».
Pour le grand public et les magiciens eux-mêmes, penser la magie de cette façon (comme des tours destinés à tromper les gens), c’est réduire ce que nous faisons à des « techniques secrètes ». Je crois que ce serait beaucoup mieux pour les magiciens, et pour notre art dans son ensemble, que les gens voient et apprécient la magie comme une forme d’art et qu’ils apprécient les magiciens en tant qu’artistes et non pas en tant qu’arnaqueurs ou escrocs. Mais pour que cela arrive, tout doit commencer avec nous, avec vous et moi, avec n’importe qui réalisant un numéro de magie en public. Présentez-vous la magie comme un art, comme un métier, avec dignité ? Ou, est-ce que vous la présentez comme : « Je vais vous berner, regardez bien ! » ?
La magie n’est pas basée que sur la performance, les secrets et les techniques. En d’autres termes, il y a un autre niveau possible pour les artistes magiciens dans notre nouvel âge d’or.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Je crois que j’ai répondu à pas mal de choses dans mes réponses précédentes. Nous faisons de la magie dans une culture où elle a déjà une certaine réputation, en bien et en mal. La question est donc de savoir si nous confortons les croyances et les préjugés des gens sur la magie et les magiciens ou si nous les surprenons et développons cette réputation ?
En effet, chaque fois que nous jouons devant le public, nous avons le pouvoir de faire progresser la magie. Nous avons également la capacité de lui faire du tort si nous n’avons pas assez répété, si nous ne sommes pas « transparents » dans nos méthodes, si nous sommes ennuyeux.
Mais, notre magie peut s’améliorer si nous restons ouverts et conscients à toutes les cultures. Tout comme le cinéma, la télévision, les romans, le théâtre et la musique ont le potentiel pour explorer toute la gamme des préoccupations humaines et des émotions, il en va de même de la magie.
Je crois que regarder d’autres formes d’art et d’explorer les préoccupations culturelles peuvent aider les magiciens à ne pas rester coincés dans ce que j’appelle le « show-off magic », de la frime style : « regardez ce que je peux faire ! Des trucs que vous ne pouvez pas réaliser ! ».
Ce style de magie peut être amusant dans un spectacle, mais une trop grosse dose peut s’avérer ennuyeux et plat, ce que j’appelle « un enchainement de tours mis les uns après les autres. »
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime lire de la fiction, particulièrement de la science-fiction et des romans à mystère. La lecture est pour moi une sorte de grande évasion. J’aime aussi de nombreux styles de musique (le jazz, l’avant-garde, le rock progressif, les ambiances groovies). J’aime me rendre dans les musées et les galeries d’art avec ma femme – qui a également un intérêt profond pour ces choses. Et bien sûr, je ne suis jamais coupé de la magie. Tout ce que je vois et tout ce que je lis ont des retombées dans mon travail, ma pensée et mes objectifs en tant que magicien.
– Interview réalisée en novembre 2016.
A visiter :
– Le site de Lawrence Hass.
– Le site de la Magic and Mystery School.
Crédit photos : Lawrence Hass. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.