Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Quand j’avais 12 ans, ma grand-mère m’a donné une boîte de cigares remplie d’accessoires de magie : des cigares bien sûr, mais aussi des balles, des tirages, un faux pouce, des tubes colorés, etc. Elle m’a dit que c’était à mon oncle. Je ne me souvenais pas de lui car j’avais 5 ans quand il est décédé. J’avais donc 4 ans quand il m’a montré mes premiers tours de magie.
Dans cette boîte à cigares, il n’y avait aucunes instructions. Ma grand-mère me conseilla d’aller à la bibliothèque me documenter. Par chance, j’ai trouvé le livre d’Ottokar Fischer intitulé Illustrated Magic qui était traduit en anglais. L’auteur m’a montré ce que je pouvais faire avec chacun de mes accessoires. J’étais en extase ! Je ne me souviens pas vraiment le premier tour que j’ai appris. Ce que j’aimais c’était décortiquer ces puzzles, ces mécanismes et comprendre comment les tours fonctionnaient pour créer ces illusions.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Par la lecture, je me suis enseigné moi-même. À un moment il y a eu un monsieur nommé Goldie Goldstein qui m’a montré des tours ainsi qu’à un petit groupe d’enfants. Goldie était une personne très intelligente et douce née sans doigts mais avec des pouces. Il travaillait pour des clubs privés, les Rotary, les Lions, etc. Bien sûr, il ne pouvait pas faire de manipulations et travaillait surtout avec des tubes et des boîtes. Il nous a encouragé à le faire en nous prêtant des livres de magie. Goldie avait inventé la machine Snow cone pour travailler sur les plages de notre ville Santa Cruz.
Robert Fitch (à droite).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Mon père fut d’une aide énorme. Il était inventeur et aimait beaucoup créer de nouvelles choses en y apportant des idées originales. Il a inventé le Fitch Prosthetic Arm qui fut exclusivement utilisé par l’armée maritime américaine pendant la seconde guerre mondiale. Cela faisait beaucoup d’accessoires pour moi ! Il a aussi inventé un piège à taupe pour les terrains de golf. Il était également danseur de claquettes ; il m’a fabriqué une série d’escaliers et un tambour pour danser dessus.
J’ai ensuite remporté le Ted Mack Amateur Hour (Une émission de télé). Je faisais des claquettes en faisant apparaître et disparaître des cannes. J’avais 19 ans lorsque j’ai battu le chanteur Pat Boone. Le magicien Howard D. Wise m’a ensuite prêté des livres et m’a conseillé pendant mon adolescence. J’ai toujours voulu en savoir plus sur lui mais il est parti trop vite…
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
J’ai travaillé plusieurs fois au Magic Castle, donné des conférences sur mon système de Topit. J’ai créé des effets avec des pièces, réalisé des DVD sur mon Topit et le Kohler Holdout. J’ai écrit des manuscrits pour le théâtre et les spectacles de claquettes. J’ai travaillé pendant 40 ans à Broadway en tant que chanteur / danseur / acteur et réalisateur / chorégraphe.
J’ai créé et conçu des effets magiques pour des spectacles et des publicités télévisées. Je me suis également spécialisé dans le coaching privé et créé des ateliers de travail pour les magiciens. J’ai travaillé avec plus de 400 magiciens dont David Copperfield, Jeff McBride, Bob Sheets, Gene Anderson, Bill Malone, The Flicking Fingers et 4 grand prix FISM. Jean Faré, qui est un très bon ami, a été d’une énorme influence sur ma magie.
Bob Fitch avec Jeff McBride.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Le premier magicien que j’ai vu était Virgil. Cela a été une expérience enrichissante. Les autres artistes qui m’ont inspiré le plus sont les danseurs des ballets de Broadway, les chanteurs et les acteurs que j’ai fréquenté pendant 40 ans comme : Madeleine Sherwood, Katherine Hepburn, Carol Channing, Jerry Lewis, Whoopie Goldberg, Robert Preston, Al Lewis, Tyne Daley, June Havoc, Etc.
J’ai fait des tournées avec Liza Minnelli dans les meilleurs théâtres et boîtes de nuits du monde entier, y compris le Persan Room de New York, le Coconut Grove de Los Angeles, le Talk of the town à Londres, et L’Olympia d’Edith Piaf à Paris, etc.
J’ai étudié le théâtre avec Sandy Meisner et avec les comédiens de l’Actor Studio, l’improvisation, le chant et la danse. J’ai réalisé des comédies musicales, des chorégraphies et joué à travers le pays. Pendant mes jours de congé, j’enseignais les claquettes et le modern jazz à New York pendant 17 ans.
J’ai mis en scène de nombreux types de spectacles : commerciaux, privés, ainsi que pour le théâtre. J’ai fait beaucoup de publicités pour la télévision. J’ai utilisé la magie dans de nombreux domaines. J’ai aussi été jongleur et cracheur de feu.
Pendant tout ce temps, j’ai coaché et dirigé des magiciens un par un. Depuis 1999, j’ai créé des workshops d’une semaine sur la performance artistique pour les illusionnistes. Une sorte d’atelier comprenant des cours de yoga, d’expression, de déplacements, de présence, de techniques de communication, de personnage, de script, etc. Tout ça dans le but d’aider les magiciens à trouver leur voie dans leur travail, débloquer des situations et résoudre leurs soucis, les sensibiliser sur des « basics » tels que l’entrée en scène, les techniques visuelles, etc.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Les styles originaux sont les plus attrayants pour moi. Des styles qui sont encadrés par une certaine esthétique, une identification personnelle, une expression, une idée conceptuelle, une présentation originale, une beauté, une dramaturgie, un bon discours, de bonnes idées, des mouvements intelligents.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Le Theatre Umbrella dans lequel je travaille. Faire partie d’une compagnie et apprendre de toutes les personnes avec lesquelles on travaille : réalisateurs, chorégraphes, scénographes, écrivains, techniciens, éclairagistes, acteurs talentueux et célèbres, danseurs et chanteurs.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Étudiez les arts, étudiez l’histoire, étudiez comment vous tenir debout. Etudiez la rédaction de nouvelles, le jeu de l’acteur, la diction, les mouvements de base, le mime (pour la communication). Le Yoga vous aidera à garder la forme, faites de l’exercice, mangez correctement, intégrez un atelier sur la prise de parole en public, un atelier d’improvisation, et peut-être quelques techniques cinématographiques pour certains principes visuels.
Ne pratiquez pas devant un miroir mais utilisez plutôt une caméra vidéo à la place. Ecoutez des enregistrements de votre voix, Trouvez quelqu’un avec qui vous pouvez échanger des idées et qui vous dise la vérité. David Copperfield n’a jamais demandé aux gens ce qu’ils aimaient dans son spectacle mais plutôt ce qu’ils n’aimaient pas ! Étudiez d’autres cultures dans lesquelles vous pourriez travailler.
Est-ce trop vous demander ? Eh bien, voulez-vous être le meilleur dans ce que vous faites ? C’est le prix à payer. La magie n’a pas de centres de formation comme d’autres formes artistiques telles que la peinture, la sculpture, l’écriture, le cinéma ou la musique. Des musiciens qui, par exemple, passent par une formation rigoureuse pour développer les compétences et la sensibilisation nécessaire pour exercer leur métier. Vous devez donc construire votre propre formation afin de vous améliorer en tant qu’artiste, amuseur, ou conteur. Trop de magiciens ne savent pas qui ils sont et pourquoi ils font de la magie. Est-ce que cette magie leur ressemble ? Est-ce qu’elle convient à leur personnalité ? Conséquences de ce manque de discernement : un taux anormalement élevé de mauvaise magie.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Au tournant de ce siècle, je me demandais ce que la magie allait devenir au 21e siècle ; plus de bruit et de fumée ou plus de dramaturgie ? Plus de technologie ou plus d’artistes sérieux ? Plus de trucs ou plus de mystère ?
Il y a eu une explosion de la magie à la télévision avec des trucages par le montage et les angles de prise de vues. Est-ce bien ? Pour quelques-uns peut-être. Encore une fois la télévision n’est jamais aussi merveilleuse et extraordinaire que le fait d’assister à un numéro en direct.
Il y a des individus qui accomplissent de formidables choses techniquement… beaucoup de personnalités originales. Il y a de plus en plus de jeunes magiciens qui cherchent des chemins différents, des idées et des outils originaux pour être pleinement eux-mêmes. Voilà donc une bonne chose. Mon rôle est d’aider le plus de magiciens à atteindre cet objectif.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
La culture est très importante. Si vous ne savez pas ce que vous faites et comment vous le faites, alors votre spectacle sera le reflet de votre ignorance. Vous pouvez sans le savoir, insulter le public. Vous ne pouvez pas faire rire, si vous ne connaissez pas les petites particularités du langage.
Plus vous en savez sur l’histoire et sur les cultures, plus vous en apprendrez sur les gens en dehors de votre zone de confort. Vous serez en mesure d’interagir avec eux et ainsi atteindre un niveau plus élevé de mystère et de divertissement. Pour être le meilleur possible, nous devons en savoir plus que nos trucs et notre petit monde intérieur. L’Art et le professionnalisme sont des notions difficiles à atteindre. Il faut toujours regarder, penser, comparer, questionner, changer et grandir. La définition d’un artiste selon John Cage est la suivante : « Un artiste est quelqu’un qui change d’avis ! »
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Lire de la psychologie, de la philosophie et des articles sur et par des artistes de théâtre. J’aime également la littérature et prendre des cours d’improvisation. Je suis toujours à la recherche de nouvelles idées qui m’aideront à devenir un meilleur coach, une personne la plus éclairée possible pour donner le meilleur de moi-même aux autres.
– Interview réalisée en juin 2015.
A visiter :
– Le site de Bob Fitch.