Organisé par les Monuments Nationaux, avec comme Commissaire d’exposition Francis Adoue, ce parcours-exposition a déjà posé ses valises au Château de Fougères-sur-Bièvre du 12 juillet au 12 octobre 2014, et continu sa route au château de Maisons. Une idée originale et salutaire inaugurée en 2010 au château de Talcy qui a pour but de faire découvrir le « monde spectral » du XIXème siècle et le patrimoine français au travers de ses monuments nationaux d’exceptions. Une rencontre inédite et réussit qui transforme les lieux en attraction ludique et qui remet en lumière des châteaux pas forcément connus du grand public.
Cette « magie lumineuse et fantasmagorique » est traitée par le prisme du pré-cinéma et de ses machines optiques grâce à l’extraordinaire collection de François Binétruy et à une scénographie astucieusement évocatrice divisée en cinq parties : Les fantômes littéraires, les fantasmagories, les photographies des esprits, les magiciens contre les médiums, les spectres vivants.
L’exposition raconte l’histoire des fantômes et des illusions d’optique qui permettaient de les faire apparaître par l’art de la fantasmagorie : un spectacle inspiré par l’atmosphère fantastique du roman gothique avec ses décors de châteaux ou d’abbayes en ruines et son cortège de spectres, diables et vampires. Ces thèmes sont évoqués à travers plusieurs installations dont certaines s’inspirent des effets inventés par les illusionnistes. Le parcours se poursuit par l’évocation des esprits sur les scènes de théâtres, dans les spectacles de magie et dans la photographie.
Pour faire voyager le visiteur dans cet univers fantastique, chaque salle déploie une petite mise en scène en faisant marché des dispositifs optiques anciens alliés aux nouvelles technologies : un croisement de lanterne magique et de rétroprojecteur, des projections numériques sur un carrousel de miroirs, un étonnant Kinétoscope moderne projetant des films fantasmagoriques de Georges Méliès, etc.
Autour de ces attractions qui recréent une ambiance gothique à souhait sont disposés, sous vitrine, des objets uniques : boîtes optiques, lanternes magiques, praxinoscope, zootrope, anamorphoses, dioramas et autres inventions à l’origine du cinéma et de la photographie.
Le château de Maisons
Dès la fin de sa construction en 1651, le château de Maisons est considéré comme un modèle de l’architecture classique à la française que l’on doit au précurseur François Mansart (1598-1666). Mis en valeur du côté de la Seine, par ses fossés secs, sa terrasse, son escalier d’honneur, il offre un modèle d’ordonnance classique par la superposition des ordres dorique du rez-de-chaussée, ionique au 1er étage et corinthien à l’étage des lucarnes. Dans le sens longitudinal, l’alternance des colonnes cannelées et des pilastres engagés rompt la monotonie.
L’intérieur est surtout remarquable par son Grand Escalier qui fera date par ses dispositions (volée droites et plan carré).
Autres pièces notables :
– L’appartement du comte d’Artois décoré et sculpté dans un style néoclassique dont le plafond à caissons et l’imposante cheminée sont les symboles les plus probants.
– L’appartement du Roi aligne des pièces à l’italienne, voutées en coupole ou en berceau et sans plafond peint. Cette grande galerie offre une très belle perspective !
C’est en toute logique que l’exposition Lanternes magiques et Fantasmagories a pris place dans les sous-sols du château où se trouvent les cuisines et autres pièces annexes à l’abri des regards…
Introduction au parcours (Texte de Francis Adoue)
Fantômes, spectres et autres revenants hantent littéralement le XIXe siècle. Evoqués dès l’Antiquité et présents tout au long du Moyen Âge, ils reviennent en force avec le Romantisme et la fascination pour le passé médiéval, ses monuments et ses légendes. Ranimés dans les pages des romans gothiques anglais, ils errent ensuite dans les contes fantastiques français et règnent dans les spectacles de fantasmagories, dans la photographie spirite, sur les scènes de théâtre et dans les numéros de magie. Si le fantôme est si présent à une époque où, malgré l’industrialisation croissante, l’irrationnel fascine, c’est qu’on a su, par l’artifice, lui donner un corps, faire croire à son existence. Avec la lanterne magique (connue dès la Renaissance), la photographie, et d’autres inventions d’optiques ingénieuses, le fantôme prend vie et ne cesse de séduire un public en quête d’effroi.
« La lanterne magique est une petite machine d’optique qui fait voir dans l’obscurité sur une muraille blanche, plusieurs spectres et monstres si affreux, que celui qui n’en sait pas le secret croit que cela se fait par magie ». Dictionnaire français, Pierre Richelet, 1706
Tout au long de ce siècle, le fantôme relève de deux registres concurrents : l’illusion et la croyance. Magiciens et médiums se livrent un duel incessant pour faire rêver ou faire croire à l’existence du monde des esprits. La lanterne magique des spectacles de fantasmagories, projetant des formes lumineuses issues d’un répertoire macabre, entre dans les foyers au milieu du siècle et se tourne vers le monde de l’enfance. Les fantômes y cèdent place à des créatures plus débonnaires empruntées aux contes de fées, comme l’écrit Stanislas Meunier en 1880, « Après avoir terrifié les grands enfants, dont nous sommes les fils, l’ingénieuse machine amuse les petits enfants dont nous sommes les pères ». Mais le fantôme n’est pas passé aux oubliettes : il continue de hanter les livres et trouve un nouveau souffle sur les écrans de cinéma…
Fantômes littéraires
L’imagerie littéraire occidentale des fantômes trouve ses fondements dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. Un « genre sombre » issu de la fascination lugubre pour la mort, évoquée au clair de lune parmi les tombeaux et les lieux désertés, apparaît dans les poèmes des Nuits d’Young. Peu après, le fantôme tragique tel que l’avait créé Shakespeare dans son Hamlet, lié au décor du château médiéval, ressuscite dans le Château d’Otrante, d’Horace Walpole (1764), le premier des romans gothiques anglais. S’amorce alors une féconde production de romans noirs, les plus marquants signés de « Monk » Lewis ou d’Ann Radcliffe, traduits et lus en France. Les fragiles et pâles héroïnes pourchassées par des moines ou des barons menaçants, y croisent les spectres, comme elles captifs de décors nécessairement gothiques : aux châteaux s’ajoutent les abbayes (et leurs cloîtres), ruinées ou non, les souterrains, les cryptes, liés entres eux par des parcours narratif souvent labyrinthique.
Parallèlement, en Allemagne, le Faust de Goethe et les contes fantastiques d’ E-T-A Hoffmann marquent les esprits. Les écrivains et poètes français des années 1820-1850, nés après les heures sombres et violentes de la Révolution, s’emparent de cette manne littéraire. Les récits de dames blanches et nonnes sanglantes (adaptés au théâtre) de Charles Nodier, les mortes amoureuses de Théophile Gautier, les mille et un fantômes d’Alexandre Dumas, les romans de jeunesse de Balzac, les évocations visionnaires d’Hugo, de Nerval ou de George Sand, illustrent ce romantisme noir, peuplé d’apparitions. Plus tard, Jules Verne donne une déclinaison « scientiste » du genre avec le Château des Carpathes, récit de surnaturel expliqué mettant en scène l’image spectrale d’une cantatrice disparue, recréée par un savant dispositif de projection sur miroirs réfléchissants. Le château gothique y fournit encore le cadre pittoresque du récit, mais les histoires de fantôme tendent ensuite à s’en affranchir, préférant des lieux plus réalistes et plus urbains.
Fantasmagories
La fantasmagorie, désignant l’art de faire apparaître des fantômes par des illusions d’optique, est un spectacle inspiré par l’atmosphère fantastique du roman gothique avec ses décors de châteaux ou d’abbayes en ruines et son cortège de spectres, diables et vampires.
Créée par Paul Philidor en 1793, elle prend son essor grâce au physicien Etienne Gaspard Robert, dit Robertson, qui en fait une véritable attraction dès 1798 dans le décor lugubre du couvent des Capucines à Paris. Une lanterne magique montée sur roues appelée le fantascope, y projette des images derrière une toile enduite de cire. Devant un public à la fois amusé et terrifié, surgissent des ténèbres fantômes, monstres et autres créatures chimériques, mais aussi des personnages célèbres tels que Robespierre, Danton… Les images sont parfois projetées sur des volutes de fumée qui leur donnent un semblant de vie spectrale.
Robertson connaît la fortune, mais il est vite copié. Intentant un procès à ses plagiaires, il doit dévoiler ses procédés et révéler qu’il n’en est pas l’inventeur.
« Le rideau de la fantasmagorie fut tiré, les ombres comparurent au grand jour. On désirait connaître comment cheminent les morts : on l’apprit » déplore-t-il dans ses Mémoires. Après ces révélations, les fantasmagories conquièrent l’Europe et l’Amérique. Les fantômes dès lors entrent dans le domaine du divertissement.
Photographie des esprits
Le spiritisme est né aux Etats-Unis en 1848 avec les sœurs Fox qui prétendent entrer en communication avec les esprits des morts. Les premières photographies spirites apparaissent alors que les séances de tables tournantes deviennent à la mode dans les salons. Créées par un procédé de surimpression, elles montrent des figures fantomatiques ressemblant étrangement à l’imagerie des revenants inventée et diffusée par le Romantisme. L’américain William Howard Mumler réalise vers 1860 les premières photographies spirites, suivi dans les années 1870 par l’anglais Frederick Hudson et le français Edouard Isidore Buguet. Cette « petite industrie de débitant de fantômes », comme l’écrit alors un journaliste, connaît un certain succès jusqu’à ce que l’on découvre la supercherie. Chez Mumler, des clients se plaignent de reconnaître en de supposés fantômes des personnes toujours vivantes, ce que l’artiste doit avouer lors de son procès en 1869. Buguet, qui faisait de ses prises de vue un véritable rituel avec incantations, passes magnétiques autour de l’appareil et diffusion d’un air de boite à musique, est jugé pour escroquerie en 1875. Après ces procès qui discréditent la photographie spirite, Buguet devient prestidigitateur-photographe et inscrit ironiquement sur sa carte de visite : « Photographie anti-spirite. Le spectre choisi est garanti » !
Autour de la vogue de la photographie spirite, des éditeurs de vues stéréoscopiques commercialisent des séries d’images avec fantômes, anges ou fées utilisant le même procédé de surimpression, mais sans les annoncer comme des prises de vues de vraies apparitions.
Magiciens contre médiums
Avec la popularité des fantasmagories théâtrales et le développement du spiritisme, les magiciens de scène intègrent dans leurs numéros des évocations de fantômes.
Vers 1864 les frères Davenport, prétendus magiciens-médiums, présentent en Europe leur célèbre armoire spirite à l’intérieur de laquelle ils sont attachés, tandis que sur scène se font entendre des sons d’instruments et d’autres bruits étranges censés être provoqués par des esprits invisibles. Même si, par leur talent, les frères mystificateurs prétendent faire apparaître des fantômes dans l’imagination des spectateurs, leur numéro est très controversé. L’armoire spirite est reprise et développée par des magiciens célèbres tels que Charles Carter ou bien Howard Thurston en 1916 qui invoque un esprit se matérialisant dans une sphère dorée flottant hors de l’armoire.
Dans les années 1870, les magiciens britanniques John Nevil Maskelyne et George Cooke simulent des séances de spiritisme sur la scène de l’Egyptian Hall Theater de Londres, pour dénoncer les pratiques des médiums. Dans l’une d’elle un squelette luminescent flotte au-dessus du public en claquant des mâchoires. Des années 1890 à sa mort en 1926, le fameux magicien américain Harry Houdini mène une véritable croisade contre le spiritisme, se confrontant publiquement à des médiums célèbres, réalisant lui-même des photographies spirites et dévoilant sur scène comme dans ses ouvrages les trucs d’illusionnistes utilisés par les pseudo-médiums.
En France, Georges Méliès contribue à la démystification en présentant dans son Théâtre Robert-Houdin des fantaisies « comico-spirites ». Dès 1896, dans son film Le manoir du diable il invente les premiers trucages pour faire apparaître diablotins et fantômes.
Spectres vivants
Une nouvelle forme de fantasmagorie très spectaculaire apparaît sur les scènes de théâtre à partir de 1860. A l’origine, cet effet est développé par l’ingénieur anglais Henry Dircks pour démystifier les pratiques des médiums qui utilisaient parfois des lanternes magiques pour simuler des apparitions.
Son invention, inspirée des recherches du savant italien Giambattista della Porta – remontant à 1584 – fait apparaître sur scène, sous une forme fantomatique, le reflet d’un acteur dissimulé dans une fosse de théâtre, grâce à une grande glace inclinée et à un éclairage spécifique.
Le procédé, repris par Henry Pepper à la Royal Polytechnic Institution de Londres, porte aujourd’hui encore son nom : le Pepper’s ghost (le fantôme de Pepper). Le public vient en masse découvrir des spectres dans des pièces adaptés de Shakespeare, de Dickens, ou bien dans des spectacles conçus spécialement pour ce type d’apparition.
Les imitateurs du procédé donneront un autre nom à leurs effets spectraux pour ne pas être accusés de plagiat : Ethescope, Spectrascope ou encore Phantascope.
L’illusion est tellement populaire vers 1870 que les directeurs de théâtre appelant les vitriers, s’entendent répondre : « on ne peut pas vous fournir, on est à court de grand panneau de verre. C’est à cause du fantôme… » !
En France, le magicien Henri Robin développe le procédé en 1862 pour son théâtre l’intitulant spectacle de « spectres vivants et impalpables ». Ses images publicitaires, tournant en dérision les photographies spirites d’alors, le montrent terrifié par un fantôme drapé…
A lire :
– Le monde fantastique des images lumineuses.
– « Lanterne magique et film peint ».
– Magie lumineuse au château de Talcy.
– Magie et Cinéma.
– Musée de la lanterne magique de Padoue.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Texte de présentation © Francis Adoue. Photos : S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.