Comment es-tu entré dans l’univers de la magie (le déclic) ?
Je me souviens parfaitement du jour où le déclic s’est produit.
C’était un peu avant noël, j’étais alors en CE1. Le maître d’école, un homme sympathique mais un peu revêche, pour nous récompenser de la sagesse dont nous avions fait preuve, avait décidé de nous faire un tour de magie.
Il prit son cahier et nous le montra en disant : « Vous voyez, la leçon est écrite à l’endroit. »
Il referma le cahier, il le retourna de haut en bas, il l’ouvrit de nouveau et nous dit : « Et bien regardez, la leçon est toujours écrite à l’endroit. »
Bon, j’ai mis 20 ans avant de comprendre qu’il avait écrit des deux côtés … Mais à l’époque ça m’avait sidéré ! C’était ma toute première vision de la magie.
Après ça, j’ai demandé une boîte de magie pour Noël. Et ma tante m’a acheté « l’Apprenti Sorcier », une petite boîte de magie carrée. C’était fini pour moi, j’étais rentré dans l’univers.
Après j’ai demandé la suivante, c’était « Le Maître Sorcier », puis « Le Magicorama des Castors Juniors » etc.
Je me souviens parfaitement de ce moment de ma vie où la magie c’est déclenchée et où j’ai compris qu’elle n’était pas une chose « normale », comme le pensent tous les enfants au départ. J’ai compris qu’il y avait quelque chose derrière.
Quand as-tu franchi le pas et comment as-tu appris ?
J’ai donc commencé à apprendre avec les boîtes de magie que j’ai quasiment toutes eues.
J’ai également fait des recherches frénétiques de tous les endroits où je pouvais trouver de la magie. J’avais toujours l’œil aux aguets afin de dénicher des livres : « 10 tours de cartes pour épater vos amis », « Picsou magasine », le spécial avec 5 tours de cartes, « Pif Gadget », etc. J’étais à la recherche perpétuelle de tout ce qui concernait la magie.
J’étais en pleine période adolescente lorsque Majax présentait l’émission « Y’a un truc » et pour moi à cette époque c’était le Dieu vivant.
Un peu plus tard, j’ai fini par m’apercevoir que je tournais en rond avec les mêmes boîtes, c’était toujours un peu les mêmes trucs.
Un jour je suis allé voir un spectacle de magie amateur, et j’ai entendu dire que le magicien était de Châlon-Sur-Saône où j’habitais à l’époque. Très timidement je suis allé le voir à la fin du spectacle. Grâce à lui j’ai commencé à franchir le pas, l’étape au dessus. Il fût à l’origine de mon second déclic dans l’univers de la magie, je reçu une claque magistrale avec un tour qu’il me fît. Je découvrais le Jeu Radio.
Ce monsieur m’a fait rentrer un peu plus tard dans « l’Amicale des Magiciens de Saône-Et-Loire », ce qui m’a permis de progresser.
Après mon petit travail de gamin avec les boîtes de magie, ce fût là ma véritable entrée dans le monde de la magie.
Dans quelles conditions travailles-tu ? Ta journée ordinaire de magicien ?
J’ai toujours quelque part en moi la magie qui est présente.
Je peux marcher dans la rue, parler à quelqu’un et d’un seul coup m’arrêter en me disant, j’ai vu le mot « magie » quelque part. Il faut alors que je fasse demi-tour et que je regarde où je l’ai aperçu. Bon, dans 99% des cas c’est « la Magie des soldes chez Petites culottes Tartampion », mais du coin de l’œil, en passant inconsciemment, j’ai vu ce mot : « magie ».
Je peux apercevoir un objet et ça va me donner envie de faire un tour avec, parce que l’objet en question est rigolo.
Dans 99% des cas, cela ne donne pas grand chose. J’ai les tiroirs remplis d’essais foirés et de délires en tout genre.
Mais cela m’amène sur une pensée plus conceptuelle concernant des numéros, des personnages, des vannes, etc.
Souvent le soir, je me prends des moments de délires personnels où je monte mes idées, jusqu’à l’aboutissement de quelque chose.
J’ai des cartons bourrées de choses et d’autres, un gros tas de merdier, que je sors. J’en mets partout, je cherche, je fouille, je délire, puis je range, avant de tout redéballer à la prochaine idée. Ce sont mes cartons, c’est mon bordel, j’ai besoin de ça pour créer.
Une petite anecdote rigolote :
Je devais faire une présentation à la salle de l’Agora, c’était avec plein d’artistes très sympathiques (Jérôme Helfenstein, Artmik, Bertox, Luc Parson, Bernard Gilles …), l’événement s’appelait « La Magie dans tous ses états ». J’avais envie d’une présentation bien délirante, qui me ressemble, dans un style de personnages différents.
Ce qui fait que dans mon petit appartement de Grenoble où j’habitais à l’époque, pendant 15 jours j’ai vécu avec un bordel faramineux. J’ai vidé tous mes cartons, il y en avait partout, du n’importe quoi étalé n’importe où (des boules de sapins de noël, des guirlandes, une tête de mort en plastique que j’ai finie par utiliser, un tutu, des anneaux chinois …).
Et un jour j’étais plongé dans mes recherches, je faisais des essais avec une corde, ça ne marchait pas, ça m’énervait et au bout d’un moment mon estomac criant famine, je me suis dit que j’allais me faire des nouilles. Pour moi faire des nouilles ça signifie prendre une casserole, ouvrir le robinet, mettre de l’eau chaude, une poignée de sel, des spaghettis et coller ça sur une plaque électrique. Au bout d’un moment ça fait « bloup bloup » et je considère que c’est mangeable. Technique Lancelot pour faire des nouilles.
(C’est vraiment pour se caler l’estomac, car c’est une horreur et il n’y a que moi qui peut bouffer une merde pareil !)
De retour dans mes délires de recherches et au bout d’un moment, je me dis « Tiens c’est bizarre ! Ca fait un moment que j’ai mis mes nouilles et ça ne fait pas « bloup bloup » ! »
Il se trouve que dans le bordel faramineux que j’avais mis dans mon appartement, il y avait une petite boîte bleue que j’ai prise pour ma boîte de sel, mais ça n’était du sel … c’était de la poudre gélifiante ! Et dans ma casserole, j’ai découvert comme une sorte de sculpture avec des spaghettis tout droits, pas cuits qui sortaient d’un magma informe et marron. Tellement monstrueux que je me suis demandé si ça n’allait pas devenir vivant. Du coup, je suis parti m’acheter un Kebap.
Moralité, les pâtes à la poudre gélifiante, je ne conseille à personne !
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui t’ont aidées ?
Oulà ! On a trois ou quatre jours devant nous ?
Il y a énormément de gens qui m’ont influencé et aidé.
A commencer par l’Amicale des Magiciens de Saône-Et-Loire et Michel Lion l’ancien président du club, qui était quelqu’un d’adorable, malheureusement décédé. C’était quelqu’un de fabuleux qui avait un grand amour de la magie. Il faisait dormir sa voiture dehors car il avait aménagé son garage en salle de répétitions. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup marqué.
Il y a eu aussi le club de magie à Blois où j’ai rencontré plein de personnes très sympathiques, très ouvertes, pas du tout prétentieuses, et dont faisait parti Pierdel qui a maintenant plus de 80 ans et qui est une véritable mine, un acheteur fou en magie. Je me rappelle chez ce monsieur d’une énorme grange remplie de souvenirs de ses films d’Effets Spéciaux et d’accessoires de magie. On avait travaillé avec lui sur un appareil qui a passé un peu de temps au Musée de la Magie de Georges Proust. L’appareil n’est pas resté longtemps car relativement fragile et comme il y avait beaucoup de public, il a vite été abîmé. C’était une sorte de mini entresort , une armoire avec une tête de singe suspendue en lévitation qui crachait perpétuellement des boules de couleurs différentes avec un décor de jungle.
Nous avons tout trouvé chez Pierdel, tous les accessoires pour fabriquer cet appareil de A à Z ! De la tête de singe, aux boules en passant par les miroirs, l’armoire, les peintures, les trucs électroniques … absolument tout !
Je me rappelle d’un jour où, plus jeune, je lui avais dit que je m’intéressais aux petits paquets, ce à quoi il m’avait répondu que les petits paquets ne l’intéressaient pas trop mais qu’il devait en avoir quelques uns. Je nous vois encore nous avancer vers une armoire qui devait faire 2 ou 3 mètres … remplie de matériel de cartes !
Il m’a énormément influencé et j’ai un profond respect pour ce monsieur qui reste pour moi mon maître en magie.
Parmi les gens qui m’ont influencés il y a aussi Sylvain Mirouf de par sa créativité. Par exemple, jouer sur l’idée d’un fil indirect pour accroître le poids d’un objet (cigarette), je trouve ça magnifique !
Il y a eu aussi Grenoble, avec de purs artistes comme Jérôme Helfenstein.
Arnow, Pilou, Artmik, Bertox, Ponka, Raven, Loupi, Bernard Galmiche, Parson, David Coven, etc.
A Grenoble, j’étais comme au paradis ! Il y a une créativité et une émulation parmi ces gens là et je leur dois beaucoup.
En influences que j’ai reçues, il y a évidemment tous les « anciens », comme Slydini ou le Professeur Dai Vernon. Tous on apporté, un moment où à un autre, dans ma créativité.
J’aurais du mal à tous les citer. Je mettrais sans doute 2 heures si je devais citer tous les gens à qui je dois quelque chose.
Une exception cependant. Je dois dire que Jeannie Longo ne m’a pas apporté grand chose en magie.
A l’inverse, un événement t’a t-il freiné ?
En magie ? Jeannie Longo oui. Je trouve qu’elle fait très mal les tours de magie. Je dirais même qu’elle en fait peu, on pourrait même dire qu’elle n’en fait quasiment pas.
Non, ce qui m’a un peu freiné en magie, c’est tout les « escrocs » qui tournent autour de ça.
Tous les gens qui utilisent la magie pour « accroître leur pouvoir » sur la personne.
Le « Regarde ! Moi je sais faire et pas toi ! Je suis vachement plus balaise que toi ! ». J’en ai vu beaucoup en magie, malheureusement on en connaît tous. D’où l’image du « Ah vous faites de la magie ? Moi ça m’énerve ! ».
C’est normal, pour des gens qui ont rencontré des magiciens les prenant pour des cons, les rabaissant.
Pour eux la magie n’est pas quelque chose de positif.
J’ai une vision qui est plus dans l’idée d’un partage. La magie est juste quelque chose que je sais faire, comme le spectateur, dans sa vie de tous les jours et selon ses spécificités, sait faire autre chose. J’ai envie de la partager avec eux. Ce n’est pas pour moi une question de supériorité, mais un échange.
Les personnes qui ont un complexe et qui utilise la magie pour combler un besoin de supériorité m’ont toujours freinées et beaucoup énervées. Ces gens sans vergogne, qui font et refond un tour plusieurs fois de suite à la même personne pour bien lui montrer que lui sait faire et pas elle.
Les personnes également comme les Uri Geller qui font croire aux gens que la magie existe réellement.
Je ne juge pas le mentalisme, j’aime beaucoup le mentalisme au contraire.
A partir du moment où il n’y a pas d’ambiguïté. Ou, à la limite qu’il y ait une ambiguïté, dans le sens où le magicien laisse le choix au spectateur de décider par lui-même : y a t-il un truc, ou n’y en a t-il pas ?
Mais il y a un monde entre ça et dire : « Mesdames, messieurs, j’ai des pouvoirs ! »
Je juge ceci dangereux, cela ressort des gourous, de la manipulation d’esprits.
Je me suis toujours méfier de ça en magie et c’est sans toute pour ça que je suis devenu aussi zététicien.
La magie a pour moi une autre fonction que celle d’escroquer les gens.
Au delà de l’Art et de l’amusement, elle possède également une fonction pédagogique.
Elle a aussi la fonction de dire au gens : « Attention. Malgré tout ce que vous croyez savoir, méfiez-vous de vos sens et de votre psychologie.
Moi je vous dit que je triche. Mais il y a des gens qui ne vous le diront pas.
Je vous dit que ce que je fais est truqué. C’est du travail.
Je ne vous dit pas comment je fais. Il faut comprendre que j’y ai passé des heures et des heures. Ces heures de travail sont nécessaires. Si vous ne trouvez pas, ce n’est pas parce que vous êtes inférieur, c’est simplement que le magicien est détenteur d’un secret qu’on lui a confié et qu’il a travaillé des heures et des heures dessus avant de vous le présenter. Sans quoi, ce serait trop facile, tout le monde serait magicien et la prestidigitation n’existerait pas. »
La magie m’a beaucoup appris dans la vie de tous les jours. Sur la publicité, sur la politique, sur la première vision que l’on peut avoir d’un problème etc.
On m’aurait dit qu’il suffisait d’avoir un pouvoir pour tordre les petits cuillères, je n’aurais rien appris de tout ça, j’aurais simplement cherché comme un fou à obtenir un pouvoir qui n’existe pas. J’aurais été trompé.
Si tu devais nous raconter un souvenir marquant de l’une de tes prestations ?
Je crois que le plus beau compliment que j’ai eu, celui qui te laisse un petit truc qui te reste dans le cœur pendant toute ta vie, ce n’est pas les « Mais comment vous faites ! », « Vous alors, vous êtes trop fort ! », non, c’est une dame qui m’a simplement dit après un close-up : « Ah bah d’habitude la magie ça m’énerve et ben vous non ! »
Elle avait passé un bon moment. On lui avait dit qu’il y aurait un magicien, elle s’était dit : « Ca y est ça va m’énerver, je ne vais pas comprendre. »
J’ai fait ma prestation, elle s’est marrée, elle n’a pas eu l’impression que je la prenais pour une bille et pour moi le petit mot de cette dame est un des plus beaux compliment que j’ai eu.
Je ne suis pas un grand magicien, je n’ai pas cette prétention, je suis un magicien de moyenne facture. J’aime la magie et je souhaite simplement que les gens aiment la magie après mon passage. Qu’ils ne se souviennent pas de moi en tant que tel, cela ne fait rien, mais qu’ils aiment la magie ou que je les laisse en ayant désormais une autre vision de la magie. Quelque chose de positif. Et cette dame qui m’avait dit très sincèrement cette petite phrase qui sortait du cœur, ça m’a fait un plaisir fou.
A l’inverse, une expérience désagréable ou déconcertante.
A l’époque, je travaillais chez Flunch, dans la cafétéria.
Je ne fais pas de magie pour enfants. Je considère que c’est une branche de la magie qu’il faut étudier précisément, avec toute une réflexion et une démarche.
Je ne fais pas de spectacle pour enfants, je ne me suis jamais entraîné pour.
Je ne fais pas d’anniversaire, je ne me vends jamais pour ça. Ne nous méprenons pas : j’adore les mômes, et ils me le rendent bien… Mais je crois que je suis trop gamin moi-même, trop « tout fou » pour pouvoir les « gérer » correctement en spectacle.
Mais là il se trouve que dans le contrat on m’avait demandé de faire du close-up toute la soirée et on m’avait dit : « Je veux quand même que vous fassiez un petit truc pour les enfants de la salle ». Alors j’ai proposé, car je connais quand même quelques tours que j’ai travaillé pour les enfants, j’y avait réfléchi pour mes petits neveux, mes nièces, mes voisins, 10 min et un peu de ballooning pour terminer. Pas le truc chiadé comme le Close-up, mais une petite animation.
J’ai entre-autre présenté les « Foulards du Vingtième Siècle » arrangés à ma sauce, où je racontais l’histoire d’un petit foulard noir qui voulait rejoindre ses deux copains rouges.
« Comment faire voyager le foulard ? », demandais-je aux enfants. « Avec une baguette magique ! », à ce mot je transformais le foulard en canne à apparition. Et je tapais un petit coup de baguette sur la tête du petit garçon ou de la petite fille qui avait les deux foulards rouges, je tirais, le foulard noir avait rejoins ses copains.
Les enfants ont une psychologie formidable qui m’étonne toujours, ils voient plein de choses qui n’existent pas : « Je vois le fil invisible ! », « Il y a un miroir », mais pour la baguette magique ils n’ont absolument pas moufeté, alors que je voyais les adultes derrière, que son apparition avait marqués. L’apparition d’une canne reste quelque chose de très magique pour un profane.
J’ai fini par demander à une petite fille qui était venu me voir à la fin du spectacle si l’apparition de la baguette magique ne l’avait pas surprise ?
Ce à quoi elle m’a répondu : « Mais pourquoi tu veux que ça me surprenne ? Tu es magicien, tu fais apparaître des baguettes. »
La logique enfantine ! Il n’y avait rien d’exceptionnel, je suis magicien, je fais donc apparaître des baguettes, rien d’épatant là dedans.
Un peu décontenancé, je lui demandais si le spectacle lui avait quand même plu.
« Oh oui, me répond t-elle, tu es un grand magicien ! Mais j’ai vu, tu as enlevé ton chapeau et tu n’as pas de cheveux … ». Et sur cette phrase, elle est partie. J’avais fait tout un tas de trucs super pour cette petite fille et là, grosse déception pour elle : je n’avais pas de cheveux !
Cite un ou deux tours qui te viennent à l’esprit comme les plus beaux à regarder.
Ceux qui m’ont le plus marqués dans ma vie : le journal à l’eau.
Curieusement, c’est quelque chose qui m’a toujours paru magique alors que c’est d’une simplicité enfantine dans le principe.
Les manipulateurs de cartes, à partir du moment où il y a une histoire, un personnage, un enrobage autour. Ca reste pour moi la « vraie » magie. Le trucage disparaît sous la mise en scène, il devient intemporel.
David Copperfield coupé en deux au laser. Une grande claque pour moi. Je ne suis pas fan de Grande Illusions, je l’ai trouvée magnifique.
Dans les dernières années, mes deux claques formidables ont été Arturo Brachetti et Xavier Mortimer.
Cite un ou deux tours que tu prends plaisir à pratiquer.
Le tour des quatre cartes, en Close-Up. On jette une carte à chaque fois et il y en reste toujours quatre, etc.
J’ai monté toute une histoire délirante là dessus, sous forme de petites saynètes. Je l’ai travaillé à fond, notamment dans le rythme et le climax.
Plusieurs tours de pièces. J’aime beaucoup la diagonale de Vallarino que je fais avec des dollars, adapté à ma sauce avec un peu de Stone et des choses personnelles.
Ma routine de gobelets. Où il y a des petits bouts de Grands de la magie, des bouts personnels, un melting. Adapté à ma sauce toujours.
J’aime beaucoup ce moment où le tour est fini et où le matériel traîne encore sur la table.
Les spectateurs n’osent pas mais au bout d’un moment ils se décident à prendre la balle de jonglage (charge finale) et où ils disent : « Ah mais elle est dure ! ». C’est à dire que dans les esprits ça ne peut être que de la mousse ou un truc tout mou qui vient sous ce gobelet
J’aime la surprise de « l’après tour ».
Et puis sur scène, mes tours où je pars en délire total. Comme pour le tour des six cartes.
Je me rappelle d’un soir avec Jordan Gomez. Tout jeune à cette époque il m’avait demandé ce qu’était la routine d’un numéro réussi pour moi.
Je lui avais dit que d’une part il fallait que ça soit quelque chose de personnel, et qu’il fallait à tout prix éviter la répétition, qui lasse les gens.
Il m’avait alors demandé ce que je comptais présenter ce soir là.
Je lui ai répondu : « Ben … le tour des six cartes. C’est un tour qui date de 1932 et je vais le faire 12 fois. »
L’inverse de ce que je venais de lui dire.
Car je joue dans la caricature du magicien. On avait bien rigolé de ça.
Quelles sont les prestations d’artistes qui t’ont marquées ?
Brachetti et Mortimer comme dit précédemment.
Jérôme Helfenstein, à chaque fois. J’adore la créativité de ce garçon, l’univers de ses numéros, sa prestance, sa présence et au-delà de ça tu sens que c’est quelqu’un d’humble, d’extrêmement intelligent et d’une gentillesse extraordinaire.
J’ai toujours un frisson quand je vois le numéro de Pilou et Dieu sait si je l’ai vu, de nombreuses fois. Non seulement en répétitions mais aussi sur scène.
C’est à mon avis le signe des grands numéros. C’est que tu ne te lasses pas de les voir.
Arnow et son numéro de James Bond que j’aime beaucoup.
J’ai eu l’occasion de le voir assis à côté de gamins de 12-14 ans, c’était incroyable de voir l’impact sur eux.
James Bond c’est le personnage mythique pour eux. Et à la vue des effets et des manipulations qu’il fait, les mômes étaient vraiment bouche bée. Ils donnaient l’impression de voir un super héros en vrai. Je suis sûr que ça les aura marqué à vie.
Artmik, j’adore son univers, sa recherche, son inventivité, sa créativité.
Artmik c’est aussi une leçon, parce qu’il prend des délires et il les fait !
Il te dit, voilà, je voudrais faire un numéro où je veux être un arbre et je vais faire apparaître des piafs en lévitation, et puis il y aura des feuilles et tout … le délire total.
Des idées comme ça on en a tous. Moi-même j’en ai. Bon je n’oserais pas en parler parce que c’est extrêmement cochon, ça implique des pingouins, des extraterrestres, des choux de Bruxelles, Jeannie Longo …
Mais lui, Artmik, il le fait et il va jusqu’au bout !
6 mois plus tard, tu le revois, il est sur un piédestal, il est en arbre. Il y a des branches, des machins, tout un bazar d’une grande complexité. Il l’a fait. Et c’est super !
Bernard Galmiche, quelqu’un de très gentil aussi. Il est l’anti-thèse d’un Lancelot qui saute partout sur scène en gueulant, qui se roule par terre disant connerie sur connerie. Bernard, c’est un calme, un charme naturel. J’aime beaucoup la manière dont il bouge sur scène. J’ai beaucoup appris de lui.
Bertox. Il a un bonheur sur scène c’est extrêmement plaisant. Il possède un contact naturel. Lorsqu’il est sur scène, tout le monde l’aime, tout de suite. Il n’y a pas une once de prétention chez lui. Bertox est le gars joyeux. un enthousiaste qui s’étonne de tout, qui prend plaisir avec tout. Il est le naturel, la simplicité et la clarté.
Norbert Ferré : son numéro est une leçon magistrale d’émotion, de rythme, de fraîcheur, de, de, de… plein de choses.
Jordan Gomez également. Le regard de Jordan sur scène, le pétillement de ses yeux et le bonheur qu’il a d’être là.
On en voit tellement, qui nous donne l’impression que ça les fait chier de faire leur numéro sur scène.
Ici, avec Jordan , on ressent une énergie et une jeunesse, on sent le plaisir qu’il prend et c’est communicatif.
Et puis Otto Wessely évidemment. Otto, c’est… il… enfin, vous voyez ce que je veux dire. C’est Otto. Et au delà de l’Otto qui nous fait nous pisser dessus de rire, à la scène comme à la ville, il y a quelqu’un, curieusement, d’une acuité de vue, d’une concision sans concession et, je le dis, d’une grande sagesse. Je pense sincèrement qu’il y a du génie dans cet homme là. Véritablement.
Il y a énormément de gens que j’admire, je pourrais en citer beaucoup.
Quels sont les styles de magie qui t’attirent ?
Si je te réponds la poésie élégante est-ce que tu me crois crédible ?
Crédit photo : Ludo Vastel.
Je recherche en magie quelque chose qui soit équidistant entre le style Benny Hill, parce que j’ai un humour très gras et très terre à terre parfois, et les Monthy Python, parce que j’ai aussi un humour complètement déjanté et absurde. Je recherche quelque chose en magie qui serait un peu entre les deux. Otto Wessely est bien dans cette veine là et ce n’est pas pour rien qu’il est mon Dieu de la magie. Ses numéros sont des leçons pour moi, à chaque fois je me marre.
Il possède un pouvoir comique que j’adore.
Maintenant j’aime tous les styles de magie. Il n’y a pas un seul style de magie que je n’aime pas.
De la magie bizarre, en passant par le mentalisme, les grandes illusions, le close-up, la magie pour enfants … j’aime tous les styles de magie quand c’est bien fait.
En grandes illusions il y en a très peu que j’aime, mais il y en a aussi que j’adore, qui me plaisent et me scotchent véritablement.
En mentalisme, Blaise et Gilles, maintenant avec Vân Yën. Numéro très bien amené, bien ficelé, il y a des vannes, je ne m’ennuie pas du tout dans ce genre de magie alors que ce n’est à priori pas du tout ma branche. J’adore aussi ce que fait, par exemple, la Compagnie des femmes à barbe.
J’aime la magie sous toutes ses formes à condition que ce soit original, personnel, créatif et bien fait. Je suis extrêmement bon public.
Quels conseils aurais-tu à donner à un magicien débutant ?
Voir le maximum de magie, rencontrer des gens, faire des expériences, tester par lui-même.
Souvent on dit aux jeunes de ne pas acheter ci ou ça que ça ne vaut rien.
Au contraire, il faut que le jeune puisse voir par lui-même. Se faire sa propre idée.
Moi aussi j’ai des tiroirs entier, plein de choses merdiques qui ne valent rien. Nous en avons tous.
Il faut se faire sa propre opinion. Et il faut bien que les marchands de trucs vivent, ils jouent un rôle dans notre microcosme, je ne parle pas financièrement, je parle du lien social entre magiciens.
S’ouvrir sur tous les horizons. Ne pas se cantonner qu’au Close-Up ou la Grande Illusion. Approcher toutes les sortes de magie.
S’ouvrir à tous les univers. Que ce soit les mathématiques, la littérature, le cinéma, la peinture, la musique. Pour moi la magie est un art universel qui touche absolument à tout.
A un jeune je lui dirais d’ouvrir son regard sur le monde qui l’entoure. De se cultiver au maximum, d’aimer la magie dans sa globalité et d’être curieux de tout.
Je lui dirais que tout peut lui apprendre et lui être utile au niveau magie.
Quel regard portes-tu sur la magie actuelle ?
Je louche.
Il y a encore 5 ou 6 ans j’aurais été assez pessimiste en disant que l’on s’engluait dans une sorte de magie ringarde qui n’arrivait pas à sortir des ornières.
Et maintenant, je trouve qu’il y a de plus en plus de nouvelle magie qui sort. Que la magie est timidement en train de faire ce que le cirque a fait il y a 10 ou 15 ans. Nous sommes passés du cirque traditionnel à des cirques comme le Cirque Plume ou le Cirque du Soleil qui renouvèlent le genre, qui le retransforme tout en restant toujours du cirque.
En magie, on commence à voir de la nouveauté, avec parfois l’effet pervers inverse, c’est à dire qu’il n’y a quasiment plus de magie, ce qui est dommage car le fondement de la magie c’est de réaliser des choses impossibles dans la réalité. On se vautre dans la poésie, mais en fait il ne se passe plus grand chose, moins d’effets, ou des effets spéciaux, ce n’est plus de la magie, c’est de la poésie. J’aime aussi beaucoup, mais ce n’est plus de la magie, au sens d’illusionnisme, de prestidigitation.
Xavier Mortimer est-il encore un magicien ?
« Les enfants terribles » , de Jérôme Helfenstein et Claude Brun, est-ce encore de l’illusionnisme ?
Je vois de plus en plus d’univers qui s’ouvrent, comme je viens de dire : Xavier Mortimer, Jérôme Helfenstein …
Y compris dans la magie plus classique de la manipulation. On verra de moins en moins un manipulateur en queue de pie. Maintenant, un manipulateur va avoir un personnage. C’est Pilou qui est Gavroche, c’est Arnow qui est James Bond.
Les gens en prennent conscience. Ils veulent voir de la magie originale qui sorte des sentiers battus.
Mais malheureusement il y a encore des numéros de magie ringards, même si l’habillage est de notre époque, dans la musique, dans le style vestimentaire, les décors, le rythme … ça reste de la magie des années 1970, ça reste du Doug Henning revisité.
Ce que Doug Henning a apporté à la magie précédente, on ne l’a toujours pas fait à l’heure actuelle, surtout en Grandes Illusions.
Mais on arrive à voir de nouvelles magies émergentes qui sont vraiment de l’Illusionnisme, de la Prestidigitation, mais sous une forme plus révolutionnaire. Et ça, ça me fait chaud au cœur.
Et il y a internet. A mon époque, lorsque j’ai commencé à apprendre, j’ai beaucoup galéré. La magie était un domaine très secret. Lorsqu’on pouvait apprendre quelque chose sur un livre c’était une révolution. Maintenant avec Internet et Youtube et les dernières péripéties des trois jumeaux qui font deux levées doubles avec le doigt dans le postérieur avec l’oreille gauche, on a trouvé tout de suite la réponse.
Pourtant la magie est encore dans ce côté ringard. Pour moi c’est du Close-Up tel qu’on le faisait il y a 30 ans. Alors que les techniques ont extrêmement évoluées, on voit des choses extraordinaire que l’on n’aurait pas faites il y a 30 ans, mais dans la forme cela reste la même chose. C’est juste une surenchère, il n’y a pas eu de révolution fondamentale.
Stone et Williamson sont des gens relativement révolutionnaires en Close-Up. Ils ne font pas les plus grandes manipulations au monde, mais leur magie est intelligente, ils font des belles choses et trouvent de belles solutions.
Beaucoup d’autres restent à faire de la magie pour magiciens. C’est bien, il en faut.
C’est aussi bien de s’amuser et prendre du plaisir. Mais il faut aussi penser à donner et à évoluer.
Pour moi Chris Angel, ce n’est pas nouveau. On a déjà eu ce côté un peu gore, un peu gothique. Même si c’est revisité et qu’il trouve d’excellent tours. Je ne le dénigre pas, je n’ai pas le 10ième de son talent, mais pour moi ce qu’il fait n’est pas nouveau.
En magie, nous avons une révolution à faire, comme le Cirque la fait ou comme la Musique le fait souvent et très facilement. Nous sommes passés de la Valse au Tango, au Jazz, en passant par le Rock, etc. La peinture l’a également fait énormément, nous sommes allés jusqu’à l’abstraction, jusqu’à des délires, ce qui n’empêche pas qu’il reste des peintres paysagistes de très grande facture.
Il y a ces révolutions qui se font dans les autres arts et que nous ne faisons pas ou peu.
Je pense personnellement que cela vient en grande partie du fait que nous ne voulons pas intellectualiser notre art, on ne veut pas réfléchir d’un point de vue intellectuel, de dire « c’est de l’amusement, c’est du visuel. » Il n’y a pas que ça. Il y a aussi toute une fonction derrière. La magie et sa participation dans les Arts et il ne faut pas avoir peur d’en parler. C’est en pensant à tout ça que l’on trouvera d’autres formes.
Combien de fois au cours des ans, nous a t-on dit que la magie était finie et désuète ?
Cela a déjà commencé dans les années 1930, et à chaque fois nous avons surmonté et nous sommes revenus.
Je suis persuadé qu’aujourd’hui encore on surmontera, on trouvera et que dans les années à venir il y aura des magiciens différents et de nouvelles formes de la magie.
Quel est selon toi l’importance de la culture dans l’approche de la magie ?
Elle est absolument fondamentale !
De même que l’ouverture d’esprit.
Passer pour un glandu auprès d’un spectateur par manque de culture générale, ça ne le fait pas du tout !
« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux », si on ne sait pas que c’est de Saint-Exupéry et qu’on balance que l’on a entendu ça à la Star Académie, niveau crédibilité c’est terminé !
Si l’on se retrouve avec un scientifique par exemple, c’est être capable de lui montrer que ce n’est pas parce qu’il est scientifique qu’il ne va pas se laisser emporter par la magie. C’est avoir quelques notions de science, parfois même pour les mettre de notre côté, savoir balancer des vannes avec des allusions que eux comprennent dans leur langage, c’est pouvoir créer une complicité.
Il faut pouvoir montrer cette ouverture d’esprit et puis nourrir ses tours de tout cela. Il ne faut pas hésiter à mélanger les genres.
Sylvain Mirouf trouve souvent des choses intéressantes dans ses routines, où il engrange plusieurs fonds.
Il y a parfois un fond mathématique avec un fond de trucages.
On oublie que par rapport au tour de Tonton Marcel, pour nous c’est souvent tout un empilage de choses qui font que l’on ne peut pas remonter le tour dans sa globalité. Et la culture générale permet, à mon avis, d’arriver à cette globalité. Non seulement pour le truc, mais également pour tout ce qu’il y a autour, la présentation, le choix du costume …
Savoir utiliser des techniques de Maketing, ou de publicité pour pouvoir se vendre. La culture est essentielle.
En ce sens, je pense qu’il est fondamental en magie d’avoir l’oreille ouverte sur tout.
As-tu de futurs projets spectacles ou autres ?
Je pense que je vais proposer mes services à Jeannie Longo pour gagner le tour de France en Tandem.
Oui, j’ai quelques idées de numéros qui me trottent dans l’esprit.
Mais souvent pour mes numéros, c’est comme ça. Ca marine quelques années dans ma tête et d’un seul coup il y a un déclic qui se fait et en deux mois je vais le monter. J’intellectualise beaucoup. Tous les éléments s’assemblent au fur et à mesure dans ma tête jusqu’au déclic.
Lorsque j’étais plus jeune j’ai commencé avec un chapeau, manipulation de cartes. Une carte à droite, 2 3 4 5 12, une carte à gauche, 1 2 3 4 5 12, éventails, gauche, droite, dédoublement, cascade, château de cartes …
Aujourd’hui je cherche des choses qui m’éclatent plus et surtout, je recherche l’originalité.
Le tour des six cartes est un exemple de numéro que j’avais en tête depuis un moment.
Ce coup de la répétition, recommencer la même chose plein de fois de suite mais différemment était un délire que j’avais à l’esprit. Je voulais, quelque part, au delà de la gaudriole du numéro, donner au public l’émotion que j’avais ressenti, la claque que je m’étais prise, minot, à la lectures des « Exercices de style » de Queneau.
J’ai aujourd’hui un nouveau délire en tête, les éléments s’assemblent depuis un moment et je sens que cela prend forme.
Je suis dans l’optique aussi de retravailler tout mon close-up. Je l’ai travaillé à la virgule près, mais l’ayant trop présenté, je trouve désormais qu’il manque de spontanéité.
Aujourd’hui je suis en train de me prendre un délire couleur. Après avoir fait dans les chaussettes vertes, je verserais certainement dans la couleur jaune.
Il y a également des années que j’ai envie de faire un tour avec des dés. Le Dice Stacking, je trouve ça très beau.
Je trouve qu’un magicien est un jongleur de doigts. Une fioriture, intéressante et bien amenée, c’est aussi couper l’herbe sous le pied au spectateur qui va nous dire « Comment faites-vous ? ».
Avec les fioritures, quelque part, les gens peuvent voir qu’il y a tout un travail derrière.
Quels sont tes hobbies en dehors de la magie ?
Je me coupe les ongles de pieds régulièrement.
En dehors de ça, j’aime beaucoup l’origami, la lecture ou encore le cinéma.
Question bonus : Selon toi, Jeannie Longo aime t-elle les Choux de Bruxelles ?
Je pense qu’il faut toujours savoir surmonter le problème d’un point de vue intellectuel et aller au-delà, pour finalement se demander si ce ne serait pas les Choux de Bruxelles qui n’aiment pas Jeannie Longo ? C’est peut-être le secret d’ailleurs.
Je détiens à mon avis un scoop à ce propos :
Jeannie Longo est non seulement un homme, j’en suis intiment convaincu, mais aussi un extraterrestre et je ne suis pas persuadé que les Choux de Bruxelles ne soient pas eux-mêmes des extraterrestres !
Ce qui au final, ajouterait une certaine cohérence à tout ceci.
Non trêve de plaisanterie, la question est fondamentale ! Jeannie Longo aime t-elle les Choux de Bruxelles ?
Je répondrais : Jaune.
– Interview réalisée en août 2010.