Ladislas Starewitch est né à Moscou en 1882. En réalisant lui-même ses premiers films d’animation, il est aussitôt remarqué par les premiers producteurs de cinéma à Moscou. Alexandre Khanjonkov va lui installer un studio dans la capitale du cinéma russe et lui faire tourner aussi des films avec de vrais acteurs, parmi les plus grands du moment. Starewitch développe tout de suite une conception novatrice du cinéma par rapport aux premières tendances qui se distinguaient peu du théâtre filmé. Il réalise des trucages, utilise des caches, rompt le rythme du récit ; son style est tout de suite identifiable, pas seulement dans les films d’animation. En 1914, devenu un des plus grands réalisateurs à Moscou, Starewitch prend son indépendance et devient son propre producteur. Mais les événements s’enchaînent : la guerre qui commence en août 1914 entraîne de graves difficultés en Russie, la Révolution et une nouvelle guerre civile. Il prend, comme nombre de réalisateurs et acteurs russes, le chemin d’un exil plus lointain.
Arrivé en France à la fin de 1920 il s’installe à Paris avec sa femme et ses deux enfants, Irène et Jeanne. La communauté cinématographique russe émigrée devient très présente dans les studios de la banlieue parisienne à Joinville-le-Pont ou Montreuil-sous-Bois et c’est pour des producteurs arrivés peu avant lui que Starewitch commence à travailler surtout comme caméraman. Mais très vite il va recommencer à tourner ses films avec des marionnettes animées jusqu’à ne plus se consacrer qu’à cela. En 1924 il achète une maison à Fontenay-sous-Bois où il installe sa famille et son studio. C’est là qu’il va rester jusqu’à la fin de ses jours en février 1965 et qu’il va tourner tous ses films. Le succès revient très vite et il vit très bien développant une oeuvre très personnelle diffusée dans le monde entier. L’apogée de sa carrière se situe certainement dans l’entre-deux-guerres. Pour l’essentiel il travaille seul, aidé seulement par Irène qui va rester toute sa vie la collaboratrice de son père.
Tous les types de marionnettes utilisés par L. Starewitch sont présents dans ces films, les insectes de ses débuts en 1909, des mammifères plus volumineux dont le visage est couvert de peau de chamois qui permet toutes les expressions du visage (Le Lion et le moucheron), et des marionnettes anthropomorphes (La Petite Parade). Des procédés techniques, comme la surimpression, permettent de mêler sur la même image des marionnettes animées et un acteur humain. Ses films sont des adaptations de textes connus de La Fontaine souvent, de Goethe pour Le Roman de Renard (son chef-d’œuvre) ou bien des scénarios originaux conçus très souvent de la même façon : un préambule joué par des acteurs définit une situation, un problème en fait, puis le film bascule dans le rêve ou bien le réalisateur / créateur donne la vie à un objet inanimé. Les marionnettes deviennent les personnages du film et trouvent une solution heureuse au problème posé. De nos jours, Starewitch est la référence de Tim Burton (pour ses films d’animations : Vincent, The Nightmare before Christmas et Corpse bride) et a énormément influencé Les Studios Aardman, responsables des Wallace et Gromit.
Les DVD
1- Les Contes de l’Horloge Magique
(Trois courts-métrages des années 1920, regroupés sous un programme d’une heure.)
– La petite chanteuse des rues (1924) est le moins réussi du lot. C’est avant tout un film de fiction où intervient l’animation d’une marionnette représentant un singe, qui se substitue au vrai animal. La naïveté affichée, allié à un sur jeu des acteurs rend l’histoire sans grand intérêt. A noter toute fois une belle séquence d’animation en surimpression où le singe animé « perce » le secret d’un coffre fort.
– La petite parade (1928) est un film choral d’une remarquable construction dramatique. Tout commence dans une chambre d’enfant où les jouets s’animent une fois que les être humains sont partis (en 1995, John Lasseter reprendra cette idée pour son film d’animation Toy story). Le personnage de Casse-noisette est présenté, ainsi qu’un soldat de plomb, qui vont se disputer très bientôt les faveurs d’une petite danseuse. Mais avant cela, le diable fait irruption d’une boite à mystère et va effectuer des tours de magie (des diableries) par la transformation d’aliments et d’objets (noisette, huître, banane, cigare, bouchon) en danseuses (magnifiques séquences). Mais ce qui attire l’œil des deux rivales c’est une petite danseuse sur sa boîte à musique ! Vient alors une scène dans les bas fonds de la maison en compagnie des rats, qui prennent d’assaut « les beaux quartiers » et tentent de franchir un château miniature avec l’aide du diable pour récupérer la danseuse. Le petit soldat ayant valeureusement défendu la forteresse se retrouve jeté à la mer par une main humaine (superbe séquence maritime). Mangé par un poisson, il retournera à son point de départ pour rejoindre sa danseuse dans un feu de cheminée. Ils partirent en fumée mais ensemble et pour toujours !
– L’horloge magique (1928) est un beau conte médiéval de prince et de princesse. Dans un atelier d’horloger (filmé avec de vrais acteurs) une petite fille finie les derniers préparatifs aux automates d’une horloge et se rêve princesse. L’horloge, soudain, prend vie et nous entraîne dans un monde d’enluminures. Se déroule sous nos yeux émerveillés l’histoire d’un chevalier valeureux et de sa princesse en lutte avec un mystérieux chevalier noir qui s’avère être la mort ! La petite fille interviendra dans ce monde imaginaire pour mieux s’y replonger par la suite et faire corps avec la légende.
Avec ces deux derniers films, Starewitch impose un monde de féerie remarquablement réalisé et mis en scène. La finesse de ses marionnettes, la beauté de ses décors, la précision de ses animations ; donnent lieu à des séquences inoubliables comme le combat avec le dragon, la danse des fleurs où la capture de Nina dans la main d’un géant (plusieurs années avant que King Kong n’attrape Fay Wray).
2- Le monde magique de Ladislas Starewitch
– Le rat des villes et le rat des champs (1926) est une belle illustration adaptée de Jean de la Fontaine, caricaturant les soirées mondaines parisiennes.
– Le lion devenu vieux (1932) continue d’explorer les expressivités animales (portées à leur comble dans Le roman de Renard). Lion, taureau, bouc, chat, singe, hibou, âne, cheval et mouche ! sont de la partie.
– Fétiche Mascotte (1933) est un film sonore qui mélange prises de vue réelles avec acteurs et animations. Un enfant demande à sa mère une orange qu’elle ne peut lui offrir. Elle verse une larme qui tombe sur un nounours en court de confection et qui se transforme en cœur. La peluche « Mascotte » prend vie. Des jouets sont emballés, puis s’évadent lors d’un transport (John Lasseter dans Toy Story 2 reprendra la même idée). Après bien des péripéties, Mascotte finit par retrouver son chez soi et offre une orange au petit garçon. Ce court est animé assez grossièrement, mais l’histoire a du charme.
– Fleur de fougère (1949) est un conte fantastique où trois générations sont représentées (le grand père, la mère et le fils). C’est une mise en abyme de l’univers de Starewitch, qui fait dire à un de ses personnages, qu’il y en a assez des histoires de La Fontaine ! Ainsi est proposé à nos yeux la légende de la fougère magique, qui exauce tous les vœux de celui qui la cueille. Jeannot, le jeune enfant part à sa recherche dans une forêt protégée par des arbres qui marchent (Peter Jackson reprendra cette idée pour le 2ème volet de sa trilogie Le Seigneur des Anneaux). La nature s’anime, et Jeannot se voit devenir prince et croise tous les personnages des contes les plus connus (le chat botté, la cigale et la fourmi, cendrillon…).
3- Le Roman de Renard (1930) est l’unique long métrage de Starewitch : un chef-d’œuvre du film de marionnettes.
Cette fable sur les méfaits d’un renard peu scrupuleux a valeur d’universalité. Avec le respect propre au régime monarchique, et eut égard au rang de chacun, chaque personnage occupe sa place avec dignité. Lapin et Coq sont simples sujets du royaume, Ours protège la famille royale, tandis que Lion et Lionne trônent au plus haut rang. Parmi cette société ô combien structurée et où chacun obéit sans broncher aux ordres du roi, un trublion sème pourtant la zizanie parmi les habitants, dupant ici un marchand de poissons, s’obstinant là contre le Loup, ou jouant un bien mauvais tour à l’épouse du Coq. Chaque coup est fomenté avec une belle ingéniosité… d’où cette réputation nullement usurpée du renard rusé.
Les « ciné marionnettes » du Roman de Renard ont une structure métallique ou une ossature de bois revêtue de peau de chamois. Appliquée humide, la peau de chamois colle à l’ossature et en séchant donne l’illusion de la peau, il est ensuite possible de plisser cette peau à volonté pour donner diverses expressions aux visages des personnages. Les yeux sont en verre, ceux-là mêmes qu’utilisent les taxidermistes… Les oreilles, la langue, les paupières sont en peau de chamois. Divers matériaux sont utilisés pour donner du volume comme le coton, la paille, la mousse.
Élégance des dialogues, structure ultra-classique, efficacité de la narration, technique de la stop motion à son apogée (aux côtés de l’oeuvre de Ray HARRYHAUSEN), tout atteint ici un niveau de perfection absolu, à mille lieux des films en images de synthèse d’aujourd’hui, trop maîtrisés pour être totalement convaincants. La magie ineffable d’un récit intemporel (le film s’ouvre, tel un conte, par un livre où les personnages sont tour à tour présentés) et une mise en scène magistralement théâtrale, font du Roman de Renard un classique de l’animation hors du temps.
A voir :
– Les Contes de l’Horloge Magique. DVD disponibles chez les Editions Montparnasse.
Et Doriane Films.
– STAREWITCH, 50ème ANNIVERSAIRE. Coffret 5 DVD rassemblant 19 œuvres d’animation. DVD disponible chez Heeza.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.