Pendant près de cent ans, Maskelyne fut un nom familier, synonyme de magie en Grande-Bretagne. Le fondateur de la plus grande dynastie de magie d’Angleterre était John Nevil Maskelyne surnommé « le chef ». Habile comme un horloger, il appartenait à une très vieille famille anglaise dont les origines remontaient au XVème siècle et qui laissait volontiers croire qu’elles descendaient du Révérend Maskelyne (né en 1732), astronome de Sa Majesté pendant quarante-trois ans, qui donna son nom à un cratère de la Lune.
John Nevil Maskelyne donna son premier spectacle en amateur le 9 février 1865. La même année il vit les pseudo spirites frères Davenport à l’hôtel de ville de Cheltenham et reprit leur numéro avec son ami, magicien amateur et ébéniste, George Alfred Cooke (1825-1905) le 19 juin 1865. Aidé par le manager William Morton, Maskelyne acquit une publicité considérable et l’appui ouvert des anti-spirites qui voyaient en lui leur homme providentiel ; en même temps que la condamnation des pro-spirites qui voyaient en lui une menace.
La spécialité de Maskelyne était Les assiettes tournantes, un numéro virtuose avec de grandes assiettes et des bassins qui étaient maintenus en rotation sur une grande table ou envoyés sur une rampe en spirale. J.N. Maskelyne apprit la danse des assiettes avec le magicien Blitz qui avait inauguré cette nouvelle attraction en 1849 à Londres.
Maskelyne joua au Crystal Palace de Londres en 1867 puis en 1873 avec Cooke, qui officiellement fut plutôt son employé que son partenaire. Ce second spectacle remporta tant de succès qu’après cinq semaines il fut transporté au Saint-James Theatre où le Destin et la Sorcière et la Vigie de Maskelyne, furent présentés pour la première fois. Le Saint-James Theatre avait déjà accueillit des grands noms de la magie internationale comme Robert-Houdin en 1848 et John Henry Anderson en 1867.
Egyptian Hall
En 1873, Maskelyne s’installa à l’Egyptian Hall de Piccadilly, son « England’s Home of Mystery », construit comme un musée en 1812 par William Bullock dans le style néo-égyptien, un immeuble géorgien avec une façade de temple égyptien qui abritait diverses attractions théâtrales, y compris un zoo, la fameuse mouche du général Tom Pouce, des spectacles artistiques et de magies comme les mille représentations du grand Alexander Herrmann (de 1871 à 1873), le Sphinx du Colonel Stodare et des illusions optiques du duo Pepper et Tobin (les inventeurs du sensationnel Pepper’s Ghost ). L’endroit contenait des salles de différentes tailles (dont une de 200 places) qui convenaient bien à des représentations d’artistes itinérants. Le Dr. Lynn, autre magicien de l’époque, s’installa dans le théâtre en 1873 et occupa le grand auditorium et l’Egyptian Hall tout entier. J.N. Maskelyne dût se contenter de la petite salle de l’étage jusqu’en 1875 (date du départ du Dr Lynn), avant d’investir la grande salle. Il y resta jusqu’en 1904, créant ainsi la première « Maison du mystère » d’Angleterre, l’équivalent en France du Théâtre Robert-Houdin. Maskelyne créa le plus grand « laboratoire de magie ». Au tout début de l’aventure de l’Egyptian hall, il s’enferma dans un atelier voisin pendant plus de trente jours, créant une incroyable série d’illusions à présenter sur scène.
La façade du Bullock Museum avec une entrée.
La façade de l’Egyptian Hall avec ses trois entrées.
A lady floating in the air (1873) est l’une des toutes premières versions de La femme flottante, une illusion que J.N. Maskelyne améliora progressivement et dont il sera un spécialiste et un précurseur.
Parmi les numéros présentés à l’Egyptian Hall par J.N Maskelyne
– Will, The witch and the Watchman (1873). Dès leur début, Maskelyne et Cooke montèrent cette pièce magique remplie d’ « une franche drôlerie et dépourvue de vulgarité ». Ce tourbillon de personnages apparaissant et disparaissant enthousiasma le public et fut joué des milliers de fois au cours des trois décennies suivantes.
– Psycho (1875), l’incroyable homme mécanique hindou capable de jouer au Whist et inventé par George Clarke. L’automate était d’abord examiné par le public puis placé sur un cylindre en verre afin de prouver qu’il n’était pas relié au plancher. Il identifiait les cartes, choisissant les bonnes pour battre ses adversaires. L’appareil était trop petit pour dissimuler un homme comme le célèbre automate joueur d’échec de Kemplelen (1769). Un commentateur suggéra que le mécanisme était actionné par un chien dressé caché à l’intérieur mais n’expliqua jamais comment ce dernier pouvait jouer aux cartes ! En réalité, le mécanisme était mû par un système à air comprimé…
Maskelyne construisit d’autres automates, dans la lignée de Psycho, comme une jeune artiste nommée Zoe qui réalisait des portraits de célébrités reconnaissables ; ou encore, Fanfare et Labial, deux petits cornettistes. A l’instar de ceux de Robert-Houdin, avant lui, les androïdes de Maskelyne étaient de faux automates dont le fonctionnement reposait en partie sur des principes de magie.
– Elixir Vitae (1879). Dans cette courte pièce magique, George Cooke se faisait couper la tête deux fois par jours, « à quinze et vingt heures ».
– The fakir of Benares (1884). Dans cette illusion, une femme était étendue dans un hamac. Lorsque le hamac s’abaissait, elle restait suspendue dans l’air. C’est la première lévitation de J.N Maskelyne, qui sera reconnue plus tard comme la meilleure illusion jamais inventée, et volée par Harry Kellar par l’intermédiaire de Paul Valadon.
– Subjugué par la magie fut présenté pour la première fois le 7 mai 1898, et ce fut la première lévitation pendant laquelle un cerceau était passé autour d’un corps en suspension pour prouver qu’il n’y avait « aucunes attaches » (en employant la technique du « col de cygne »). Ce tour fut inventé par J.N. Maskelyne qui expérimenta une douzaine de version de la lévitation avant d’arriver à cette version qui sera présentée par David Devant et la belle-fille de Maskelyne, Cossie Bruce. Les autres magiciens qui réalisèrent ce numéro furent J.-B. Hansart, E.S. Elton et Nevil Maskelyne.
Le Théâtre Maskelyne présenta constamment un spectacle renouvelé de haute qualité, appelant fréquemment sur sa scène les artistes britanniques et étrangers les plus renommés. Parmi eux : Buatier de Kolta, Charles Morritt, Oswald Williams, Gus Fowler l’horloger de Birmingham, Paul Valadon, Charles Bertram, Douglas Beaufort, Owen Clark et David Devant qui allait devenir le futur associé de Maskelyne à la mort de Cooke.
Programme de 1877.
J.N. Maskelyne présentant une « toute nouvelle illusion » au Saint George’s Hall en 1906, en collaboration avec David Devant (qui resemble étrangement auVice-Versa de ce dernier). Harry Thurston mettra à son programme le même effet sous le titre The prisoner of Canton en 1908. En 1905, la troupe de Maskelyne s’installa au Saint George’s Hall situé en haut de Regent Street, où elle demeura jusqu’en 1933. Cet immeuble fut ensuite transformé en studio de la B.B.C. et fut détruit par les bombardements.
Activités parallèles
Une des nombreuses idées qui aient germé dans l’imagination fertile de Maskelyne fut la création d’une matinale pour les spectacles dramatiques ; idée vite adoptée par le Dr Henry Irving et bien d’autres. En plus de centaines de tours de magie, il inventa aussi le verrou à pièces (comme dans les toilettes payantes), la machine qui distribuent automatiquement des tickets de box-office, une machine à écrire à clavier et une caisse enregistreuse qui gagna un grand prix à l’Exposition de Paris en 1869.
Séance de théâtre noir en 1882.
Maskelyne était un membre du cercle magique et a travaillé à dissiper la notion de pouvoirs surnaturels. C’est ainsi qu’en 1914, il fonda le Comité occulte pour « enquêter sur les allégations de pouvoirs surnaturels et de dévoiler la fraude ». Ce comité a essayé, en particulier, de prouver que le fameux tour de la corde indienne n’a jamais existé.
J.N Maskelyne témoignant contre « le spiritualiste » Dr Henry Slade en 1876.
Cassie Bruce émergeant du flanc de J. N. Maskelyne dans A Side Issue (1907), leur reproduction des événements des séances spirites décrites par l’archidiacre Colley, avec J. B. Hansard (à gauche) jouant le rôle de Colley (Illustrated London News).
Héritage
Avec le départ de Devant en 1914, J.N Maskelyne reprit le gouvernail du Saint George’s Hall et remonta sur les planches à l’âge de 77 ans ! A sa mort en 1917, son fils Nevil prit la direction du théâtre, secondé par ses deux frères Clive, Noël et sa sœur Mary. Mais la concurrence du cinéma aidant, la maison dut fermer ses portes en 1934.
La tradition familiale fut maintenue par Elisabeth, la femme de Maskelyne, leurs deux fils et leurs quatre petits-enfants. Le jubilée de diamant de J.N Maskelyne fut célébré au Saint George’s Hall en 1933. Son fils Nevil Maskelyne (1863-1924), qui lui succéda, fut lui aussi un brillant illusionniste. Quant à son petit-fils Jasper Maskelyne (1902-1973), il s’illustra au cours de la Seconde Guerre mondiale dans les services de camouflage, inventant de superbes leurres pour tromper l’ennemi.
Bibliographie de John Nevil Maskelyne :
– Maskelyne and Cooke : An Exposé of the Falseness of Their Pretensions (1873).
– Modern Spiritualism : A Short Account of its Rise and Progress, with Some Exposures of So-Called Spirit Media (1876). Réédition The Mediums and the Conjurors (1976).
– The Supernatural, coécrit avec Lionel Weatherly (1891, réédition 2011).
– Sharps and Flats: A Complete Revelation of the Secrets of Cheating at Games of Chance and Skill (1894).
– Maxim Versus Maskelyne: A Complete Explanation of the Tricks of the Davenport Brothers and Their Imitators: The Cleverest Performance Ever Attributed to Supernatural Power (1910). Maskelyne & Devant’s Entertainment Bureau. Contains the following articles from The Strand Magazine: Mr. Fay’s Cabinet Trick: A £20 Challenge to Mr. Maskelyne. Mr. Maskelyne’s Reply to Sir Hiram Maxim’s Challenge. Mr. Maskelyne’s Reply to Sir Hiram Maxim. Part I. Mr. Maskelyne’s Reply to Sir Hiram Maxim. Part II. Maxim Versus Maskelyne: The End of the Discussion.
– My Reminiscences (1910).
– The Fraud of Modern « Theosophy » Exposed (1912).
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