En dix ans, le cinéaste britannique Christopher Nolan a bâtit une oeuvre d’une cohérence et d’une maturité fulgurante (son premier long métrage Following date de 1999). Il fait parti de ces réalisateurs cinéphiles qui nourrissent leurs oeuvres de références au 7ème art. Bâtir un film est, pour lui, une sorte de parcours balisé d’images appartenant à l’inconscient collectif où l’illusion est reine. Il en a d’ailleurs fait le sujet principal d’un de ses films Le prestige. Après s’être attaqué au polar avec maestria (Insomnia), au comics (Batman Begins et The Dark Knight), son 7ème long métrage Inception (2010) est la conjoncture de toutes ses obsessions (le tour de magie, l’illusion, la manipulation, Le mensonge et la trahison), de ses expériences (les scènes d’action dans les deux volets de Batman), et de ses références à la mythologie (Dédale et Orphée). Par ailleurs, Nolan s’inspire de références cinématographiques telles : La Jetée de Chris Marker, Matrix de Andy et Larry Wachowski, 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick, ou bien James bond. Enfin, il n’hésite pas à faire travailler des acteurs commerciaux et des comédiens issus du circuit indépendant dans le même film pour mieux brouiller les pistes.
L’extrateur Dom Cobb.
Entre science-fiction et thriller, Inception est une oeuvre baroque et maniériste, une métaphore du cinéma. Une synthèse réussit entre le film d’auteur et le blockbuster, comme avait sut si bien le faire Brian De Palma en 1996 avec Mission : Impossible.
L’HISTOIRE
Dom Cobb (Leonardo DiCaprio) est un spécialiste de l’extraction d’idées dans le subconscient d’une personne, plongée dans un état de rêve par l’injonction d’un sédatif. Il en soutire ainsi des informations capitales pour le compte de riches hommes d’affaire. Pour retrouver sa famille, il tente une dernière mission, aidé d’une équipe experte en manipulations de tout genre. Cobb entreprend une inception, à savoir l’implantation d’une idée dans l’esprit d’un homme promu PDG à la suite de la mort de son père.
LE FILM
Inception a tout du film d’espionnage et renvoi directement à North by Northwest (La mort aux trousses) d’Alfred Hitchcock, le modèle du genre. En effet, les actions sont fragmentés en plusieurs séquences et appartiennent à une carte géographique précise (Tokyo, Tanger, Calgary, Paris…). Nolan met ainsi en abyme cette géographie en la doublant d’une cartographie imaginaire faite de plusieurs strates de lieux et de temporalités. Ce sont les mondes projetés du rêve.
La cartographie des différentes couches de rêves.
La vraie trouvaille du film est bien cette plongé dans les méandres du rêve, le moment où la réalité vacille et bascule. La perte sensorielle des repères et la remise en cause d’une certaine réalité amènent les protagonistes à être prisonnier d’un labyrinthe spatio-temporel. En effet, les actions se répondent dans des temporalités différentes. La propagation de l’environnement du rêveur dans sa perception de l’espace-temps dépend d’un autre événement, comme par exemple la chute d’un van dans lequel dort un personnage qui voit la gravité changer de sens dans son rêve. Le temps subit aussi une dilatation importante. La minute rêvée est perçue beaucoup plus longuement que la minute endormie.
Soudainement le monde bascule comme si la terre penchait.
Christopher Nolan développe un puzzle mental et joue avec des concepts et des idées que d’autres réalisateurs avant lui ont expérimentés comme Luis Buñuel et David Lynch. Buñuel, le surréaliste était maître à construire des films en forme de cadavre-exquis dont Le charme discret de la bourgeoisie en est le meilleur exemple. Quand à Lynch, la perdition de ses acteurs-figures renvoie à un cinéma sensoriel en forme de labyrinthe fermé (Mulholland drive).
A l’écriture de son script, le réalisateur a voulu rendre son film le plus limpide possible, au niveau de la narration et de l’action. En effet, les explications sur l’extraction puis l’inception facilite la compréhension globale (peut-être trop !) et a le mérite de laisser la place à la mise en scène qui jongle avec une certaine virtuosité d’une scène à une autre.
Avec un budget colossal, Nolan avait la possibilité d’aller beaucoup plus loin dans ses effets spéciaux. Le film aurait pu ressembler à une indigeste compilation d’espace et d’architecture tordue. Mais c’est avec une certaine économie que le réalisateur construit ses espaces distordus avec retenu, préférant donner de l’importance à des séquences clés (notamment la scène en apesanteur dans l’hôtel).
Une séquence en apesanteur en référence à 2001, l’odyssée de l’espace.
LA MYTHOLOGIE ET LA PSYCHÉ
La référence aux méandres du cerveau et au labyrinthe fait directement penser à Dédale, le personnage de la mythologie grecque. Cet inventeur, sculpteur et architecte ayant conçu le labyrinthe pour enfermer le Minotaure renvoi à Ariane, la jeune étudiante du film. Si Dédale incarne la technique qui permet d’atteindre à la maîtrise du monde, Ariane conçoit des univers architecturaux labyrinthiques pour le compte de Cobb, dont elle seule connait la sortie. C’est l’Ariane de la mythologie qui aide Cobb à sortir de son labyrinthe personnel (l’obsession pour sa femme) pour le guider jusqu’à la rédemption.
Avec ses ramifications, le cerveau humain est semblable à un labyrinthe.
La psyché est au centre d’Inception. Cette théorie qui désigne l’ensemble des manifestations conscientes et inconscientes de la personnalité d’un individu étudiée par Sigmund Freud et Carl-Gustav Jung. C’est l’inconscient et le subconscient qui dirigent les rêves, rêves qui se construisent suivant une logique aléatoire faite de projections, moteur du film.
LE MONDE EST ILLUSOIRE
Bienvenue dans un monde où la réalité ne semble pas être ce qu’elle est, où le rêve paraît être la réalité. Une frontière trouble et poreuse qui est le fruit de l’interprétation de notre cerveau, puisqu’à la base, la réalité n’existe pas ! De se postulat généraliste, Christopher Nolan développe, tel un prestidigitateur, toute une théorie basée sur le mensonge, la tromperie et l’illusion. Ainsi, les extracteurs ressemblent aux agents de Mission : impossible. Ils sont experts en détournement d’attention et maîtrisent l’art du mimétisme, à l’image de Eames, le faussaire de l’équipe qui usurpe les identités dans les rêves.
La « dream team » de Cobb.
les extracteurs construisent une sorte de mise en scène (comme le réalisateur de cinéma) pour prendre au piège un individu. Ceci en étant relié entre eux par une machine distribuant des sédatifs. Cet état, où le sujet est endormi, rappel le processus de contrôle dans Avatars le superbe film de James Cameron. Il y a une certaine impuissance du corps à participer à l’action ; une inertie qui rend ces figures fragiles et les fait ressembler à des pantins vidés de la présence de l’acteur. C’est tout le paradoxe du comédien qui doit donner la vie à son personnage.
Nolan reprend la notion de « Mac Guffin », le célèbre gimmick d’Alfred Hitchcock. Où comment donner de l’importance à des objets qui n’en n’ont pas. Cela se traduit dans Inception par la présence des fameux TOTEMS. Selon Cobb, le totem sert à savoir si le sujet est dans un rêve où dans la réalité. Si le totem est en sa possession, c’est la preuve que le personnage se trouve dans le monde réel. Le totem est personnel et ne doit en aucun cas être confié à une autre personne. Chaque extracteur possède son totem personnel qui prend la forme d’un petit objet.
Quatre Totems : la toupie (de sa femme) pour Cobb, le dé (pipé) pour Arthur, la pièce d’échec (le fou ou « garde fou ») pour Ariane, et le (faux) jeton pour Eames.
Avec sa fin ouverte et la question qu’elle amène : « la toupie tombe-t-elle ? », « Cobb est-il vraiment rentré chez lui dans la réalité ? », Inception est confronté à une armée de théories pour expliquer son intrigue et son dénouement. Deux théories sont possibles : la première présente l’histoire de Cobb comme réelle. Le niveau zéro est donc bel et bien la réalité et Robert Fischer est bien la cible. Une variante de cette théorie considère que l’anneau de Cobb est son véritable totem, et nie donc l’importance de la toupie dans la scène finale.
La toupie est le totem de Mallorie (la femme de Cobb), et Cobb l’ayant touché, en théorie, il ne devrait plus fonctionner. Il s’agirait donc d’un détournement d’attention. Le véritable totem de Cobb serait alors son alliance qui n’apparaît à sa main gauche que dans le monde onirique.
ILLUSION D’OPTIQUE ET PIÈGE VISUEL
Inception est parsemé de trompe-l’oeil utilisant les miroirs comme dans la scène du pont à Paris, ou le reflet de Eames quand il prend l’apparence d’un autre. La traversé du miroir renvoie au Mythe d’Orphée (transposé à l’écran par Jean Cocteau) et au personnage d’Alice dans le roman de Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir (1871).
Nolan s’inspire surtout du monde surréaliste de René Magritte (1898-1967) et de Maurits Cornelis Escher (1898-1972) pour les paradoxes visuels. Comme Dario Argento dans Suspiria, Christopher Nolan adapte directement les dessins et lithographies d’Escher en trois dimensions comme l’exemple de l’escalier sans fin (Ascending/Descending). Quand à la ville de Paris qui s’enroule sur elle-même, c’est le serpent qui se mort la queue, un labyrinthe fermé (Print gallery, 1956). Une des affiches du film, reprend même une litho existante de l’artiste (relativité, 1953).
Escher, Relativité (1953).
Escher, Ascending/Descending (1960).
A voir :
– Inception de Christopher Nolan. DVD chez Warner Home Video (2010).
A lire :
– Cinéma et magie de Maxime Scheinfeigel aux éditions Armand Colin Cinéma (octobre 2008).
– Le dossier Magie et Cinéma.
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