Communication donnée dans le cadre du Colloque Machines, Magie, Médias de Cerisy-la-Salle le lundi 22 août 2016.
Argument
De l’Odyssée d’Homère à La Petite Sirène de Disney, le mythe de la sirène a considérablement évolué à travers les siècles. Il tend désormais à s’ancrer dans la réalité depuis moins d’une dizaine d’années les « mermaid performers » ou sirènes professionnelles incarnent ces créatures fantastiques lors de représentations et vidéos subaquatiques. Comment faire de ces prestations un moment magique pour le spectateur ? À l’aide de sa propre expérience en tant que sirène professionnelle à l’Aquarium de Paris et de ses recherches sur les communautés de sirènes sur Internet, Claire Baudet aimerait exposer les différents processus qui permettent au public d’adhérer à cette représentation du mythe et de croire, l’espace d’un instant, en une certaine magie.
Actuellement en 3e année de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication à La Sorbonne Nouvelle Paris III, Claire Baudet travaille sur Les Mythes, Symboles et Archétypes dans les productions Disney, sous la direction de François Jost. Lors de ses études de master, elle s’est spécialisée dans l’étude du mythe de la sirène tout en lançant des spectacles en aquarium sur le thème de ces créatures aquatiques.
Claire Baudet alias Claire, la sirène.
Sirène professionnelle
Claire Baudet allie ses recherches universitaires à son travail artistique, qui consiste, notamment, à incarner une sirène en milieu aquatique lors de performances données pour des aquariums. Elle évolue avec une queue de sirène dans des spectacles qui utilisent la magie et le merveilleux dans un environnement spécifique sous l’eau.
L’artiste sirène doit continuer à performer son image « en dehors » de ces spectacles en étant présente sur les réseaux sociaux pour incarner un être magique dans le monde virtuel.
Mythe de la sirène
On retrouve la sirène-oiseau dans l’antiquité grecque, comme une créature fantastique qui symbolise les dangers de la mer. Dans l’Odyssée d’Homère, elles connaissent tout du monde pour attirer Ulysse. La sirène est une créature androcéphale qui possède une voix enchanteresse, un chant merveilleux qui déclenche des tempêtes. On peut également parler du mythe allemand de la Loreleï, une nymphe qui attire les navigateurs du Rhin jusqu’à leur perdition par ses chants.
Au Moyen Age, les sirènes sont considérées comme maléfiques et représentées avec des plumes et des écailles. Il y a aussi la sirène-poisson, bifide à nageoire double.
Au XIXe siècle, l’écrivain danois Hans Christian Andersen présente la sirène sous un jour romantique avec son conte La Petite Sirène (1837).
A la même époque, les sirènes sont présentées comme des entresorts dans les Freak shows aux Etats-Unis, notamment chez Barnum, qui metta également à jour les restes d’une soi-disant vraie Sirène des îles Fidji en 1842.
Cinéma
Nous devons la première apparition d’une sirène au cinéma à Georges Méliès en 1904 avec son court-métrage La Sirène.
Dans le film Mr. Peabody and the Mermaid réalisé par Irving Pichel en 1948, on fabrique un costume sur mesure pour l’actrice Ann Blyth, pour qu’elle nage avec. La queue devient alors plus courte, à taille réelle.
En 1989, les studios Disney sortent le film d’animation La Petite Sirène adaptée du conte d’Andersen, où tous les aspects « monstrueux » ont été gommés pour rendre une image positive et romantique de la créature. Cette imagerie aura un impact considérable sur le public, auxquelles les sirènes professionnelles reprendront les codes : couleurs et motifs adaptés au monde du spectacle.
Arielle, la petite sirène de Disney.
Spectacles en aquarium
Les sirènes professionnelles donnent différents spectacles en aquarium et en apnée. Il se produit une véritable « métamorphose » du corps par un changement radical de l’environnement. Le contexte est propice au merveilleux dans un bassin parmi les poissons. On recrée tout un monde par des artifices dans un spectacle magique : musique, bande don, éléments du décor, coffre au trésor, trident magique, figure de Neptune, etc. Le réel et la magie se confondent et la vitre du bassin joue comme un écran de cinéma.
Le plus important est de coller à la représentation que le public se fait de la sirène dans son imaginaire, fortement influencé par Disney.
Dans ce genre de spectacle, les impératifs techniques sont innombrables et doivent rester le plus discrets possible pour que le public se « plonge » dans l’illusion (ex : reprendre sa respiration à la surface ou grâce à une bouteille ou un narguilé).
Le costume est à la fois fantaisiste et vraisemblable. C’est un moulage en silicone qui pèse entre 10 et 15 kilos et qui vaut dans les 3500 $. Le design est réalisé pour plaire au public et surtout aux enfants. Des couleurs vives sont utilisées pour la queue, car elles deviennent vite fades et s’estompent avec le temps sous l’eau.
La sirène professionnelle doit être à l’aise sous l’eau et doit connaître son environnement. Il faut également qu’elle travaille son apnée comme un sportif car elle plonge entre 5 et 20 mètre de profondeur. Gérer son temps sous l’eau est primordial. La sirène peut rester environ 1 minute sous l’eau et doit reprendre sa respiration pendant 30 secondes. Ces temps de respiration créent des effets d’attentes pour le public qui doit être occupé autrement ; soit par une deuxième sirène ou un plongeur. La performance de la sirène dure environ 20 minutes pour ne pas lasser son public, mais aussi à cause d’une contrainte de mouvements.
Sous l’eau on ne voit pas bien et on ne distingue pas le public ; la paroi de l’aquarium joue le rôle de 4ème mur. Il faut donc faire semblant de voir et de jouer avec les gens.
Les spectacles en aquarium sont assez récents et il y en a très peu, d’où l’intérêt des réseaux sociaux pour faire vivre sa créature. Aux Etats-Unis, les spectacles de sirènes sont beaucoup plus développés et notamment vers Orlando depuis 1947, un show permanant est donné à Weeki Wachee Springs.
Une vie en dehors de l’eau
La sirène professionnelle doit conditionner son public avant et après le show grâce à un avatar qui entretien la magie au-delà de la représentation en live. L’image de la sirène ne quitte pas celles qui en font leur métier, comme la première sirène Annette Kellerman, championne de natation, ou Hannah Fraser qui ont créée une créature à part entière.
Hannah Fraser.
Il y a une véritable mode du mermaiding depuis un moment et les sirènes sont propulsées comme de nouvelles créatures marines qui évoluent également en milieu naturel au milieu des baleines, ses requins-tigres et autres raie manta pour les besoins de publicité, vidéos, séances photos ou pour le cinéma.
Mélissa Mermaid.
Mélissa incarne le modèle de la sirène à temps complet. Elle a même changé son nom en « Mermaid » et est présente sur les réseaux sociaux et possède sa propre chaîne YouTube.
Bibliographie
– Andersen Hans Christian, La Petite Sirène, 1837.
– Bachelard Gaston, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, Librairie José Corti, 1942.
– Brown Stéphanie (alias Raina Mermaid), « Fishy » business: How to be a mermaid, Éditions First, Canada, 2013.
– Campbell Joseph, Des mythes pour se construire, Éditions Oxus, Etats-Unis, 2011.
– Petron Christian, Histoire de l’image sous-marine, Digital Édition, 2011.
A visiter :
– Claire, la sirène.
– Le Facebook de Claire, la sirène.
– Weeki Wachee Springs.
Crédit photos : Claire Baudet. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.