Avec : Neta Oren, Jérôme Galan et Jean Charmillot, Jérôme Murat, Doble Mandoble, Norbert Ferré et Sébastien Fourie. Accompagnement musical et chant : Liza Edouard et son orchestre. Présentation : Norbert Ferré.
La pétillante Liza Edouard.
Deuxième édition de cet événement organisé au Studio Stars Europe de Bruno Limoge et présenté par L’Atelier et ArteFaktory. La forme a été revue par rapport à 2015 : le « trophée de la magie actuelle » est remplacé par une thématique (le double) pour proposer une unité dans le spectacle, qui garde toujours sa forme cabaret avec présentateur et accompagnement musical.
Le double
La figure du double est une notion que l’on retrouve depuis la nuit des temps dans l’antiquité grecque et ses philosophes, ainsi que dans la mythologie, la littérature, les beaux-arts et la psychologie. Parmi les personnalités célèbres qui ont abordé ce thème : Plaute, Homère, Ovide, Jean Paul, Mary Shelley, Edgar Allan Poe, Fiodor Dostoïevski, Guy de Maupassant, Robert Louis Stevenson, Oscar Wilde, Sigmund Freud, Jorge Luis Borges… Le double est ancré au plus profond de nous car il fait référence à la dualité de l’être humain et à sa schizophrénie qui ont souvent été mise en scène dans un répertoire dramatique ou humoristique.
Le magicien
Le théâtre repose lui-même sur une figure double : l’acteur qui joue un personnage. L’artiste magicien n’échappe pas à cette règle théâtrale fondatrice et comme l’a si bien dit Jean-Eugène Robert-Houdin, « Le magicien est un acteur qui joue le rôle d’un magicien ». Le sociologue et philosophe Edgar Morin assimile au double : l’ombre, le reflet et le miroir ; des procédés utilisés par de nombreux illusionnistes. Pour Clément Rosset, le double est une illusion qui substitue au réel un autre monde, exactement comme le fait le magicien. Le personnage du magicien est multiple selon sa culture et son époque. Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, il a pris diverses apparences, tantôt mage, sorcier, bateleur, bonimenteur, physicien, professeur, scientifique, prestidigitateur ou illusionniste. Ses incarnations sont à l’image d’un kaléidoscope : « multifacettes ».
Le spectacle
La représentation s’articulera autour de différents artistes illusionnistes et circassiens ayant un univers duel, qu’il soit théorique ou littéral. On y retrouvera des notions comme la schizophrénie, le dédoublement, la gémellité, la copie où le masque.
Norbert FERRE (Poème pour mon chien / Bruitages / One for two, two for one)
Personnage atypique dans le domaine de la magie, Norbert Ferré fait partie de ces artistes d’exceptions qui, au-delà de la magie, dégage une aura unique. Comique dans l’âme, il a su bâtir un double personnage inoubliable avec lequel il a fait le tour du monde depuis son trophée de champion du monde FISM en 2003. Cerise sur le gâteau, l’artiste marseillais est d’une modestie et d’une gentillesse rare. Il va camper le rôle de présentateur avec des intermèdes comiques, pour finir par son double numéro de manipulation.
Dans Poème pour mon chien, il arrive sur scène dans une attitude solennelle avec un petit carnet doré pour lâcher des aboiements incongrus à l’intention de son chien. Un moment de non-sens exquis, repris par un spectateur dans un second temps.
Il revient ensuite en marchant comme un cow-boy dans un numéro sonore hilarant où il bruite, grâce à un sifflet dans sa bouche, différents sons. Il pousse la chansonnette et rigole, mime un jeu vidéo qu’il perd et pleure. Il appuie ensuite sur différentes parties de son corps (son « zizi » ne fait pas le même bruit !) Il sort de sa poche une mouche, lui parle, la libère et l’aplatit comme une crêpe. Elle ne réagit plus alors il pleure comme un bébé. Il sort une clé de sa poche et essaye de « remonter » la mouche comme un jouet mécanique. Cela ne marche pas, alors il part de scène au son de la marche funèbre.
Norbert Ferré termine ses interventions par son cultisme acte One for two, two for one où il se dédouble pour proposer aux spectateurs d’incroyables démonstrations de dextérités poétiques. Son numéro s’est affiné et modifié au fil des années pour devenir un petit bijou de présentation et de manipulation !
Un premier personnage comique annonce aux spectateurs ses différents talents en lui présentant ses nouvelles chaussures taillées pour un numéro de claquette « court mais professionnel ! » Ensuite vient une démonstration d’imitation de… sa mère. Il présente alors un numéro de magie et de manipulation de balles avec un artiste marseillais du nom de Norbert Ferré : « Maestro musica… » (dédoublement et apparition du manipulateur surdoué dans un numéro de balles). Le premier personnage reprend la parole : « Je suis aussi un chanteur espagnol ». Démonstration en mimant une guitare. « Vous voulez voir la surprise ? » (qui se trouve sous les yeux des spectateurs depuis le début)…
« J’ai un autre ami qui est manipulateur de cartes, je crois qu’il est prêt.. » (dédoublement et 2ème apparition du manipulateur surdoué dans un numéro de cartes). Fin du numéro en apothéose poétique. Bravo l’ARTISTE !
Neta OREN (Life is short, i have a coat, lets do something)
Une jeune fille trapue habillée d’un long manteau noir se dirige avec assurance face au public. Elle sort des balles blanches et jongle avec de manière répétitive, souvent dos au public. Les balles apparaissent et disparaissent dans les poches intérieures de son manteau qui fait office de Topit (accessoire-gimmick utilisé par certain magicien pour faire disparaître des objets à vu).
La jongleuse amène une chaine sur scène et s’assoie pour commencer une chorégraphie en répétant les mêmes gestes. Les balles apparaissent et disparaissent rapidement. La musique devient cacophonique et la gestuelle de la jongleuse se fige dans une répétition frénétique jusqu’à produire une multitude de balles qui sortent à la manière d’un feu d’artifice, finissant par des confettis.
L’israélienne Neta Oren, passée par l’Ecole de Cirque de Lyon et de Toulouse, joue une chorégraphie « sous manteau » qui convoque la jonglerie, la manipulation et la danse en proposant un personnage fort en caractère. Sa gestuelle, très franche et sèche et ses mouvements coulés rappellent un certain Yann Frisch. Tout comme ce dernier, la virtuosité des manipulations sert son personnage. L’artiste s’inspire du mouvement de la compagnie de danse Rosas (Anne-Teresa De Keersmaeker). Neta Oren a d’ailleurs réalisé une magnifique vidéo Re:Rosas, avec son frère Asi, où elle se multiplie pour jongler avec ses doubles.
Neta Oren propose un numéro sans concessions à la limite de l’expérimental, radical et sec qui peut déconcerter une partie du public mais qui abrite un monde personnel et foisonnant si l’on creuse à l’intérieur de son manteau magique.
Doble MANDOBLE (Les anneaux indomptés)
La compagnie Doble Mandoble installée en Belgique est composée des deux jumeaux espagnols Luis et Miguel Cordoba. Leur numéro des anneaux indomptés, Premier prix de magie comique à la FISM de Blackpool en 2012, est un moment de comédie muette qui utilise le tour classique des anneaux chinois comme moteur à gag.
Leur entrée est déjà un moment d’anthologie jouant sur leur duplicité et leur différence minime. Les spectateurs sont tout d’abord désarçonnés lors du premier passage de l’artiste qui semble se dédoubler. Au 2ème et 3ème passage, nous pouvons voir quelques détails physiques qui font penser à des jumeaux. C’est à ce moment-là, après la surprise, que les deux frères choisissent de jouer avec leurs bras et leurs têtes comme un gag ludique.
Le double disparaît en coulisse et reste sur scène celui qui joue le rôle du magicien qui va essayer de réaliser le tour des anneaux, apportés par son assistante (son frère déguisé en femme). C’est alors que tout déraille. Les anneaux s’enclavent par accident malgré les manipulations du magicien. Cela donne lieu à des situations comiques et cocasses comme le coup de la braguette ! Après moults rebondissements, le matériel disparaît sous le tissu de la table.
Les frères Cordoba maîtrisent l’art de la dérision, du gag qui tombe à pic et du timing. Ce numéro n’est que l’arbre qui cache la forêt d’un travail qui redéfini certains codes et clichés de la magie par l’apport d’une gestuelle à la fois théâtrale et circassienne où l’absurde n’est jamais loin.
Sébastien FOURIE (RenaiSens)
Cela fait un petit moment que Sébastien Fourie travaille son numéro scénique pour le faire évoluer vers une forme d’épure. Lauréat d’un prix spécial du jury à Briare l’année dernière et d’une résidence au Studio Stars Europe, il nous revient avec une nouvelle version qui fait la part belle à l’atmosphère et à une bande son plus nuancée accompagnée de bruitages qui accentuent les effets magiques.
Son personnage s’est redéfini en créature mi-homme mi-organique ; une espèce d’humanoïde masqué prisonnier de ses « racines » qui va essayer de prendre son autonomie. Pour représenter ce monde menaçant, l’artiste a choisi pour accessoire des cordes et réinvente une manière de présenter un répertoire classique du patrimoine magique. Les cordes sont ainsi transfigurées et sont douées de leur propre vie comme des plugs qui pompent l’énergie de leur proie. Les effets magiques, bien choisis et visuels, appuient judicieusement l’évolution du personnage jusqu’à ne faire plus qu’un avec lui.
Un numéro personnel à fort potentiel, toujours en work in progress, promis à un bel avenir !
Jérôme MURAT (La statue aux deux têtes)
Jérôme Murat a construit au fil des années un numéro unique qui fait partie des plus belles attractions visuelles au monde. Courtisé par de nombreux pays, il en est arrivé à se « multiplier » en 7 statues pour absorber les demandes !
Formé à l’école du mime Marceau, suivant les cours d’Ella Jarosewicz et d’Ivan Bacciochi, Jérôme Murat a ensuite chercher à développer une nouvelle forme d’art visuelle en convoquant le mime, la magie et les Beaux-arts. C’est lors d’une visite dans un musée qu’il a eu l’idée de son futur numéro. Il travaille ensuite avec le mime Daniel, puis avec la compagnie Philippe Genty où il se perfectionne dans l’art du masque. Murat rode ensuite son numéro dans la rue puis dans les cabarets.
En 1999, il se fait connaître du grand public grâce à un passage télé au Plus Grand Cabaret du Monde. Suivent alors des contrats, des tournées et des galas dans le monde entier et une reconnaissance internationale. Son numéro évoluera avec le temps, incluant une séquence en lumière noire qui lui permettra de réaliser de nouveaux effets de lévitations et terminer en apothéose.
Le numéro de Jérôme Murat prend pour base l’art de la statue vivante classique, une technique dérivée du mime qui consiste à ralentir sa respiration et à entrer dans un état proche de la méditation afin d’imiter une statuaire de pierre sans bouger, dans une immobilité absolue. Cette forme de spectacle vivant s’est développée dans la rue et a évoluée sous différentes formes : statue automate, statue à postures impossibles, statue en lévitation…
Jérôme Murat reprend les deux grands thèmes de la statue vivante, à savoir : l’animé/ l’inanimé et la dualité. Il combine ses notions avec une recherche esthétique proche de la statuaire baroque en privilégiant le blanc et les drapées des vêtements. La statue de pierre fait l’objet d’une bataille intérieure par la présence de deux visages identiques.
Ses masques se rencontrent, se toisent, se narguent, jouent entre eux et finissent par animer le corps de la statue, qui descend de son socle pour dompter ses deux masques virevoltants. La doublure est enfermée dans le socle du piédestal, mais revient tel un esprit pour réinvestir le corps de la statue en se substituant à son double. Le numéro est limpide, poétique et à la beauté foudroyante d’une œuvre d’art à classer parmi les chefs-d’œuvre. Le public ne s’y trompe pas et se lève, à chaque fois, comme un seul homme pour ovationner Jérôme Murat, un artiste exceptionnel qui a l’art de transmettre des notions universelles au travers de sa figure de pierre qui possède un cœur d’or.
Jérôme GALAN et Jean CHARMILLOT (Vol d’usage)
La compagnie Quotidienne est un duo de cirque pour sangles aériennes et vélo acrobatique. Jérôme et Jean se connaissent depuis longtemps et travaillent ensemble depuis leur entrée au CNAC de Chalon en Champagne (21ème promotion). Ils ont choisi de mixer deux disciplines jamais associées et à priori incompatibles. Défi artistique qui leur a permis de réfléchir sur les possibilités de créer un nouveau vocabulaire.
Ils nous proposent en avant-première leur première création (prévue pour mai 2016) en travaillant sur l’espace circulaire, la boucle, la répétition. C’est la confrontation d’un univers horizontal et d’un monde vertical, d’acrobatie et d’épreuve de force. La fusion est progressive et étonnante car elle joue sur les contraires, le déplacement des poids, le rapport au sol et la pesanteur. Les agrès ne font plus qu’un avec les corps.
Le résultat est saisissant et nouveau offrant de magnifiques photographies en apesanteur comme des arrêts sur images qui subliment les corps des circassiens en lévitation. Tout s’envole : les corps, les sangles, le vélo et les sentiments. Très belle découverte que ce numéro fort en complicité qui emporte progressivement les spectateurs dans un tourbillon d’émotions.
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