Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
J’avais seize ans en Ardèche en vacances avec mes parents, je jonglais dès que j’en avais l’occasion. Cet été 2008, j’ai rencontré une famille de vendeurs d’articles de jonglerie et deux punks. Un spectacle de rue s’est improvisé : la famille a joué de la musique et nous avons alterné avec un des deux punks des numéros de jongles enflammés. Le deuxième punk faisait office de monsieur loyal avec des tours de magie. À la fin de ce spectacle éphémère, ce punk m’a proposé de garder la recette, mais en contrepartie de payer la tournée au bar. Pendant cette soirée, il m’a appris mes premiers tours de magie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Après avoir été vendeur de costumes et d’articles de magie et cirque, j’ai été orthopédiste pendant trois ans. J’ai décidé de me professionnaliser, lorsque j’ai trouvé de « nouvelles » techniques de jonglerie qui se mélangeaient avec la magie. À partir de ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’entre en école de cirque pour avoir trois ans d’espace-temps de recherches.
Pour moi, le premier cap a été d’arrêter l’orthopédie pour devenir étudiant en école de cirque. Mais je crois que je n’aurais pas pu faire autrement sinon j’aurais été malheureux. J’ai appris la magie grâce aux livres et j’essayais d’appliquer les principes à mes propres créations pour l’école. Cette formation qui demandait de produire souvent des numéros a été un super laboratoire, car ça me permettait de me rendre compte très vite ce qui fonctionnait pour moi ou pas. J’ai ensuite suivi la formation de « magie nouvelle » au Centre National des Arts du Cirque (C.N.A.C). Jusque-là autodidacte en magie, j’ai pu rencontrer de nombreux et nombreuses intervenant·e·s très pédagogues. Sorti d’école en 2018, je me sens continuellement apprenant, je suis toujours à l’affût des livres d’occasion et je remets régulièrement en cause ma façon d’aborder la magie.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
Une des rencontres les plus importantes de ma vie, est celle avec Jordan Enard. À l’époque, je travaillais dans un magasin d’articles de déguisements, de jonglerie et de magie à Brest. Il est venu acheter un paquet de cartes, et nous nous sommes liés d’amitié. Nous avons fait des parcours en parallèle. Lui dans la production et la diffusion des spectacles, et moi dans la création. Dix ans plus tard, il a monté sa boite de production, Baron Production, qui défend des spectacles de magies et de cirques auprès des salles de spectacles. Sans cette rencontre, je n’aurais jamais osé me lancer dans cette aventure folle que de faire un spectacle. C’est grâce à lui que j’ai découvert la « magie nouvelle ».
En 2013, avec Jordan, nous avons voulu aller au Magic History Day 6 / misdirection organisé par Le Collectoire et Jean Merlin mais on n’avait pas beaucoup de sous et Paris c’était loin de Brest pour nous. Nous voulions faire l’aller-retour dans la journée, en prenant des covoitur·eur·euse·s, nous nous sommes levés à quatre heures le matin, avons pris des passager ère·s et au bout d’une heure, le pneu a crevé et nous n’avions pas de roue de secours… On a quand même réussi à arriver vers midi à Paris, nous avions raté la moitié de la journée, mais nous nous sommes serré les coudes et ne nous sommes plus quittés !
Une des expériences qui a failli me dégoutter de la magie, c’est lorsque j’ai participé à mon premier concours avec mon numéro de sortie d’école L’Extra-Quotidien. Un des commentaires du jury disait que je n’étais pas magicien parce que j’étais jongleur. Ça m’a touché fortement, car j’y ai investi énormément de temps, d’argent et d’amour pour l’art magique. Que l’on n’aime pas le numéro, l’univers, le costume… je l’entends et je l’accepte. Mais je crois que personne ne peut te réfuter ce titre, à partir du moment où tu pratiques, que tu l’étudies et que tu te donnes pour cet art, tu fais partie de la grande famille de la magie. Heureusement je ne me suis pas démonté et j’ai continué mon chemin, j’aime toujours autant la magie et je refuse de la laisser être accaparée par une minorité qui essaye de se réserver l’exclusivité de ce titre.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je travaille essentiellement dans les théâtres ou les lieux dédiés aux spectacles. J’évolue dans le domaine du cirque contemporain qui me donne accès aux salles du milieu artistique public. Il m’arrive de me produire en close-up, mais c’est plus rare.
Je fais des spectacles qui mélangent jonglerie et magie. Ce qui me fait vibrer c’est de bricoler des trucs qui n’existent pas sur le marché magique. Utiliser des classiques de la magie moderne, les mélanger et les modifier pour que ça colle au propos et à ce que je veux raconter. Ça m’oblige à être curieux de tout. Aussi bien des grandes illusions que de la marionnette en passant par le Quick change. Peut-être qu’une technique de mentalisme permettra de faire une lévitation, ce serait dommage de passer à côté de ça parce que ce n’est pas mon domaine. Par contre, l’intention est la plus importante à mes yeux. Si l’effet est fantastique, mais qu’il dévie le propos du spectacle, je l’abandonne. Je mets une attention toute particulière lors du processus d’écriture à la symbolique. J’ai une grosse pratique de jongle qui facilite certainement des techniques qui font appel à l’adresse, mais comme j’ai commencé la jongle avant de faire des spectacles, c’est difficile pour moi de savoir si la jonglerie facilite l’apprentissage de la magie.
Parlez-nous de votre compagnie L’Ombre et de vos créations.
Un Jour de Neige est le premier spectacle long de la compagnie l’Ombre. J’avais envie d’écrire un spectacle de cirque à la manière de la Nouvelle Fantastique. Les contraintes étaient claires : partir d’un univers quotidien, y insérer des événements surnaturels et à la fin, faire en sorte que le public ne puisse pas être en mesure de dire si ce qui a été raconté était vrai ou pas. J’aimais beaucoup cette idée d’entraîner l’esprit du public à douter de ses perceptions et de devoir choisir lui-même en quoi il va croire. Dans la Nouvelle Fantastique, la narration se fait à la première personne. Sur scène j’ai dû adapter cette contrainte, j’ai abordé les effets magiques comme si c’était des black-out du personnage. Ce personnage n’étant pas en mesure de raconter les événements hors de sa mémoire. Le public comme le personnage le vivent comme une disparition.
La compagnie l’Ombre est venue du fait que je me suis rendu compte que lorsque je créais des numéros pour l’école de cirque, l’ombre était toujours un propos sous-jacent. J’ai testé des écritures très hétéroclites dans beaucoup de genres (fausse conférence, dramatique, comique). Chaque fois l’ombre, dans ses diverses formes : matière physique ou symbolique, était criante dans mes créations. Je m’en suis rendu compte bien plus tard, mais lorsque je l’ai découvert, j’ai choisi d’en faire mon étendard de compagnie.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y en a tellement. Norbert Ferré avec son numéro FISM et Yann Frisch avec Baltass m’ont permis de me rendre compte que la virtuosité n’était pas antagoniste avec la magie. Le Syndrome de Cassandre de Yann et Le soir des Monstres d’Étienne Saglio que l’on pouvait avoir un univers très puissant sans chercher à impressionner. Rémi Lasvènes avec son spectacle Déluge pour la joie qu’il amène malgré un thème très lourd.
J’admire Gaëtan Bloom pour ses bricolages astucieux, la gestion du contrôle de l’attention et la sympathie qu’il dégage sur scène. La liste des magiciens qui m’inspire ne serait pas complète sans parler de Xavier Mortimer que j’ai vu seulement en vidéo avec son spectacle L’Ombre Orchestre. Chaque fois que je revois ce spectacle, je vois à quel point il a inspiré l’artiste que je suis dans mon subconscient.
Je n’ai parlé que d’hommes et je trouve important aussi de parler de magiciennes qui m’enthousiasment actuellement. J’ai beaucoup d’admiration pour le travail de Léa Kyle qui a révolutionné la technique du Quick change. J’aime beaucoup l’écriture de Valentina Cortese. Ses mises en scène très ingénieuses donnent une sensation d’étrangeté avec peu d’effets magiques. Émilie Rault est une metteuse en scène magicienne très inspirante aussi. Je vous invite à aller découvrir son prochain travail à Avignon avec Calista Sinclair.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
À pratiquer, je préfère réaliser de la magie avec des objets plutôt que du mentalisme, mais je pense que ça vient de mon côté jongleur. J’aime beaucoup la magie des pièces. Je suis curieux de toutes les magies. Dans ce que j’étudie en ce moment je suis dans ma période Quick change et grandes illusions. Mes livres qui m’ont le plus marqué sont, Strong Magic et Concevoir des miracles de Darwin Ortiz, Fondations de Eberhard Riese et L’Arc en Ciel Magique de Juan Tamariz.
Quelles sont vos influences artistiques ?
L’ensemble du mouvement de la « magie nouvelle » est un courant dans lequel je me reconnais vraiment. C’est ce qui définit le plus ce que je fais. J’aime aussi énormément l’école espagnole, je trouve que leur magie est belle et efficace. Comme Arthur Chavaudret (Ticho), ils ont une rigueur incroyable sur ce qu’est le mouvement vrai et ne font pas de concession là-dessus. C’est quelque chose qui me fait rêver.
Je viens du cirque, donc j’ai été baigné dans plein de spectacles. Dans Les Dodos du P’tit Cirk j’ai adoré les diverses utilisations de la guitare qu’ils en font. Je crois que le détournement d’objets est une composante essentielle de mon travail. C’est pour ça que je vous recommande ce spectacle. Les circassien·ne·s vont s’inspirer dans plein de domaines différents, en danse et en théâtre, je fais partie de cette veine-là. Leïla Ka en danse est une artiste que je trouve fantastique. Albert Dupontel est sans doute le cinéaste qui m’inspire le plus, surtout le début de sa filmographie.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien et jongleur débutant ?
Je crois qu’il faut être curieux et curieuse de tout et ne pas avoir peur de travailler des techniques difficiles. Tu travailleras et tu façonneras ta technique à force de faire. Les raccourcis avec des objets technologiques peuvent être séduisants, mais il arrivera toujours un moment où il y aura une mise à jour, un « bug réseau ». Avec ton savoir-faire technique, une fois que c’est maîtrisé et dompté, tu l’auras toujours avec toi dans tes mains. On cite souvent Ascanio qui dit que « la magie c’est que 10% de technique », mais on oublie trop souvent qu’il ajoute que c’est surtout les dix premiers pas. Plus tes 10% seront rempli, plus le 90% restant sera exponentielle. Je conseillerai d’être patient·e, car selon moi, le temps est le plus bel outil pour façonner l’art.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
À mon avis, on arrive à un tournant. J’ai l’impression que pendant un moment, la magie s’était renfermée sur elle-même. Mais depuis quelques années, je trouve qu’elle évolue. Le mouvement initié par la compagnie 14:20 n’est pas le seul responsable de cette ouverture. La magie actuelle est aussi portée aussi par des artistes comme Mario Lopez, Dani Daortiz ou Danny Goldsmith.
J’ai un sentiment très ambigu sur ce que je souhaite pour la magie car je comprends fondamentalement que la notion du secret est vitale pour cet art. Actuellement, ces secrets sont protégés de manière mercantile. C’est super que les créat·eur·rice·s puissent être rémunéré·e·s à leurs justes valeurs, mais c’est un frein énorme à plein de débutant·e·s qui auraient un autre rapport au monde et qui enrichiraient énormément la diversité des propositions artistiques. Qui n’a pas été dégoûté d’avoir acheté un tour censément révolutionnaire, et qui dans les faits est impraticable ? Je suis admiratif des sites tels qu’ Artefake qui permettent d’aborder ce milieu gratuitement sans en dévoiler les secrets.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Elles sont indissociables. Pour que la magie soit pleine et entière, elle doit forcément s’adresser à nos émotions, émotions qui sont formées par notre culture et nos sensibilités. La magie sans culture serait un casse-tête pénible où la personne qui pratique serait l’unique détentrice du secret. C’est Juan Tamariz dans l’Arc en Ciel magique qui dit que les tours qui perdurent sont les tours qui nous touchent dans notre intimité. Pour moi, c’est une sorte de lasagne. Derrière le magicien il y a l’acteur, derrière l’acteur, l’auteur, derrière l’auteur il y a l’être humain, avant lui il y a l’enfant, qui découle de son éducation de sa condition sociale et de sa culture. On peut rajouter plein de couches. À mon avis, de la « belle magie » c’est cette superposition de couches.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Entre la magie et la jonglerie, je n’ai plus beaucoup de temps, et ça me va comme ça. J’écoute beaucoup de podcasts, de politique et je suis fan de pop culture. Je regarde des séries et je suis un méga fan de blockbusters et de super héros. Une BD que je peux vous conseiller c’est Imbattable, elle utilise le format BD avec les cases comme fondations des super pouvoirs. Du point de vue des personnages, ça doit être assez magique.
– Interview réalisée en mars 2023.
À visiter :
– Le site de la compagnie l’Ombre.
À voir :
– Le teaser d’Un jour de Neige.
– Prochaines dates d’Un Jour de Neige : du 16 au 20 septembre 2023 au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes à Charleville-Mézières. Le 19 octobre 2023 à L’Entracte à Sablé-sur-Sarthe. Le 15 novembre 2023 à La Courneuve au Festival la rencontre des jonglages. En décembre 2023 au Mac Orlan à Brest.
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