En 2007, la chaîne anglaise « BBC one » programme un ovni télévisuel nommé Jekyll . Il s’agit d’une libre et moderne adaptation du roman de Robert Louis Stevenson : L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde. Le scénario est issu de l’esprit fertile de Steven Moffat. La version de Jekyll est un véritable choc narratif et visuel qui se place d’emblée comme la meilleure des adaptations jamais réalisées. Le thème du double, du dédoublement de personnalité, est déjà un sujet passionnant et vertigineux. Cette version apporte une multitude de lectures supplémentaires.
La sortie de ce DVD est pour nous l’occasion de revenir au tout début de l’histoire de cet univers étrange :
– en commençant par le roman,
– puis en survolant les innombrables adaptations cinématographiques,
– pour revenir au final, à cette série anglo-saxonne époustouflante et novatrice : Jekyll.
LE ROMAN DE ROBERT LOUIS STEVENSON
Publié en 1886, L’étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde raconte l’histoire d’un homme qui pense que l’on peut dissocier le bien du mal. Le Docteur Henry Jekyll, grand scientifique, va développer une formule qui révolutionnera la nature humaine. Le résultat est terrifiant : réalisant lui-même l’expérience et intoxiqué par ce breuvage qu’il vient de mettre au point, il subit alors une métamorphose monstrueuse en devenant son infâme alter ego, Mister Edward Hyde, un personnage terrifiant, vicieux et sans pitié. Doctor Jekyll et Mister Hyde sont deux personnalités différentes luttant pour posséder l’âme d’un même homme.
Stevenson fait de son personnage principal un être tourmenté, un scientifique dépassé par sa découverte et obsédé par une dualité qui le ronge. Jekyll & Hyde est double mais constitue une seule entité, comme les côtés pile et face d’une même pièce. En s’écartant volontairement de la médecine traditionnelle pour se diriger vers une médecine transcendantale, Jekyll flirte avec des expériences chimiques proches de l’alchimie tant il s’agit ici de transmutation de matière réalisée sur son propre corps. Ses expériences seront de plus en plus incontrôlables et son élixir de jouvence le conduira inéluctablement à la mort. Hyde tuant Jekyll, si ce n’est l’inverse ? D’ailleurs les noms de Jekyll et de Hyde portent en eux la tragédie même du personnage. Dans Jekyll, il y a Kyll qui se prononce comme Kill (tuer), et Hyde se prononce comme Hide (cacher). Jekyll devra tuer la créature qui se cache en lui.
L’acteur Richard Mansfield dans la première adaptation du roman sur scène, en 1887 à Londres.
Stevenson fait du cabinet du docteur, le lieu de la métamorphose où s’opère la transmutation d’un être en un autre complètement différent. Du respectueux et distingué Jekyll, agrégé de médecine et docteur en droit, vers Mister Hyde, homme des cavernes brutal et primitif ressemblant à un démon. A travers eux, deux univers s’affrontent : le monde bourgeois et celui des bas fonds, la vertu et la débauche, le bien et le mal. Longtemps contenue et réprimée la partie animal de l’homme fait surface et s’affiche au grand jour. Hyde est ainsi adepte des sept péchés capitaux avec une préférence pour la luxure, la gourmandise (boissons alcoolisées) et la colère incontrôlable et imprévisible. Dans ce roman fantastique, Stevenson choisit le décor du Londres victorien de son époque, une ville double où se côtoient les quartiers sombres aux ruelles étroites et malfamées comme Soho, et les artères commerçantes et cossues, aux belles demeures bourgeoises. A Soho, repère des individus louches et des prostituées, Hyde possède une résidence et peut commettre ses crimes. Dans les quartiers bourgeois, se promènent de respectables notables tels Mr Utterson et Mr Enfield, et habitent le Docteur Jekyll et le Docteur Lanyon. Ces deux mondes représentent deux univers parallèles qui ne se rencontrent jamais.
Le contexte littéraire et historique et la mode du dédoublement
Nombreux sont les romans anglais de l’époque hantés par la question de la double personnalité. Il s’agit surtout de la dualité au sein même de l’homme ou d’une société où le double jeu est de rigueur, surtout chez les personnes perverses peu faciles à repérer parmi les personnes plus respectables.
Une cohorte de personnages précurseurs du docteur Jekyll apparaissent :
– Le célèbre Frankenstein crée par la romancière Mary Shelley en 1818 est inspiré par ses lectures des alchimistes du XVIème siècle. Le jeune savant Frankenstein cherche à pénétrer les plus profonds mystères de la création. Il va essayer d’animer la matière inanimée et réussir à infuser de la vie dans un cadavre qui deviendra sa créature. Mais en défiant les lois de la nature, le savant ne maîtrisera plus rien. Chez Stevenson on retrouve ce motif du savant fou qui cherche à défier les lois de la nature et qui se fait dépasser par ce qu’il a créé.
– Les recherches de Jekyll rappellent aussi celles menées par le docteur Faust. Personnage crée par Christopher Marlowe en 1594 et présenté comme défiant lui aussi les lois de la nature, puisque, en échange d’une jeunesse éternelle, il avait dû vendre son âme au diable.
– On ne peut s’empêcher de penser aussi au comte Dracula crée par l’écrivain irlandais Bram Stoker en 1897. Celui-ci étant irrémédiablement aux prises avec sa double personnalité vampirique qui le ronge de l’intérieur et le condamne pour l’éternité, à moins que quelqu’un le délivre de cette malédiction en le supprimant.
Christopher Lee en Dracula dans Horror of Dracula réalisé par Terence Fisher en 1958.
– D’autres auteurs, contemporains à Stevenson, vont imaginer des histoires ayant pour thème le double, dont, Edgar Allan Poe en 1839 avec « Nouvelles histoires extraordinaires, William Wilson et la métamorphose », et Sir Arthur Conan Doyle en 1923 avec « L’homme qui grimpait ».
– La description du Londres victorien sera admirablement retranscrite chez Oscar Wilde en 1891 dans Le portrait de Dorian Gray ou chez Conan Doyle en 1908 dans Les plans du Bruce-Partington.
– Le Londres que décrit Stevenson est aussi contemporain du Londres où sévira deux ans plus tard Jack the Ripper (Jacques l’Eventreur). Celui-ci choisira ses victimes parmi les prostitués du quartier de Soho. Ces lieux seront à jamais hantés par le tueur en série.
La figure de Jack l’éventreur mise en scène par Hitchcock en 1925 dans The lodger.
– Dr Jekyll et M. Hyde sont également indissociables du mythe du loup-garou. Hyde possède les mêmes attributs que cette créature mi-homme mi-loup, qui, selon la légende a des sens surdéveloppés et acquiert les caractères attribués à cet animal, puissance musculaire, agilité, ruse et férocité.
– Suivant les pays et les cultures, l’homme se transforme en tigre en Asie ou en léopard au Congo. Ces deux dernières variantes inspireront le cinéaste Jacques Tourneur qui réalisera en 1942 et 1943, deux classiques du film d’angoisse, à savoir Cat people (La féline) et L’homme léopard.
Simone Simon, femme-chat dans Cat People (La féline) de Jacques Tourneur en 1942.
Le contexte scientifique
Le contexte historique et scientifique de l’époque s’y prête :
– L’exploration du thème de la conversion hystérique, qui exprime par le corps des représentations refoulées est au centre des recherches de Jean-Martin Charcot (1825-1893). Il travaille sur l’hystérie à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris et soigne ses patients par l’hypnose.
– Parallèlement Sigmund Freud développe l’idée que le « moi » que l’on croit uni, uniforme, uniformisé, est en réalité un territoire de forces contradictoires, le lieu d’une lutte entre les instincts d’un côté c’est-à-dire le « ça » ou l’animal qui est en nous, et la conscience morale de l’autre, le « surmoi ».
– Bleuler en 1911 introduit le terme schizophrénie, qui signifie littéralement : « esprit coupé ». Ce terme est associé à la représentation dans le cinéma anglo-saxon de personnages présentant des personnalités multiples. La schizophrénie du docteur Jekyll est une maladie au cours de laquelle le sujet présente une dissociation des idées qui perdent leur cohérence. La maladie a rompu les fils qui relient et guident ses pensées. Celles-ci deviennent alors illogiques et provoquent une désagrégation de sa personnalité.
LES PRINCIPALES ADAPTATIONS FILMIQUES
Les adaptations classiques
Il existe une centaine d’adaptations du roman de Stevenson. Nous ne retiendrons ici que celles qui ont un intérêt artistique.
– Notons que le premier à transcrire Jekyll & Hyde à l’écran est Otis Turner en 1908. Suivront une dizaine de courts-métrages sur le sujet.
– Il faut attendre 1920 pour découvrir le premier long-métrage Jekyll & Hyde, réalisé par John S. Robertson avec John Barrymore dans le rôle phare. Le film est très fidèle au récit original. On y retrouve tous les personnages de l’histoire. Jekyll est séduisant et lisse, plus jeune que l’original et Hyde a le crâne légèrement difforme, il est voûté et porte sur sa figure un rictus inquiétant surmonté de deux yeux exorbités. Ses doigts s’allongent comme le Nosferatu de Murnau, le renvoyant à une figure satanique. Nous sommes témoins d’un beau travail de maquillage et de pantomime quand Jekyll se transforme en Hyde la première fois. Malgré la fidélité de l’ensemble, le film manque de rythme et d’idées de mise en scène. Tout y est filmé platement sans tension dramatique. C’est un échec artistique.
– En 1931, Rouben Mamoulian offre la première adaptation sonore du roman avec dans le rôle titre Frederic March, prix d’interprétation aux Academy Awards en 1932. Cette production Paramount prend des libertés narratives pour se concentrer sur une vision romanesque, à fortes connotations érotiques, d’un triangle amoureux à double face. D’un côté le docteur Jekyll et sa fiancée Muriel Carew et de l’autre, Mr Hyde et une prostituée nommée Ivy. Tiraillée entre la vertu et le vice, entre le monde aristocratique et les bas fonds de Soho, entre le savoir et l’instinct, la dualité qui entoure la figure de « Jekyll & Hyde » se dessine comme une spirale qui amène inéluctablement à la mort. Ici Hyde ne se tue pas mais il est abattu à coup de pistolet.
Ce film est une vraie réussite. Les décors sont soignés, l’interprétation inspirée et surtout les idées de mise en scène sont novatrices pour l’époque. On pense en premier lieu à la séquence d’ouverture en caméra subjective nous mettant dans la peau du docteur Jekyll et par là même dans celle de Hyde. Cette mise en abyme astucieuse est reprise lors de la première transformation. La séquence où Jekyll se retrouve malgré lui dans la chambre de la prostituée Ivy est d’une charge érotique très osée pour l’époque. Le plan sur ces jambes dénudées qui se balancent, tel un métronome, renforce l’idée du vice et de la luxure dans un magnifique plan en surimpression doublé d’une voix off tentatrice. Il y a aussi une belle métaphore du bien contre le mal lors de la scène où Jekyll, assit sur un banc public, regarde tendrement un oiseau qui chante au dessus d’un arbre. Surgit alors un chat prédateur qui le dévore et qui précipite alors parallèlement la transformation de Jekyll en Hyde. Pour finir la surimpression et le fondu enchaîné sont utilisés efficacement pour les deux dernières métamorphoses de Jekyll.
Frederic March dans le rôle de Hyde.
Dans toute cette réussite, il y a quand même une réserve concernant la figure de Hyde qui n’est pas très convaincante. Hyde a les traits de l’homme de Néandertal, mi-homme mi-bête. Dentier de Cro-Magnon, crâne déformé et forte pilosité le rapprochant du loup-garou. Lors de la première transformation, Frederic March imite l’homme des cavernes dans une caricature de chimpanzé. La séquence est d’un comique involontaire ce qui ne facilite pas ensuite dans notre esprit la crédibilité de cette créature qu’on a du mal à prendre au sérieux tout le long du film. Rouben Mamoulian expliquera son choix ainsi : « Hyde se transforme graduellement en animal innocent. Je ne dirai pas en bête vicieuse car les bêtes ne le sont pas, mais en vicieux monstre humain, un monstre qui fait partie de nous mais que nous contrôlons d’habitude. »
– En 1941, Victor Fleming réalise la meilleure adaptation cinématographique du roman à ce jour avec dans le rôle titre Spencer Tracy entouré de Lana Turner et Ingrid Bergman. Bien que Fleming réalise un remake presque images par images de la version de 1931, sa réalisation est plus fluide et ses personnages mieux construits. Le film est surtout servit par trois stars de l’époque qui insufflent à leur rôle un ton juste et romancé. A commencer par Spencer Tracy, le plus convaincant Dr Jekyll & Mr Hyde de l’histoire. Il est aidé en cela par une transformation en Hyde des plus réussies qui lui laisse le visage libre d’expressions les plus subtiles. En cela, il est l’opposé de la créature interprétée par March en 1931. Spencer Tracy se transformant en Mister Hyde. Si Fleming abandonne les trouvailles techniques de Mamoulian c’est pour se concentrer sur la dramaturgie de l’histoire en développant encore plus le ménage à trois « Muriel-Jekyll & Hyde-Ivy ». Le réalisateur en montre une image surréaliste et fétichiste lors de la première transformation du docteur, quand celui-ci a des visions et imagine qu’il « monte » et fouette deux juments représentées par les deux femmes qui partagent son esprit.
Les parodies
– Dr Pyckle and Mr Pride est un court-métrage réalisé en 1925 avec Stan Laurel dans le double rôle titre. C’est une comédie qui transforme Hyde en Pride, un personnage facétieux adepte du calembour qui trouble l’ordre public et dérange la société par ses farces et attrapes !
– Dr Jekyll and Mr Mouse réalisé en 1947 par William Hanna et Joseph Barbera est l’un des rares dessins animés réussi ayant pour thème le personnage de Stevenson. Nous suivons donc les péripéties du fameux duo Tom & Jerry. Le chat chassant la souris espiègle qui revient toujours à la charge. N’arrivant pas à boire tranquillement son assiette de lait, Tom décide d’empoisonner celle-ci pour que Jerry trépasse. Il se met à l’écart pour concocter un breuvage à l’aide de produits chimiques et toxiques. La souris boit le tout et se transforme en une super souris à la force décuplée. Pour une fois, les rôles s’inversent et c’est Tom qui est malmené. Dans un temps de répit, celui-ci ingurgite la potion, mais son effet est inversé et Tom devient de plus en plus petit. Jerry se fait une joie de le poursuivre avec une tapette à mouche.
Tom/Jekyll préparant un cocktail exposif.
Ainsi le docteur Jekyll / Tom, créateur de la potion, est dépassé par la créature Mouse / Jerry qu’il a engendrée, comme dans Frankenstein. Il est victime à son tour du breuvage et devient le chat qui rétrécit, clin d’œil au film « L’Homme qui Rétrécit » de Jack Arnold.
– The Nutty Professor (Docteur Jerry & Mister Love) réalisé en 1963 par Jerry Lewis inverse la polarité Jekyll / Hyde en faisant du docteur un savant repoussant et maladroit tandis que son double, Buddy love, est un séducteur à la voix charmeuse. Le professeur Kelp enseigne la chimie dans une université américaine. C’est un gringalet binoclard à la voix de canard qui se laisse marcher dessus. Pour ne plus subir les railleries des étudiants et pour séduire une de ses élèves, il décide de prendre son corps en main et s’inscrit à une salle de sport. Vu l’étendu du travail à réaliser, il va finalement mettre au point une formule chimique qui le transformera en Mister Love, un personnage égocentrique et alcoolique, sûr de lui qui possède un énorme sex appeal.
– Dr Jekyll and sister Hyde réalisé en 1971 par Roy Ward Baker est une production Hammer, la fameuse firme britannique spécialisée dans les films d’horreur. Après deux premières adaptations ratées en 1959 et une en 1960 signée Terence Fisher, « Les Deux Visages du Dr. Jekyll », « Dr Jekyll & Sister Hyde » devient une réussite en jouant la carte parodique au premier degré. Le docteur Jekyll ne cherche pas ici à séparer le bien du mal mais à rajeunir. Obsédé par cet élixir de vie, il va tenter des expériences sur des insectes mâles en leur injectant des hormones femelles. Hormones prélevée sur des cadavres de jeunes femmes. Après des résultats concluants il absorbera le cocktail et se transformera en une jeune femme très séduisante ! La transformation étant instable, il sera obligé de tuer d’autres jeunes femmes de moins de vingt ans pour récupérer les fameuses hormones, ingrédients de base de son breuvage, et ainsi essayer de percer le secret de la jeunesse éternelle.
L’acteur Ralph Bates, coiffé d’une improbable coiffure seventies, est un Jekyll bisexuel et androgyne. Ce n’est plus le versant animal qui est réveillé ici, mais la partie féminine de l’homme dans ce qu’elle a de plus érotique et provocante. Le triangle amoureux est revisité de façon perverse entre frères et sœurs. Jekyll étant obligé de mentir sur son double en le faisant passer pour sa sœur, une veuve nommée Miss Hyde : le « Hyde » de Hyde Park, le premier nom qui lui est tombé sous le nez ! S’en suit un jeu de cache-cache avec l’autre couple habitant à l’étage, frère et sœur également et l’inspecteur chargé de l’enquête. Tout cela se déroule dans un Londres victorien baigné de brouillard où ressurgit la figure de Jack the Ripper avec la série de meurtres sur les prostituées des bas-fonds de Whitechapel.
Les adaptations masquées
Il y a une multitude d’adaptations cachées du roman de Stevenson, plus ou moins évidentes. Le thème du double est proprement cinématographique et est devenu, avec le temps, une manière d’impliquer le spectateur et de l’identifier aux personnages de la fiction. Nous ne parlerons pas ici des films à double personnalité style Batman (homme d’affaire le jour et justicier la nuit) où il s’agit de jouer un rôle, ni des films où le corps est possédé par une entité extérieure, Antéchrist, extraterrestre et autres bestioles parasitaires. Ce qui nous intéresse ici, ce sont ces films où le personnage se dédouble à l’intérieur de lui-même, sous une contrainte quelconque à la limite de la schizophrénie.
– Nous pensons à un film fondateur et mythique : Psycho (Psychose) d’Alfred Hitchcock. Norman Bates (Anthony Perkins) est prit d’une terrible dissociation schizophrénique qui l’amène à incarner sa mère décédée en se travestissant, le tout dans une spirale de violence tournant autour du complexe d’Œdipe. Sa vie intérieure livrée aux productions fantasmatiques devient prédominante.
– Sisters (Sœurs de sang) réalisé en 1973 par Brian De Palma conte l’histoire de Danielle Breton traumatisée par la mort de sa sœur siamoise et empreinte d’une schizophrénie qui va la conduire au meurtre.
« Pour le scénario de Sisters, j’ai eu le déclic en voyant la photo de deux sœurs siamoises russes qu’avait publiée Life magazine. La légende de la photo était si forte que je l’ai reproduite : « Bien qu’elles soient tout à fait normales, certains problèmes psychologiques commencent à survenir ». Je voulais également aborder le thème du médecin fou en la personne du docteur Breton qui annonce les personnages de Michael Cain dans Dressed to kill et de John Lithgow dans Raising Caïn. Tous ces types mégalomanes et maléfiques qui se prennent pour des dieux et qui finissent par faire de mal. » Brian De Palma.
– Dressed to kill (Pulsions) réalisé en 1980 par Brian De Palma s’inspire du personnage schizophrène de Norman Bates dans une trame identique à Psycho (L’héroïne meure très rapidement). Michael Caine interprète un psychiatre fou qui veut changer de sexe et devenir Bobbi définitivement. Le docteur Elliot ne semblera guéri de sa schizophrénie qu’une fois son changement de sexe effectué. (Le transsexuel est un personnage énigmatique proche de la psychose pour certains psychologues, alors que l’homosexualité serait plus proche de la névrose). Se sentir femme dans un corps d’homme serait un état très voisin de la schizophrénie.
« J’ai imaginé l’histoire d’un travesti qui a le désir de changer de sexe et qui réprime tant son côté mâle qu’il en vient à assassiner toutes les femmes qui ont le malheur de lui donner une érection. » Brian De Palma.
– Raising Caïn (L’esprit de Caïn) réalisé en 1992 par Brian De Palma s’inspire largement du personnage du Docteur Jekyll et de Mr Hyde. Il crée un personnage dissocié aux vingt-sept personnalités, interprété remarquablement par John Lithgow. Le personnage principal est atteint ici du Trouble de la personnalité multiple et présente des alternances d’états de personnalités différentes, et peut passer de l’un à l’autre sans pouvoir le contrôler.
« Dans Raising Caïn, je travaille sur le même terrain que Docteur Jekyll et Mister Hyde. Imaginons un psychiatre ou un psychologue qui écoute à longueur de journée ses patients lui parler de leurs problèmes. Il a lui-même sa théorie au sujet des dédoublements de personnalité (comme Jekyll), il se demande comment il va bien pouvoir tester sa théorie. Ses patients lui parlent de leur enfance, c’est la source de leurs problèmes, le psy a lui-même des enfants à la maison, il va tester ses théories sur son gamin, comment va-t-il le rendre schizophrène ? Il va le traumatiser, puis observera comment il se comporte. A coup sûr il se dédoublera. Chapeau. C’est toujours l’idée du savant fou, qui œuvre pour le bien de l’humanité, mais crée un monstre en chemin (comme Frankenstein). » Brian De Palma.
– Le syndrome de Stendhal réalisé en 1996 par Dario Argento comprend une deuxième partie où son héroïne Anna Manni, flic à la brigade anti viol, sombre dans un trouble de l’identité au contact d’un tueur et après avoir été en relation avec des œuvres d’arts pour le moins troublantes. Cette maladie psychosomatique d’ordre phobique est due à une hypersensibilité aux œuvres d’arts et provoque des vertiges, des suffocations voir des hallucinations. Après avoir intériorisé l’esprit du tueur, Anna devient un personnage double, clivé, aussi bien psychiquement, en profondeur, la schizophrénie, que physiquement, en surface, sa métamorphose physique totale. Anna est traversée de nombreux traits opposés : masculin / féminin, normalité / pathologie, blonde / brune, réalité / illusion. Elle est le siège d’une multitude de configurations et d’affrontements.
JEKYLL (2007)
Réinventer un mythe n’est pas donné à tout le monde. Il faut pour cela une solide connaissance du sujet et bien plus encore ! L’écossais Steven Moffat a relevé le défi de s’attaquer à un classique de la littérature fantastique en travaillant sur un scénario diabolique puisé dans le folklore fantastique et les films à complots pour en tirer une histoire d’horreur moderne avec la légende classique du couple diabolique en toile de fond. Ce projet ambitieux est en définitive une histoire humaine sur la filiation, l’amour éternel et la perte.
« Dr Jekyll et Mr Hyde est une légende classique que nous transfigurons depuis un siècle, fascinés par l’idée de l’alter ego, de la partie obscure de nous-même. » James Nesbitt
Une histoire complexe
Tom Jackman est chercheur dans un institut. Il est marié et a deux enfants, de faux jumeaux. Depuis quelques temps, sa vie bien rangée a totalement volé en éclat. La vie de famille a laissé place à l’exil. Le couple parfait vit comme s’il était séparé. Car depuis quelques années, Tom Jackman est obligé de partager sa vie en deux et s’est volontairement mis à l’écart pour protéger sa femme et ses enfants de sa partie obscure. Tom n’est plus le seul propriétaire de son corps. Un autre le partage, prenant sa place à des moments choisis : un certain Monsieur Hyde. Hyde surgit quand Jackman ressent une frustration, un besoin de s’affirmer en tant qu’homme sans pouvoir le contrôler.
Ici pas de potion magique pour que la créature surgisse. Hyde c’est tout ce que Jackman n’est pas, un être narcissique, un enfant capricieux dans un corps d’adulte. Insidieusement celui ci devient chaque jour de plus en plus fort. Chaque fois que Jackman perd le contrôle, s’endort, s’énerve ou est excité par une femme, Hyde menace de prendre le pouvoir et bientôt plus rien ne l’arrêtera ! A tout cela s’ajoute une ancienne organisation, au pouvoir et à la richesse illimitée, qui surveille leurs moindres mouvements à leur insu. Un plan préparé depuis plus d’un siècle est sur le point de porter ses fruits. Le retour du Dr Jekyll n’est pas un hasard…
Un scénario diabolique, servit par une mise en scène tirée au cordeau
En six épisodes de 50 minutes, Jekyll est une véritable saga. Aucun temps mort dans l’histoire et l’évolution des personnages, tout va très vite et le scénariste Steven Moffat va à l’essentiel revisitant en passant les films à complot où une organisation secrète s’en prend à un individu. On pense alors aux réalisations de deux maîtres du cinéma : Alfred Hitchcock et Fritz Lang cinéastes du complot par excellence. Jekyll prend le meilleur de films comme North by northwest (La mort aux trousses) ou Ministry of fear (Espions sur la Tamise) en insufflant un côté « film noir » à la série. Ajoutés à cela un sens du rythme incroyable et de nombreux rebondissements à la clé qui aiguisent notre curiosité à en devenir accro. C’est aussi efficace que la série 24H chrono !
Un acteur exceptionnel : James Nesbitt
Que serait Jekyll sans son acteur principal ? Pas grand-chose, puisque que c’est lui le moteur de la série : un véritable phénomène en marche. L’irlandais James Nesbitt est tout simplement incroyable dans le rôle de Jackman / Hyde. Il dépasse en cela tous les acteurs précédents qui ont interprétés ce double rôle, à commencer par le meilleur jusqu’ici : Spencer Tracy en 1941. D’ailleurs, les réalisateurs ne s’y sont pas trompés puisque la métamorphose en Hyde est assez proche de ce qu’avait voulu à l’époque Victor Fleming. Un grimage léger laissant la possibilité à l’acteur de jouer sur l’expressivité de son visage. Loin des effets grand guignol, les transformations de Jackman sont à chaque fois un micro événement dans la série et une constante source de jubilation où la séduction fait place à l’angoisse puis à la terreur pure.
Le Hyde de Steven Moffat est une bête à la force surhumaine et aux dents de carnassier proche en cela du loup-garou. Il possède en plus des dons de double vue le renvoyant à une sorte de voyant. Mais c’est surtout un enfant, enfermé dans un corps d’adulte qui fait des caprices pour un rien : la part enfantine de Jackman (qui doit nettoyer derrière lui à chaque fois qu’il fait une bêtise). « Un pervers polymorphe » branché directement sur ses pulsions capable des pires perversions comme le meurtre, la torture et le viol. Il représente la part animale qui est en nous et qui donne libre court à ses instincts primitifs.
Steven Moffat parle de son acteur James Nesbitt : « Il fallait que le personnage de Hyde est du charme, séduise même s’il terrifie pour que Jekyll suscite une extrême anxiété même s’il émeut aux larmes. James Nesbitt s’est imposé comme une évidence. Tout tient dans le jeu d’acteur. Il devait être deux personnes, totalement différentes sous tous les aspects. Dans les mois qui ont suivi le tournage, il a déployé le jeu le plus étonnant, créatif, émouvant et audacieux qu’il m’ait été donné de voir. »
James Nesbitt parle de son double rôle : « Evidemment, c’est toujours amusant de jouer un personnage doté de super-pouvoirs. Mais, surtout, le personnage devait être crédible. Le Diable moderne est séducteur, bravache, cool et pourtant capable d’une violence extrême. Hyde n’a pas de canine acérées, il n’est pas monstrueux, c’est un être attirant et séduisant. Il va où il veut, jouit du moment présent, prend les choses comme elles se présentent. Tom, lui, est en pleine détérioration émotionnelle et psychologique, et doit rassembler autant de force intérieure qu’il le peut. Hyde a une telle envergure que vous pouvez vous amuser beaucoup en l’interprétant ; Jackman est plus humain, c’est toujours plus difficile à jouer car vous devez trouver sa souffrance. Les effets de transformation physique pour la différenciation entre Jackman et Hyde sont subtils. Les yeux sont de couleur différente ; le nez est légèrement allongé, et une prothèse sur le menton rend le visage plus angulaire ; de petites différences pour les oreilles et le poids font le reste ! »
A voir :
– JEKYLL en Coffret 3 DVD. Ed. Chez Studio Canal (2008).
Crédits photos – Documents – Copyrights : Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant droits, et dans ce cas seraient retirés.