Conception, mise en scène, chorégraphie : Martin Zimmermann. Créé avec et interprété par : Tarek Halaby, Dimitri Jourde, Methinee Wongtrakoon, Martin Zimmermann. Création musicale : Colin Vallon. Dramaturgie : Sabine Geistlich. Scénographie : Simeon Meier, Martin Zimmermann. Conception décor, coordination technique : Ingo Groher. Création costumes : Susanne Boner, Martin Zimmermann. Création lumière : Sarah Büchel. Création son : Andy Neresheimer. Création du spectacle : août 2021.
La scène s’ouvre sur un décor de décharge abandonnée avec une grande structure pyramidale surmontée d’une boîte-maison. Un carton se met à bouger dans une lente respiration et laisse apparaître les fragments démembrés (pieds, bras, tête) d’un personnage émincé et grimé en squelette1. Ce dernier demande à manger aux spectateurs en claquant des dents (leitmotiv sonore durant tout la représentation). Le décor s’anime alors. Des détritus et des sacs plastiques se déplacent tout seuls comme animés d’une vie propre.
Après avoir exécuté une petite chorégraphie avec une pince à déchets et un lambeau de plastique, l’homme-squelette prend appuie sur la base de la pyramide et tire la boîte suspendue comme une balançoire. Celle-ci bascule et de nombreux détritus en tombent. Des lumières stroboscopiques, accompagnées d’une musique répétitive, éclairent l’intérieur de la boîte d’où apparaissent trois autres personnages. Pendant ce temps, l’homme-squelette balaie par terre…
Deux personnages tombent successivement de la boîte qui tangue, de droite à gauche, comme un bateau. Le dernier (un homme fort et dégarni) reste droit comme un I dans la boîte provoquant un effet optique saisissant. Ces deux collègues (une femme acrobate et une chanteuse aux cheveux longs) exécutent une chorégraphie acrobatique chantée. L’homme fort finit pas tomber et a du mal à reprendre son souffle, ce qui provoque une situation comique. Il n’est plus maître de sa démarche et voit sa jambe se dérober quand il met un pied devant l’autre. Ses mouvements se désaccordent et le personnage ressemble à un pantin désarticulé sous l’effet de l’alcool. Sa chaussure part dans la salle par accident, et ensuite il n’arrive plus à faire ses lacets…
La chanteuse que l’on prenait pour une femme dégage sa figure de ses cheveux et se révèle être un homme aux gros sourcils. L’homme-squelette joue avec ses quatre jambes, les fesses dans un bidon et installe ensuite un micro sur un manche de raclette. En essuyant le sol, il produit des battements de cœur mimés par la chanteuse qui est sur le point d’accoucher…
La femme acrobate se glisse dans un sweatshirt à capuche noir d’où ressortent ses longs cheveux. Cette « figure » sans visage va se transformer à mesure des contorsions exercées en une masse informe. La matière s’anime et créée des apparences saisissantes et surréalistes comme dans les One minute sculpture (Pullovers) du plasticien Erwin Wurm.
L’homme-squelette arrive sur scène avec son double en mannequin (le même que dans le spectacle Goodbye Johnny) et entame une chorégraphie à deux. Pendant ce temps, l’homme fort essaie de s’asseoir sur une chaise qui glisse continuellement de droite à gauche au-dessus de la pyramide ; un comique de répétition à la Buster Keaton. L’homme-squelette rejoint l’homme fort pour une chorégraphie acrobatique avec la fameuse chaise qui reste collée aux parois verticales de la boîte, puis à l’extérieur. Celle-ci se verra enfin utilisée dans un beau numéro de mime et d’équilibre utilisant un « fil invisible ».
Le chanteur chante pour accompagner les mouvements de l’acrobate dans la boite, suivis par ses deux camarades au saxo et à la batterie improvisée, dans un joyeux capharnaüm tribal. L’homme fort se bat avec le chanteur sur un air de Carmen et la femme se transforme en guenon avant de disparaître derrière un carton et de réapparaître sous les détritus. L’homme-squelette l’a recouvre alors d’un carton qui se transforme sous l’action de l’acrobate.
Pendant que l’homme fort gémit un chant plaintif, le chanteur installe, dans la boite, des éléments de figures pour assembler une tête de mort à tubes fluorescents. La structure pyramidale s’ouvre et se transforme alors en squelette géant et animé (la boite est sa tête et les deux pyramides ses mains). Des fumigènes et des lumières rouges rendent la scène diabolique. Les quatre compères se déguisent comme pour un défilé de mode et commencent une « danse macabre » dans un « ballet mécanique » rappelant Fernand Léger et Michael Jackson (façon Thriller). Progressivement la musique déraille et la figure du squelette clignote et se décompose. Le spectacle se termine par un monologue, en anglais, d’autosatisfaction du chanteur qui singe les discours autocentrés et mégalomanes des stars pour finir par insulter le public. L’homme-squelette qui le suivait avec un projecteur met fin à la représentation par un claquement de dents ironique.
Danse Macabre est un spectacle hybride entre le cirque, la danse, le théâtre et le happening. Un joyeux mélange hétéroclite qui expérimente des situations étirées dans le temps. Chaque personnage cherche à s’extirper de sa condition mais tourne en rond, à l’image du grand costaud qui s’essouffle en courant dans le vide ou après sa chaussure. Tous sont épiés, voir manipulés par la figure de la mort (matérialisée par l’homme-squelette et l’homme-orchestre Martin Zimmermann). Ces loosers « fantastiques » possèdent bien des capacités et des caractéristiques, comme les super-héros, mais qu’ils utilisent dans le vent pour la beauté du geste, dans leur bulle en dehors de la société conformiste. Ces figures folkloriques de marginaux évoluent dans une décharge aux allures de prison et de purgatoire, comme coincés à jamais dans leurs conditions de laissés-pour-compte ; un reflet de la société actuelle en temps de crise. Leurs paroles sont réduites à des onomatopées, des bruitages clownesques ou des chants. Ils sont obligés de s’exprimer par leurs corps, tous différents.
Le spectacle déroute d’emblée le spectateur car il ne correspond pas aux « canons » des représentations classiques (marge sociale et marge artistique). Il faut un certain temps pour entrer dans le monde proposé par Zimmermann qui souvent perd son public dans des saynètes trop longues et répétitives où il ne se passe pas grand-chose… Sur ce point, le spectacle aurait le mérite d’être resserré et amputé d’au moins quinze minutes… Malgré cette réserve, nous ressortons de cette expérience scénique réjouit par l’inventivité du metteur en scène qui sait créer des images et des situations atypiques. On pense souvent à Buster Keaton dans la gestuelle et James Thierrée pour la scénographie, l’utilisation détournée du décor et les effets optiques minimalistes. Martin Zimmermann est un vrai ovni dans son domaine et continue de surprendre les spectateurs à chacune de ses créations.
Note :
1 Martin Zimmermann reprend son personnage Johnny de son précédent spectacle Goodbye Johnny (2020).
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