Quels sont vos domaines de compétence ? Vous êtes à la base sommelier et chef cuisinier…
Je suis sommelier depuis trente-cinq ans, d’abord dans des restaurants étoilés haut de gamme en France et à l’étranger puis j’ai créé mes propres bistrots à vins et restaurants à Rennes. Quand on est sommelier on est forcément cuisinier car pour associer des vins avec des mets, on doit connaitre parfaitement la mécanique du goût en cuisine. Je souhaitais vraiment être cuisinier mais l’ambiance en cuisine à l’école hôtelière m’a beaucoup déçu, c’était violent, bruyant alors que pour moi la cuisine c’est de la création, de l’artisanat qui doit se passer dans le calme, la concentration, la légèreté avec bien entendu une certaine exigence également.
Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Je fais de la magie depuis ma première boite de magie à Noël à huit ans. Le déclic : les émissions de Jacques Delord à la télévision et aussi la diffusion de Siegfried & Roy à Las Vegas sur FR3, j’avais réussi à l’enregistrer.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Je faisais des petits spectacles pour ma famille et à l’école. J’ai appris avec quelques livres aussi. Il n’y avait pas Internet ni de magasin de magie à Rennes, juste un magasin de farces et attrapes avec quelques tours en vente, donc j’en achetais quelques-uns. Et puis je voulais être cuisinier, alors je suis allé à l’école hôtelière où je continuais à faire quelques tours à mes copains mais je n’avais plus trop de temps pour apprendre plus en magie.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé (en gastronomie et en magie). À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
J’étais alors Maitre d’hôtel et j’ai appris qu’une formation de sommelier était créée à Rennes. J’avais fait le tour du métier de serveur et le vin m’attirait depuis longtemps, le mystère du vin… déjà ! C’était une formation en alternance et mon maitre de stage était Jacques Thorel de l’Auberge Bretonne à la Roche Bernard, la plus belle cave de Bretagne à l’époque. Il n’y avait plus de questions à se poser, l’univers m’avait placé ici, je serai d’ailleurs lauréat du trophée du « meilleur sommelier de Bretagne » l’année d’après. Je suis ensuite passé dans des grandes maisons et j’ai terminé Chef sommelier du restaurant 3 étoiles l’Arpège Alain Passard à Paris.
Puis, pour mes trente ans, ma femme a eu l’idée d’inviter un magicien pour la soirée, c’est là que j’ai vu un certain Gérard Souchet apparaitre à la soirée. C’est la première véritable rencontre avec un professionnel de la magie. Il m’a appris énormément et partagé sa passion avec gentillesse. J’ai fait de même en lui transmettant ma passion du vin et de la dégustation.
Et puis quelques années plus tard, Gérard organisa un spectacle de magie dans une petite salle à Rennes et me demande de faire le goûter d’après représentation et de nourrir les artistes. C’est comme ça que notre collaboration, à ce qui allait devenir un des plus beaux festivals de magie, a démarré. Pendant plus de dix ans j’ai nourri les artistes venant au festival. Le catering dans la journée en buffet permanent mais surtout le diner du samedi soir sur scène après le spectacle. Préparer des repas pour des gens qui viennent du monde entier avec les meilleurs produits et, bien sûr la dégustation de vins différents, fut passionnant. Le repas partagé tous ensemble, artistes, techniciens à la même table et faire goûter la cuisine française aux artistes du monde entier, quel bonheur. Quand la timide Tina Lenert, dont j’avais vu le numéro maintes fois à la télé, n’ose pas trop déranger pour vous demander un repas sans viande et que vous lui réalisez un plat végétarien aussitôt et discrètement pour respecter sa personnalité, ça créé des liens ! Nourrir les gens n’est pas un acte anodin. Quand on ne parle pas la même langue, la cuisine est un lien très fort. Je ne cite pas tous les artistes avec qui j’ai eu des moments privilégiés, car j’ai le souvenir de chacun et de leurs réactions face à une huitre, un verre de vin… Je me permets de nommer François Normag, qui a été un « client fidèle », très fidèle au buffet… mais celui avec qui j’ai peut-être partagé le plus en gastronomie et en vin, car passionné et connaisseur, c’est Gaëtan Bloom. Pendant toute la tournée, on allait ensemble acheter les produits nécessaires à nos numéros, tous les deux au rayons fruits et légumes, salade, pamplemousse, kiwi avec chacun ses secrets de fabrication.
En côtoyant l’art magique de si près, la rigueur, le travail et l’émerveillement, j’ai eu le déclic pour faire la même chose avec mes passions : le vin et la magie. J’ai ainsi créé fin 2018 La Magie du vin, une conférence spectacle. Vincent Delourmel m’a inspiré avec sa conférence sur la mémoire illustrée de tours de magie en rapport avec le sujet bien sûr.
Dans quelles conditions travaillez-vous ? Comment la gastronomie et l’œnologie s’intègrent à la magie ? Parlez-nous de vos créations, formations et spectacles autour de ces arts.
J’ai dû travailler à apprendre un texte. Je l’ai écrit et réécrit et re-réécrit et c’est avec Claude De Piante que j’ai progressé. J’avais beaucoup de choses à raconter et il fallait enlever du texte pour ne garder que l’essentiel. Claude et Aude, son épouse, ont un sens du spectacle extraordinaire, une longue expérience et on sait tous à quel point Claude est une référence en matière de narration.
Un sommelier est une sorte de magicien, il devine vos goûts pour vous conseiller et son travail est de deviner le vin qu’il déguste à l’aveugle. Le lien est fait et tellement logique entre le mentaliste et le sommelier. Dans La Magie du vin, mes tours ne demandent pas trop de technique, je n’ai pas le temps de m’entrainer pour manipuler, mais ça nous a obligé à travailler des effets simples avec peu d’accessoires truqués pour en faire des miracles grâce à la narration. Le vin est de toute façon quelque chose de magique et de mystérieux depuis des millénaires, le sujet est très puissant.
La magie, le vin et la gastronomie ont en commun le fait d’un long travail dans l’ombre pour délivrer un effet de quelques minutes auquel il ne restera que le souvenir d’une émotion. Je suis en train de créer une nouvelle conférence spectacle, qui, en fait est prête dans ma tête depuis très longtemps : Bien manger, bien vivre. Je pense que les gens sont prêts. Bien manger, sainement et pas cher expliquer au plus grand nombre sans être un donneur de leçon. La magie sera très utile pour faire passer quelques messages.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
Les artistes et magiciens qui me touchent sont très divers. C’est comme la cuisine : un sandwich au jambon est aussi bon qu’un vol au vent de grande cuisine bourgeoise au ris de veau et au foie gras. Si on a la même rigueur et exigence avec ces deux plats on aura du plaisir et de l’émotion. J’admire, je m’inspire et je respecte tous ceux qui font de leur mieux au moment où ils le font, et ça le public le ressent toujours. J’ai vu plusieurs fois Viktor Vincent en spectacle et en numéro au festival Vive la Magie, j’aime beaucoup sa gentillesse, son humour, sa précision et il aimait aussi beaucoup ma cuisine.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime tous les styles de magie, mais pas tous les styles de magiciens. C’est l’artiste, par sa performance et son talent, qui vous fait aimer son art. C’est comme mon ami et associé Loïc Pasco, chef de cuisine avec qui on a créé « La Cuisine Spectacle », qui me fait manger et apprécier tous les légumes, même ceux que l’on ne veut plus goûter depuis la cantine ! Il transcende le chou de Bruxelles, le poireau, le radis… Il vous donne les larmes aux yeux avec un fenouil !
Quelles sont vos influences artistiques et gastronomiques ?
J’en ai beaucoup et de tous les arts. J’ai bien sûr beaucoup observé la manière de performer de Derren Brown, Viktor Vincent, Jean Merlin, Yohann Gauthier, Sylvain Guillaume, Claude De Piante, Aude Lebrun et tant d’autres. En cuisine Ferran Adria, le grand chef espagnol, qui dans les années 2000 a mis un grand « coup de pied au cul » à la cuisine mondiale, est un grand « magicien » dont le restaurant était situé à deux pas de la maison d’un autre « magicien », Salvador Dali.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
De rester un débutant, un enfant, d’être émerveillé par ce que l’on fait et garder son œil juvénile. D’apprendre des autres et être soi-même, sincère et vrai. La technique est secondaire. C’est le secret pour ne pas devenir « un connard qui se la pète » ! C’est comme dans le vin, plus on apprend moins on sait, alors on reste humble, on fait de son mieux pour donner de la joie et on rentre à la maison pour se manger une bonne tranche de pain beurre.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
C’est comme tout, ça vit, ça évolue. Ce qu’on trouvait nul avant, est bien maintenant et inversement, comme la cuisine et le vin. Je regarde et je ne m’emballe pas, la magie ce n’est pas si grave que ça ! Les contraintes nous obligent aux changements et aux créations, c’est ce qui m’intéresse, le mouvement.
Quel regard portez-vous sur la gastronomie actuelle ?
Elle s’adapte au monde actuel. L’écart est de plus en plus grand entre la Haute gastronomie de plus en plus chère et réservée à une catégorie de gens et la restauration plus populaire. Le moyen de gamme va disparaitre. Et la gastronomie plus modeste est en train de se développer avec de plus en plus de qualité. Je parle bien sûr de prix quand je parle de haut, moyen et bas de gamme. La contrainte financière et écologique force la restauration à changer. Des produits locaux, de saison, pas trop cher, cuisiner avec sincérité avec l’énergie du cuisinier, des décors simples, on revient plus à l’humain, des petites structures, qui permettent de proposer une bonne cuisine au bon prix.
Et aussi, le développement des chaînes de restaurants « parcs d’attractions » où le décor et l’ambiance sont étudiés mais avec tous la même nourriture et surtout pas cher. Je ne sais pas si c’est dans la question mais je me permets de le dire : en dessous d’un certain prix on n’a plus de qualité, on ne peut pas baisser toujours les prix de la nourriture sans tirer sur la qualité, c’est impossible. Ça ne se sent pas au goût mais ce n’est pas bon pour la santé.
Pouvez-vous nous parler du livre que vous avez écrit Le vin, mes secrets de sommelier ? Quel est son but ?
Depuis trente ans que j’anime des dégustations de vins, on me pose toujours les mêmes questions : où acheter, comment conserver, comment servir, quels plats manger avec… Et depuis toujours ma façon de travailler c’est d’être compris par le plus grand nombre, de transmettre et de rendre le monde du vin accessible, pas de parler avec des mots que personne ne comprend pour impressionner les gens. Il y a beaucoup de livres sur le vin, mais ils sont très complets et, je pense, trop complexes. Ce petit guide de 200 pages se veut un livre de base pour tous, accessible avec quelques anecdotes personnelles bien sûr et un super bonus : une formation de dix-neuf vidéos offertes.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie et de la gastronomie ?
Certains artistes reçoivent l’inspiration du ciel, de l’univers, de la nature, car tout existe déjà et certaines personnes sont plus réceptives que d’autres. Je respecte et je comprends cette manière de créer. La création, en magie comme en cuisine, est aussi beaucoup liée à notre culture personnelle. Plus on a d’expériences, de références, de rencontres, plus on a de matière pour créer. Si vous savez comment réagit la salade quand on la poêle, la poche, la frit, la coupe, la déchire… vous aurez des dizaines de plats possibles.
Avez-vous d’autres hobbies ?
La magie, la cuisine, le vin, ma famille et l’amour.
– Interview réalisée en septembre 2023.
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