Charley Bowers, né en 1909, funambule puis caricaturiste pour la presse (le créateur de Pim Pam Poum ), il s’intéresse rapidement au dessin animé au point d’ouvrir un studio de production qui verra naître quelques cartoons rudimentaires (notamment la série Mutt and Jeff en 1916). Puis, s’attaquant au cinéma, Bowers réalise une douzaine de courts mêlant les techniques d’animation d’objet à des prises de vue réelles… Le personnage de Bricolo est né, campé et dirigé par Bowers himself. Personnage farfelu aux inventions plus insolites les unes que les autres, Bricolo est surtout l’occasion pour l’artiste de donner libre cours à une imagination débordante qui sera louée par les surréalistes, André Breton en tête. Court moment de gloire critique pour cet incroyable artiste qui finira sa carrière, totalement oublié, en 1946. Avant que la Cinémathèque de Toulouse puis Lobster ne rendent enfin justice à ce brillant cinéaste, 50 ans plus tard.
L’animation :
Charley Bowers (1889-1946) a défié les lois d’une animation balbutiante, avec ses courts métrages burlesques remarquables de maîtrise et d’inventivité. En 1916, l’animation tâtonne. Après l’élaboration, à la fin du XIXè siècle, des premiers procédés techniques, voici venue l’ère des « paléo-animateurs », comme les désigne Giannalberto Bendazzi, contemporains des célèbres Georges Méliès, Emile Cohl, Ladislas Starewitch et Winsor McCay. Cette année-là, Charley Bowers se lance à son tour dans le cinéma d’animation. En 1912, il s’intéresse au dessin animé. Il réalise ainsi une centaine d’épisodes de Pim Pam Poum (The Katzenjammer kids en VO), transposition animée de la bande dessinée créée par Rudolph Dirks. Poursuivant dans cette voie, il fonde, avec le canadien Raoul Barre (The Animated Grouch Chaser, 1915), une société destinée à produire des dessins animés autour de Mutt and Jeff. Le créateur des deux personnages de BD, Bud Fisher, rachète les studios Barré-Bowers, qui réalisent près de 300 épisodes.
La série est représentative des dessins animés américains de l’époque, les animated cartoons, littéralement BD animées. L’expression révèle le lien existant alors, aux Etats-Unis, entre la BD et le dessin animé, ce dernier étant au départ une simple adaptation animée de la première. Ainsi, les dialogues sont présentés dans des bulles s’inscrivant dans l’image. Le traitement graphique est sommaire, seuls les contours des personnages et des décors étant tracés. En revanche, l’animation image par image de dessins photographiés produit parfois des résultats intéressants.
Le « procédé Bowers » :
La série dure quelques années encore, et Bowers en devient producteur, à la tête d’un nouveau studio. Il est vite renvoyé par ses employés, paraît-il pour manque de motivation. En effet, le bouillonnant homme-orchestre a l’esprit ailleurs. Le voilà planchant sur la mise au point du « Bower Process ». Ses connaissances techniques en animation lui permettent d’élaborer un procédé faisant coexister vues réelles et animation, personnes humaines et objets animés. La trouvaille est exploitée dans les courts métrages burlesques qu’il tourne de 1924 à 1930.
Durant ces 7 années, Bowers réalise une vingtaine de comédies, en association avec Harold L. Muller et Ted Sears ou avec Muller seul. Il est scénariste, interprète, cameraman, réalisateur, producteur, parfois tout cela à la fois, et en 1928, principal actionnaire de Bowers Comedies. A l’instar des célébrités des films comiques de l’époque (Buster Keaton, Charles Chaplin ou Harold Lloyd), Bowers crée « Bricolo », double récurrent qui lui permet de mettre les effets spéciaux au service des inventions extravagantes du personnage. Bricolo est maître dans la fabrication de machines extraordinaires, qui, grâce à des jeux complexes de pistons, roues, poulies, etc, produisent des choses invraisemblables. Un délai lui est souvent imparti pour l’élaboration de son invention, avec, en cas de réussite, la promesse d’un brevet, d’un héritage ou d’un mariage.
Un manipulateur virtuose des objets :
Il se trouve ainsi au défi de rendre les œufs incassables (Egged on), la peau de banane antidérapante (Many a slip), de créer des chaussures dansant toutes seules (Fatal Foolstep), une « cuisinière » automatisée assurant à la fois la cuisine et le service (He done his best) ou une « ménagère-à-tout-faire » pouvant vous coiffer comme donner vie à une poupée de chiffon (A wild Roomer). Ces créations extravagantes sont de vrais morceaux de bravoure technique : le délié de l’animation image par image des objets, comme la justesse des mouvements que BOWERS leur imprime, laissent pantois. Summum d’animation, la confection d’une poupée par une main gantée dans A wild Roomer, la poupée devenant ensuite vivante, est un comble d’émotion et de poésie. L’humour de Bowers joue sur l’insolite, et le côté fabuleux des inventions de Bricolo est en lui-même porteur de poésie.
En 1930, il co-réalise avec Muller son premier film sonore, It’s a bird. Il y interprète Charley Chucklehead (alias Charley Nigaud), ferrailleur parti en Afrique dénicher un oiseau mangeur de métal. Les séquences où la créature dialogue avec un ver de terre, ou dévore instruments de musique et pare-chocs, sont magistrales. La fin exploite un motif récurrent chez BOWERS, la voiture née d’un oeuf. En utilisant, comme à son habitude pour ce type de séquence, une projection à rebours du film, le réalisateur suit l’étrange éclosion d’un véhicule grandeur nature. Loué notamment par André Breton pour son alliance de réel et de fabuleux, It’s a bird est un chant du cygne. Le burlesque est à l’agonie, et dorénavant, le nom de Bowers apparaît sporadiquement au générique de films d’animation et de spots publicitaires.
Sélection des courts-métrages les plus marquants :
– Pour épater les poules : Bricolo, héros lunaire et inventeur loufoque, invente l’œuf incassable. La machine que ce dernier met au point dans la grange de son beau-père est à l’image de la fantaisie déployée par Bowers dans ses petits films : d’une complexité absolue et d’une beauté surréaliste. Il en va ainsi de cette fameuse machine à rendre les œufs incassables, totalement irréelle et dont les centaines de rouages anticipent avec 30 ans d’avance les machines folles de Tinguely. Belle introduction au monde absurde et poétique de Bowers. Ici, les frontières entre le vivant et le mécanique n’existent plus, au point qu’un panier d’œufs frais puisse donner naissance à des centaines de voitures minuscules à la vie débordante…
– Un drôle de locataire : Ce court est l’occasion de mettre le doigt sur l’aspect fantastique du monde de Bowers, flagrant dans l’introduction de ce film où tous les objets du quotidien d’une pension semblent s’être fait la malle. Chez Bowers, l’inanimé prend vie grâce aux idées abracadabrantes de Bricolo, qui invente ici une machine (dont la finalité reste bien mystérieuse) que n’aurait pas renié le créateur de Pinocchio : 5 mètres sur 8 de ferraille et de rouages pour donner vie à une petite poupée de chiffon (extraordinaires idées de mise en scène tel ce petit coeur qui se met à battre sous le tissu du pantin). Certes désopilants, les gags de Bowers ne se départissent jamais d’une poésie certaine qui brille ici de mille feux. Et qui fait d’Un drôle de locataire un de ses courts les moins drôles et paradoxalement les plus beaux.
– Oh tu exagères : Comment le mensonge, principe scénaristique éminemment cinématographique, devient une astucieuse mise en abîme du cinéma de Bowers : croire en l’incroyable. Le film retombe finalement sur ses pieds en proposant le menu habituel des courts métrages de Bowers.
– There it is : Retour à un comique plus inventif avec quelques trucages du plus bel effet, mais aussi un humour efficace. Là encore, l’incongru est roi, qui donne lieu à quelques scènes rarement vues ailleurs comme l’extraordinaire trucage du passe muraille, aussi épatant aujourd’hui qu’il y a 80 ans.
– Say Ah-H : C’est devant un tel court métrage que l’on comprend mieux la fascination exercé par Bowers sur André Breton (qui classa tout de même Bricolo dans ses 10 films préférés des années 30 aux côtés de l’Âge d’Or de Bunuel…) : qui d’autre que Bowers à cette époque pouvait se permettre de mettre en scène une autruche habillée d’un pantalon et avalant un brasero ? D’une poésie rare, ce petit court métrage tronqué est un parfait résumé de l’art de Bowers en matière d’animation et de leur intégration dans des prises de vue réelles. Certains gags, dont notamment celui du cuistot noir aux yeux en forme de soucoupe, anticipent de 60 ans les trucages de Tim Burton dans Beetlejuice ou Pee Wee’s Big Adventure (le gag de la camionneuse aux yeux exorbités).
– It’s a bird : Le chef-d’œuvre de Bowers. C’est l’histoire d’un ferrailleur qui découvre un oiseau mangeur de métal. L’invention et l’imagination qui se cachent derrière ces 13 minutes sont éblouissantes, au point que l’on en vient vraiment à se demander comment de telles images ont pu disparaître de la mémoire collective et cinéphile pendant si longtemps. Mettant à nouveau en scène un grand échalas chaussures aux pieds, ainsi qu’un petit ver de terre bavard et blagueur. Ce court est inénarrable et Incroyable !
A voir :
– DVD Charley Bowers, un génie à redécouvrir disponible chez Lobster dans la collection « Retour de flamme », 2003.
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