Un spectacle de et avec : Yann Frisch. Coécriture : Raphaël Navarro. Dramaturgie : Valentine Losseau. Lumière : Elsa Revol. Regard extérieur clown : Johan Lescop. Scénographie et costumes : Claire Jouët-Pastré.
Yann Frisch est un phénomène. Magicien autodidacte, il se forme aux arts du cirque en intégrant l’école du Lido à Toulouse où il se perfectionne en jonglage et au clown. En 2008, il rencontre Raphaël Navarro, leader du mouvement de la magie nouvelle, qui va le mettre sur le chemin de la magie et le révéler à lui-même. Commence alors une collaboration artistique passionnante qui verra naître un des plus grands numéros de magie de ce début de siècle, le fameux Baltass récompensé par une avalanche de prix : champion de France 2010, champion d’Europe 2011 et champion du monde 2012 de close-up.
Une ascension fulgurante pour un artiste atypique qui se la joue modeste face à ce déferlement médiatique mondial. Beaucoup se seraient enfermés dans une recette, se contentant de « réciter la leçon » pendant des années ; ce n’est pas le tempérament de Yann Frisch ! En 2013, le jeune circassien illusionniste part pour de nouvelles aventures créatives avec la conception du spectacle Oktobre. Puis se lance dans la collaboration artistique avec le musicien Ibrahim Maalouf et intervient dans la première partie de son concert Illusions donné à l’Olympia en 2014. Il joue également dans plusieurs Cabarets magiques de la compagnie 14:20, dont il est artiste permanent, comme Nous, rêveurs définitifs en 2016, et propose une deuxième version de Baltass (Baltass 2 inauguré à la FISM 2015).
Yann Frisch fonde sa propre compagnie – L’Absente de tous bouquets – avec laquelle il crée son premier spectacle solo en 2015 : Le Syndrome de Cassandre. Il collabore avec les plus grands magiciens de close-up de la planète dont Juan Tamariz, Lennart Green ou Dani DaOrtiz (sa référence cartomagique). Yann Frisch déploie aussi ses concepts de misdirection et de lapping dans le domaine de la cartomagie.
Introduction
Le syndrome de Cassandre est une expression tirée de la mythologie grecque. Cassandre avait reçu le don de Prophétie et la malédiction de ne jamais être crue. Aujourd’hui nous appelons des « cassandres » ceux qui annoncent les malheurs, dont on cherche à étouffer la parole car elle dérange… oubliant que dans la mythologie, toutes les prédictions de Cassandre se sont réalisées.
En 2010, une improvisation en public a donné lieu à une expérience et prise de conscience pour Yann Frisch qui a marqué la naissance de ce spectacle : Grimé en clown, un personnage arrive dans la salle et alerte le public d’un feu qui est en train de se propager en coulisses. La situation est grave, le public doit sortir. Bien sûr, personne ne bouge, quelques rires fusent, mais aucun doute sur la véracité de cette menace ne plane. Ce qu’il dit ou fait n’est pas crédible, car c’est un clown !
Le clown
Yann Frisch construit un personnage de « méchant clown » dans la lignée du formidable Cédric Paga, alias Ludor Citrik, qui a été l’un de ses professeurs au Lido de Toulouse. Grimé d’un maquillage charbonneux, d’un nez en forme de patate ; sa barbe et ses cheveux fous finissent la silhouette de chien battu de ce singulier personnage. Il est affublé d’un grand manteau, d’un pantalon large et d’un T-shirt de couleur. La mine est défaite, fatiguée et son visage est en proie à des tics faciaux répétés, un clignement des yeux permanent (marque de fabrique du personnage de Baltass). Il est tantôt drôle, tragique, pathétique, désinvolte, vulgaire et énervant. Il avance masqué devant les spectateurs et montre différentes facettes d’une personnalité en proie à des tourments intérieurs.
Le clown est seul, condamné à errer dans un monde parallèle dans lequel les spectateurs ne rentreront jamais. Cette fatalité le rapproche de la figure de Cassandre, ne jamais être pris au sérieux, n’avoir aucune légitimité et rester en dehors, en marge de la société. Etre bon qu’à faire rire, à faire des blagues, à amuser la galerie et à s’éteindre.
Le dispositif
La scène est comparable à une grande boîte noire où est enfermé un clown qui déambule en regardant les spectateurs s’installer. L’espace dans lequel le personnage évolue est constitué de mobiliers épars : une malle, un lampadaire, un tapis, une chaise, un bureau et deux éléments incongrus avec le nuage et l’échelle.
Comme un lion en cage, le clown mange une succession de bananes (1ème leitmotiv du spectacle), s’arrête devant l’écran/tulle qui le sépare du public et imite les gens qui toussent en ricanant…
Conclusion
Le moins que l’on puisse dire est que ce spectacle provoque les réactions du public. Des réactions très contrastées entre rire et stupéfaction, attente et frustration, fascination et colère. Le syndrome de Cassandre est construit de tel manière à provoquer le spectateur, à le pousser dans ses retranchements, à le confronter avec la vision primale du clown qui est le reflet des plus bas instincts de l’homme, de ses frustrations et de ses inspirations avortées.
Un tel spectacle se confronte fatalement à l’interprétation de son dispositif scénique et marche par alternance. Quand cela fonctionne, les saynètes sont fulgurantes de trouvailles, de gags et de cruauté. Quand cela patine, comme le personnage du clown, les tableaux se noircissent et deviennent ennuyeux, voir lourdingues ! Il y a une sorte de prise d’otage malsaine qui s’instaure dès le début où l’on voit le clown, tourner en rond comme un fauve dans sa cage, et observer la salle. On rit, mais on rit jaune, jamais de notre propre chef. Il y a une misdirection du rire qui est commanditée par le clown. Toutes les réactions des spectateurs sont contrôlées, ce qui perturbe grandement sa perception et son ressenti. Un sentiment de manipulation ressort de cette expérience très borderline qui met une grande partie du public volontairement sur la touche, « sans explications », dans l’expectative à l’image de la scène finale. Des questionnements surgissent, des interrogations demeurent, mais n’est-ce pas le propre de l’art que de remettre en cause notre monde, nos certitudes et notre confort ? Aux spectateurs de juger. Il faut louer le travail scénographique du spectacle. Cette cage en forme de boîte noire où le 4ème mur est un tulle transparent est une belle idée et confère au personnage une vraie dramaturgie. Le décor, constitué d’un mobilier vieillot et de deux éléments marquants (le nuage et l’échelle), rend à merveille l’état intérieur du personnage, entre rêverie et ancrage dans une réalité cauchemardesque, que le travail remarquable de la lumière vient appuyer.
Du côté technique et des illusions, nous reconnaissons la patte de la compagnie 14:20, ses recherches sur la lévitation scénique déjà présentes dans les créations Notte et Vibrations. Pour Le syndrome de Cassandre, la magie opère par le gag à l’insu du personnage principal qui subit ces situations. Le clown qui patine comme un personnage de Tex Avery, des équilibres impossibles dus à des situations absurdes. Les techniques employées sont justifiées et parfaitement invisibles, du très beau travail au service d’un spectacle extrême.
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